Les Français crèvent de 30 ans de manque de courage politique

Dessin Aurel source La droite complexée. Ed Glénat

Dessin Aurel. Source La droite complexée. Ed Glénat

Par Géraldine Dalban-Moreynas. Regarder autour de soi, écouter, lire… Recevoir de plein fouet la violence des mots et des réactions. La condamnation est sans appel, sans pitié, à la hauteur du choc, partout, de la moindre radio au plus influent des réseaux sociaux : honte à eux, honte à ceux qui osent bafouer notre démocratie, honte à la France. Partout, chacun y va de son amertume. Ils sont révoltés, écœurés, refusent de vivre dans un pays dont le premier parti politique est le Front national (FN). Tous pleurent sur cette France digne héritière du siècle des Lumières, de la pensée, de la liberté et de la fraternité.

Partout l’émotion. Et pourtant rester dubitatif. Comme incapable de participer au lynchage collectif des 40 % de Français qui ont voté pour le FN dimanche 6 décembre, dans certaines régions. Incapable de participer à ce grand élan qui veut sauver notre démocratie, contre ceux qui l’ont bafouée et insultée dimanche dernier avec l’outil même de ladite démocratie : le bulletin de vote. Pourtant, ne pas avoir voté FN.

Faire partie de celles et ceux qui vivent dans de jolies maisons des beaux quartiers, qui partent en vacances dans les hôtels où il faut être, qui ont réussi, qui ont fait, avant, des études suffisamment longues pour être capable de comprendre que les extrêmes ne sont pas une solution. Et ne pas pouvoir s’empêcher de se demander ce que l’on ferait si on vivait à Calais et que l’on gagnait le Smic ? On voterait FN. Comme une certitude. Et on enverrait valser toutes les âmes bien-pensantes parisiennes qui viendraient expliquer que l’on fait honte à la France.

Les Français sont en train d’étouffer. Oh pas tous bien sûr, pas ceux qui étaient dimanche 6 décembre sur les plateaux de télévision pour défendre les grands idéaux républicains. Pas ceux qui avaient ressorti leurs précieux éléments de langage usés jusqu’à la corde. « Nous devons entendre l’exaspération et la colère des Français ». Mais qu’entendent-ils, ceux-là même qui sont au pouvoir depuis plus de 30 ans, droite et gauche confondues ? Et qu’en font-ils ?

Ceux qui sont en train d’étouffer, ce sont les autres. Ceux que l’on n’entend pas, ceux qui ne gagnent pas une tune, qui deviennent racistes à force de 13 novembre et de migrants dans les journaux de 20 heures, qui voient le système scolaire qui fout le camp, qui prennent le chômage en pleine figure, qui se demandent comment leurs enfants vont pouvoir vivre dans cette société qu’ils voient sans avenir, ceux qui se retrouvent sur le carreau parce que l’économie est « en pleine mutation », et qu’ils n’ont ni la capacité ni les compétences pour s’adapter à la mutation. Le train qui passe. Et eux qui ne montent pas dedans.

Ceux qui voient l’immigration, le terrorisme, la pauvreté, les mal logés, qui sont à 20 euros près pour boucler leurs fins de mois, qui mangent des pates à partir du 15, qui habitent dans des banlieues que l’ANRU était censée sauver ; où les ascenseurs ne marchent plus depuis la nuit des temps.

Ceux qui travaillent à Paris mais qui vivent à deux heures de RER parce que tout le monde ne peut pas se payer un appartement à 10 000 euros le m2. Ceux qui ont voté Mitterrand, Chirac, Marchais ou même Sarkozy parce qu’il promettait de nettoyer les cités au Karcher.
Qu’ont-ils fait ?

On crève aujourd’hui de 30 ans de politiquement correct et de manque de courage politique.

Les responsables du Parti socialiste et du parti Les Républicains sont les seuls responsables du score du FN. Parce qu’ils ont eu l’inestimable chance d’avoir le pouvoir de changer les choses. Et qu’ils ne s’en sont pas servis. Le résultat de ces élections régionales n’est que la sanction justifiée de 30 ans de langue de bois, d’incapacité à agir, de manque de courage, de leurs faiblesses face aux lobbys des uns et des autres, de la gestion de leurs propres intérêts, avec en première place leur réélection, alors qu’ils étaient là pour servir l’intérêt général.

