Selon un nouveau rapport, six personnes sur sept vivent dans des pays où les libertés civiques sont menacées, alors que les organisations qui les défendent connaissent des difficultés financières et font l’objet de pressions politiques et d’autres formes de harcèlement.
Dans son rapport sur l’état de la société civile (2015 State of Civil Society Report), CIVICUS, une alliance mondiale d’organisations de la société civile, estime que partout dans le monde, les organisations de la société civile ont également été touchées par les attaques portées à la liberté d’expression, poussant son directeur exécutif, Dhananjayan Sriskandarajah, à qualifier la situation « d’insoutenable ».
Mandeep Tiwana, responsable des politiques et du plaidoyer chez CIVICUS, a expliqué aux journalistes d’Equal Times que, ces dernières années, des organisations de la société civile – qui comprennent des organisations non gouvernementales, des syndicats et des groupes confessionnels – se sont battus en première ligne lors de nombreuses urgences humanitaires, y compris à l’occasion de la crise d’Ebola et des bombardements à Gaza.
« Alors que les organisations de la société civile n’ont eu de cesse de prouver leur valeur lors de crises mondiales, notamment lors d’actions humanitaires à la suite de catastrophes, dans la résolution de conflits, dans les phases de reconstruction après un conflit et pour combler l’important déficit démocratique dans le monde, le secteur de la société civile tout entier connaît de graves problèmes de moyens », explique-t-il.
« Il s’agit d’une insuffisance de fonds, surtout pour les petites organisations de la société civile qui en ont besoin pour garantir leur pérennité à long terme, mais aussi d’environnements réglementaires restrictifs qui empêchent la mobilisation de ressources au niveau national comme international. »
Le rapport s’inquiète également du faible niveau de financement public consacré à la société civile : sur les 166 milliards de dollars US destinés à l’aide publique au développement par les principaux pays bailleurs de fonds en 2013, seulement 13 % – soit 21 milliards de dollars US – ont été attribués à la société civile.
Plus de fonds pour les dissidents
Pour certains défenseurs des droits humains, l’une des raisons de la situation est que les gouvernements veulent affaiblir les organisations de la société civile exprimant une opinion différente et faisant campagne pour un changement de politiques, et réduire leur financement.
Dans un essai intitulé The Clamp-down on Resourcing (Coup de frein aux ressources), Maina Kiai, le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion et d’association pacifiques, écrit : « Couper les ressources financières est une façon facile pour un gouvernement de réduire au silence une organisation de la société civile qui se montre un peu trop critique. »
Maina Kiai donne l’exemple de l’Éthiopie où les autorités ont adopté une loi en 2009 qui interdit aux organisations de la société civile qui travaillent dans les domaines de l’égalité et des droits des enfants de recevoir plus de 10 % de leur financement de sources étrangères.
Des actes similaires ont également eu lieu au Pakistan, en Turquie et en Russie, où, plus tôt dans l’année, Amnesty International a critiqué le président russe, Vladimir Poutine, qui avait introduit une loi qualifiant d’indésirables les organisations étrangères représentant une menace pour la « sécurité de l’État » ou « l’ordre constitutionnel ».
Pour Marta Pardavi, une prééminente défenseuse des droits humains hongroise, les conclusions de CIVICUS sont cohérentes avec ce que vivent les organisations en Hongrie.
« Le secteur des ONG indépendantes, qui comptent sur des financements étrangers et qui adoptent souvent des positions critiques envers les politiques gouvernementales, subit des contrôles sans précédent de la part des autorités, comme des enquêtes fiscales, et est victime d’insinuations politiques dévalorisantes », explique-t-elle.
« Réagir à toutes ses attaques, aux critiques non fondées et aux actions en justice constitue une charge de travail supplémentaire pour nombre d’ONG, les empêchant de mener à bien leurs projets et les entraînant dans une politisation d’activités essentiellement non partisanes. »
Dhananjayan Sriskandarajah estime que cette réaction violente à l’échelle mondiale contre la société civile est très inquiétante.
« Malgré le travail incroyable que mène la société civile, elle est toujours attaquée. Rien qu’en 2014, nous avons prouvé de graves atteintes à “l’espace civique” – libertés d’expression, syndicale et de réunion – dans pas moins de 96 pays du monde entier », poursuit-il.
« Pour noircir encore le tableau, les organisations ayant le plus besoin de fonds, principalement basées dans l’hémisphère sud, ne reçoivent qu’une partie des milliards de dollars attribués au secteur. C’est une situation insoutenable. Nombre de bailleurs de fonds savent que la société civile accomplit un travail essentiel, mais il faut faire preuve d’encore plus de courage pour garantir la survie de celles et ceux qui se battent en première ligne. »
? Après le krach de lundi, notre bureau de Pékin nous a envoyé une question désespérée : « Qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on conseille aux investisseurs de tenir bon ? »
Les Chinois sont néophytes, en termes d’investissement. Le capitalisme de marché n’a été autorisé qu’en 1979. Depuis, les investisseurs chinois n’ont connu que la hausse. Si on voulait faire fortune grâce aux actions, ces 35 dernières années, il suffisait de conserver.
En Occident, au moins, il reste quelques vétérans qui se souviennent de périodes plus anciennes — entre 1968 et 1982, par exemple, avant que la partie ne soit truquée — où les actions ne grimpaient pas toujours. Et il demeurait toujours quelques doutes concernant les vraies raisons du grand boom et comment il pourrait se terminer.
En Chine, cependant, personne ou presque n’a jamais vu de marché baissier ou de récession. Les Chinois sont tous convaincus (pour autant que nous puissions en juger) que la Chine va continuer à se développer — économiquement et militairement — jusqu’à dominer le monde.
C’est peut-être encore vrai — mais les Chinois découvrent en ce moment que même lorsqu’on grimpe d’un bon pas, on peut toujours se tordre la cheville et s’écorcher le genou.
