WikiLeaks. Comment l’Arabie Saoudite promeut l’islamisme à l’échelle planétaire

For Courrier InternationalThe New York Times a trié et vérifié 60 000 câbles diplomatiques saoudiens révélés par WikiLeaks. Conclusion : le royaume wahhabite a mis en place un redoutable système de prosélytisme à échelle planétaire pour faire la promotion d’un islamisme rigoriste.

Depuis des dizaines d’années, l’Arabie Saoudite injecte “des milliards de pétrodollars dans des organisations islamiques à travers le monde, pratiquant une diplomatie du chéquier”, révèle le journal américain New York Times.

Pour arriver à cette conclusion, le journal a trié et analysé 60 000 documents diplomatiques saoudiens dont les fuites ont été orchestrées par le site WikiLeaks. Le SaoudiLeaks ne fait que commencer. D’autres informations pourraient être bientôt révélées : WikiLeaks a révélé que quelque 400 000 autres documents étaient en attente de publication.

On sait que l’une des priorités de Riyad est de répandre une vision rigoriste de l’islam sunnite. Ce que l’on sait moins, c’est que l’Arabie Saoudite investit également énormément d’argent pour combattre son principal ennemi : l’Iran chiite.

“[Les Saoudiens] craignaient que la levée des sanctions internationales contre l’Iran après la signature de l’accord nucléaire [le 16 juillet] donne davantage de moyens à Téhéran pour soutenir des groupes [chiites et pro-iraniens]. Mais les documents révèlent une compétition qui va bien au-delà, avec de profondes racines idéologico-religieuses”, écrit le quotidien américain.

Un soft power efficace

C’est tout un système d’influence que les autorités saoudiennes ont mis en place et financé par l’argent des pétrodollars, montre l’enquête du quotidien américain. Riyad a notamment accordé des moyens financiers à des prédicateurs à l’étranger, construit des mosquées, des écoles, des centres et soutenu des campagnes pour “contrer des responsables et des médias à l’étranger qui étaient susceptibles de s’opposer à l’agenda du Royaume”.

“Dans la seule région du Kerala [en Inde], les Saoudiens ont donné 4,5 millions de riyals [1,1 million d’euros] à différents organismes”, rapporte par exemple le site India TV en réaction aux informations révélées par Wikileaks.

De même, le quotidien de Toronto The Globe and Mail a relevé un “don de 211 000 dollars canadiens [150 000 euros] à une école d’Ottawa et un autre de 134 000 dollars [96 000 euros] à une école de Mississauga” gérée par la Muslim Association of Canada, qui gère également des mosquées et d’autres écoles.

Si les sommes peuvent paraître relativement modestes pour chacun des cas pris isolément, elles deviennent énormes une fois additionnées les unes aux autres. Tout le mérite du New York Times est précisément d’avoir fait cette addition. “Il s’agit de milliers et de milliers d’organisations militantes et religieuses (…) directement ou indirectement financées par eux”, explique Usama Hasan, chercheur en études islamiques à la fondation Quilliam à Londres, cité par le journal.

L’organisation mise en place consistait globalement à identifier les personnalités et les associations étrangères à aider ou financer. “Le ministère des Affaires étrangères transmettait les demandes de financement à des officiels de Riyad, parfois les services de renseignements donnaient leur accord après examen des bénéficiaires potentiels et la Ligue islamique mondiale contribuait à avoir une stratégie coordonnée, tandis que les diplomates saoudiens supervisaient le projet à travers le monde”, explique encore le New York Times.

Les pays concernés ne sont pas seulement ceux du Moyen-Orient où la lutte fait rage entre l’Arabie Saoudite et l’Iran pour l’influence régionale, mais aussi les pays africains, notamment le Mali, où des acteurs locaux ont fait référence à la “menace du chiisme iranien” pour appuyer leurs demandes de fonds auprès des Saoudiens. “La peur de l’influence chiite allait jusqu’à englober des pays dotés de minorités musulmanes aussi réduites qu’en Chine. Aux Philippines, où seulement 5 % de la population est musulmane, des documents présentent également des propositions pour ‘restreindre l’influence iranienne’.”

Source : Le Courrier International 17/07/2015

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Franck Tenaille. « On est l’écosystème des musiques du monde »

Franck Tenaille dans les coulisses de Fiest'A Sète

Franck Tenaille dans les coulisses de Fiest’A Sète

Franck Tenaille. Entretien avec le président de Zone Franche, le réseau des Musiques du monde qui réunit toute la chaîne des métiers de la musique à l’occasion du festival Fiest’A Sète 2015.

Titulaire d’une licence d’ethnologie et d’un doctorat de sociologie, Franck Tenaille est journaliste spécialisé dans les musiques du monde, conseiller artistique, responsable de la commission des musiques du monde de l’Académie Charles Cros. Il est aussi président du réseau Zone Franche.

Lors de votre conférence sur la musique durant les années de l’indépendance donnée à Fiest’A Sète, vous avez souligné que l’Afrique musicale précède l’Afrique politique. Que voulez-vous dire ?

Le choc de la Seconde guerre mondiale a fait craquer l’ordre colonial avec de sanglants soubresauts entre l’indépendance promise et l’indépendance octroyée. Durant cette période, la musique n’a eu de cesse d’affirmer l’identité culturelle niée par la colonisation. Elle a su faire entendre les plaies dans les consciences de l’oeuvre civilisatrice et faire vivre un patrimoine humain commun.

