La belle saison de Catherine Corsini sortie national mercredi 19 août
Cinéma. Catherine Corsini présente en avant première à Montpellier son dernier film La belle saison. Une histoire d’amour entre deux femmes au début des années 70 en pleine éclosion du féminisme.
Le cinéma français produit des histoires d’amour qui ne finissent pas toujours mal. Ni toujours bien d’ailleurs, ce qui compte, et qui plait, ce sont les hésitations sentimentales qui mettent en péril les êtres et les principes de la raison. Le dernier film de Catherine Corsini, La belle saison, projeté en avant première à Montpellier jeudi au cinéma Diagonal, est de ceux là.
La réalisatrice porte à l’écran une histoire d’amour entre une jeune parisienne, militante féministe libérée (Cécile de France), et une fille de paysans creusois, qui peine à s’émanciper (Izïa Higelin). Les rapports amoureux et les questionnements sur l’identité sexuel jalonnent l’oeuvre de Catherine Corsini qui s’inscrit discrètement mais pleinement dans le paysage du cinéma français contemporain.
« Le cinéma c’est des hommes qui ont filmé des femmes », disait Jean-Luc Godard dans ses Histoires du cinéma, mais peut on être sensible à l’art cinématographique sans l’être à l’ouverture sur le monde et à la diversité que le cinéma véhicule?
Avec La belle saison Catherine Corsini aborde pour la première fois frontalement l’homosexualité féminine en appréhendant à la fois le contexte politique et le contexte social. Elle situe une grande partie de l’action dans l’environnement rural, loin des avancées idéologiques qui percent dans le monde urbain de l’après soixante-huit. Avancée qui comme l’on sait, ne sont jamais acquises.
ENTRETIEN
« Je reste attentive au cinéma de mes consoeurs »
Catherine Corsini Photo Dr
Le film offre trois entrées, le féminisme des années 70, la vie et les valeurs du monde rurale de l’époque et l’histoire d’amour entre deux femmes, comment avez vous joué et imbriqué ces trois thèmes ?
J’avais depuis longtemps l’envie de faire une grande histoire d’amour entre deux femmes, contrariée par le drame de l’empêchement, une forme de Roméo et Juliette au féminin. Ce qui m’a poussé à raconter cette histoire ce sont les manifestations contre l’adoption du mariage pour tous et l’homophonie latente qu’elles ont véhiculé. J’ai préféré situer l’action au début des années 70 parce que je ne tenais pas à retomber dans les mêmes prismes du débat sociétal et politique. Cet épisode m’a fait réfléchir. J’ai réalisé que beaucoup d’acquis sur lesquels nous vivons, nous les devons aux féministes de cette époque parmi lesquelles il y avait de nombreuse homosexuelles.
Et concernant le choix de tourner dans le Limousin ?
La campagne, c’était le désir de retrouver une partie de ma jeunesse. J’ai choisi le paysage dont émane une sensualité très forte plutôt que les chambres. Cela permettait aussi de faire des allers et venues entre deux mondes. Celui de Delphine qui veut reprendre l’exploitation, – ce qui ne se faisait pas. On est femme d’agriculteur mais pas agricultrice – et celui de Carole, la prof parisienne engagée plus âgée, que la jeune fille va complètement perturber. Il y a une dimension initiatique qui joue dans les deux sens. Delphine initie Carole à l’homosexualité et Carole fait découvrir le combat féministe à Delphine qui s’y engage sans retenue. Elle se libère à Paris mais de retour à la ferme, elle choisit la terre. C’est viscérale.
Comment avez vous abordez les scènes de nu ?
Je voulais éviter le regard voyeur dans les scènes. L’angle est volontairement frontal presque en un seul plan. J’ai travaillé de façon picturale, comme dans les tableaux de Renoir et Manet, avec respect, surtout pour Izïa Higelin qui n’était pas à l’aise. Je ne savais pas si j’allais trouver la justesse et la rigueur de ton.
Vous montrez les hommes sous un beau jour…
Le propos n’est pas de placer les hommes dans un rapport antagoniste, bien au contraire. Ils sont plutôt chevaleresques, attentifs. Manuel le petit ami de Carole se demande s’il s’agit d’une expérience et quand il comprend sa dépendance amoureuse, il l’a met face à ses contradictions. Il est blessé mais ce n’est pas un salaud. Dans le personnage de l’éconduit, Antoine est très attachant. Il berce dans l’ironie dramatique.