Aux Etats-Unis, en revanche, le boom est arrivé par étapes. La première étape a commencé en 1982 ; elle était saine et raisonnable. Elle a duré jusqu’en 1987. Les taux d’intérêt et l’inflation ont chuté, les actions ont grimpé.
Ensuite est arrivé le krach de 1987, au cours duquel les marchés ont enregistré leur plus grande chute de tous les temps — une baisse de 22% en un seul jour. Par la suite, Alan « Bulles » Greenspan a fait clairement comprendre qu’il ne jouerait plus le rôle de gardien honnête de la devise du pays et d’observateur indifférent des marchés. A partir de là, la Fed a été dans la poche de Wall Street… tandis que Wall Street était dans la poche de tout le reste du monde.
? Et puis les choses se sont vraiment gâtées…
Après 1987, la Fed a fourni de l’argent facile en abaissant son taux directeur. L’argent facile est passé par le secteur bancaire — lequel a retenu une commission substantielle au passage — avant d’aller gonfler les prix des actifs, ce qui a profité aux riches. L’un des plus riches parmi les riches est Donald Trump, qui aurait (selon lui-même) 10 milliards de dollars, et se présente désormais aux présidentielles.
La relance monétaire était censée être compensée par un resserrement, mais la Fed n’a pas tardé à stimuler bien plus qu’elle ne resserrait. Cela a été la deuxième étape du boom. L’événement le plus dramatique de cette étape a été le krach du Nasdaq en 2000. Bon nombre des dot.com les plus en vogue ont mis la clé sous la porte ; le Nasdaq lui-même a perdu plus de 70%. Mais le Dow et le S&P 500 n’ont pas tardé à se remettre.
A cette époque, on aurait dit que l’économie s’était mis un sac sur la tête
A cette époque, on aurait dit que l’économie s’était mis un sac sur la tête. Selon le jargon populaire, elle s’était « financiarisée ». Les ventes au détail ont grimpé, les ménages dépensant de l’argent qu’ils n’avaient pas sur des choses qu’ils ne pouvaient pas se permettre et dont ils n’avaient pas besoin. Une bonne partie de cet argent était obtenu en « retirant » de la valeur de leurs maisons. La finance hypothécaire était florissante, tandis que les pratiques de prêt se faisaient plus souples dans le secteur immobilier. Partout aux Etats-Unis se construisaient des centres commerciaux et des complexes immobiliers. Des entreprises, General Electric parmi les plus notables, changèrent de business model pour tirer parti du crédit facile. Et les grandes maisons de Long Island changèrent de mains — passant des rois du commerce et des titans de l’industrie aux banquiers et gestionnaires de hedge funds.
? … Jusqu’à atteindre le grotesque
Cette deuxième étape prit fin en 2008 avec l’explosion de la bulle immobilière. Commença alors une phase encore plus grotesque. Durant la troisième étape, la rivière de crédit facile coulant aux Etats-Unis s’est muée en tsunami, soulevant les valeurs US jusqu’à 300% plus haut que ce qu’elles avaient été au creux du krach et aggravant la pourriture rongeant l’économie. Les revenus des ménages chutèrent. Et le principal acheteur d’actions d’entreprises US devint… les entreprises US elles-mêmes.
C’est à ce moment-là que la Fed a abandonné toute apparence de politique monétaire équilibrée et sensée. Elle a préféré mettre son taux directeur proche de zéro et l’y a laissé pendant six ans.
Cette phase n’est pas terminée… mais la fin doit être en chemin. Quand ? Eh bien… nous ne le savons pas.
La chute des derniers jours n’était qu’un avertissement. Il est plus probable que nous assisterons à quelques errements… un rebond… et de la nervosité, mais pas de panique. Les experts expliqueront qu’il n’y a pas à s’inquiéter… que nous avons déjà vu de telles « corrections »… la meilleure chose à faire est d’acheter et de conserver. Cela a toujours fonctionné par le passé et fonctionnera à nouveau, etc.
Et soudain, nous verrons quelques jours durant lesquels le Dow clôturera en baisse de 1 000 points. Ce sera la fin de cette troisième phase.
Et ensuite ? Eh bien c’est à ce moment que Sainte Janet arrivera à la rescousse. Nous pouvons presque voir la couverture du TIME : Sainte Janet sur un cheval blanc… les rênes dans la main gauche et une bannière dans la main droite.
Sauf que… cette fois-ci, ce ne sera pas aussi facile. Les taux sont déjà à zéro ; que va-t-elle faire ? Les mettre sous le zéro ? Assouplir les critères de marge ? Nous interdire de faire des commentaires « négatifs » ? Accorder un crédit d’impôt aux Américains pour qu’ils puissent dépenser de l’argent ? Introduire le QE 4, où la Fed n’achètera plus seulement des obligations… mais aussi des actions !
Pour l’instant, c’est le cash, le cash, le cash… Le Cash est Roi. Cela changera quand la Fed entrera en action. Ce sera la quatrième et dernière étape du grand boom — quand les zombies et les compères contre-attaqueront… avec une gigantesque salve d’inflation. Tenez-vous bien !
* Bill Bonner est le fondateur et président d’Agora Inc., une maison d’édition publiant des lettres d’information confidentielles – probablement l’une des plus brillantes au monde. Auteur de la lettre e-mail quotidienne The Daily Reckoning (450.000 lecteurs… ), il intervient également dans La Chronique Agora, directement inspirée du Daily Reckoning.
Devant l’effondrement de l’Empire occidental et face à la dégradation de son environnement social et humain, un seul comportement citoyen responsable : la non-obéissance civile au quotidien.
La non-obéissance est d’abord une attitude individuelle, au quotidien, par lequel un individu entend se conformer rigoureusement à des principes de vie et de moralité, quitte à désobéir aux instructions venues d’en haut quand elles violent ouvertement ces principes.
