Malgré l’ambition affichée, l’argent dédié par la France à la cause des femmes n’est pas à la hauteur.
«Le sexisme : pas notre genre !» Le slogan claque. On applaudit la ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes qui, la semaine passée, lançait en fanfare (avec un bon plan média pimenté par la présence de Julie Gayet) une campagne destinée à faire avancer la cause des femmes. Fort bien ? Oui, c’est vrai, il fut voté sous ce quinquennat la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes (en 2014). Oui, le budget du ministère qui a désormais en charge les marmots a augmenté sous Hollande. Oui, il y a une forme de «volontarisme politique», pour reprendre les mots de la ministre Laurence Rossignol. Mais les moyens sont-ils à la hauteur de l’ambition affichée ? «Le budget demeure restreint et insuffisant.» Pis, «la cause des femmes n’est pas encore identifiée comme une grande cause d’intérêt général». Et ça, c’est le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) (1) qui le démontre dans un rapport en forme de «sonnette d’alarme» rendu public ce jeudi. Avec précision, cette institution indépendante et consultative fondée en 2013, qui se veut un «accélérateur du changement», a épluché les fonds publics comme privés dédiés aux femmes dans l’Hexagone et à l’international avec 5 organisations publiques et fondations privées: le comité ONU-Femmes France, le Conseil économique social et environnemental, la Fondation des femmes, le Fonds pour les femmes en Méditerranée et le Women’s Worldwide Web.
Le bilan n’est pas rutilant. L’enveloppe du ministère en charge des Droits des femmes ne pèse que 0,0066 % du budget total de l’Etat. Il y a pourtant urgence à ouvrir le porte-monnaie quand on mesure, par exemple, le coût annuel pour la France des violences qui leur sont faites : 2,5 milliards d’euros. Il y aurait aussi de quoi gagner à faire davantage d’investissements. Selon l’OCDE, parvenir à une vraie égalité entre femmes et hommes (même participation au marché de l’emploi, même niveau de salaires et même taux d’entrepreneuriat) pourrait faire grimper la croissance de plus de 9 % d’ici à 2020.
Alors qu’est-ce qu’on attend ? Et pourquoi ça coince autant, y compris de la part des fondations et des philanthropes, quand il s’agit de s’engager pour les femmes ? Le HCE avance la piste d’un «tabou culturel» autour des femmes et de l’argent, le manque crasse de décideuses politiques (trois parlementaires sur quatre sont des hommes), une culture du don peu développé en France… Pour en sortir, il propose notamment – et pourquoi pas ? – de piocher dans la cagnotte remplie par les amendes collées aux partis politiques ne respectant pas la parité. Une avancée de la loi de 2014 et qui a déjà permis de récolter cinq millions en 2016. Envoyez la monnaie.
(1) Cette institution compte 3 salarié(e)s pour plus de 70 bénévoles, dont sa présidente, Danielle Bousquet. A titre de comparaison, l’équivalent au Québec du HCE en dispose de 25, alors que cette province compte environ huit fois moins d’habitant(e)s. Cerapport a été co-rédigé avec cinq organisations publiques et fondations privées : – Comité ONU Femmes France – conseil économique social et environnemental (CESE) – La fondation des femmes (FdF) – Le fonds pour les femmes en méditerranée (FFM) – Women ‘s Worlwide Web (W4)
Hala Mohammad, poète et réalisatrice syrienne exilée à Paris depuis juin 2011, est également engagée dans les échanges culturels entre la Syrie et l’Europe. Elle était invitée au Festival Voix Vives à Sète.
Comment viviez-vous en tant que poète en Syrie ?
A Damas, je n’ai jamais été invitée à une soirée ou à une lecture de poésie parce que je faisais partie de ceux qui sont avec la justice contre le régime de dictature avant qu’il y ait des tueries et des massacres. Nous les Syriens, n’avons pas démarré notre révolution en 2011. Nous avons entamé une lutte douce et pacifique contre l’injustice depuis bien plus longtemps. Nous avons établi notre paradis, ce que j’appelle l’art de vivre. Mais cela reposait sur un équilibre fragile parce que nous savions que si nous demandions plus, nous les intellectuels et les artistes, il y aurait des tragédies.
