Dans l’idée du président américain, les professeurs concernés porteraient leur arme de façon dissimulée et suivraient une formation spéciale préalable.
Et si les enseignants portaient des armes pour protéger les élèves en cas d’attaque semblable à celle qui a fait 17 morts la semaine dernière dans un lycée de Floride ? C’est ce qu’envisage le président américain Donald Trump. « Evidemment, cela s’appliquerait uniquement aux enseignants sachant manier une arme », a-t-il concédé, mercredi 21 février, en suggérant d’armer 20 % des effectifs des équipes pédagogiques.
Les professeurs concernés porteraient leur arme de façon dissimulée et suivraient une formation spéciale préalable, a précisé le président, sans annoncer de décision tranchée sur cette question éminemment controversée.
La NRA sifflée durant le débat
Cette idée extrêmement controversée a été vivement critiquée mercredi soir, lors d’un débat organisé près de Miami par CNN, dans une salle rassemblant des milliers de personnes. « Vais-je devoir être formée comme une policière en plus d’éduquer ces enfants ? », a interrogé Ashley Kurth, une enseignante du lycée de Parkland où 17 personnes ont perdu la vie. « Vais-je devoir porter un gilet en kevlar ? »
« Je ne pense pas que les enseignants doivent être armés. Je pense qu’ils doivent enseigner », a, de son côté, réagi le shérif Scott Israel, qui est intervenu sur le lieu du carnage perpétré il y a une semaine par un jeune homme de 19 ans qui avait acheté légalement son fusil semi-automatique.
Lors de ce débat, le sénateur républicain Marco Rubio a soulevé un vent de fronde dans le public en refusant d’envisager une interdiction des fusils d’assaut. Mais, signe d’une inflexion, il a dit revoir sa position sur les chargeurs à grande capacité de munitions. Dana Loesch, la porte-parole très médiatique de la NRA, a, elle, été copieusement sifflée, esquivant les questions pour se concentrer sur la santé mentale de M. Cruz. « Je ne crois pas que ce monstre dément aurait jamais dû se procurer une arme à feu », a-t-elle martelé.
Les parents sermonnent le président
Tour à tour, des étudiants de différentes écoles endeuillées par les armes et des parents de victimes, assis en cercle autour de lui dans un vaste salon de la Maison Blanche, ont raconté leur détresse. Mais aussi avancé des propositions très variées.
Le chef d’Etat leur a promis de prendre des mesures « fortes » sur les vérifications des antécédents judiciaires et psychiatriques des acheteurs d’armes, en recevant à la Maison Blanche des rescapés de la fusillade de Floride. « Nous allons y aller très fort sur les vérifications d’antécédents », a déclaré le président américain.
Le locataire de la Maison Blanche a aussi promis la « fermeté » sur l’âge légal pour acheter une arme à feu, après que de nombreuses personnes ont relevé que Nikolas Cruz, le tueur de Floride, avait pu acquérir à 19 ans un fusil semi-automatique, alors qu’il faut avoir au moins 21 ans pour acheter de l’alcool. La NRA a immédiatement fait savoir son opposition à tout relèvement de l’âge légal pour acheter une arme, en estimant que cela reviendrait à « faire payer à des citoyens respectueux de la loi les actes malfaisants de criminels ».
Donald Trump a également critiqué le concept d’écoles sanctuaires où aucune arme n’est tolérée, en estimant que de tels sites jouaient un rôle d’aimant pour les « maniaques », qu’il a assimilés à des « lâches » qui privilégieraient les cibles, où ils risquent de ne pas se faire tirer dessus en réponse.
Le « Plus jamais ça » des jeunes de Floride
« S’il vous plaît, M. Trump, il faut du bon sens », avait plaidé peu avant le père d’une victime, appelant à imposer sans tarder cette limite des 21 ans. Le long témoignage d’Andrew Pollack, dont la fille de 18 ans, Meadow, a été tuée au lycée Marjory Stoneman Douglas, a plongé la salle dans un silence total. « Combien d’écoles ? Combien d’enfants doivent-ils tomber sous les balles ? », a-t-il tonné, élevant la voix. « En tant que pays, nous avons échoué à protéger nos enfants. Cela ne devrait pas se produire. Je suis très en colère. »
Quelques heures plus tôt, des jeunes de Parkland avaient investi la petite capitale de la Floride, Tallahassee, pour tenter d’arracher un durcissement de la législation sur les armes aux élus de Floride au son de « Plus jamais ça », mot d’ordre répercuté sur les réseaux sociaux. « Que ces vies puissent être volées sans changement serait un acte de trahison à l’égard de notre grand pays », a déclaré Lorenzo Prado, un des nombreux orateurs à lancer des appels poignants au micro.
Les lycéens de Stoneman Douglas prévoient un grand rassemblement le 24 mars à Washington.