La non-obéissance civile consiste à faire prévaloir la légitimité sur la légalité, quand cette dernière en transgresse les principes. En clair, le citoyen non-obéissant, en son âme et conscience, est habilité à faire prévaloir les Droits de l’homme sur les lois qui les bafouent (article 2 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme version 1948)
Les Droits de l’homme en guise de viatique
La lecture attentive des 30 articles de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme 1948, que chacun devrait en permanence posséder par devers lui, permet aisément de déterminer un comportement citoyen responsable, de rappeler quelques évidences et d’en tirer des exemples d’applications pratiques immédiates :
Tous les hommes, les femmes, les chrétiens, les juifs, les musulmans, les athées, les blancs, les noirs, les Roms, les avec ou sans papiers, autochtones ou migrants… « sont libres et égaux en dignité et en droits » (article 1).
Le devoir de tout citoyen est de porter secours à tout individu victime de « toute discrimination qui violerait la présente Déclaration », ainsi que le firent ceux qui protégèrent les familles juives traquées par les lois de Vichy dans les années quarante, ou le font aujourd’hui les combattants de l’ombre de RESF pour les migrants déracinés (article 7).
Chaque citoyen est fondé de chercher à échapper à toutes « immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance », fussent-elles autoritairement décrétées par la puissance publique (article 12).
Tout individu à le droit d’arborer le signe distinctif qu’il entend, que celui-ci soit d’ordre philosophique, politique, religieux, et tout individu est libre tout autant de n’en point porter si bon lui semble (article 18).
Tout citoyen, maintenu arbitrairement en-dessous du seuil de pauvreté, est légitimé à assurer, par quelques moyens que ce soit, « sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires » (article 25).
Le rire de l’homme révolté
Comme « l’homme révolté » de Camus — « homme » entendu bien sûr au sens générique, tous sexes confondus — le citoyen non-obéissant, avec tous les moyens à sa disposition, défend son territoire contre toute violation des principes moraux qui le régissent. Il ne désobéit pas par vocation, il refuse simplement d’obéir quand ses convictions le lui intiment.
En ce sens, l’homme révolté s’oppose au « révolté métaphysique », anti tout par posture, dont le seul et unique but n’est pas de faire valoir un monde d’après acceptable, mais de prétendre vouloir détruire celui qu’il dit exécrer. L’attitude pseudo-révolutionnaire du révolté métaphysique s’assimile au final à une expression vengeresse de rancœur, doublée d’une étonnante soumission, tout juste rageuse pour faire genre, à l’autorité prétendûment détestée.
L’homme révolté ne vise pas à détruire, mais à construire. Il sait qu’en l’état actuel de délabrement social et moral, il ne peut compter ni sur les autorités politiques corrompues, ni sur les pouvoirs judiciaires ou médiatiques qui leur sont totalement acquis. Il n’attend rien de ces derniers et ne leur demande rien.
L’homme révolté sait évaluer les rapports de force. En attendant que ceux-ci lui soient favorables, il cultive patiemment et sans faiblir son jardin, sème avec opiniâtreté ses petites graines sans attendre un Grand soir illusoire ou une intervention divine. La grande force de l’homme révolté, être solitaire par nature, est de savoir se constituer en réseaux avec ses congénères : associations, réseaux sociaux, circuits courts…
L’homme révolté ne se tape pas la tête contre les murs, ne pleurniche, ni ne geint. Il trace son bonhomme de chemin, tisse ses réseaux et sait se montrer patient. Aux côtés de sa colère, il y a son rire.
De l’alignement préalable sur la droite extrême israélienne à l’interdiction de manifestations de solidarité avec le peuple palestinien, sans compter l’assimilation de cette solidarité à de l’antisémitisme maquillé en antisionisme, François Hollande s’est engagé dans une impasse. Politiquement, il n’y gagnera rien, sauf le déshonneur. Mais, à coup sûr, il y perd la France.
Monsieur le Président, cher François Hollande, je n’aurais jamais pensé que vous puissiez rester, un jour, dans l’histoire du socialisme français, comme un nouveau Guy Mollet. Et, à vrai dire, je n’arrive pas à m’y résoudre tant je vous croyais averti de ce danger d’une rechute socialiste dans l’aveuglement national et l’alignement international, cette prétention de civilisations qui se croient supérieures au point de s’en servir d’alibi pour justifier les injustices qu’elles commettent.
Vous connaissez bien ce spectre molletiste qui hante toujours votre famille politique. Celui d’un militant dévoué à son parti, la SFIO, d’un dirigeant aux convictions démocratiques et sociales indéniables, qui finit par perdre politiquement son crédit et moralement son âme faute d’avoir compris le nouveau monde qui naissait sous ses yeux. C’était, dans les années 1950 du siècle passé, celui de l’émergence du tiers-monde, du sursaut de peuples asservis secouant les jougs colonisateurs et impériaux, bref le temps de leurs libérations et des indépendances nationales.
Guy Mollet, et la majorité de gauche qui le soutenait, lui opposèrent, vous le savez, un déni de réalité. Ils s’accrochèrent à un monde d’hier, déjà perdu, ajoutant du malheur par leur entêtement, aggravant l’injustice par leur aveuglement. C’est ainsi qu’ils prétendirent que l’Algérie devait à tout prix rester la France, jusqu’à engager le contingent dans une sale guerre, jusqu’à autoriser l’usage de la torture, jusqu’à violenter les libertés et museler les oppositions. Et c’est avec la même mentalité coloniale qu’ils engagèrent notre pays dans une désastreuse aventure guerrière à Suez contre l’Égypte souveraine, aux côtés du jeune État d’Israël.