Quel regard portez-vous sur le cinéma français en tant que réalisatrice ?
J’ai eu la chance de réaliser tous mes projets. Beaucoup de mes amies ont connu des interruptions de carrière après avoir eu un enfant. Je reste attentive au cinéma de mes consoeurs.
Le cinéma est une industrie qui n’est pas interdite aux femmes. Mais c’est une industrie inventée, manipulée et contrôlée par des hommes. Il suffira pour s’en convaincre de s’intéresser au genre des producteurs de films grand public, des responsables du financement cinéma dans les chaînes télé, des directeurs des grands réseaux de distribution, des directeurs des grands festivals de cinéma, des programmateurs de salle, des critiques cinéma ou des réalisateurs primés dans les grandes compétitions.
Les hommes font le cinéma – ils décident des scénarios dignes de devenir des films, des castings, des budgets alloués aux uns et aux autres, des films qui seront largement distribués, des films qui seront défendus. Ils décident quelles sont les actrices aptes à porter les films,quel est leur âge, quelles sont leurs qualités, quel est leur physique. Ils décident du style de femmes aptes à passer au grand écran – quelle est leur race, leur travail, leur voix, leur vocabulaire. Car le cinéma, c’est avant tout la fabrique du genre – les qualités qui paraissent à certains miraculeusement naturellement / essentiellement féminines ou masculines nous ont toutes été inculquées par le septième art.
Le cinéma est rempli de petites choses, des détails, qui vont tous dans le même sens – cherchez une femme dans les films qui lise un journal… bonne chance ! De la même façon qu’elles sont rarement assises à ne rien faire pendant qu’un homme s’agite dans une maison. Si une femme est en train de faire le ménage chez elle, c’est juste que le scénariste ne savait pas trop quoi lui faire faire pour l’occuper, si un homme nettoie quelque chose chez lui, vous pouvez être sûr que la scène a un sens précis. Les femmes dans le cinéma, c’est cette accumulation de plans qui entrent dans nos têtes et nous forgent une identité.
Qu’est-ce que ça se lave, une femme, au cinéma…
Pensez au nombre de fois que vous avez vu une femme violée prendre une douche habillée. Et là, je vous laisse maître à bord pour l’interprétation – en ce qui me concerne je n’ai jamais exactement saisi ce que ça voulait dire… On ne peut plus montrer leur corps nu parce qu’on risquerait d’être voyeur mais on a quand même besoin d’indiquer qu’elles se lavent ? Ou bien, restant habillées, on nous indique qu’elles ne parviendront jamais à laver l’affront ?
Dans l’ensemble, de toute façon, qu’est-ce que ça se lave, une femme, au cinéma… qu’est-ce qu’elles peuvent se doucher, se baigner, s’asseoir sur des bidets… Quand elles sont des femmes artistes, on remarquera qu’elles se lavent volontiers dans la nature. Si possible dès le premier plan du film, qu’on les voie à poil dès le début pour indiquer: on va vous parler d’une femme artiste, mais elle n’en reste pas moins femme, la preuve : voilà sa nudité. Dans la nature. C’est comme les femmes habillées sous la douche après le viol, je me trouve un peu en peine de signification. Pourquoi les femmes artistes se nettoient-elles plutôt à l’air libre ? Est-ce une façon d’indiquer le rapport approximatif qu’elles entretiennent avec la domesticité ? Une indication sur leur rapport à la nature ?
Cette manie de glisser la scène de nu, qui depuis quelques années ne doit plus être confondue avec la scène de sexe. Le sexe frontal, désormais, on évite – mais la nudité de la femme, on s’est arrangé pour la conserver. Cette nudité dit plusieurs choses, bien sûr elle est là pour prouver : voyez, vous n’avez pas payé pour rien, c’est bien d’un corps de femme qu’il s’agit. Elle dit aussi: le corps des actrices appartient au spectateur. Si les jeunes actrices veulent travailler, il faut qu’on sache à quoi ressemblent leurs seins, leurs fesses, cuisses et ventres. Mais c’est aussi une façon de garder les actrices, sur le plateau, sous pression: elles savent qu’un jour ou l’autre pendant le tournage viendra le jour où elles seront nues, au milieu d’une équipe de gens habillés.