La situation a changé depuis 2011, vue d’ici, le mouvement du peuple syrien semble tombé dans l’oubli…
En 2011, c’est le peuple qui réclamait un changement, pas les élites dont je faisais partie. A ce moment, nous sommes tous entrés dans cette marée d’espoir. En appelant de nos vœux un avenir meilleur pour la Syrie. Nous espérions que notre civilisation puisse accéder à la paix. Les dictatures comme les régimes totalitaires empêchent les civilisations d’exister. Nous avons lutté avec tout notre bonheur, toute notre force pour vivre heureux dans un pays que nous aimons beaucoup comme chaque peuple du monde aime son pays. Quand je suis arrivée en France, tout le monde parlait de Daesh. Tout le monde parlait des extrémistes arrivés en Syrie à la fin 2012, mais personne ne parlait des actes du régime face au peuple pacifique sorti réclamer la liberté dans la rue en chantant, en dansant en espérant rejoindre l’autre bout du monde ou la démocratie en Europe. Nous faisons partie de cette humanité. Nous ne sommes pas coupés du monde. On ne parlait que des extrémistes islamistes et cela m’a frappé énormément.
Pour quelle raison ?
Pour être juste, il faut voir toute la vérité. Si on ne peux pas voir toute la réalité, on ne pourra jamais être juste. On ne pourra jamais établir la paix. La liberté, c’est l’oxygène de la paix. Si on ne peux pas être libre dans sa pensée, libre pour voir et dire, libre pour entreprendre une recherche afin de trouver la liberté, pour avoir son approche personnelle, on ne pourra jamais établir la paix. On a besoin de beaucoup de courage pour cela. Nous les Syriens avons fait preuve de beaucoup de courage. Nous sommes un peuple pacifique issu d’une civilisation piétinée par la guerre, par la négation de nos droit, piétiné par la violence, par l’absence, par l’oubli.
Avez-vous été victime de la censure du régime ?
A un moment, j’ai fait un film sur la littérature et la prison et j’ai été convoquée par le service de sécurité en Syrie. Durant un quart d’heure, on m’a fait marcher dans des labyrinthes souterrains pour arriver à un interrogatoire dans le bureau du général. J’étais escorté par un homme qui était comme un mur à côté de moi. Bien sûr je tremblais de peur. Nous étions silencieux. Nous passions devant des cellules où des familles criaient et suppliaient qu’on leur permette de voir leurs proches. Je voyais tout cela, puis nous sommes arrivés devant la porte du général. Elle s’est ouverte sur une salle immense. Le général était assis au fond, derrière un bureau gigantesque, comme un bâtiment. Il m’a regardé. Il y avait un tapis énorme dans cette salle et moi j’étais tellement terrorisée que j’ai trébuché sur le bout du tapis qui arrivait jusqu’à la porte. J’ai regardé le tapis et je lui ai demandé pardon. J’ai demandé pardon au bout de tapis pour l’avoir piétiné. A ce moment précis, je suis de nouveau devenu poète. Je me suis dit que si je me laissais fondre par cette peur, je deviendrai esclave toute ma vie.
Que s’est-il passé ?
J’ai récupéré mon âme de poète, j’ai regardé le général et je lui ai dit. Je ne dirais pas un mot sans mon avocat tout en sachant que je n’avais nul droit d’avoir un avocat. Je pense que cet exemple est minime par rapport à tout ce que le peuple syrien a réclamé. Il a réclamé d’être son propre avocat de participer et de contribuer à l’écriture de l’histoire de la Syrie. Il a été tué à balles réelles. Le peuple syrien est pris en otage entre deux extrémistes. Il n’y a pas pour les Syriens de différence entre celui qui tue les civils et celui qui tue les civiles.