Mollet n’était ni un imbécile ni un incompétent. Il était simplement aveugle au monde et aux autres. Des autres qui, déjà, prenaient figure d’Arabes et de musulmans dans la diversité d’origines, la pluralité de cultures et la plasticité de croyance que ces mots recouvrent. Lesquels s’invitaient de nouveau au banquet de l’Histoire, s’assumant comme tels, revendiquant leurs fiertés, désirant leurs libertés. Et qui, selon le même réflexe de dignité et de fraternité, ne peuvent admettre qu’aujourd’hui encore, l’injustice européenne faite aux Juifs, ce crime contre l’humanité auquel ils n’eurent aucune part, se redouble d’une injustice durable faite à leurs frères palestiniens, par le déni de leur droit à vivre librement dans un État normal, aux frontières sûres et reconnues.
Vous connaissez si bien la suite, désastreuse pour votre famille politique et, au-delà d’elle, pour toute la gauche de gouvernement, que vous l’aviez diagnostiquée vous-même, en 2006, dans Devoirs de vérité (Stock). « Une faute, disiez-vous, qui a été chèrement payée : vingt-cinq ans d’opposition, ce n’est pas rien ! » Sans compter, auriez-vous pu ajouter, la renaissance à cette occasion de l’extrême droite française éclipsée depuis la chute du nazisme et l’avènement d’institutions d’exception, celles d’un pouvoir personnel, celui du césarisme présidentiel. Vingt-cinq ans de « pénitence », insistiez-vous, parce que la SFIO, l’ancêtre de votre Parti socialiste d’aujourd’hui, « a perdu son âme dans la guerre d’Algérie ».
Vous en étiez si conscient que vous ajoutiez : « Nous avons encore des excuses à présenter au peuple algérien. Et nous devons faire en sorte que ce qui a été ne se reproduise plus. »« Nous ne sommes jamais sûrs d’avoir raison, de prendre la bonne direction, de choisir la juste orientation, écriviez-vous encore. Mais nous devons, à chaque moment majeur, nous poser ces questions simples : agissons-nous conformément à nos valeurs ? Sommes-nous sûrs de ne pas altérer nos principes ? Restons-nous fidèles à ce que nous sommes ? Ces questions doivent être posées à tout moment, au risque sinon d’oublier la leçon. »
Eh bien, ces questions, je viens vous les poser parce que, hélas, vous êtes en train d’oublier la leçon et, à votre tour, de devenir aveugle au monde et aux autres. Je vous les pose au vu des fautes stupéfiantes que vous avez accumulées face à cet énième épisode guerrier provoqué par l’entêtement du pouvoir israélien à ne pas reconnaître le fait palestinien. J’en dénombre au moins sept, et ce n’est évidemment pas un jeu, fût-il des sept erreurs, tant elles entraînent la France dans la spirale d’une guerre des mondes, des civilisations et des identités, une guerre sans issue, sinon celle de la mort et de la haine, de la désolation et de l’injustice, de l’inhumanité en somme, ce sombre chemin où l’humanité en vient à se détruire elle-même.
Les voici donc ces sept fautes où, en même temps qu’à l’extérieur, la guerre ruine la diplomatie, la politique intérieure en vient à se réduire à la police.
Une faute politique doublée d’une faute intellectuelle
1. Vous avez d’abord commis une faute politique sidérante. Rompant avec la position traditionnellement équilibrée de la France face au conflit israélo-palestinien, vous avez aligné notre pays sur la ligne d’offensive à outrance et de refus des compromis de la droite israélienne, laquelle gouverne avec une extrême droite explicitement raciste, sans morale ni principe, sinon la stigmatisation des Palestiniens et la haine des Arabes.
Votre position, celle de votre premier communiqué du 9 juillet, invoque les attaques du Hamas pour justifier une riposte israélienne disproportionnée dont la population civile de Gaza allait, une fois de plus, faire les frais. Purement réactive et en grande part improvisée (lire ici l’article de Lenaïg Bredoux), elle fait fi de toute complexité, notamment celle du duo infernal que jouent Likoud et Hamas, l’un et l’autre se légitimant dans la ruine des efforts de paix (lire là l’article de François Bonnet).
Surtout, elle est inquiétante pour l’avenir, face à une situation internationale de plus en plus incertaine et confuse. À la lettre, ce feu vert donné à un État dont la force militaire est sans commune mesure avec celle de son adversaire revient à légitimer, rétroactivement, la sur-réaction américaine après les attentats du 11-Septembre, son Patriot Act liberticide et sa guerre d’invasion contre l’Irak. Bref, votre position tourne le dos à ce que la France officielle, sous la présidence de Jacques Chirac, avait su construire et affirmer, dans l’autonomie de sa diplomatie, face à l’aveuglement nord-américain.
Depuis, vous avez tenté de modérer cet alignement néoconservateur par des communiqués invitant à l’apaisement, à la retenue de la force israélienne et au soulagement des souffrances palestiniennes. Ce faisant, vous ajoutez l’hypocrisie à l’incohérence. Car c’est une fausse compassion que celle fondée sur une fausse symétrie entre les belligérants. Israël et Palestine ne sont pas ici à égalité. Non seulement en rapport de force militaire mais selon le droit international.
En violation de résolutions des Nations unies, Israël maintient depuis 1967 une situation d’occupation, de domination et de colonisation de territoires conquis lors de la guerre des Six Jours, et jamais rendus à la souveraineté pleine et entière d’un État palestinien en devenir. C’est cette situation d’injustice prolongée qui provoque en retour des refus, résistances et révoltes, et ceci d’autant plus que le pouvoir palestinien issu du Fatah en Cisjordanie n’a pas réussi à faire plier l’intransigeance israélienne, laquelle, du coup, légitime les actions guerrières de son rival, le Hamas, depuis qu’il s’est imposé à Gaza.