Aucun politique n’a eu le courage depuis 20 ans de prendre les bonnes décisions, alors que tous savent ce qu’il faut faire. Et que tous ont reculé devant des réformes indispensables qui auraient pu leur coûter 3 points dans les sondages. Depuis dimanche soir, tous sont sur les plateaux de télévision, appelant au sursaut républicain. Ils s’aperçoivent qu’ils ont gâché un bien précieux, le pouvoir. Le pouvoir n’ayant de valeur qu’en fonction de ce que l’on en fait.

On a encore espéré que cette fois-ci, ils allaient comprendre, « entendre le message des Français ». Que proposent-t-ils depuis dimanche ? De chercher la meilleure façon de contrer le FN dans les prochaines 72 heures. C’est en agissant depuis 20 ans qu’il fallait le contrer. Pas aujourd’hui. « Faut-il se retirer ? », « Faut-il fusionner ? », « Faut-il choisir le ni ni ? ». Quel gâchis.

Quand les partis républicains comprendront-ils enfin que pour reprendre leur place, ils doivent faire leur mue, en sortant des discours lisses devenus inaudibles qui les ont coupés du reste de la France. Et des électeurs. Aujourd’hui, le FN est le premier parti de France. Et si on ne le partage pas, si on ne s’en félicite pas, si on ne le souhaitait pas, si on en ressent de la colère et de l’amertume… Une chose est sûre, on ne peut pas blâmer ceux qui l’ont voulu.

Voter pour ses convictions intellectuelles est un luxe. Eux votent juste pour essayer de vivre mieux. Dimanche 6 décembre, la France a tourné le dos à ses élites. Comment ne pas la comprendre ?

Géraldine Dalban-Moreynas

Géraldine Dalban-Moreynas est présidente de l’agence Milbox, conseil en communication, affaires publiques et relations presse

Le Monde.fr | 10.12.2015

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Mélenchon et l’imbroglio

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Par · 3 décembre 2015

Jean-Luc Mélenchon vient de publier une note courageuse sur son blog[1]. Il y décrit ce qu’il appelle l’état d’imbroglio permanent qui règne au sein du « Front de Gauche ». Il y déplore le manque de lisibilité des listes de la gauche « réelle », listes qui sont éparpillées entre des alliances avec EELV, avec le PC et qui parfois se font contre et EELV et le PCF. Il dénonce là une situation où, pour reprendre ses mots : « l’imbroglio est partout. Et surtout au pire endroit, c’est-à-dire face au suffrage universel. Les élections régionales nous voient arriver dans une cohue illisible nationalement. »

De l’autoroute à l’impasse

 

Il y constate donc, mais est-ce une surprise, l’attitude sectaire et purement électoraliste du PCF au sein du « Front de Gauche ». On se souvient de l’attitude de Pierre Laurent, le secrétaire du PCF qui, lors de la crise grecque de l’été dernier, avait apporté sa caution à l’accord honteux que signa Tsipras alors même que Mélenchon, et l’ensemble des dirigeants du Parti de Gauche dénonçaient ce dit accord, dont on mesure aujourd’hui toute la nocivité [2] .

Cet accord a sacrifié non seulement la démocratie mais aussi l’économie grecque sans aucune contrepartie[3]. Il ajoute alors : « Au final, le tableau est affligeant. Impossible d’aller dans une émission de télé ou de radio en étant capable de dire comment s’appellent nos listes puisqu’autant de « territoires », autant de noms plus poétiques les uns que les autres, choisis sans concertation entre régions. Localement, l’annexion des listes par la couleur de la tête de liste est faite sans vergogne par la presse locale… ».

Sur ce constat, il y a peu à ajouter. Alors qu’une autoroute s’ouvrait devant la gauche radicale du fait des reniements successifs du P « S », de la politique à la fois austéritaire et autoritaire du gouvernement, de son mépris affiché pour les classes populaires que ne masque même plus une certaine condescendance, cette même gauche radicale s’embourbe dans les impasses du calcul à courte vue des avantages électoraux immédiats. Comme il l’ajoute peu après, la constitution des listes :

 « … fut une foire d’empoigne locale, un chantage permanent à la division de la part de partenaires obnubilés par la tête de liste, sans la moindre coordination nationale pour essayer d’équilibrer la représentation de chacun. Pour affronter une élection forcément nationale, puisque les nouvelles régions n’ont aucune homogénéité locale, rien de plus ridicule que cette façon de laisser la ligne nationale résulter des arrangements, amitiés et détestations, locaux ». Tout est dit, et bien dit. Ce constat est sans appel. Les grands principes ont été mis à la poubelle au nom du banquet des ambitions personnelles.