Pensez au nombre de fois que vous avez vu une femme enfiler une petite culotte, dans un film. Par moments ça donne envie d’interrompre la projection: elles ne pourraient pas mettre leurs chaussures, pour changer ? La petite culotte, c’est comme la douche habillée ou la toilette dans la nature, on se demande pourquoi on doit se la taper aussi souvent… parce que la femme, ce qui compte, c’est son intimité ? Ou parce que le cinéma, justement, c’est cet art d’habiller-déshabiller le corps de l’autre, c’est-à-dire celui de la femme ?
Baise-moi est un film français réalisé par Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi
Petite culotte et AK47
L’équivalent masculin d’enfiler une petite culotte, c’est sortir une arme, ou mettre un coup-de-poing. Dans la vie réelle, à moins de vivre dangereusement, on voit rarement un homme sortir un gun ou coller un gros pain à son prochain. Et quand il sort un gun, dans la vraie vie, on reste tous assez surpris. Mais au cinéma, autant les femmes prennent des douches comme si leur vie en dépendait, autant les hommes ont de gros flingues. Qu’est-ce que ça se bat, les hommes, dans les films… Je ne dis pas que c’est pénible – ça donne même les meilleurs films – mais c’est la répétition, cette fois encore, qui dit quelque chose d’inquiétant. Sur grand écran, la masculinité est définie par la violence. Voilà, quand même, au final, le monde qui nous fait rêver: les femmes enfilent des petites culottes et les hommes cognent. C’est une éducation du genre. On a beau se dire qu’on est des gros malins et qu’on ne se laisse pas prendre si facilement à des pièges aussi vulgaires – si les films racontent toujours la même chose, on finit par imaginer que c’est parce que ça représente une part de vérité.
C’est comme ça qu’à la fin on se retrouve avec des petits bonshommes d’à peine quarante kilos qui déclarent, sans rire: les hommes sont plus forts que les femmes. Ce n’est pas à force de bosser à la mine et de remarquer que les hommes ont plus de force. Non, c’est à force d’être assis dans son sofa en regardant des films: les hommes sont forts, sur grand écran. Ils savent toujours utiliser une AK47, charger un lance-roquettes ou tirer à la carabine. De la même façon qu’ils savent toujours faire une cascade, monter sur un toit ou sauver la petite héroïne. Et on finit tous par manger cette évidence qui nous est rabâchée par les décideurs du septième art : les hommes c’est l’action et les femmes c’est la petite culotte. Il y a des Français qui défilent en hurlant des slogans comme « Touche pas à mon genre » et ces Français devraient rendre hommage au cinéma. Car ce dernier touche très rarement aux clichés du genre. Et quand il le fait, c’est toujours timidement – en s’excusant, avec des petites pincettes. Ce n’est pas un hasard. Le cinéma est inventé pour nous faire croire que ça existe, le genre.
Je ne suis pas en train de dire qu’on ne fait que souffrir quand on s’intéresse au traitement des femmes au grand écran. C’est là aussi que sont inventées les grandes créatures, c’est là qu’elle échappe au carcan de la morale, qu’elle réalise que l’insolence lui va bien. C’est là qu’elle fait de la moto, descend en ascenseur dans des robes blanches, fait du fer à souder et danse la nuit dans des clubs, est une prostituée sauvée par le boss, c’est là qu’elle gagne des procès en microshort… Je ne dis pas qu’il n’y a que des nunuches inintéressantes, je dis qu’elles sont surtout pensées dans leur rapport aux hommes, dans leur rapport au regard de l’homme.