Historiquement, la différence entre progressistes et conservateurs, c’est que les premiers cherchent à réduire l’injustice qui est à l’origine d’un désordre tandis que les seconds sont résolus à l’injustice pour faire cesser le désordre. Hélas, Monsieur le Président, vous avez spontanément choisi le second camp, égarant ainsi votre propre famille politique sur le terrain de ses adversaires.
2. Vous avez ensuite commis une faute intellectuelle en confondant sciemment antisémitisme et antisionisme. Ce serait s’aveugler de nier qu’en France, la cause palestinienne a ses égarés, antisémites en effet, tout comme la cause israélienne y a ses extrémistes, professant un racisme anti-arabe ou antimusulman. Mais assimiler l’ensemble des manifestations de solidarité avec la Palestine à une résurgence de l’antisémitisme, c’est se faire le relais docile de la propagande d’État israélienne.
Mouvement nationaliste juif, le sionisme a atteint son but en 1948, avec l’accord des Nations unies, URSS comprise, sous le choc du génocide nazi dont les Juifs européens furent les victimes. Accepter cette légitimité historique de l’État d’Israël, comme a fini par le faire sous l’égide de Yasser Arafat le mouvement national palestinien, n’entraîne pas que la politique de cet État soit hors de la critique et de la contestation. Être antisioniste, en ce sens, c’est refuser la guerre sans fin qu’implique l’affirmation au Proche-Orient d’un État exclusivement juif, non seulement fermé à toute autre composante mais de plus construit sur l’expulsion des Palestiniens de leur terre.
Confondre antisionisme et antisémitisme, c’est installer un interdit politique au service d’une oppression. C’est instrumentaliser le génocide dont l’Europe fut coupable envers les Juifs au service de discriminations envers les Palestiniens dont, dès lors, nous devenons complices. C’est, de plus, enfermer les Juifs de France dans un soutien obligé à la politique d’un État étranger, quels que soient ses actes, selon la même logique suiviste et binaire qui obligeait les communistes de France à soutenir l’Union soviétique, leur autre patrie, quels que soient ses crimes. Alors qu’évidemment, on peut être juif et antisioniste, juif et résolument diasporique plutôt qu’aveuglément nationaliste, tout comme il y a des citoyens israéliens, hélas trop minoritaires, opposés à la colonisation et solidaires des Palestiniens.
Brandir cet argument comme l’a fait votre premier ministre aux cérémonies commémoratives de la rafle du Vél’ d’Hiv’, symbole de la collaboration de l’État français au génocide commis par les nazis, est aussi indigne que ridicule. Protester contre les violations répétées du droit international par l’État d’Israël, ce serait donc préparer la voie au crime contre l’humanité ! Exiger que justice soit enfin rendue au peuple palestinien, pour qu’il puisse vivre, habiter, travailler, circuler, etc., normalement, en paix et en sécurité, ce serait en appeler de nouveau au massacre, ici même !
Un antiracisme oublieux et infidèle
Si vous pensez spontanément religion quand s’expriment ici même des insatisfactions et des colères en solidarité avec le monde arabe, univers où dominent la culture et la foi musulmanes, c’est paradoxalement parce que vous ne vous êtes pas résolus à cette évidence d’une France multiculturelle. À cette banalité d’une France plurielle, vivant diversement ses appartenances et ses héritages, qu’à l’inverse, votre crispation, où se mêlent la peur et l’ignorance, enferme dans le communautarisme religieux. Pourtant, les musulmans de France font de la politique comme vous et moi, en pensant par eux-mêmes, en inventant par leur présence au monde, à ses injustices et à ses urgences, un chemin de citoyenneté qui est précisément ce que l’on nomme laïcisation.
C’est ainsi, Monsieur le Président, qu’au lieu d’élever le débat, vous en avez, hélas, attisé les passions. Car cette réduction des musulmans de France à un islam lui-même réduit, par le prisme sécuritaire, au terrorisme et à l’intégrisme est un cadeau fait aux radicalisations religieuses, dans un jeu de miroirs où l’essentialisation xénophobe finit par justifier l’essentialisation identitaire. Une occasion offerte aux égarés en tous genres.
5. Vous avez surtout commis une faute historique en isolant la lutte contre l’antisémitisme des autres vigilances antiracistes. Comme s’il fallait la mettre à part, la sacraliser et la différencier. Comme s’il y avait une hiérarchie dans le crime contre l’humanité, le crime européen de génocide l’emportant sur d’autres crimes européens, esclavagistes ou coloniaux. Comme si le souvenir de ce seul crime monstrueux devait amoindrir l’indignation, voire simplement la vigilance, vis-à-vis d’autres crimes, de guerre ceux-là, commis aujourd’hui même. Et ceci au nom de l’origine de ceux qui les commettent, brandie à la façon d’une excuse absolutoire alors même, vous le savez bien, que l’origine, la naissance ou l’appartenance, quelles qu’elles soient, ne protègent de rien, et certainement pas des folies humaines.
Ce faisant, votre premier ministre et vous-même n’avez pas seulement encouragé une détestable concurrence des victimes, au lieu des causes communes qu’il faudrait initier et promouvoir. Vous avez aussi témoigné d’un antiracisme fort oublieux et très infidèle. Car il ne suffit pas de se souvenir du crime commis contre les juifs. Encore faut-il avoir appris et savoir transmettre la leçon léguée par l’engrenage qui y a conduit : cette lente accoutumance à la désignation de boucs émissaires, essentialisés, caricaturés et calomniés dans un brouet idéologique d’ignorance et de défiance qui fit le lit des persécutions.