Lucidité et courage

 

Il faut de la lucidité accompagnée d’un certain courage, et même un courage certain, à un dirigeant politique pour dresser ce constat avant même le premier tour d’une élection. Et on sait que de lucidité et de courage, Jean-Luc Mélenchon n’en manque pas. Ce texte est tout à son honneur. Mais, il devrait réfléchir à la cause première de ce désastre qui ajoute l’incohérence aux tares de l’illisibilité de la position politique.

Le « Front de Gauche » n’a pas de cohérence idéologique, écartelé qu’il est entre un Parti Communiste qui ne rêve plus de succès mais uniquement de préservation de ses positions acquises, un Parti de Gauche (PG) au discours certes radical mais à la ligne des plus floue, et divers groupuscules.

Surtout, en tant que dirigeant du PG, il porte une responsabilité évidente dans le retard pris par l’élaboration interne de ce parti sur des sujets décisifs comme la souveraineté, l’Euro et la question des frontières. Je le dis sans amertume mais avec un immense regret. Jean-Luc Mélenchon est un homme courageux, mais il est à chaque fois en retard d’un combat, d’une guerre. Il publie un (bon) livre sur l’Allemagne[4], mais un livre qui aurait dû être écrit au plus tard en 2013 et qui ne sort qu’en 2015. Il affirme à l’été 2015, devant l’évidence de l’action de l’Eurogroupe et de la BCE contre la Grèce, qu’entre l’Euro et la souveraineté, il choisirait la souveraineté. Que ne l’a-t-il dit avec force, quitte à prendre le risque d’une rupture sur le fond avec le PCF, en 2012 ou 2013. Car, ce constat est fait dans l’urgence. Il est probable que sa décision personnelle était déjà prise. Mais, une décision personnelle ne vaut que quand elle se traduit en des gestes politiques forts. Or, ces gestes ont manqué dans la période cruciale qui s’est écoulée de l’élection présidentielle de 2012 au printemps 2015.

Ici encore, on peut trouver quelques excuses et « bonnes » raisons. Jean-Luc Mélenchon n’est pas un autocrate, et il a dû composer avec un parti lui-même divisé. Pourtant, force est de constater que du temps, du temps précieux, a été perdu de l’été 2013, alors que le cours que prenait la politique de François Hollande était clair, jusqu’au printemps de cette année. J’ai attiré, sur ce carnet, à plusieurs occasions l’attention de mes lecteurs sur l’illisibilité des positions du Front de Gauche et du Parti de Gauche. Que l’on se souvienne de la lettre ouverte que j’adressais en juillet 2014 à Jean-Luc Mélenchon, et où je pointais les maux qu’il dénonce aujourd’hui[5].

Alors, assurément, il y a de la lucidité et du courage dans le dernier texte de Mélenchon, mais cette lucidité et ce courage de donnent lieu à aucun sursaut.`

Le temps perdu ne se rattrape guère…

 

Un retard important a donc été pris. Ce retard fait qu’un autre parti, le Front National pour le nommer, a pu et a su profiter de l’espace politique que le Front de Gauche et le Parti de Gauche lui ont abandonné. On ne voit pas ce qui, aujourd’hui, marquerait un changement radical par rapport à ce funeste abandon du terrain de la souveraineté et le Parti de Gauche n’a toujours pas le courage de dire qu’il s’est trompé et que le trop fameux « plan B » devrait être en réalité le plan « A ».

Aujourd’hui, le Front National a progressé par rapport à ce qu’il était lors de l’élection présidentielle de 2012. Rappelons qu’à l’époque la candidature de Jean-Luc Mélenchon avait un moment donnée l’illusion de pouvoir faire de lui le « troisième homme » de la politique française. Il serait cruel d’épiloguer sur l’écart qui séparera la gauche radicale du Front National lors des élections régionales. Et cela, Jean-Luc Mélenchon le sait. En politique aussi, la nature a horreur du vide.