La musique accompagne aussi directement les mouvements politiques des indépendances…

Au tournant des années 60 se profile la proclamation des indépendances. En 1957, la Gold Coast rebaptisée Ghana en référence à l’ancien empire africain, devient le premier pays indépendant d’Afrique subsaharienne. E.T. Mensah, un pharmacien de métier, monte un grand Orchestre et devient le roi du highlife. Le genre musical s’épanouit dans un cadre en pleine effervescence. Dans ce contexte, la musique constitue le complément artistique au projet panafricain du premier ministre indépendantiste NKrumah.

En Guinée qui accède à l’indépendance un an plus tard, Joseph Kabassele Tshamala, le fondateur de l’African Jazz, compose le fameux Indépendance Cha Cha. Le premier président Guinéen Sékou Touré déclare : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté que l’opulence dans la servitude », et s’engage dans la modernisation des arts et notamment de la musique pour en faire le fer de lance de l’authenticité culturelle. « La culture est plus efficace que les fusils », dira-t-il encore. Le titre Indépendance Cha Cha devient le premier tube panafricain. On l’écoute dans la majorité des pays africains qui accèdent à l’indépendance : du Congo au Nigéria, du Togo au Kenya, du Tanganyika à Madagascar. Les indépendances des années 1960 passent par la musique et ouvrent tous les possibles.

Outre votre travail d’auteur et de journaliste vous êtes membre fondateur de Zone Franche. Quels sont les objectifs poursuivis par ce réseau ?

Zone Franche existe depuis 1990, C’est un réseau consacré aux musiques du monde qui réunit toute la chaîne des métiers de la musique, de la scène au disque et au médias, et rassemble 300 membres répartis majoritairement sur le territoire français mais aussi dans une vingtaine de pays. Nous travaillons sur la valorisation des richesses de la diversité culturelle et des patrimoines culturels immatériels, les droits d’auteurs, la circulation des oeuvres et des artistes, le soutien à la création artistique…

Que recoupe pour vous le terme « musiques du monde » ?

Les musiques du monde sont la bande son des sociétés, des mémoires, des anthropologies culturelles… Si on veut faire dans le cosmopolitisme, on dira que 80% des musiques écoutées sur la planète sont des musiques du monde.  Après il y a les styles musicaux, les genres, les architectures, les syncrétisations… Zone Franche est un réseau transversal, on est un peu l’écosystème professionnel des musiques du monde.

N’est-ce pas difficile d’agir à partir d’intérêts différents et parfois contradictoires ?

On entre dans le réseau à partir d’une structure. Chaque nouvelle adhésion est votée en AG, et chaque membre adhère à la charte des musiques du monde. On n’est pas dans « l’entertainment », l’esprit serait plus proche de l’éducation populaire, un gros mot que j’aime utiliser. Nous avons rejeté quelques candidatures pour non respect des artistes ou des législations existantes. On n’est pas non plus à l’expo coloniale. Notre financement provient des cotisations calculées en fonction des revenus de la structure et d’un partenariat tripartite entre le ministère de la Culture, celui des Affaires Étrangères et d’organisations de la société civile comme la Sacem, Adami, Spedidam.

Comment conciliez-vous toutes les esthétiques ?

A peu près tous les genres de musiques sont représentés, de la musique savante, ethnique, à la world, le rap, les musiques inscrites dans le in situ en fonction des communautés et les emprunts conjoncturels divers et variés que j’appelle les illusions lyriques, mais au final, tous les gens inscrits dans le réseau sont des passeurs.

Intervenez-vous face au refus de visa qui reste un frein puissant à la mobilité des artistes ?

Ce problème se pose de façon crucial et il s’est généralisé. Il n’y a pas d’homogénéisation des politiques et les guichets pour obtenir un visa sont très différents. Dans le cas des tournées, il est rare d’entrer et de ressortir par le même endroit. Nous nous battons pour clarifier les textes, les procédures et les références. Souvent les politiques paraissent lisibles mais les marges de manoeuvre d’application le sont beaucoup moins. De par notre savoir-faire et notre expertise, nous parvenons à débloquer un certain nombre de situations sur le terrain,. On a souvent joué les pompiers face aux abus de pouvoir ou au manquement des managers.

Votre objet politique se présente-t-il comme une alternative à la diplomatie économique qui a transformé les diplomates en VRP de luxe ?

Qu’est ce que la mondialisation culturelle ? Est-ce le résultat d’un consensus libéral établi sur le  plus petit dénominateur commun des particularismes de l’homo economicus culturel ? Sous cette forme de mondialisation digeste, nous aurions Victor Hugo pour la France, Cervantès pour l’Espagne et Shakespeare pour le R.U et pourquoi s’enquiquiner a éditer d’autres auteurs et à plus forte raison à produire de la musique Inuite…

Nous négocions régulièrement avec les agents publics de la diplomatie pour défendre la portée éminemment politique des enjeux esthétiques et leur diversité. C’est un combat permanent, à la fois une résistance et une conquête. La base, c’est celui qui n’a pas de conscience est vaincu.

On travaille sur la transmission dans le temps long. Je peux citer beaucoup de patrimoines musicaux en voix de disparition qui sont revenus à la vie, des Lobi du Burkina à la musique de Bali en passant par les Marionnettes sur l’eau du Vietnam. A partir de là, une nouvelle génération peut se rapproprier ces ressources uniques et les renouveler.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Franck Tenaille est notamment l’auteur de : Les 56 Afrique, 2 t. : Guide politique 1979 Éditions Maspéro. Le swing du caméléon 2000 Actes Sud, La Raï 2002 Actes Sud

Source : La Marseillaise 10/08/2015

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Rencontres, rubrique Afrique, rubrique Musique, Les Ambassadeurs,

« 8O% des musiques écoutées sur la planète sont des musiques
du monde » photo DR

Lettre d’’Edwy Plenel. Palestine : Monsieur le Président, vous égarez la France

edwy-plenel-e1407154638616De l’alignement préalable sur la droite extrême israélienne à l’interdiction de manifestations de solidarité avec le peuple palestinien, sans compter l’assimilation de cette solidarité à de l’antisémitisme maquillé en antisionisme, François Hollande s’est engagé dans une impasse. Politiquement, il n’y gagnera rien, sauf le déshonneur. Mais, à coup sûr, il y perd la France.