Or comment ne pas voir qu’aujourd’hui, dans l’ordinaire de notre société, ce sont d’abord nos compatriotes d’origine, de culture ou de croyance musulmane qui occupent cette place peu enviable ? Et comment ne pas comprendre qu’à trop rester indifférents ou insensibles à leur sort, ce lot quotidien de petites discriminations et de grandes détestations, nous habituons notre société tout entière à des exclusions en chaîne, tant le racisme fonctionne à la manière d’une poupée gigogne, des Arabes aux Roms, des Juifs aux Noirs, et ainsi de suite jusqu’aux homosexuels et autres prétendus déviants ?
Ne s’attarder qu’à la résurgence de l’antisémitisme, c’est dresser une barrière immensément fragile face au racisme renaissant. Le Front national deviendrait-il soudain fréquentable parce qu’il aurait, selon les mots de son vice-président, fait« sauter le verrou idéologique de l’antisémitisme » afin de « libérer le reste » ? L’ennemi de l’extrême droite, confiait à Mediapart la chercheuse qui a recueilli cette confidence de Louis Aliot, « n’est plus le Juif mais le Français musulman » (lire ici notre entretien avec Valérie Igounet).
De fait, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), dont vous ne pouvez ignorer les minutieux et rigoureux travaux, constate, de rapport en rapport annuels, une montée constante de l’intolérance antimusulmane et de la polarisation contre l’islam (lire nos articles ici et là). Dans celui de 2013, on pouvait lire ceci, sous la plume des sociologues et politologues qu’elle avait sollicités : « Si on compare notre époque à celle de l’avant-guerre, on pourrait dire qu’aujourd’hui le musulman, suivi de près par le Maghrébin, a remplacé le juif dans les représentations et la construction d’un bouc émissaire. »
L’antiracisme conséquent est celui qui affronte cette réalité tout en restant vigilant sur l’antisémitisme. Ce n’est certainement pas celui qui, à l’inverse, pour l’ignorer ou la relativiser, brandit à la manière d’un étendard la seule lutte contre l’antisémitisme. Cette faute, hélas, Monsieur le Président, est impardonnable car non seulement elle distille le venin d’une hiérarchie parmi les victimes du racisme, mais de plus elle conforte les moins considérées d’entre elles dans un sentiment d’abandon qui nourrit leur révolte, sinon leur désespoir. Qui, elles aussi, les égare.
6. Vous avez par-dessus tout commis une faute sociale en transformant la jeunesse des quartiers populaires en classe dangereuse. Votre premier ministre n’a pas hésité à faire cet amalgame grossier lors de son discours du Vél’ d’Hiv’, désignant à la réprobation nationale ces « quartiers populaires » où se répand l’antisémitisme « auprès d’une jeunesse souvent sans repères, sans conscience de l’Histoire et qui cache sa “haine du Juif ” derrière un antisionisme de façade et derrière la haine de l’État d’Israël ».
Mais qui l’a abandonnée, cette jeunesse, à ces démons ? Qui sinon ceux qui l’ont délaissée ou ignorée, stigmatisée quand elle revendique en public sa religion musulmane, humiliée quand elle voit se poursuivre des contrôles policiers au faciès, discriminée quand elle ne peut progresser professionnellement et socialement en raison de son apparence, de son origine ou de sa croyance ? Qui sinon ceux-là mêmes qui, aujourd’hui, nous gouvernent, vous, Monsieur le Président et, surtout, votre premier ministre qui réinvente cet épouvantail habituel des conservatismes qu’est l’équivalence entre classes populaires et classes dangereuses ?
Une jeunesse des quartiers populaires stigmatisée
Cette jeunesse n’a-t-elle pas, elle aussi, des idéaux, des principes et des valeurs ? N’est-elle pas, autant que vous et moi, concernée par le monde, ses drames et ses injustices ? Par exemple, comment pouvez-vous ne pas prendre en compte cette part d’idéal, fût-il ensuite dévoyé, qui pousse un jeune de nos villes à partir combattre en Syrie contre un régime dictatorial et criminel que vous-même, François Hollande, avez imprudemment appelé à « punir » il y a tout juste un an? Est-ce si compliqué de savoir distinguer ce qui est de l’ordre de l’idéalisme juvénile et ce qui relève de la menace terroriste, au lieu de tout criminaliser en bloc en désignant indistinctement des « djihadistes » ?
Le pire, c’est qu’à force d’aveuglement, cette politique de la peur que, hélas, votre pouvoir assume à son tour, alimente sa prophétie autoréalisatrice. Inévitablement, elle suscite parmi ses cibles leur propre distance, leurs refus et révoltes, leur résistance en somme, un entre soi de fierté ou de colère pour faire face aux stigmatisations et aux exclusions, les affronter et les surmonter. « On finit par créer un danger, en criant chaque matin qu’il existe. À force de montrer au peuple un épouvantail, on crée le monstre réel » : ces lignes prémonitoires sont d’Émile Zola, en 1896, au seuil de son entrée dans la mêlée dreyfusarde, dans un article du Figaro intitulé « Pour les Juifs ».
Zola avait cette lumineuse prescience de ceux qui savent se mettre à la place de l’autre et qui, du coup, comprennent les révoltes, désirs de revanche et volonté de résister, que nourrit un trop lourd fardeau d’humiliations avec son cortège de ressentiments. Monsieur le Président, je ne mésestime aucunement les risques et dangers pour notre pays de ce choc en retour. Mais je vous fais reproche de les avoir alimentés plutôt que de savoir les conjurer. De les avoir nourris, hélas, en mettant à distance cette jeunesse des quartiers populaires à laquelle, durant votre campagne électorale, vous aviez tant promis au point d’en faire, disiez-vous, votre priorité. Et, du coup, en prenant le risque de l’abandonner à d’éventuels égarements.
7. Vous avez, pour finir, commis une faute morale en empruntant le chemin d’une guerre des mondes, à l’extérieur comme à l’intérieur. En cette année 2014, de centenaire du basculement de l’Europe dans la barbarie guerrière, la destruction et la haine, vous devriez pourtant y réfléchir à deux fois. Cet engrenage est fatal qui transforme l’autre, aussi semblable soit-il, en étranger et, finalement, en barbare – et c’est bien ce qui nous est arrivé sur ce continent dans une folie destructrice qui a entraîné le monde entier au bord de l’abîme.