Bien sûr, on ne peut pas faire comme si le cinéma n’était fait que par des réalisateurs scénaristes hommes… Quid des films de femmes ? Rappelons ce qui a été signalé au début : les films de femmes sont généralement produits par des hommes, qui vont chercher les financements en soumettant le projet à d’autres hommes, puis ces films seront distribués par des hommes dans des salles tenues par des hommes et critiqués par des hommes. Mais il n’en demeure pas moins vrai, une fois que tous ces hommes ont validé un projet, que nombre de films français sont réalisés par des femmes. Au moins un cinquième, non ? On ne peut pas se plaindre, un cinquième… Réjouissons -nous d’être en France, pour une fois, mais observons cette généreuse production de réalisatrices féminines. Les femmes réalisent plutôt des films à petits budgets. Vous me direz, c’est dans leur nature : les femmes aiment les petites choses. Ou bien vous me direz le budget dans un film on s’en fout, tout ce qui compte c’est le talent et même c’est vachement plus intéressant d’avoir des contraintes, ça oblige à être inventif… Mais c’est bien aussi d’avoir du temps pour tourner, c’est bien de pouvoir se dire qu’on fera un film en costume – bref ce serait bien de pouvoir se dire que les femmes jouent sur le même terrain que leurs collègues…
Mais au final, c’est fou le nombre de films de femmes qui se passent dans la campagne, dans une petite maison, un lieu unique, avec des plans très simples, vite tournés, peu de musique, comme ça, c’est sobre, c’est de bon goût et puis ça coûte moins cher surtout, des films avec des vélos, des cabanes, des acteurs peu connus… Vous avez peu de chance de voir un carambolage dans un film de femme. Ou un grand braquage. Ou une enfilade de plans-séquences ambitieux, qui demandent du temps de mise en place.
Le test Bechdel
Les films de femme, c’est plutôt le plan-séquence pas cher – pas trop répété, pas trop compliqué. Le pire, c’est que c’est vrai qu’à la fin les films sont bons. C’est ce qui est génial avec les femmes : tu leur donnes trois fois moins d’argent qu’à un homme et elles t’en rapportent six fois plus. Mais avec toute l’affection qu’on peut avoir pour les films sur des personnages qui font du vélo dans la campagne en discutant dans des petites cabanes, les films de femme sont moins représentés dans les grands festivals. Là encore, vous me direz: on s’en fout – personne ne fait du cinéma pour recevoir des prix. Bien sûr. Mais reste cet arrière-goût de propagande: les femmes feraient des petits films réussis là où les hommes font de grands chefs d’oeuvre qui comptent. Et comme le reste: à force d’être répété, ça nous rentre dans la tête, et ça nous rétrécit les horizons. C’est ce dressage qui est ennuyeux.
Ce n’est pas un hasard si la première à recevoir un Oscar fut Kathryn Bigelow, ou la première à recevoir une Palme d’or fut Jane Campion – toutes deux pour des films qui avaient des budgets non genrés (Parce qu’il faut remarquer qu’à l’étranger les femmes tournent moins, mais quand elles y parviennent elles accèdent à des budgets conséquents. Oui, il y a un contre-exemple, c’est encore une fois ce qui fait le charme de la femme: tu lui donnes trois bouts de ficelle et elle te fait Polisse et en plus elle est divinement belle. Mais Maïwen n’est pas une femme, elle est une exception, sur tous les points.) Et bien sûr, il y a aussi des hommes qui font des films à petits budgets. Je remarque juste que tous les hauts budgets sont réalisés par des hommes. On aimerait bien voir Claire Denis à la tête d’un magot pour faire un film de gangsters, Céline Sciamma faire un grand film historique, ou Pascale Ferran adapter un roman picaresque… Et cette manie de cantonner les femmes aux petits budgets se vérifie parmi les techniciennes : vous remarquerez qu’on ne discute pas le talent des chefs-opérateurs femmes. N’empêche que vous les retrouverez plutôt sur des petits films, dès qu’il y a beaucoup d’argent, bizarrement, il semblerait qu’on soit quand même plus à l’aise entre hommes.
Pour bien comprendre le cinéma et le genre le test Bechdel s’avère utile. Alison Bechdel est l’auteur d’un comics, Dykes to watch out for, dans lequel deux femmes sortent du cinéma et l’une dit à l’autre que le film ne passe pas « le test ». Il consiste en trois critères simples: 1) il y a deux personnages féminins dans le film ; 2) qui parlent entre elles ; 3) d’autre chose que d’un homme.
Le test Bechdel ne prétend pas déterminer si un film est féministe, ni juger de sa qualité. Il n’évalue que cette chose simple : y a-t-il deux femmes qui se parlent d’autre chose que d’un homme ? Là où le test se révèle vraiment intéressant, c’est que la grande majorité des films ne le passe pas. Alors que si on impose le même critère aux protagonistes masculins, on trouvera, au contraire, bien de peu de films qui y échouent. On trouvera bien des exceptions, mais en général, dans les films, il y a au moins deux mecs, qui parlent entre eux, d’autre chose que de gonzesses. Que nous dit au juste le test Bechdel sur le message que les hommes de pouvoir du septième art pensent qu’il est important de faire passer sur la féminité ?