[1] http://melenchon.fr/2015/12/02/front-de-gauche-letat-dimbroglio-permanent/

[2] Voir l’entretien accordé par Zoé Konstantopoulou, « Le gouvernement grec a

sacrifié la démocratie » in Ballast, le 11 novembre 2015, http://www.revue-ballast.fr/zoe-konstantopoulou/

[3] Godin R., « Grèce : l’économie s’est effondrée au troisième trimestre » in La Tribune, 27 novembre 2015, http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-l-economie-s-est-effondree-au-troisieme-trimestre-530994.html

[4] http://russeurope.hypotheses.org/3803

[5] « Lettre Ouverte à Jean-Luc Mélenchon », note publiée sur Russeurope, le 31 juillet 2014, http://russeurope.hypotheses.org/2606

Source : Blog RussEurope 03/12/2015

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COP21 : « Annuler les manifs, c’est se déclarer vaincus face à la menace »

THOMAS SAMSON/AFP

THOMAS SAMSON/AFP

Les ONG n’ont même pas le temps d’avoir la gueule de bois. Au lendemain de l’annonce par la présidence de la COP21 de l’interdiction de toutes les marches pour le climat qui auraient dû avoir lieu, à Paris et dans d’autres villes de France, à la veille de l’ouverture des négociations, c’est un mélange de déception et de branle-bas de combat. Mathieu Orphelin, porte-parole de la Fondation Nicolas-Hulot, lâche :

«  On n’a pas le droit de baisser les bras, mais là, ce sont plusieurs mois de boulot avec toutes les associations qui tombent à l’eau. On en était à un niveau d’organisation collective colossal. »

Mardi matin, moins de quatre jours après les attentats de Paris, les organisations de la société civile étaient réunies chez Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, sous l’égide de qui se tiendra la réunion internationale sur le climat dans dix jours. Si les marches semblent alors déjà très compromises, y est évoqué un «  rassemblement statique  ». En aparté, les conseillers évoquent l’idée d’un stade où auraient pu se réunir les dizaines de milliers de personnes attendues initialement pour la marche du 29 novembre.

Choix cornéliens

Car pour les autorités françaises, assurer la sécurité de la COP21 elle-même et de tous les événements parallèles, deux semaines après les plus graves attentats qui aient jamais eu lieu sur le sol français, exige de faire des choix cornéliens. Techniquement, il y a d’un côté le site du Bourget où auront lieu les négociations, et les 22 000 personnes accréditées pour y entrer.

De l’autre, 20 000 acteurs de la société civile attendus dans la capitale en divers lieux, et initialement réunis dans une marche inaugurale. Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pe?nales et spécialiste de la sécurité intérieure, analyse :

«  On a un double casse-tête  : d’un côté, un lieu confiné qu’il va falloir rendre hermétique par des détecteurs de métaux, par le contrôle des allées et venues, et de l’autre la gestion de flux et de foules, ce qui est bien plus difficile.

En France, on a l’habitude de gérer des événements sur la voie publique, même de grande ampleur, comme les Journées mondiales de la jeunesse en 1997 ou la Coupe du monde de foot en 1998, mais deux semaines après ces attentats, avec une menace terroriste qui reste forte, c’est autre chose.  »

 

Alors que l’Assemblée nationale vient de donner son feu vert à la prolongation de l’état d’urgence pour trois mois, que le Premier ministre, Manuel Valls, évoque devant les députés un risque d’attaques chimiques ou bactériologiques, que des centaines de perquisitions ont lieu, la tension reste très forte dans l’Hexagone. Et la crainte d’un nouvel attentat ne risque pas de faiblir avec l’arrivée de près de 120 chefs d’Etats étrangers, présents au Bourget le lundi 30 novembre, et de dizaines de milliers de représentants de la société civile.

 

Mathieu Zagrodzki souligne :

«  Prendre la COP21 pour cible, ce serait très fort symboliquement et aurait une résonance mondiale  : l’impact médiatique et psychologique serait gigantesque. Mais annuler toutes les manifestations pour réduire ce risque, c’est également réduire la portée symbolique de ce sommet et se déclarer vaincus face à la menace, car manifester fait partie de notre vivre-ensemble  : pour les organisateurs, il y a un dilemme et un calcul à faire entre la sécurité et la portée symbolique de leurs choix.  »

 

«  Le moral est un peu cassé  »

 

Mercredi soir, le gouvernement a donc tranché. La société civile est toujours bienvenue au Bourget dans un espace de 27 000 m² où sont attendues plus d’une centaine d’organisations. Hors du Bourget, c’est une autre affaire. Les manifestations sont maintenues si elles ont lieu «  dans les espaces fermés et aisément sécurisables  », souligne le communiqué du secrétariat de la COP21.