Jean Jaurès, dont nous allons tous nous souvenir le 31 juillet prochain, au jour anniversaire de son assassinat en 1914, fut vaincu dans l’instant, ses camarades socialistes basculant dans l’Union sacrée alors que son cadavre n’était pas encore froid. Tout comme d’autres socialistes, allemands ceux-là, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, finirent assassinés en 1919 sur ordre de leurs anciens camarades de parti, transformés en nationalistes et militaristes acharnés. Mais aujourd’hui, connaissant la suite de l’histoire, nous savons qu’ils avaient raison, ces justes momentanément vaincus qui refusaient l’aveuglement des identités affolées et apeurées.
Vous vous souvenez, bien sûr, de la célèbre prophétie de Jaurès, en 1895, à la Chambre des députés : « Cette société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l’état d’apparent repos, porte en elle la guerre comme la nuée dormante porte l’orage. » Aujourd’hui que les inégalités provoquées par un capitalisme financier avide et rapace ont retrouvé la même intensité qu’à cette époque, ce sont les mêmes orages qu’il vous appartient de repousser, à la place qui est la vôtre.
Vous n’y arriverez pas en continuant sur la voie funeste que vous avez empruntée ces dernières semaines, après avoir déjà embarqué la France dans plusieurs guerres africaines sans fin puisque sans stratégie politique (lire ici l’article de François Bonnet). Vous ne le ferez pas en ignorant le souci du monde, de ses fragilités et de ses déséquilibres, de ses injustices et de ses humanités, qui anime celles et ceux que le sort fait au peuple palestinien concerne au plus haut point.
Monsieur le Président, cher François Hollande, vous avez eu raison d’affirmer qu’il ne fallait pas « importer » en France le conflit israélo-palestinien, en ce sens que la France ne doit pas entrer en guerre avec elle-même. Mais, hélas, vous avez vous-même donné le mauvais exemple en important, par vos fautes, l’injustice, l’ignorance et l’indifférence qui en sont le ressort.
L’économiste lance notre série d’interview et débats sur la politique économique.
Avec son livrele Capital au XXIe siècle (le Seuil, 2013) vendu à plus d’un million d’exemplaires à travers le monde, Thomas Piketty est devenu une star planétaire de l’économie (1). Classé à gauche, il a conseillé des candidats socialistes à la présidentielle, donne un coup de main à Podemos… Dans son petit bureau de Normale supérieure situé aux portes de Paris, il affirme qu’il existe bien, quoi qu’on en dise, une alternative à la politique menée par François Hollande. A «l’improvisation» actuelle du gouvernement, il oppose deux niveaux de réforme : la fin de l’austérité, dit-il, passe par une zone euro rénovée, au fonctionnement plus démocratique. Puis, fidèle à sa marotte théorique, qu’il défend depuis des années, il rappelle qu’une réforme fiscale en profondeur permettra de financer notre modèle social.
Les derniers chiffres sur le chômage signent-ils l’échec de la politique de l’offre menée par Hollande depuis le début de son quinquennat ?
Le problème de Hollande, c’est surtout qu’il n’a pas de politique. La soi-disant politique de l’offre est une blague. En arrivant au pouvoir, Hollande a commencé par supprimer – à tort – les baisses de cotisations patronales décidées par son prédécesseur. Avant de mettre en place, six mois plus tard, le CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi), qui est une gigantesque usine à gaz consistant à rembourser avec un an de retard une partie des cotisations patronales payées par les entreprises un an plus tôt. Avec, au passage, une énorme perte liée à l’illisibilité du dispositif. Et maintenant, on envisage de revenir d’ici à 2017 à une baisse de cotisations. On a besoin de réformes fiscales et sociales de fond, pas de cette improvisation permanente.
Et, surtout, on a besoin d’une réorientation de l’Europe. Le nouveau traité budgétaire ratifié en 2012 par Sarkozy et Hollande était une erreur, et doit être aujourd’hui dénoncé. On a voulu réduire les déficits trop vite, ce qui a tué la croissance. Même le FMI a reconnu ses erreurs sur l’austérité, mais Berlin et Paris persistent et signent. Il y a cinq ans, le taux de chômage en zone euro était le même qu’aux Etats-Unis. Il est aujourd’hui deux fois plus élevé qu’aux Etats-Unis, qui ont su faire preuve de souplesse budgétaire pour relancer la machine. Nous avons transformé par notre seule faute une crise financière américaine privée – celle des subprimes – en une crise européenne des dettes publiques.
Une politique économique de gauche est-elle possible ?
Il y a toujours des politiques alternatives possibles. A condition de prendre un peu de recul et de faire un détour par l’histoire. L’idée selon laquelle il n’existe aucune alternative à la pénitence ne correspond à aucune réalité historique. On observe dans le passé des dettes publiques encore plus importantes que celles constatées actuellement, et on s’en est toujours sorti, en ayant recours à une grande diversité de méthodes, parfois lentes et parfois plus rapides.
Au XIXe siècle, le Royaume-Uni choisit la méthode lente, en réduisant par des excédents budgétaires, avec une inflation nulle, l’énorme dette publique – plus de 200 % du PIB – héritée des guerres napoléoniennes. Cela a marché, mais cela a pris un siècle, au cours duquel le pays a consacré davantage de recettes fiscales à rembourser ses propres rentiers qu’à investir dans l’éducation. C’est ce que l’on demande aujourd’hui à la Grèce, qui est censée dégager un excédent budgétaire de 4 % du PIB pendant les prochaines décennies, alors même que le budget total de tout son système d’enseignement supérieur est d’à peine 1 % du PIB.