Qu’avez-vous ressenti lorsque votre âme de poète vous a fait relever la tête ?
J’étais démolie, brisée comme une feuille sèche dans la nature. Et j’ai réalisé que je pouvais reverdir. On se découvre souvent dans les moments les plus atroces, rien n’est plus fort que la vie. Le courage appelle le courage. J’ai ressenti beaucoup de joie. Comme un amour fou qui me protégeait, l’amour profond de la mémoire de l’humanité. Tout à coup, j’ai senti que j’appartenais au monde. Cela se situe au-delà de la citoyenneté. C’est un grain de beauté qui laisse des traces. La vie n’est rien d’autre que quelques traces. Je voulais dire au bourreau : tu peux être bon. Tu n’es pas obligé d’être un monstre. J’ai saisi le moment qui s’offrait pour lui faire sentir que nous étions égaux. Il a dit : traitez la bien. Ce qui pouvait tout vouloir dire mais moi j’étais certaine que j’allais sortir pour raconter ça. Si je n’avais pas senti qu’il allait me relâcher, je n’aurais pas trouvé ce courage. C’était en 2005, le peuple syrien l’a fait en 2011. Nous ne défendons pas la Syrie mais la dignité de l’être humain qui n’est ni un principe, ni une géographie ou une histoire. Il faut être profondément soi-même pour s’inscrire dans cette volonté. Nous ne sommes pas syriens pour être nationaliste.
A vous écouter, on mesure le degré de maturité et de courage de votre peuple. Quelle altérité est-il possible de concevoir avec les peuples européens dont la liberté demeure contrainte par les modes de vie et de consommation ?
J’ai beaucoup appris depuis que je suis en France. Ici, et partout en Europe, les gens sont très sensibles à la poésie . Ils sont fidèles à l’écoute. On vous place là où votre poésie se place. J’avais besoin de cela. Je me suis fondue dans la société, libérée du ciment de protection. Je parle comme je veux. Je ris et pleure comme je veux. C’est grâce à la liberté. Mais ce n’est pas parce que l’on vit dans un monde libre que l’on est libre. En Occident, on fait vivre les gens sous la peur économique. L’art existe, pour explorer ces zones occultées. L’être humain a la capacité d’être un artiste comme il a la capacité d’être libre.
L’engagement se distingue-t-il à vos yeux entre les hommes et les femmes ?
Les hommes et les femmes se complètent dans l’amour et le combat pour la vie. J’aime le fait d’être une femme. Je n’ai jamais eu la sensation d’être inférieure. Je suis mère, femme, épouse, aimée pour celle que je suis. Nous avons perdu tous nos biens et des êtres très chers comme tous les Syriens, mais j’ai beaucoup de chance. L’homme oriental sait aimer les femmes. Elle joue un rôle décisif sans que l’homme soit dépossédé. Chacun donne à l’autre.
Comment réagissez-vous face aux attentats commis en France ?
J’ai ressenti une grande tristesse. Nous avons vécu cela et je ne voulais pas que les gens le vivent ici. Comment en finir avec ces formes de pouvoir qui touchent la profondeur criminelle ? La Syrie était mûre pour la démocratie. On a écrit Baudelaire dans les rues , et le pouvoir a tordu la vérité avec sa violence et ses mensonges. Le système despotique mondial a coopéré. Ce n’est pas les Syriens qui ont implanté Daesh dans leur pays. Cela on ne peut pas le dire tout seul, on doit le dire ensemble pour défendre la liberté.
Entretien réalisé par Jean-Marie Dinh
l A l’occasion du Festival Voix Vives en Méditerranée les Editions Al Manar viennent d’éditer le dernier recueil de Hala Mohammad «Ce peu de vie».