Monsieur le Président, cher François Hollande, je n’aurais jamais pensé que vous puissiez rester, un jour, dans l’histoire du socialisme français, comme un nouveau Guy Mollet. Et, à vrai dire, je n’arrive pas à m’y résoudre tant je vous croyais averti de ce danger d’une rechute socialiste dans l’aveuglement national et l’alignement international, cette prétention de civilisations qui se croient supérieures au point de s’en servir d’alibi pour justifier les injustices qu’elles commettent.

Vous connaissez bien ce spectre molletiste qui hante toujours votre famille politique. Celui d’un militant dévoué à son parti, la SFIO, d’un dirigeant aux convictions démocratiques et sociales indéniables, qui finit par perdre politiquement son crédit et moralement son âme faute d’avoir compris le nouveau monde qui naissait sous ses yeux. C’était, dans les années 1950 du siècle passé, celui de l’émergence du tiers-monde, du sursaut de peuples asservis secouant les jougs colonisateurs et impériaux, bref le temps de leurs libérations et des indépendances nationales.

Guy Mollet, et la majorité de gauche qui le soutenait, lui opposèrent, vous le savez, un déni de réalité. Ils s’accrochèrent à un monde d’hier, déjà perdu, ajoutant du malheur par leur entêtement, aggravant l’injustice par leur aveuglement. C’est ainsi qu’ils prétendirent que l’Algérie devait à tout prix rester la France, jusqu’à engager le contingent dans une sale guerre, jusqu’à autoriser l’usage de la torture, jusqu’à violenter les libertés et museler les oppositions. Et c’est avec la même mentalité coloniale qu’ils engagèrent notre pays dans une désastreuse aventure guerrière à Suez contre l’Égypte souveraine, aux côtés du jeune État d’Israël.

Mollet n’était ni un imbécile ni un incompétent. Il était simplement aveugle au monde et aux autres. Des autres qui, déjà, prenaient figure d’Arabes et de musulmans dans la diversité d’origines, la pluralité de cultures et la plasticité de croyance que ces mots recouvrent. Lesquels s’invitaient de nouveau au banquet de l’Histoire, s’assumant comme tels, revendiquant leurs fiertés, désirant leurs libertés. Et qui, selon le même réflexe de dignité et de fraternité, ne peuvent admettre qu’aujourd’hui encore, l’injustice européenne faite aux Juifs, ce crime contre l’humanité auquel ils n’eurent aucune part, se redouble d’une injustice durable faite à leurs frères palestiniens, par le déni de leur droit à vivre librement dans un État normal, aux frontières sûres et reconnues.

Vous connaissez si bien la suite, désastreuse pour votre famille politique et, au-delà d’elle, pour toute la gauche de gouvernement, que vous l’aviez diagnostiquée vous-même, en 2006, dans Devoirs de vérité (Stock). « Une faute, disiez-vous, qui a été chèrement payée : vingt-cinq ans d’opposition, ce n’est pas rien ! » Sans compter, auriez-vous pu ajouter, la renaissance à cette occasion de l’extrême droite française éclipsée depuis la chute du nazisme et l’avènement d’institutions d’exception, celles d’un pouvoir personnel, celui du césarisme présidentiel. Vingt-cinq ans de « pénitence », insistiez-vous, parce que la SFIO, l’ancêtre de votre Parti socialiste d’aujourd’hui, « a perdu son âme dans la guerre d’Algérie ».

Vous en étiez si conscient que vous ajoutiez : « Nous avons encore des excuses à présenter au peuple algérien. Et nous devons faire en sorte que ce qui a été ne se reproduise plus. » « Nous ne sommes jamais sûrs d’avoir raison, de prendre la bonne direction, de choisir la juste orientation, écriviez-vous encore. Mais nous devons, à chaque moment majeur, nous poser ces questions simples : agissons-nous conformément à nos valeurs ? Sommes-nous sûrs de ne pas altérer nos principes ? Restons-nous fidèles à ce que nous sommes ? Ces questions doivent être posées à tout moment, au risque sinon d’oublier la leçon. »

Eh bien, ces questions, je viens vous les poser parce que, hélas, vous êtes en train d’oublier la leçon et, à votre tour, de devenir aveugle au monde et aux autres. Je vous les pose au vu des fautes stupéfiantes que vous avez accumulées face à cet énième épisode guerrier provoqué par l’entêtement du pouvoir israélien à ne pas reconnaître le fait palestinien. J’en dénombre au moins sept, et ce n’est évidemment pas un jeu, fût-il des sept erreurs, tant elles entraînent la France dans la spirale d’une guerre des mondes, des civilisations et des identités, une guerre sans issue, sinon celle de la mort et de la haine, de la désolation et de l’injustice, de l’inhumanité en somme, ce sombre chemin où l’humanité en vient à se détruire elle-même.

Les voici donc ces sept fautes où, en même temps qu’à l’extérieur, la guerre ruine la diplomatie, la politique intérieure en vient à se réduire à la police.

Une faute politique doublée d’une faute intellectuelle

1. Vous avez d’abord commis une faute politique sidérante. Rompant avec la position traditionnellement équilibrée de la France face au conflit israélo-palestinien, vous avez aligné notre pays sur la ligne d’offensive à outrance et de refus des compromis de la droite israélienne, laquelle gouverne avec une extrême droite explicitement raciste, sans morale ni principe, sinon la stigmatisation des Palestiniens et la haine des Arabes.