La France et l’Allemagne souffrent d’amnésie historique : en 1945, ces deux pays avaient plus de 200 % de PIB de dette publique, et ne l’ont jamais remboursé. Ils l’ont noyé dans l’inflation et dans les annulations de dettes. C’est ce qui leur a permis d’investir dans la reconstruction, les infrastructures et la croissance. Le traité budgétaire de 2012 nous fait choisir la stratégie britannique du XIXe siècle : c’est une immense erreur historique, un acte d’amnésie extraordinaire.
Actuellement, l’Europe consacre un minuscule budget de 2 milliards d’euros par an à Erasmus, et 200 milliards d’euros par an à se repayer des intérêts de la dette à elle-même. Il faut inverser cette stratégie absurde. Il faut mettre les dettes publiques dans un fonds commun et engager une restructuration d’ensemble, pour la Grèce comme pour les autres pays.
La gauche est accusée d’avoir lâché les classes populaires, le FN serait en train de les récupérer…
L’Europe s’est construite sur l’idée d’une mise en concurrence généralisée entre les pays, entre les régions, entre les groupes mobiles et les groupes moins mobiles, sans contrepartie sociale ou fiscale. Cela n’a fait qu’exacerber des tendances inégalitaires liées à la mondialisation, à l’excès de dérégulation financière. Des économistes, des intellectuels, des hommes et des femmes politiques disent aujourd’hui qu’il faut sortir de l’Europe. Y compris à gauche, où l’on entend : «N’abandonnons pas la question de la sortie de l’euro, voire de l’Europe, à Marine Le Pen, il faut poser la question.» Ce débat est légitime et ne pourra pas être éludé indéfiniment.
Un chantage à la sortie de l’euro serait-il efficace ?
Il est temps que la France, et en particulier la gauche française, dise à l’Allemagne : si vous refusez la règle de la démocratie dans la zone euro, à quoi ça sert d’avoir une monnaie ensemble ? On ne peut pas avoir une monnaie unique sans faire confiance à la démocratie, qui est aujourd’hui corsetée par des critères budgétaires rigides et par la règle de l’unanimité sur les questions fiscales. La force des classes populaires, c’est d’être nombreux : il faut donc changer les institutions pour permettre à des majorités populaires de prendre le pouvoir en Europe.
Il faut arrêter de fonctionner avec cette espèce de directoire franco-allemand dans lequel Paris joue un rôle étrange. On a l’impression que la France ne peut décider de rien, alors qu’en vérité, rien ne peut se décider sans elle. Si on mettait ensemble nos parlements nationaux pour construire une véritable chambre parlementaire de la zone euro, chacun envoyant un nombre de représentants au prorata de sa population, je suis certain que nous aurions eu moins d’austérité, plus de croissance et moins de chômage. Cette Chambre parlementaire serait responsable pour décider démocratiquement du niveau de déficit et d’investissement public, ainsi que pour superviser la Banque centrale européenne, l’union bancaire et le Mécanisme européen de stabilité. Bien sûr, l’Allemagne aurait peur d’être mise en minorité dans une telle instance. Mais si la France, l’Italie, la Grèce, demain l’Espagne, faisaient une telle proposition de refondation démocratique et sociale de l’Europe, l’Allemagne ne pourrait s’y opposer indéfiniment. Et si elle s’y opposait, alors le discours en faveur de la sortie de l’euro deviendrait irrésistible. Mais pour l’instant, il n’y a rien sur la table.
Pour vous, une politique de gauche passe par l’Europe, mais aussi par la France…
Il faut se battre pour changer l’Europe. Mais cela ne doit pas empêcher de mener en France les réformes de progrès social que nous pouvons conduire tout seuls. Nous pouvons engager en France une réforme fiscale de gauche, mais là, on a très mal commencé en votant, fin 2012, une augmentation de la TVA, alors même que le Parti socialiste n’a cessé de dire, quand il était dans l’opposition, que l’augmentation de la TVA est la pire des solutions.
Le financement de notre protection sociale repose trop fortement sur les salaires du secteur privé. Pour la droite, la bonne solution est d’augmenter indéfiniment la TVA, qui est l’impôt le plus injuste. L’alternative de gauche est de financer notre modèle social par un impôt progressif pesant sur tous les revenus (salaires du privé, salaires du public, pensions de retraites, revenus du patrimoine), avec un taux qui dépend du revenu global.
Contrairement à ce que l’on entend parfois, la CSG progressive est parfaitement constitutionnelle : elle existe déjà pour les retraités, et peut être étendue dans les mêmes conditions aux salaires et aux autres revenus. Autre réforme de gauche : les retraites. Notre système est extrêmement complexe avec des dizaines de caisse de retraite qui font que les jeunes générations ne comprennent rien à ce que seront leurs droits futurs.
Une réforme de gauche, une réforme progressiste sur les retraites serait d’unifier, pour les jeunes générations, pas pour ceux qui s’apprêtent à partir à la retraite, tous les régimes publics, privés, non salariés, avec une même cotisation pour toutes ces activités et des droits identiques. Une politique de gauche consisterait à refonder un régime de retraite universel où ce sont les systèmes qui s’adaptent aux trajectoires professionnelles des personnes et pas l’inverse. Dans tous ces domaines, le gouvernement est à des années-lumière d’engager la moindre réforme.
Quand est-ce que vous devenez ministre de l’Economie ?
Je n’ai aucun goût pour les petits fours. Ce qui me semble plus intéressant, c’est de contribuer, à la place qui est la mienne, de faire bouger l’opinion dominante en participant au débat public. C’est comme ça que les choses changent. La politique ne devrait pas être un métier. On en paie aujourd’hui les conséquences. Nous sommes gouvernés par des personnes qui confondent la rhétorique et la réalité.