Exit les marches du 29 novembre et du 12 décembre, en clôture des négociations. Exit même la possibilité d’un grand rassemblement dans un stade, un hippodrome ou une place parisienne, comme des rumeurs qui circulaient des cabinets ministériels aux ONG avaient pu laisser croire.

Les ONG représentées sein de la Coalition climat 21 enchaînent réunion sur réunion, explique Marie Yared, de Avaaz :

 

«  Cela fait plusieurs jours que nous sommes dans l’attente de la décision des autorités, nous avions réfléchi à un scénario où la marche serait maintenue, avec un service d’ordre blindé et une grande coordination avec la police. Pour la centaine de bénévoles de notre organisation qui ont tout mis en œuvre pour la réussite de notre mobilisation, c’est vrai que le moral est un peu cassé. Nos sentiments sont partagés entre les problèmes réels de sécurité et la volonté de nous exprimer au moment de la COP. »

 

En janvier, des dizaines de chefs d’Etat…

 

Dans les rangs des ONG, tout le monde ne tempère pas autant sa déception. Txetx Etcheverry, fondateur du mouvement Alternatiba, tonne :

«  Cette annulation sans aucune proposition alternative de la part des autorités est inacceptable. Au lendemain de Charlie Hebdo, des dizaines de chefs d’Etat ont participé à la manifestation nationale, le risque était-il moindre  ?

 

Le marché de Noël reprend sur les Champs-Elysées, les supermarchés sont ouverts, la foule se réunit dans les lieux de la société de consommation, et nous, nous ne pourrons même pas nous réunir ne serait-ce qu’à quelques centaines de personnes dans des endroits symboliques pour dénoncer les engagements trop faibles de certains pays, par exemple  ?  »

 

Dès mardi soir, le mouvement lançait un appel, désormais signé par plus de 14 000 personnes, pour maintenir la pression sur les pouvoirs publics. A Alternatiba, on espère toujours un revirement. Txetx Etcheverry gronde :

«  L’histoire nous jugera très durement si, à un moment aussi historique, nous avons baissé les bras. Cela signifierait que nous acceptons aussi de clore ce chapitre citoyen pour la décennie à venir, car cette situation va durer. »

 

Moins tempétueuses, d’autres organisations semblent avoir déjà pris leur parti des décisions des autorités et tentent de rebondir dans le court laps de temps qu’il reste. Mathieu Orphelin concède :

 

«  Même si nous avions eu la possibilité de nous rassembler dans un stade, nous n’avions pas le temps, en dix jours, de créer une dynamique de l’ampleur de ce que nous avions mis en place pour la marche. Aujourd’hui, il faut que nous trouvions les moyens de connecter la grosse cinquantaine de marches qui vont avoir lieu dans le monde avec ceux qui auraient aimé marcher mais qui ne pourront pas le faire.  »

 

A Avaaz également, on cogite tous azimuts pour imaginer des formes de mobilisations «  visuelles, mais pas dangereuses  ». Les idées ne manquent pas. Mais c’est surtout l’élan commun qui risque d’être mis à mal. «  Il y aura des synergies entre les différentes organisations, mais sans doute pas de la même force que ce que nous avions préparé  », déplore Marie Yared. Restent dix jours pour remobiliser les troupes, une gageure pour tous ceux qui veulent faire entendre la voix de la société civile mondiale.

 

Cecile Casenave

 

Source terraeco.net : 17/11/2015

 

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Terrorisme : notre irresponsable part de responsabilité

Sans attendre que l’émotion légitime née des attentats sanglants du 13 novembre ne retombe, et avant que ceux-là ne se reproduisent, il est grand temps de nous interroger sur les raisons et les responsabilités qui ont déclenché ce désastre.

Paris Photo AFP

Paris Photo AFP

« C’est la guerre ! » entend-on clamer de toute part. La nation doit s’unir et mener une guerre impitoyable au terrorisme !

 

  » C’est nous qui avons déclaré la guerre « 

 

C’est aller bien vite et imprudemment en besogne. Et oublier que « c’est nous qui avons déclaré la guerre », pour reprendre les termes de Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire du Ministère de la Défense (France), maître de conférences à Sciences Po et à l’ENA, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica.

Guerre d’abord contre les autorités légitimes des pays du Moyen-Orient, sous le prétexte d’une croisade pro-démocratique (mais bien plus sûrement pour mettre la main sur leurs immenses ressources énergétiques). On peut penser ce qu’on veut de Saddam Hussein (Irak), de Mouammar Kadhafi (Libye) ou de Bachar el-Assad (Syrie), ceux-là étaient non seulement des dirigeants légitimes, mais ils garantissaient alors leur région de l’épidémie islamiste.