Christa Faust auteur US à découvrir à Frontignan Crédit Photo dr
Le festival international du roman noir de Frontignan accueille une cinquantaine d’invités sur trois jours. L’écrivaine Christa Faust qui a fréquenté le milieu du fétichisme et de la domination à NY vient évoquer « Money Shot » un roman noir sans concession qui expédie le lecteur derrière le décors des dociles jeunes filles qui font de l’œil en vitrine.
Ex-star du porno, Angel Dare s’est reconvertie en fondant une agence qui fournit les services de jeunes actrices et danseuses pour les clubs de strip-tease. Mais, lorsqu’elle reçoit un appel de son vieil ami le réalisateur de films X Sam Hammer, qui la supplie de venir le dépanner sur un tournage, Angel ne peut résister à l’appel de sa gloire passée. C’est ainsi qu’elle va se jeter dans la gueule du loup : tabassée, violée et laissée pour morte, avec plusieurs balles dans le corps, Angel se réveille quelques heures plus tard dans le coffre d’une voiture, abandonnée sur un parking.
C’est dans le coffre de cette vieille Civic pourrie que débute Money Shot. L’héroïne, Gina Moretti, dites Angel Dare, s’en extirpe meurtrie avec une rage au ventre qui ne la lâchera pas jusqu’à la dernière page du roman. Le coffre, réceptacle courant des macchabés et autres passagers de l’oubli s’impose d’entrée comme une unité de lieu délabré, à l’image du milieu américain du porno sud californien peuplé de cannibales sans scrupule qui font tourner le business juteux de l’industrie pornographique.
«Personnellement, je n’ai jamais compris ce qui attirait les gens dans cet endroit. L’Eye Candy était une machine bien huilée, qui n’existait, comme tout à Vegas, que pour une unique raison : vider les portefeuilles (…) L’Eye Candy ne vendait pas de la chatte. Il vendait du rêve de chatte. C’était un miroir aux alouettes sans fin, que du fantasme et rien de concret au bout.»
Il est perceptible à la lecture, que Christa Faust, ancienne professionnel du X, parle en connaissance de cause. Elle compte plusieurs livres érotiques à son actif et signe avec Money shot, un premier polar sans bavure. Il n’est pas plus question de dériver dans des scènes hot que de donner dans l’angélisme féminin puritain. Le personnage d’Angel Dare n’a pas froid aux yeux. Elle assume son goût pour le sexe et le risque qui n’est du reste pas tout à fait étranger avec la situation inextricable dans laquelle elle va se retrouver.
C’est une femme pragmatique qui a su décrocher à temps pour monter son agence de jeunes actrices, une sorte de mère maquerelle qui connaît la vie hard et offre des garanties à ses filles. C’est aussi une femme tout court, attachée à son pouvoir de séduction qui peut parfois jalouser les propositions de tournage dont elle s’est mise bien raisonnablement à l’abri. Un des ressorts du roman réside dans cette ambivalence. On sait la piètre capacité du bonheur en matière de séduction.
Ce qui nous séduit rappelle l’auteure, répond généralement à une voie qui nous détourne de celle qu’on serait naturellement destinée à suivre. C’est notamment le cas d’un paquet de filles qui tombes dans les pattes cruelles et sordides que nous décrit Christa Faust. Son héroïne sort des sentiers battus telle « Une méchante brune dans un monde de gentilles blondes » comme l’a dit à son sujet Quentin Tarantino.
Animée par l’énergie de la haine, elle inverse le processus d’exploitation en tirant partie de son pouvoir de séduction pour faire bouffer la poussière aux gros nazes avec l’aide d’un ancien flic au passé louche et quelques unes de ses copines. L’écrivaine nous baigne dans le côté sombre et glauque du milieu X mais avec beaucoup d’humour et un goût achevé de l’autodérision. Christa Faust démontre avec ce premier roman traduit en français, son sens du récit et de l’insoumission.