Votre position, celle de votre premier communiqué du 9 juillet, invoque les attaques du Hamas pour justifier une riposte israélienne disproportionnée dont la population civile de Gaza allait, une fois de plus, faire les frais. Purement réactive et en grande part improvisée (lire ici l’article de Lenaïg Bredoux), elle fait fi de toute complexité, notamment celle du duo infernal que jouent Likoud et Hamas, l’un et l’autre se légitimant dans la ruine des efforts de paix (lire là l’article de François Bonnet).

Surtout, elle est inquiétante pour l’avenir, face à une situation internationale de plus en plus incertaine et confuse. À la lettre, ce feu vert donné à un État dont la force militaire est sans commune mesure avec celle de son adversaire revient à légitimer, rétroactivement, la sur-réaction américaine après les attentats du 11-Septembre, son Patriot Act liberticide et sa guerre d’invasion contre l’Irak. Bref, votre position tourne le dos à ce que la France officielle, sous la présidence de Jacques Chirac, avait su construire et affirmer, dans l’autonomie de sa diplomatie, face à l’aveuglement nord-américain.

Depuis, vous avez tenté de modérer cet alignement néoconservateur par des communiqués invitant à l’apaisement, à la retenue de la force israélienne et au soulagement des souffrances palestiniennes. Ce faisant, vous ajoutez l’hypocrisie à l’incohérence. Car c’est une fausse compassion que celle fondée sur une fausse symétrie entre les belligérants. Israël et Palestine ne sont pas ici à égalité. Non seulement en rapport de force militaire mais selon le droit international.

En violation de résolutions des Nations unies, Israël maintient depuis 1967 une situation d’occupation, de domination et de colonisation de territoires conquis lors de la guerre des Six Jours, et jamais rendus à la souveraineté pleine et entière d’un État palestinien en devenir. C’est cette situation d’injustice prolongée qui provoque en retour des refus, résistances et révoltes, et ceci d’autant plus que le pouvoir palestinien issu du Fatah en Cisjordanie n’a pas réussi à faire plier l’intransigeance israélienne, laquelle, du coup, légitime les actions guerrières de son rival, le Hamas, depuis qu’il s’est imposé à Gaza.

Historiquement, la différence entre progressistes et conservateurs, c’est que les premiers cherchent à réduire l’injustice qui est à l’origine d’un désordre tandis que les seconds sont résolus à l’injustice pour faire cesser le désordre. Hélas, Monsieur le Président, vous avez spontanément choisi le second camp, égarant ainsi votre propre famille politique sur le terrain de ses adversaires.

2. Vous avez ensuite commis une faute intellectuelle en confondant sciemment antisémitisme et antisionisme. Ce serait s’aveugler de nier qu’en France, la cause palestinienne a ses égarés, antisémites en effet, tout comme la cause israélienne y a ses extrémistes, professant un racisme anti-arabe ou antimusulman. Mais assimiler l’ensemble des manifestations de solidarité avec la Palestine à une résurgence de l’antisémitisme, c’est se faire le relais docile de la propagande d’État israélienne.

Mouvement nationaliste juif, le sionisme a atteint son but en 1948, avec l’accord des Nations unies, URSS comprise, sous le choc du génocide nazi dont les Juifs européens furent les victimes. Accepter cette légitimité historique de l’État d’Israël, comme a fini par le faire sous l’égide de Yasser Arafat le mouvement national palestinien, n’entraîne pas que la politique de cet État soit hors de la critique et de la contestation. Être antisioniste, en ce sens, c’est refuser la guerre sans fin qu’implique l’affirmation au Proche-Orient d’un État exclusivement juif, non seulement fermé à toute autre composante mais de plus construit sur l’expulsion des Palestiniens de leur terre.

Confondre antisionisme et antisémitisme, c’est installer un interdit politique au service d’une oppression. C’est instrumentaliser le génocide dont l’Europe fut coupable envers les Juifs au service de discriminations envers les Palestiniens dont, dès lors, nous devenons complices. C’est, de plus, enfermer les Juifs de France dans un soutien obligé à la politique d’un État étranger, quels que soient ses actes, selon la même logique suiviste et binaire qui obligeait les communistes de France à soutenir l’Union soviétique, leur autre patrie, quels que soient ses crimes. Alors qu’évidemment, on peut être juif et antisioniste, juif et résolument diasporique plutôt qu’aveuglément nationaliste, tout comme il y a des citoyens israéliens, hélas trop minoritaires, opposés à la colonisation et solidaires des Palestiniens.

Brandir cet argument comme l’a fait votre premier ministre aux cérémonies commémoratives de la rafle du Vél’ d’Hiv’, symbole de la collaboration de l’État français au génocide commis par les nazis, est aussi indigne que ridicule. Protester contre les violations répétées du droit international par l’État d’Israël, ce serait donc préparer la voie au crime contre l’humanité ! Exiger que justice soit enfin rendue au peuple palestinien, pour qu’il puisse vivre, habiter, travailler, circuler, etc., normalement, en paix et en sécurité, ce serait en appeler de nouveau au massacre, ici même !

Un antiracisme oublieux et infidèle

Si vous pensez spontanément religion quand s’expriment ici même des insatisfactions et des colères en solidarité avec le monde arabe, univers où dominent la culture et la foi musulmanes, c’est paradoxalement parce que vous ne vous êtes pas résolus à cette évidence d’une France multiculturelle. À cette banalité d’une France plurielle, vivant diversement ses appartenances et ses héritages, qu’à l’inverse, votre crispation, où se mêlent la peur et l’ignorance, enferme dans le communautarisme religieux. Pourtant, les musulmans de France font de la politique comme vous et moi, en pensant par eux-mêmes, en inventant par leur présence au monde, à ses injustices et à ses urgences, un chemin de citoyenneté qui est précisément ce que l’on nomme laïcisation.