Que les femmes entre elles, ce n’est pas intéressant. Que les femmes ne valent la peine d’être représentées que dans leur rapport aux hommes. Ni à l’amitié ni au travail ni à l’action ni à l’humour ni à la métaphysique… aux hommes, et c’est tout. Le test nous apprend que deux femmes ne peuvent faire avancer une histoire ensemble, elles ont besoin d’un interlocuteur masculin. C’est une donnée que les scénaristes intègrent inconsciemment – la femme reste un adjectif qualificatif dans une phrase où l’homme joue le verbe. Bien sûr, on peut se dire: « Tant que le film est bon qu’est-ce qu’on en a à foutre que ce soient les femmes ou les hommes qui s’expriment dans le plan ». Ça n’aurait aucune importance si et seulement si il n’y avait pas systématisme. Parce qu’il y a systématisme, il y a propagande. Et parce qu’il y a propagande, nous devons garder un oeil critique sur les films que nous regardons.
Chaque pays a son idée pour relancer la croissance. Le Danemark croit avoir trouvé une astuce de choc en supprimant en quelque sorte le cash de la vie quotidienne. Une bonne idée ?
L’idée des Danois (1), c’est d’autoriser les stations-service, les restaurants et certains commerçants à refuser les paiements en liquide à partir du 1er janvier 2016. Pourquoi ? Parce que moins de paiements en cash signifie moins de personnel de sécurité, moins de transferts de billets en fourgons blindés, moins de braquages et surtout nettement moins de temps passé à rendre la monnaie.
Le cabinet de consulting McKinsey a calculé le coût du cash en circulation. Et le résultat, c’est que pour certains pays, comme la Russie, pour une période comprise entre 2007 et 2011, l’usage du cash aurait coûté 1,1% de croissance à l’économie.
La proposition de loi danoise doit encore passer la rampe du parlement, mais on sait déjà que les hôpitaux, les médecins, les épiceries et les bureaux de poste seront exemptés. En revanche, le risque de fraude électronique risque d’exploser. C’est le cas par exemple de la Suède, pays où le cash a presque totalement disparu, et qui a vu le nombre de fraudes électroniques être multiplié par deux au cours des dix dernières années !
Mais au-delà des fraudes, ce qui inquiète le plus un homme comme Bill Bonner, un économiste américain connu pour ses commentaires acérés, c’est que le recul du cash dans nos sociétés est une volonté générale de beaucoup de gouvernements – officiellement, pour lutter contre le terrorisme, la fraude fiscale, l’économie en noir. Mais en réalité, selon Bill Bonner, derrière ces arguments se cache la volonté d’à terme contrôler les citoyens, et la meilleure manière de s’y prendre c’est de contrôler leur argent. Si ce genre de pratique se répand, les autorités pourront demain couper l’accès à notre argent. Avec des systèmes de reconnaissance faciles, les autorités pourraient identifier n’importe qui dans n’importe quel environnement, dans un café, dans une manifestation ou devant un distributeur de billets. Ensuite, nous dit Bill Bonner, « en quelques clics de souris, les comptes bancaires pourraient être gelés ou confisqués. Le citoyen disparaîtrait en quelques secondes, incapable désormais de participer à la vie publique… forcé de fouiller les poubelles pour survivre. »
Certains trouveront que Bill Bonner exagère. D’autres au contraire se souviennent de leurs cours d’histoire et savent que ce genre de scénario n’est pas impossible. L’histoire récente des comptes bancaires bloqués à Chypre ou l’histoire du ministre des Finances de la Grèce – qui a avoué qu’avec son fameux plan B, il préconisait ni plus ni moins que de pirater les comptes bancaires des citoyens – ces deux cas d’actualité montrent qu’en cas de crise, tout est possible, absolument tout. Et donc, les amateurs de liberté savent que le cash en est l’une des expressions, et qu’il faut donc le sauvegarder !
(1) Voir le site américain Quartz et le magazine L’Expansion de juin 2015.