Guerre ensuite contre les monstruosités islamistes que nous avons déclenchées, quand nous ne les avons pas soutenues, armées et encouragées, en jurant de la « modération » sous contrôle de certaines d’entre elles. Rappelez-vous, pas plus tard que le 13 décembre 2012 :

« Sur le terrain, Al-Nosra [nom d’Al-Quaïda en territoire syrien, ndlr] fait du bon boulot » (Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères).

Situation encore plus schizophrène, dit Pierre Conesa, nous prétendons nous battre contre l’État islamique parce qu’il décapite, coupe les mains des voleurs, interdit les autres religions et opprime les femmes, et faisons alliance avec des régimes comme l’Arabie saoudite qui décapite, qui coupe les mains des voleurs, qui interdit les autres religions et qui opprime les femmes.

 

  » On ne fait pas la guerre au terrorisme avec des moyens militaires « 

 

On ne fait pas la guerre au terrorisme avec des moyens exclusivement militaires, déclare Pierre Conesa. Si l’on fait ouvertement la guerre à ces gens, si on les bombarde avec les populations civiles qui sont autour d’eux, alors les populations qui sont sous les bombes se solidarisent avec les combattants terroristes à leurs côtés.

Plus près de chez nous, poursuit Pierre Conesa, nous avons énormément besoin de nous appuyer sur les citoyens français de culture musulmane. Au lieu de cela, nous les stigmatisons, nous les montrons du doigt en leur administrant nos leçons de savoir-vivre, nous les ghettoïsons.

Faut-il s’étonner ensuite que le chaos que nous avons semé au Moyen-Orient nous frappe de plein fouet ? Sous forme d’actions solitaires isolées pour commencer, sous forme maintenant d’attaques simultanées organisées en meute, avec la volonté de tuer un maximum de gens ?

Ça vient de tomber, le nom du premier terroriste du 13 novembre est connu : il s’appelle Omar Ismaïl Mostefaï, il est né il y a 29 ans à Courcouronnes dans l’Essonne, il était connu des services de police pour petite délinquance et plus récemment fiché, en pure inutilité, pour radicalisation.

 

Un engrenage que nous ne maîtrisons plus

 

Unité nationale ? Mais avec qui et comment ? Les dirigeants que nous avons nous-mêmes élus, de droite comme de fausse gauche, se sont déconsidérés, discrédités, ridiculisés. Non seulement, ils sont à l’origine du problème, mais ils ne maîtrisent plus rien du tout.

Croyons-nous que nous allons enrayer cet engrenage terrifiant en continuant d’envoyer nos malheureux Rafales massacrer du haut de leurs 10 000 mètres des populations civiles aussi innocentes que nos victimes du Bataclan ? Nous ne contrôlons même plus nos propres banlieues.

Nous pouvons allumer en signe de deuil toutes les petites bougies que nous voulons à nos fenêtres, illuminer nos monuments de tricolore, de Paris jusqu’à Londres et Washington, nous pouvons entonner à tue-tête nos Marseillaise par désespoir ou par rage, c’est trop tard ! La guerre que nous avons déclarée se répand sur notre territoire et nous subissons les conséquences de tempêtes effroyables dont nous portons une inexcusable part de responsabilité.

Notre seule porte de sortie aujourd’hui serait d’ordre autant politique et diplomatique que militaire. Mais encore faudrait-il que la Raison revienne. Avec à notre tête des Sarkozy, des Hollande ou, en embuscade, des Marine Le Pen, avec pour unique viatique nos pathétiques évangiles de civilisation blanche à prétention supérieure, autant dire que c’est peine et guerre perdues d’avance.

Le Yéti

Source : Politis 15/11/ 2015

Voir aussi : Actualité Internationale, Actualité France, Rubrique Débat, L’arrogance démocratique de l’Occident, c’est d’ignorer le désenchantement de ses citoyens, rubrique Politique, Politique Internationale, rubrique Société Opinion, Le temps de la révolte est venu,

« Nous préparons la plus grande action de désobéissance pour le climat »

arton8311-8fdd3La Coalition Climat 21, « l’un des plus grands regroupements pour la justice climatique qui aient été mis en place », a prépare des mobilisations pendant la COP21. L’artiste et activiste John Jordan dévoile les grandes lignes des actions visant à « avoir le dernier mot ».