C’est ainsi, Monsieur le Président, qu’au lieu d’élever le débat, vous en avez, hélas, attisé les passions. Car cette réduction des musulmans de France à un islam lui-même réduit, par le prisme sécuritaire, au terrorisme et à l’intégrisme est un cadeau fait aux radicalisations religieuses, dans un jeu de miroirs où l’essentialisation xénophobe finit par justifier l’essentialisation identitaire. Une occasion offerte aux égarés en tous genres.

5. Vous avez surtout commis une faute historique en isolant la lutte contre l’antisémitisme des autres vigilances antiracistes. Comme s’il fallait la mettre à part, la sacraliser et la différencier. Comme s’il y avait une hiérarchie dans le crime contre l’humanité, le crime européen de génocide l’emportant sur d’autres crimes européens, esclavagistes ou coloniaux. Comme si le souvenir de ce seul crime monstrueux devait amoindrir l’indignation, voire simplement la vigilance, vis-à-vis d’autres crimes, de guerre ceux-là, commis aujourd’hui même. Et ceci au nom de l’origine de ceux qui les commettent, brandie à la façon d’une excuse absolutoire alors même, vous le savez bien, que l’origine, la naissance ou l’appartenance, quelles qu’elles soient, ne protègent de rien, et certainement pas des folies humaines.

Ce faisant, votre premier ministre et vous-même n’avez pas seulement encouragé une détestable concurrence des victimes, au lieu des causes communes qu’il faudrait initier et promouvoir. Vous avez aussi témoigné d’un antiracisme fort oublieux et très infidèle. Car il ne suffit pas de se souvenir du crime commis contre les juifs. Encore faut-il avoir appris et savoir transmettre la leçon léguée par l’engrenage qui y a conduit : cette lente accoutumance à la désignation de boucs émissaires, essentialisés, caricaturés et calomniés dans un brouet idéologique d’ignorance et de défiance qui fit le lit des persécutions.

Or comment ne pas voir qu’aujourd’hui, dans l’ordinaire de notre société, ce sont d’abord nos compatriotes d’origine, de culture ou de croyance musulmane qui occupent cette place peu enviable ? Et comment ne pas comprendre qu’à trop rester indifférents ou insensibles à leur sort, ce lot quotidien de petites discriminations et de grandes détestations, nous habituons notre société tout entière à des exclusions en chaîne, tant le racisme fonctionne à la manière d’une poupée gigogne, des Arabes aux Roms, des Juifs aux Noirs, et ainsi de suite jusqu’aux homosexuels et autres prétendus déviants ?

Ne s’attarder qu’à la résurgence de l’antisémitisme, c’est dresser une barrière immensément fragile face au racisme renaissant. Le Front national deviendrait-il soudain fréquentable parce qu’il aurait, selon les mots de son vice-président, fait« sauter le verrou idéologique de l’antisémitisme » afin de « libérer le reste » ? L’ennemi de l’extrême droite, confiait à Mediapart la chercheuse qui a recueilli cette confidence de Louis Aliot, « n’est plus le Juif mais le Français musulman » (lire ici notre entretien avec Valérie Igounet).

De fait, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), dont vous ne pouvez ignorer les minutieux et rigoureux travaux, constate, de rapport en rapport annuels, une montée constante de l’intolérance antimusulmane et de la polarisation contre l’islam (lire nos articles ici et ). Dans celui de 2013, on pouvait lire ceci, sous la plume des sociologues et politologues qu’elle avait sollicités : « Si on compare notre époque à celle de l’avant-guerre, on pourrait dire qu’aujourd’hui le musulman, suivi de près par le Maghrébin, a remplacé le juif dans les représentations et la construction d’un bouc émissaire. »

L’antiracisme conséquent est celui qui affronte cette réalité tout en restant vigilant sur l’antisémitisme. Ce n’est certainement pas celui qui, à l’inverse, pour l’ignorer ou la relativiser, brandit à la manière d’un étendard la seule lutte contre l’antisémitisme. Cette faute, hélas, Monsieur le Président, est impardonnable car non seulement elle distille le venin d’une hiérarchie parmi les victimes du racisme, mais de plus elle conforte les moins considérées d’entre elles dans un sentiment d’abandon qui nourrit leur révolte, sinon leur désespoir. Qui, elles aussi, les égare.

6. Vous avez par-dessus tout commis une faute sociale en transformant la jeunesse des quartiers populaires en classe dangereuse. Votre premier ministre n’a pas hésité à faire cet amalgame grossier lors de son discours du Vél’ d’Hiv’, désignant à la réprobation nationale ces « quartiers populaires » où se répand l’antisémitisme « auprès d’une jeunesse souvent sans repères, sans conscience de l’Histoire et qui cache sa “haine du Juif ” derrière un antisionisme de façade et derrière la haine de l’État d’Israël ».

Mais qui l’a abandonnée, cette jeunesse, à ces démons ? Qui sinon ceux qui l’ont délaissée ou ignorée, stigmatisée quand elle revendique en public sa religion musulmane, humiliée quand elle voit se poursuivre des contrôles policiers au faciès, discriminée quand elle ne peut progresser professionnellement et socialement en raison de son apparence, de son origine ou de sa croyance ? Qui sinon ceux-là mêmes qui, aujourd’hui, nous gouvernent, vous, Monsieur le Président et, surtout, votre premier ministre qui réinvente cet épouvantail habituel des conservatismes qu’est l’équivalence entre classes populaires et classes dangereuses ?