JMDH
Christa Faust Money Shot Editions Gallmeister. Rencontre avec l’auteure aujourd’hui à 17h Tente de la liberté et dimanche à 16h
Angelique Ionatos Abbaye de Valmagne le 24 juillet 2016. Photo dr
La 26e édition du Festival de Thau qui mixe cultures musicales de la planète et conscience écologique affirme sa singularité du 18 au 24 juillet.
Outre qu’il est toujours attractif avec une affiche très alléchante, la certification à la norme Iso 20121, rend cette année le Festival de Thau officiellement responsable. De quoi glaner quelques précisions auprès de sa fondatrice Monique Tessier sur ce qui se cache derrière ce sigle qui en dépit des apparences n’a rien de barbare.
« Cela fait 10 ans que nous avons positionné le festival sur l’axe du développement durable. Notre association (Jazzamèze) a été certifiée en juillet 2015 nous avions candidaté parce que ce label correspond à notre démarche initiale. Pour l’heure, très peu de structures organisatrices de festivals bénéficient en France, de cette certification. C’est le cas des TransMusicales de Rennes par exemple.»
On constatera une nouvelle fois avec l’édition 2016, que le Festival de Thau, moment phare d’un travail de développement d’activités artistiques à l’année, ne se contente pas d’une simple programmation musicale, mais s’efforce de trouver en permanence des prolongements à un moment festif qui favorise l’échange toujours en lien avec son territoire.
Cette année les Eco-Dialogues concoctés par Thierry Salomon, tourneront autour du film «Demain» de Cyril Dion et Mélanie Laurent. L’action avec le Silo, centre de création coopératif dédié aux musiques du monde et traditionnelles porté par Le Festival Détours du Monde et le Festival de Thau se consolide. Il donnera lieu à trois créations. Le 18 juillet à Bouzigues on pourra découvrir Raizes. Une rencontre musicale entre le Brésil et la Syrie sur le thème de la migration. Avec la création Béatik, le 20 juillet à Montbazin, Stéphane et Beata (France/Slovaquie) emprunteront à des chants traditionnels pour donner vie à une musique audacieuse reliant l’Est et l’Ouest de l’Europe. Le 22 juillet à Mèze la création Uèi fera pont entre la France et l’Occitanie, Marseille et Montpellier autour de chants polyphoniques teintés d’électro.
Elargir le réseau
Pour le festival, l’obtention du label Iso 20121 vient couronner un long travail de construction et le pousse à prolonger son travail dans des domaines comme l’économie durable, la réduction de l’empreinte environnementale, l’accessibilité des publics ou la promotion du respect de l’environnement.
« C’est un peu fou de l’obtenir pour une petite structure comme la nôtre. Cela nous pousse à aller plus loin, confirme Monique Tessier, à réfléchir à la gouvernance, à travailler de manière transversale, à mettre tous les salariés au même niveau d’information. Pour ne pas rester isolés, nous nous ouvrons à différentes collaborations au Vigan, à Bédarieux ou encore à Sète avec le festival Images Singulières.»
Côté concerts, la 26e édition demeure éclectique avec une forte présence africaine doublée d’une thématique sur les femmes engagées à l’image des Amazones d’Afrique, premier groupe malien exclusivement féminin. A noter aussi la présence de l’ambassadrice Rokia Traoré, le retour de la reine du Calypso qui a fait succomber Manu Chao, Calypso Rose, ou encore la sublime chanteuse grecque Angélique Ionatos accompagnée par Katerina Fotinaki qui apporteront une réponse poétique à la situation de leur pays.
Le festival de Thau est une perle dont la brillance comporte plusieurs facettes. « C’est encore assez peu compris », indique Monique Tessier, On a du mal a appréhender un festival de musique plus largement ouvert sur la vie sociale, la lutte contre les discriminations, pourtant cette notion, on aimerait la porter au même niveau que les concerts…
Dans la « jungle » de Calais, les 6 et 7 avril. Sarah AlcalayL pour Le Monde
Violés, contraints de se prostituer, de voler, d’accomplir des corvées quotidiennes dans les camps ou d’aider à faire monter des migrants dans les camions… Les mineurs non accompagnés qui campent à Calais (Pas-de-Calais), Grande-Synthe (Nord) et dans cinq petites jungles voisines sont la proie des passeurs. Signataire de la Convention internationale des droits de l’enfant, la France leur doit pourtant assistance et protection.