Figure des milieux alternatifs depuis une vingtaine d’années, John Jordan fait la jonction entre le monde de la création et celui de l’activisme. Après un parcours dans l’art et le théâtre, il a impulsé le mouvement altermondialiste Reclaim the streets en Angleterre, avant de cofonder puis de déserter l’armée des clowns, dont les brigades de joyeux activistes ont essaimé dans le monde. Depuis quelques années, il est installé en Bretagne, et pilote avec Isabelle Frémeaux le Laboratoire d’imagination insurrectionnelle (Labofii), une sorte d’incubateur d’idées mêlant activisme politique et création artistique. Rencontre avec un personnage hors cadre et hors norme, au cœur du bocage de Notre-Dame-des-Landes.

John Jordan, Notre-Dame-des-Landes, 13 octobre 2015.

Reporterre – Pourquoi mêler art et activisme ?

John Jordan – Je pense qu’on doit toujours renouveler les formes que prennent les luttes. L’État et la police s’adaptent souvent ; il faut sans cesse nous réinventer. L’armée des clowns est née de cette réflexion. Le personnage du clown est désobéissant, il questionne toujours le pouvoir. Et il est un être hypersensible. Pour moi, le militantisme commence avec la sensibilité, aux injustices par exemple. Par ailleurs, le temps militant et le temps artistique sont très différents. Dans le militantisme, tout va vite car il y a urgence à agir. Il en va autrement pour le temps artistique : tu peux passer des années sur une recherche. Depuis 20 ans je tente de mêler art et activisme, d’appliquer le côté créatif et artistique à l’action directe et à la désobéissance civile. Aujourd’hui, avec le Labofii, on essaye de créer des formes d’actions belles, inattendues, nouvelles. Et efficaces.

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Quelle différence fais-tu entre action directe et désobéissance ?

L’action directe, c’est le fait d’agir directement sur un problème : si tu vois des gens à la rue, tu n’écris pas une lettre à ton élu, tu agis toi-même et tu ouvres un squat. La désobéissance civile est souvent plus symbolique. Par exemple, lors de la lutte pour les droits civiques aux États Unis, le boycott des bus était de l’action directe alors que les marches de Selma étaient, selon moi, de la désobéissance. Dans le cadre de la conférence sur le climat en décembre à Paris, on utilise le terme de désobéissance civile, car les actions vont entrer plutôt dans ce cadre .

Sur la COP justement, quels sont les objectifs de la Coalition Climat 21 ?

La Coalition Climat 21 est un des plus grands regroupements pour la justice climatique qui aient été mis en place, avec environ 150 organisations, ONG, syndicats ainsi que des groupes plus radicaux, comme Climate Justice Action (CJA). Trois moments sont prévus : une grande marche le 29 novembre, un week-end de présentation des alternatives les 5 et 6 décembre, et une journée d’actions le 12 décembre. Dès à présent, il est clair que les gouvernements sont en train de négocier un accord au rabais : il n’aura pas pour objectif de plafonner le réchauffement planétaire à 2°C, comme c’est nécessaire, mais probablement plus. L’objectif de la Coalition est d’avoir le dernier mot, car c’est le peuple qui a les solutions, et sûrement pas les gouvernements, achetés par les multinationales du pétrole, de la croissance, etc. Rappelons que la COP est financée par 35 sponsors dont Engie, Nissan, EDF, Suez…

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Qui compose Climate Justice Action ?

CJA est un réseau de mouvements écologiques radicaux. Il y a des gens issus des Camps climat, de Blockupy, des personnes et des mouvements qui luttent contre des grands projets inutiles et imposés… C’est vraiment la base anticapitaliste du mouvement.

Concrètement, qu’est ce qui se prépare ?

Tout simplement la plus grande action de désobéissance menée pour le climat !
Au-delà de la marche appelée par la Coalition le 29 novembre, des groupes comme CJA, Attac, 350.org, ou la Confédération paysanne ont pris en main des actions prévues à la fin de la COP. Le pire serait que le 12 décembre, François Hollande parade dans les médias en disant qu’il est l’homme qui a sauvé la planète, alors qu’en 20 ans, les émissions de CO2 ont augmenté de 63 %. Le 12 décembre va matérialiser notre refus par une action autour des Red lines (télécharger à droite le document de présentation, en anglais), ainsi qu’avec un autre outil, les Climates Games.