Une jeunesse des quartiers populaires stigmatisée

Cette jeunesse n’a-t-elle pas, elle aussi, des idéaux, des principes et des valeurs ? N’est-elle pas, autant que vous et moi, concernée par le monde, ses drames et ses injustices ? Par exemple, comment pouvez-vous ne pas prendre en compte cette part d’idéal, fût-il ensuite dévoyé, qui pousse un jeune de nos villes à partir combattre en Syrie contre un régime dictatorial et criminel que vous-même, François Hollande, avez imprudemment appelé à « punir » il y a tout juste un an ? Est-ce si compliqué de savoir distinguer ce qui est de l’ordre de l’idéalisme juvénile et ce qui relève de la menace terroriste, au lieu de tout criminaliser en bloc en désignant indistinctement des « djihadistes » ?

Le pire, c’est qu’à force d’aveuglement, cette politique de la peur que, hélas, votre pouvoir assume à son tour, alimente sa prophétie autoréalisatrice. Inévitablement, elle suscite parmi ses cibles leur propre distance, leurs refus et révoltes, leur résistance en somme, un entre soi de fierté ou de colère pour faire face aux stigmatisations et aux exclusions, les affronter et les surmonter. « On finit par créer un danger, en criant chaque matin qu’il existe. À force de montrer au peuple un épouvantail, on crée le monstre réel » : ces lignes prémonitoires sont d’Émile Zola, en 1896, au seuil de son entrée dans la mêlée dreyfusarde, dans un article du Figaro intitulé « Pour les Juifs ».

Zola avait cette lumineuse prescience de ceux qui savent se mettre à la place de l’autre et qui, du coup, comprennent les révoltes, désirs de revanche et volonté de résister, que nourrit un trop lourd fardeau d’humiliations avec son cortège de ressentiments. Monsieur le Président, je ne mésestime aucunement les risques et dangers pour notre pays de ce choc en retour. Mais je vous fais reproche de les avoir alimentés plutôt que de savoir les conjurer. De les avoir nourris, hélas, en mettant à distance cette jeunesse des quartiers populaires à laquelle, durant votre campagne électorale, vous aviez tant promis au point d’en faire, disiez-vous, votre priorité. Et, du coup, en prenant le risque de l’abandonner à d’éventuels égarements.

7. Vous avez, pour finir, commis une faute morale en empruntant le chemin d’une guerre des mondes, à l’extérieur comme à l’intérieur. En cette année 2014, de centenaire du basculement de l’Europe dans la barbarie guerrière, la destruction et la haine, vous devriez pourtant y réfléchir à deux fois. Cet engrenage est fatal qui transforme l’autre, aussi semblable soit-il, en étranger et, finalement, en barbare – et c’est bien ce qui nous est arrivé sur ce continent dans une folie destructrice qui a entraîné le monde entier au bord de l’abîme.

Jean Jaurès, dont nous allons tous nous souvenir le 31 juillet prochain, au jour anniversaire de son assassinat en 1914, fut vaincu dans l’instant, ses camarades socialistes basculant dans l’Union sacrée alors que son cadavre n’était pas encore froid. Tout comme d’autres socialistes, allemands ceux-là, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, finirent assassinés en 1919 sur ordre de leurs anciens camarades de parti, transformés en nationalistes et militaristes acharnés. Mais aujourd’hui, connaissant la suite de l’histoire, nous savons qu’ils avaient raison, ces justes momentanément vaincus qui refusaient l’aveuglement des identités affolées et apeurées.

Vous vous souvenez, bien sûr, de la célèbre prophétie de Jaurès, en 1895, à la Chambre des députés : « Cette société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l’état d’apparent repos, porte en elle la guerre comme la nuée dormante porte l’orage. » Aujourd’hui que les inégalités provoquées par un capitalisme financier avide et rapace ont retrouvé la même intensité qu’à cette époque, ce sont les mêmes orages qu’il vous appartient de repousser, à la place qui est la vôtre.

Vous n’y arriverez pas en continuant sur la voie funeste que vous avez empruntée ces dernières semaines, après avoir déjà embarqué la France dans plusieurs guerres africaines sans fin puisque sans stratégie politique (lire ici l’article de François Bonnet). Vous ne le ferez pas en ignorant le souci du monde, de ses fragilités et de ses déséquilibres, de ses injustices et de ses humanités, qui anime celles et ceux que le sort fait au peuple palestinien concerne au plus haut point.

Monsieur le Président, cher François Hollande, vous avez eu raison d’affirmer qu’il ne fallait pas « importer » en France le conflit israélo-palestinien, en ce sens que la France ne doit pas entrer en guerre avec elle-même. Mais, hélas, vous avez vous-même donné le mauvais exemple en important, par vos fautes, l’injustice, l’ignorance et l’indifférence qui en sont le ressort.

Edwy Plenel

03/08/2015

Plusieurs centaines de Mauritaniennes destinées à l’esclavage en Arabie Saoudite

A woman crosses a street in front of campaign posters of Mauritania's outgoing president and candidate to his succession Mohamed Ould Abdel Aziz in Nouakchott on June 19, 2014, on the last day of campaining  ahead of the June 21 presidential poll. The Islamic Republic of Mauritania is led by Mohamed Ould Abdel Aziz, an ex-general who led a 2008 coup and won election a year later, who is tipped to win the upcoming elections, amid a boycott by leading opposition groups.    AFP Photo Seyllou

A woman crosses a street in front of campaign posters of Mauritania’s outgoing president and candidate to his succession Mohamed Ould Abdel Aziz in Nouakchott on June 19, 2014, on the last day of campaining ahead of the June 21 presidential poll. The Islamic Republic of Mauritania is led by Mohamed Ould Abdel Aziz, an ex-general who led a 2008 coup and won election a year later, who is tipped to win the upcoming elections, amid a boycott by leading opposition groups. AFP Photo Seyllou

De riches arabes saoudiens semblent avoir été tentés de « faire leurs courses » de chair fraîche et de « bois d’ébène » en Mauritanie, pays complaisant face à la traite humaine.