Trois sociologues ont passé quatre mois sur le littoral de la Manche et dans le Calaisis, explorant les campements jusqu’à Cherbourg (Manche). Ils y ont réalisé des entretiens approfondis avec 61 jeunes venus seuls d’Afghanistan, d’Afrique subsaharienne, d’Egypte, de Syrie ou du Kurdistan.
Commandé par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), leur travail permet de comprendre qui sont ces quelque 500 enfants et adolescents (dont douze ont moins de 14 ans et même trois moins de 12 ans), comment ils sont arrivés et dans quelles conditions ils survivent.
Cinq euros la passe
Sur le littoral du nord de la France, la situation est extrêmement difficile. « Pour trouver une place à Norrent-Fontes [Pas-de-Calais] ou Stenvoorde dans le département du Nord [deux des petits campements plus « humains » que Calais], le “droit d’entrée” est de 500 euros », dit Alexandre Le Clève, un des auteurs de l’enquête. A Calais, certains jeunes Afghans paieraient aussi 100 euros comme droit d’entrée pour obtenir une place et la protection d’un passeur.
Les chercheurs ont mis à jour le système qui permet aux mineurs désargentés de s’installer malgré tout dans un campement et de passer au Royaume-Uni. « Les entretiens avec les jeunes filles éthiopiennes, érythréennes ou kurdes ont permis d’identifier un échange de services sexuels contre la promesse d’un passage outre-Manche ou en vue d’accéder à certains terrains », rapporte Olivier Peyroux, coauteur de l’enquête.
« A Norrent-Fontes ou à Steenvoorde, des hommes et quelques filles ont abordé le sujet », insiste le sociologue. C’est le cas de Yohanna, citée comme une « jeune de 16 ans qui cache son âge » parce qu’elle craint de se retrouver placée dans un foyer pour mineurs loin de la côte. « On est trente sous les tentes, a-t-elle expliqué. Quand on n’a plus d’argent, on s’arrange. »
Le travail des sociologues révèle que des femmes sont conduites des jungles des Hauts-de-France à Paris pour se prostituer avant d’être ramenées vers la côte et remplacées par d’autres la semaine suivante. Une vingtaine d’entre elles se prostitueraient aussi dans les bars de la jungle pour cinq euros la passe.
Travailler pour rembourser
Pour les garçons, ultra-majoritaires, la situation n’est pas plus enviable. Dans les jungles où l’on manque de tout, les corvées qui leur échoient sont nombreuses. Aller chercher l’eau, attendre aux douches pour le compte d’une tierce personne, faire la lessive, jouer le guetteur sur les aires contrôlées par les passeurs, faire monter les migrants dans les camions vers le Royaume-Uni… Les auteurs de l’enquête ont listé au fil de leurs entretiens toutes ces tâches auxquels certains sont contraints pour espérer un passage à leur tour.
Les chercheurs notent que d’autres empruntent de l’argent pour payer leur passage, « ce qui fait craindre une exploitation économique une fois qu’ils sont passés outre-Manche », rappelle Olivier Peyroux, qui a souvent entendu ces adolescents expliquer qu’ils travailleront pour rembourser.
C’est le cas d’Akar, un jeune Kurde irakien qui doit 9 000 euros à son frère coiffeur, qui vit au Royaume-Uni, ou de Zoran, kurde lui aussi, qui a une dette de 5 000 euros envers son père, resté en Iran.
Commanditaire de cette étude, le directeur de l’Unicef France, Sébastien Lyon, s’alarme de cette situation et demande en urgence « la création de lieux de protection spécifique pour mineurs, où ils seraient accueillis de manière inconditionnelle. Parce qu’il est grave que ces adolescents n’aient aucune idée de leurs droits en France », insiste-t-il.