La tombe de Ruben Espinosa lors de son enterrement au cimetière Dolores de Mexico City, le 3 août 2015. ALFREDO ESTRELLA / AFP
Régulièrement menacé, le photoreporter Ruben Espinosa avait fui l’Etat de Veracruz où quinze de ses confrères ont été tués depuis 2010.
La journée de dimanche a été celle du deuil au Mexique, au lendemain de la découverte de cinq cadavres torturés dans un appartement de Mexico : quatre femmes et un homme, le photojournaliste Rubén Espinosa, 31 ans. Spécialisé dans la couverture des conflits sociaux dans l’Etat de Veracruz, il avait décidé début juin de se réfugier dans la capitale, pour échapper aux menaces et intimidations qu’il dénonçait régulièrement. Même si les autorités restent prudentes sur le mobile du quintuple assassinat, des rassemblements ont eu lieu dimanche à Xalapa, capitale de Veracruz, et à Mexico. Les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme ont réclamé justice pour leur camarade assassiné.
L’une des victimes était une amie de Rubén Espinosa, militante dans les milieux étudiants. Les identités des trois autres femmes (dont une employée de maison) n’ont pas été officiellement dévoilées. Les corps sont apparus les mains attachées, avec des traces de violences et achevés par un coup de grâce.
Rubén Espinosa travaillait pour le magazine de gauche Proceso, pour l’agence d’images Cuarto Oscuro et pour plusieurs médias régionaux. Dans l’Etat de Veracruz, où le groupe criminel du cartel des Zetas est très actif, 15 journalistes ont été tués depuis 2010, date de l’arrivée au poste de gouverneur de Javier Duarte de Ochoa, membre du PRI, le parti de droite du président, Peña Nieto. L’assassinat le plus commenté fut celui de Regina Martinez, en 2012. La journaliste de Proceso et du quotidien de gauche la Jornada enquêtait sur les liens supposés entre Duarte et les Zetas.
Carte mémoire
En 2013, le reporter avait été violemment frappé par la police régionale alors qu’il couvrait une manifestation d’enseignants à Xalapa, et forcé d’effacer la carte mémoire de son appareil photo. Après avoir alerté la justice, il s’était vu proposer de l’argent, en échange du retrait de sa plainte, par des proches de Duarte, avait-il révélé.
L’ONG Article 19, qui défend la liberté d’expression, souligne qu’environ 80 journalistes mexicains menacés ont trouvé refuge dans la capitale, où les autorités sont supposées veiller à leur sécurité. Dans le cas d’Espinosa, il semble qu’aucune mesure de protection n’avait été prise. Selon Reporters sans frontières, plus de 80 journalistes ont été tués au Mexique au cours de la dernière décennie, et 17 sont portés disparus.
Francis Wurtz salue la loyauté d’Alexis Tsipras face au choix terrible qui vient de lui être imposé .
FRANCIS WURTZ. Personnalité politique respectée ayant siégé des décennies comme député européen, Francis Wurtz s’exprime sur les questions soulevées par l’accord signé par la Grèce. Député européen de 1973 à 2009, le communiste Francis Wurtz a présidé le groupe parlementaire de la gauche unitaire et participé à la création du parti de la gauche européenne.
Votre analyse sur l’accord et les raisons qui ont poussé Alexis Tsipras à l’accepter ?
La principale nouveauté par rapport aux négociations qui s’étaient déroulées jusque là est que les dirigeants allemands avaient décidé de bouter la Grèce hors de la zone euro. Cela a été dit, même habillé grossièrement par une suspension provisoire. Ce qui a provoqué de fortes oppositions, pour des raisons diverses, certains étant surtout motivés par la peur des conséquences qu’un Grexit aurait sur un plan financier comme politique. Face à cette opposition, les dirigeants allemands ont cherché à obtenir cette sortie en imposant des conditions insupportables.
Un choix terrible pour Alexis Tsipras sachant que le système bancaire grec n’avait, pour seule source de financement, que les emprunts auprès de la BCE. Refuser l’accord, c’était voir couper le dernier robinet de crédit. Je n’ai aucun doute sur le fait qu’Alexis Tsipras a été horrifié par ce qu’il a signé, il a d’ailleurs dit avec loyauté et franchise qu’il ne croyait pas à cet accord. Mais il n’a pas voulu prendre la responsabilité historique de jeter son pays dans une catastrophe inimaginable.