En ce début de 21e siècle, en cette fin de juillet 2015, Aminetou Mint el Moktar, la célèbre présidente de l’Association de femmes chefs de famille de Mauritanie, l’AFCF, révèle un scandale la traite des femmes. « 200 jeunes filles, récemment parties de Mauritanie, sont déjà sur place, en Arabie saoudite. Elles sont séquestrées dans des cours de maisons, victimes de toutes les formes de maltraitances physiques, psychologiques et sexuelles », affirme la présidente de l’AFCF jointe par « L’Obs » en Mauritanie.

Dénonçant « une forme aberrante d’esclavage contemporain et une traite sexuelle », Madame el Moktar a porté cette affaire de trafic massif de femmes entre la Mauritanie et l’Arabie saoudite devant la police et le Parquet de Nouakchott, la capitale mauritanienne. La police judiciaire a ouvert une enquête après le dépôt d’une plainte d’une des mères des jeunes filles.

Complicité des autorités mauritaniennes

Trois cent autres esclaves mauritaniennes seraient prêtes à partir, selon Aminetou Mint el Moktar, qui est en contact avec les familles et a réussi à s’entretenir au téléphone avec une des victimes en Arabie saoudite. Menacée de mort par les imams radicaux et esclavagistes dans son pays, Aminetou el Moktar a reçu, en 2006, le prix des droits de l’Homme de la République française. Et, en 2010, elle a été distinguée par la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, pour son combat contre l’esclavage moderne. Comme beaucoup de militants abolitionniste en Mauritanie, dirigée par la communauté arabo-berbère qui emploie des esclaves, elle a connu la prison.

Car la complicité dans le trafic qu’elle dénonce de certaines administrations mauritaniennes, qui ont fourni un grand nombre de passeports, semble avérée. Les autorités saoudiennes, qui ont octroyé beaucoup de visas, pourtant normalement difficiles à obtenir, semblent elles aussi responsables. « J’estime que le départ d’un tel nombre de personne, appartenant à la même communauté, ne peut passer inaperçu des autorités des deux pays », écrit Madame el Moktar dans un mail à « L’Obs ». L’organisatrice du trafic a été entendue par la police mais laissée en liberté.

Des « maîtres » jamais condamnés

Officiellement, ce sont des femmes mauritaniennes ordinaires qui viennent d’être envoyées en Arabie saoudite pour y accomplir un travail « normal », de « domestique ». Mais, en fait, ce sont des « harratines », de la caste des esclaves ou descendants d’esclaves de Mauritanie (près de 40% de la population). Elles auraient simplement été « exportées ». La Mauritanie est le dernier État au monde à avoir aboli l’esclavage en 1981. Ce n’est qu’en 2007 que, sous la pression internationale, cette République islamique a criminalisé cette pratique largement répandue. Mais, à ce jour, malgré quelque rares et très brefs séjours en prison, aucun maître n’a encore été condamné définitivement. Il y aurait toujours de 150.000 à 300.000 esclaves dans ce pays peuplé de quelque 3,5 millions d’habitants. Soit le plus fort taux d’esclaves au monde.

Les riches arabes saoudiens semblent avoir été tentés de « faire leurs courses » de chair fraîche et de « bois d’ébène » dans ce pays complaisant face à la traite humaine. Beaucoup de jeunes filles de Madagascar, un des pays les plus pauvres au monde avec la Mauritanie, partent aussi en Arabie saoudite pour devenir « domestiques ». Où elles sont, en fait, réduites en esclavage. Une fois arrivées, elles découvrent le travail vingt heures par jour, les maltraitances, la faim. « L’Arabie saoudite est réputé pour l’esclavage. Accusés de crimes ou de péchés, des jeunes femmes des Philippines, d’Inde ou Pakistan sont parfois liquidées après avoir été séquestrées et violées et renvoyés chez elle dans un cercueil », assure Madame el Moktar.

Un « secret de polichinelle »

Ce n’est pas la première fois que l’on en parle de traite de femmes entre la Mauritanie et l’Arabie saoudite.  « C’était un secret de polichinelle mais c’est la première fois que des cas avérés seraient nommément dénoncés »,  souligne Mamadou  Lamine Kane, un expert mauritanien qui travaille pour des ONG occidentales à Nouakchott. Une Commission mixte entre la Mauritanie et l’Arabie Saoudite a été établie en 2011, notamment pour gérer les conflits sur les « domestiques ».

« Avec la mise en place de cette commission pour freiner la traite, la situation s’était améliorée », souligne Aminetou Mint el Moktar. Selon la présidente de l’AFCF, les victimes choisies sont des proies faciles. « Le danger guette nos filles issues des milieux défavorisés de Nouakchott et l’intérieur pauvre du pays », dit cette femme qui se bat depuis plus de 30 ans contre toute forme d’exploitation. Certaines jeunes filles destinées au trafic sexuel sont victimes du mirage d’un travail à l’étranger, d’une bonne éducation à la Mecque. D’autres sont vendues par leurs familles en détresse.

La République islamique de Mauritanie, dirigée par un régime très autoritaire, est soutenue par l’Occident et notamment par la France, pour sa lutte contre le terrorisme islamique dans la zone Sahara-Sahel. Quant à l’Arabie Saoudite, qui finance l’islam radical, sa monarchie est aussi soutenue par l’Occident et par la France, dont elle est le premier acheteur d’armes.