Les foyers ne répondent pas aux besoins des adolescents
Ces lieux de « protection » ne peuvent selon lui qu’être installés sur place, sécurisés et réellement dédiés aux mineurs non accompagnés du Pas-de-Calais, du Nord, de la Manche et même au sein du futur campement humanitaire envisagé à Paris.
Les efforts faits par France Terre d’Asile, dont les maraudes ont permis de mettre à l’abri 1 403 jeunes en 2015, se sont soldés dans 84 % des cas par des fugues. Trop éloignés de la jungle de Calais, les foyers ne répondent pas aux besoins des adolescents. Et, dans les autres départements étudiés par les deux chercheurs, qui sont allés jusqu’à Cherbourg, l’offre est encore moindre.
La France ne respecte donc pas la Convention des droits de l’enfant. Pas plus qu’elle n’a réellement donné suite au jugement du Conseil d’Etat du 23 novembre 2015, qui l’enjoignait « de procéder au recensement des mineurs isolés en situation de détresse et de se rapprocher du département du Pas-de-Calais en vue de leur placement ».
Pas plus qu’elle n’a entendu le dernier avis du Défenseur des droits, le 20 avril, demandant une mise à l’abri des mineurs sur le site. Autant de prises de paroles qui rappellent que la simple présence d’un enfant dans la « jungle » justifie sa protection et sa mise à l’abri.
Mercredi 15 juin, les dix associations les plus présentes sur les jungles ont signé un communiqué commun s’inquiétant que « l’Etat et le Conseil départemental du Pas-de-Calais ne semblent pas du tout avoir pris la mesure de la gravité et de l’urgence de la situation et ne peuvent abandonner ces enfants qui ont fui la guerre et l’horreur ». Eux aussi demandent la mise en place de structures adaptées en urgence.
Assurer un revenu à la famille
L’Etat a préféré mettre l’accent sur la procédure de regroupement familial, autorisant quelques dizaines de mineurs dont la famille très proche vit outre-Manche à gagner légalement le Royaume-Uni. Plusieurs dizaines de dossiers sont ouverts, quelques jeunes ont rejoint leur famille, mais le processus est très lent et les sociologues sont convaincus que ces cas portés par la France ne feront pas avancer la cause de la majorité de jeunes échoués là.
Ils évaluent leur nombre à 500 au moment où ils ont enquêté. Compte tenu des passages outre-Manche, plus d’un millier d’adolescents séjournent dans le nord de la France au cours d’une année.
Conçu comme un outil pour les pouvoirs publics, qui méconnaissent ces jeunes migrants, le travail de l’Unicef s’intéresse aussi à leur histoire. « Si je prends l’exemple des jeunes Afghans, les plus nombreux sur les sites, puisqu’ils seraient entre 100 et 200 à Calais, ils sont souvent envoyés par le père pour rejoindre, au Royaume-Uni, un oncle qu’ils connaissent à peine. Il s’agit de les mettre à l’abri de l’enrôlement et d’assurer un revenu à la famille restée au pays », rappelle Olivier Peyroux.
Les deux universitaires ont observé que beaucoup d’entre eux n’arrivent pas à sortir de cette mission qui leur est confiée. Aussi, ils vivent les violences de Calais, après celles qu’ils ont souvent déjà connues sur la route, comme une sorte de fatalité.
L’enquête permet aussi de comprendre que Paris fonctionne comme une base arrière où ces migrants mineurs reviennent, soit pour repartir vers un autre port transmanche, soit pour aller vers le nord de l’Europe via l’Allemagne et le Danemark, soit simplement pour gagner de l’argent. Autant d’informations que Sébastien Lyon livre aujourd’hui aux autorités en espérant qu’elles contribuent à améliorer la prise en charge des mineurs isolés par la France.