A gauche, certains comme Jacques Sapir, Lordon ou encore le nobel Krugman pensent cependant que rester dans l’euro n’est pas la solution ?
Le statu quo dans la zone euro est aujourd’hui impossible. Il faut mener un combat pour changer en profondeur les règles d’un euro qui n’est pas fatalement un outil de vengeance au service des puissances. Il faut s’appuyer sur l’émotion ressentie par la population face à l’attitude des dirigeants allemands instrumentalisant l’euro dans le but politique d’en finir avec la première expérience politique alternative en Europe. Par exemple, la BCE a un formidable pouvoir : celui de créer de la monnaie à partir de rien. Elle s’en est servi à hauteur de 1140 milliards d’euros mais au service des banques. Imaginons ce que cela pourrait donner si cela se faisait au service de la Grèce ? Une union monétaire solidaire est possible, même si ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Ce qui s’est passé montre cependant un processus antidémocratique et suscite une question : l’Europe est-elle réformable de l’intérieur ?
Il faut passer par des ruptures fondamentales, ce sont les fondements de classe qui sont dans les traités que nous devons combattre. La Grèce était malheureusement le pays le plus mal placé pour faire basculer le système, ayant un poids modeste et étant très fragilisé par son endettement. Mais ce qu’elle a fait a ouvert la voie. Ce n’est pas comme ce qui s’est passé contre le projet de constitution qui était un coup de boutoir des populations. Là, il y avait un gouvernement clairement mandaté, massivement soutenu.
Un des premiers enjeux est de rompre avec ce non-respect de la souveraineté populaire. Mais pour y parvenir, il faut rassembler les forces. Affirmer qu’il suffit de désobéir à Bruxelles est trop léger. Il faut établir un rapport de force, se trouver des alliés. C’est pour cela que nous avons créer le parti de la gauche européenne, pour faire du lien entre les partis politiques et les mouvements sociaux qui contestent ces règles. Il ne faut pas en rester à cette indignation, légitime, très forte dans beaucoup de pays y compris en Allemagne où un sondage vient de montrer que 62% de la population ne voulait pas d’un Grexit. On doit la transformer en argument.
Le soutien à la Grèce a-t-il été à la hauteur ?
Il y a eu de belles prises de position, y compris en Allemagne où la fédération de tous les syndicats a clairement pris partie, et dès le début, en faveur de Syriza, de beaux rassemblements comme durant le forum européen des alternatives à Paris. Mais compte-tenu de l’enjeu crucial que représente la victoire de Syriza pour nous tous, de la férocité de ceux qui tiennent le manche, le mouvement de solidarité n’a pas été suffisant et il faudra en tirer la leçon.
Les nationalismes sont aussi présentés comme guettant une sortie de l’euro et de l’Europe ?
Si on ne se bat pas pour éviter la destruction de l’Union européenne, le revers est effectivement le nationalisme. Crise, concurrence, absence de perspective… tous les ingrédients sont là. Ce n’est pas le moment d’aller vers le chacun pour soi, ce serait aller vers un danger mortel. Il faut une union des peuples, il faut se battre ensemble pour créer les conditions des ruptures nécessaires, rassembler pour construire des alternatives. En face, les positions sont extrêmement défensives. Ils ont compris le danger que représentait la réussite de Syriza dans une opinion publique qui s’éloigne toujours plus des institutions européennes. Il y a un divorce. Je ne vois pas comment désormais ils pourront justifier leur pouvoir avec des références mielleuses dans les traités foulées du pied chaque jour.
Cette crise grecque a aussi vu l’expression de l’opposition de peuples du nord, pauvres, pressurisés par l’austérité ?
C’est le principe absolu des réactionnaires : monter les pauvres contre les pauvres. Un syndicaliste le vit dans son combat dans son entreprise, le militant politique dans son pays, là on l’a vu à l’échelle européenne. Il faut se battre contre cela et expliquer : la solidarité avec les uns ne se construit pas contre les autres. Le problème n’est pas celui qui est un peu moins pauvre, mais celui qui monopolise le pouvoir et impose ces politiques régressives. Et au-delà des pauvres de l’Est et du Sud, la tentation est grande d’opposer plus globalement le nord et le sud. Malgré la formule d’union européenne, le danger est celui d’une désunion européenne.