Jean-Baptiste Naudet

Source : L’Obs :  le 29-07-2015

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Afrique , Mauritanie, rubrique Moyen Orient, Arabie Saoudite, rubrique, Politique, politique Internationale, Societe, Esclavage, On line, Pour les maîtres, violer les esclaves est un droit,

A Gaza, un an après la guerre, rien n’a changé, sinon «pour le pire»

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«On allait mieux il y a un an: le monde entier se préoccupait de Gaza alors qu’aujourd’hui, tout le monde s’en fout!». Dans sa maison éventrée par les chars israéliens, Rabah ne décolère pas car rien n’a changé depuis la guerre de l’été dernier, ou alors «pour le pire».

Sur une chaise en plastique dans ce qui fut son salon et n’est plus désormais qu’une dalle de béton et des armatures de fer, ce Palestinien de 57 ans contemple son quartier, Chajaya, dans l’est de Gaza. Dans un rayon d’une centaine de mètres, tout n’est que tas de pierres dont émergent là un petit sac à dos rose, ici un dossier médical déchiré ou encore un escarpin doré qu’une femme porta un jour de fête.

Mohammed, 18 ans, remue toute la journée ces restes d’une vie passée pour «nourrir ses frères et soeurs» à Gaza où 39% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté.

Sous un soleil de plomb, il remplit sa carriole pour la vendre «10 shekels», soit un peu plus de deux euros, à un recycleur qui s’en servira pour contourner le blocus israélien qui empêche quasiment l’entrée des matériaux de construction.

Il y a un an éclatait la plus longue, la plus meurtrière et la plus destructrice des trois guerres qui ont ravagé Gaza ces six dernières années. En 50 jours, 2.251 Palestiniens étaient tués, dont plus de 500 enfants, et 73 personnes côté israélien, la quasi-totalité des soldats.

– ‘Pas d’avenir’ –

Après ça, «la guerre, c’est devenu normal pour nous», lance Yahya, 20 ans. «On sait qu’on n’a pas d’avenir» dans un territoire exiguë et surpeuplé où neuf années de blocus ont virtuellement tué les exportations et créé des bataillons de diplômés chômeurs.

Cette guerre, assure Robert Turner, en charge des opérations de l’agence de l’ONU chargée des réfugiés palestiniens (UNRWA) à Gaza, a surtout mis à terre le moral des Gazaouis, leur laissant le sentiment que «la vie de leurs enfants ne sera pas meilleure que la leur et qu’ils n’auront jamais la chance d’avoir une vie normale».

De ce fait, selon un récent sondage, un Gazaoui sur deux veut émigrer, un record qui a mené à des tragédies: de nombreux Gazaouis ont péri en Méditerranée. Quant aux départs par les points de passage terrestres, ils se font au compte-gouttes côté israélien, et sur les milliers de Gazaouis qui se pressent à Rafah chaque fois que l’Egypte accepte d’ouvrir sa frontière, seuls quelques dizaines passent.

A la fin août 2014, quand les armes se sont tues, le Hamas islamiste, au pouvoir à Gaza, a proclamé sa «victoire». Israël, au même moment, assurait avoir rempli ses objectifs: détruire les tunnels et faire cesser les tirs de roquettes.

Un an plus tard, les Gazaouis continuent d’arborer un rictus amer à l’évocation de la «victoire» qui aura eu pour prix la disparition de familles entières. Plusieurs roquettes ont été tirées. Et les groupes armés islamistes se sont récemment payé le luxe de faire visiter leurs tunnels à la presse internationale.

Pour le politologue Moukhaïmer Abou Saada, il est «difficile de parler de gains» pour les belligérants. La seule avancée, «c’est qu’ils sont désormais conscients qu’il n’y a pas de solution militaire et qu’il va falloir s’asseoir et discuter».

– ‘Explosion’ –

De fait, Israël et le Hamas ont récemment indiqué «échanger des idées» sur une trêve à long terme. Une annonce qui n’a pas été du goût de Ramallah, qui a provoqué une crise gouvernementale et de nouveaux démêlés entre les frères ennemis palestiniens.

En 2007, le Hamas et le Fatah du président Mahmoud Abbas, se lançaient dans une guerre fratricide pour le pouvoir à Gaza. Réconciliés il y a un an mais de nouveau brouillés, c’est toujours le Hamas qui préside aux destinées du territoire.

Aujourd’hui, alors que grandissent colère, frustration et insurrection jihadiste dans le Sinaï frontalier, pour Ahmed Youssef, cadre du Hamas, «tous les ingrédients sont réunis pour l’explosion: la reconstruction n’est pas entamée et la guerre a montré qu’elle n’était pas la solution». Cette situation bénéficie aux radicaux, encouragés par des appels venus de Gazaouis partis faire le jihad en Syrie qui s’en prennent désormais directement au Hamas.

Avant la guerre, sur les 1,8 million de Gazaouis, «deux tiers dépendaient de l’aide alimentaire et plus de 40% étaient chômeurs. Un an plus tard, rien n’a changé», affirme M. Turner. Pire, «les dégâts de la guerre ont créé des besoins supplémentaires».

Les écoles de l’ONU viennent d’être fermées aux déplacés et l’UNRWA a «de quoi reconstruire 200 maisons, alors qu’il y en a 7.000 à reconstruire».

Pour Essam Younès, militant des droits de l’Homme, «on se sert des Gazaouis comme de cobayes: on mélange humiliation et enfermement et on attend de voir le résultat».

Source AFP 05/07/2015