Qu’est-ce que les Red Lines ?

Les Red Lines, c’est l’idée des « lignes rouges » qu’on ne peut pas franchir, qui définissent les limites nécessaires et minimales pour une planète juste et vivable. Chacun au sein du mouvement vient avec ses propres lignes, comme par exemple, « pas de marché carbone », ou encore « ne peut pas dépasser 1,5 °C de réchauffement »… Concrètement, le projet est de faire exister ces lignes avec des structures gonflables. On va encercler la COP avec des milliers de corps désobéissants, bloquer les routes et le transport pendant la dernière plénière. Nous voulons détourner l’attention médiatique des négociations vers les mouvements. Car la COP va être la grande fausse solution.

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Et les Climates Games ?

Il s’agit d’un outil ludique développé il y a deux ans à Amsterdam par un groupe qui s’appelle Groen Front. Cet outil mélange l’Internet et la rue, et l’un de ses buts est d’amener de nouvelles personnes à la désobéissance et l’action directe. En amont, nous avons regroupé des artistes, des activistes, des hackers, des codeurs et des designers pour améliorer l’outil lors de trois sessions. Il y aura des équipes constituées en groupes affinitaires, et une carte sur le Web mise à jour par les joueurs. Et il y a des cibles. Chaque équipe définit sa cible et son action, puis en fait mention sur la carte. En face, il y a l’équipe bleue (la police), et les joueurs sont invités à indiquer les positions des bleus sur la carte. On a aussi imaginé des prix pour l’action la plus drôle, celle la plus inattendue, ou la plus efficace. C’est le côté pédagogique pour montrer comment élaborer une action efficace.

Des limites ont-elles été posées pour ces actions ?

Le mode d’action choisi, c’est la désobéissance créative, et il doit respecter la vie. Pour la journée du 12 décembre, il y a un consensus d’action, écrit et validé collectivement par 150 organisations, qui propose un cadre de désobéissance déterminée mais non-violente. Pour les Climate Games, il y a une équipe modératrice, et on sera un peu obligés de poser des règles. Tout dépend de la façon dont sont imaginées les actions : si elles sont ludiques et créatives, elles seront mises en lignes. Il ne s’agit pas d’une question morale, mais pour nous protéger, afin d’être encore en capacité de continuer dans les années à venir.

« Conscientiser les gens ne suffit pas, il faut créer des leviers qui influent sur les profits »

Quelle perspective ce mouvement a-t-il après la COP ?

La COP n’est qu’une étape. En 2016, nous avons prévu de mener une série d’actions de masse contre les infrastructures des énergies fossiles et les grands projets inutiles. Il y aura des grandes journées de blocages massifs prévues au printemps.

Pour être efficace, l’action directe doit toucher à l’argent : cela coûte beaucoup d’argent de militariser une zone pour protéger des projets imposés. C’est ainsi qu’en Angleterre, on a réussi à faire capoter 700 projets d’autoroutes. Conscientiser les gens ne suffit pas, il faut créer des leviers qui influent directement sur les profits. Et créer une culture de résistance qui soutienne ces actions de désobéissance, pour montrer que c’est possible.

Quelles sont les revendication politiques portées par les Climate Games ?

Les Climate Games sont juste un outil. Mais on peut penser que ce sont la désobéissance et l’action qui changent le monde et non pas les partis politiques ou les gouvernements. Si on revendique quelque chose, c’est : « Nous sommes la Nature qui se défend. » L’important, c’est d’avoir ces deux pôles complémentaires et indispensables que sont la création d’alternatives et la résistance. En ça, l’idée de ZAD, qui incarne la réunion de ces deux aspects, est un exemple parfait.

Pour toi, comment être plus efficaces dans les luttes ?

En créant des liens, des bordures entre les espaces de lutte. Les endroits les plus forts sont les lisières. Les haies, le littoral, les frontières entre forêts et prairies, là où il y a la plus grande biodiversité. Il y a, dans ces espaces, une force révolutionnaire et créative : c’est dense, solide et résilient. La beauté d’un lieu et d’une lutte comme Notre-Dame-des-Landes, c’est d’être une lisière entre agriculteurs, squatteurs, militants… À nous d’adapter nos stratégies aux situations, sans tomber dans les automatisme, afin de créer et maintenir le rapport de force.

- Propos recueillis par Isabelle Rimbert

 

Source Reporterre 22/10/2015 / Entretien avec John Jordan

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