Chars Leclerc français vendus aux Émirats arabes unis et utilisés dans l’offensive terrestre au Yémen. leclerc.fr
Troisième plus gros vendeur d’armement au monde, la France est l’un des fournisseurs privilégiés de l’Arabie saoudite et de ses alliés. Selon des informations inédites de l’Observatoire des armements livrées à Orient XXI, le gouvernement français serait passé par un contrat destiné au Liban pour préparer la guerre au Yémen et accélérer ses livraisons d’armes au plus fort du conflit.
Depuis plus de deux ans, une guerre menée par les plus riches pays du Proche-Orient — voire du monde — contre le plus pauvre se poursuit, dans une large indifférence politique et médiatique. Le 26 mars 2015, l’Arabie saoudite suivie de dix pays lance une opération militaire aérienne au Yémen contre les houthistes. Les partisans d’Abdel Malek Al-Houthi avaient poussé à la démission le président de la transition Abd Rabbo Mansour Hadi en s’alliant avec leur ancien opposant, Ali Abdallah Saleh. Au début de l’offensive, les houthistes occupent militairement la capitale Sanaa et la principale ville du sud, Aden. Sollicités par Hadi, les Saoudiens et leurs soutiens prétendent vouloir le rétablir et contrer l’influence iranienne. Le Conseil de sécurité de l’ONUdonne son aval et la France, le Royaume-Uni et les États-Unis fournissent les armements1.
Les États-Unis et le Royaume-Uni sont régulièrement accusés de complicité de crimes de guerre en raison de leurs livraisons d’armes à l’Arabie saoudite, à la tête de cette coalition arabe regroupant dix armées. Mais la France échappe aux condamnations, bien qu’ayant une longue tradition de partenariat avec le royaume saoudien et plusieurs de ses alliés. À partir de la fin des années 2000, Paris veut se tourner davantage vers les pays du Golfe pour booster ses exportations d’armement. Les autorités ouvrent une base militaire à Abou Dhabi où se déroulent des démonstrations de matériel, et vont jusqu’à compromettre l’indépendance politique du pays pour vendre des armements. En 2016, environ 50 % des prises de commande enregistrées par la France concernaient les pays du Proche-Orient2. La monarchie saoudienne est son premier client : elle lui a acheté près de 9 milliards d’armes entre 2010 et 2016, ce qui représente environ 15 à 20 % des exportations d’armes françaises chaque année. Cet armement s’adapte facilement aux conditions du Yémen : il a été construit en fonction des besoins des pays du Proche-Orient, qui regroupe à la fois clients riches et pays en guerre ou en instabilité chronique. D’après des informations inédites de l’Observatoire des armements, la France et l’Arabie saoudite auraient détourné un contrat destiné au Liban pour préparer la guerre au Yémen.
UN MARCHÉ JUTEUX
Les bombardements de la coalition — dont des « bavures » qui s’apparentent à des crimes de guerre sur lesquels l’Arabie saoudite a réussi à empêcher l’ONU d’enquêter jusqu’à présent — auraient tué 10 000 civils d’après les données relayées depuis janvier 2017, le bilan exact est en fait inconnu. L’ONU et plusieurs ONG parlent d’épidémie de famine, de choléra, et de milliers de blessés et déplacés. Une « catastrophe entièrement causée par l’homme », rappelle le dernier rapport du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU. À cela s’ajoutent la destruction partielle de la vieille ville de Sanaa, patrimoine mondial de l’humanité, et l’expansion d’Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA) : « AQPA est plus puissant que jamais. Alors que l’organisation de l’État islamique (OEI) fait les gros titres […], Al-Qaida est le modèle de réussite ». Il a notamment « su exploiter une économie de guerre florissante », écrit April Longley Alley. L’Arabie saoudite a inondé le Yémen de fusils d’assaut Steyr AUG ; une partie d’entre eux a atterri entre les mains d’AQPA, dont se réclamait un des tueurs de Charlie Hebdo,ce qui pose la question du détournement des armes par des groupes terroristes.
Le Traité sur le commerce des armes (TCA) ratifié par la France le 2 avril 2014 interdit pourtant les exportations d’armes pouvant servir à des violations du droit international humanitaire. Or, non seulement la France n’a pas stoppé ses ventes d’armes aux belligérants en mars 2015 mais elle les a accentuées : Rafale au Qatar et à l’Égypte, porte-hélicoptères Mistral et frégate Fremm à l’Égypte, blindés légers Renault Sherpa light et hélicoptères Caracal à Koweït. Créancière de certains de ces pays, l’Arabie saoudite a la capacité de les entraîner dans une guerre, et l’armement vendu à ses alliés peut lui être prêté ou servir ses objectifs militaires.
« La France a octroyé pour un peu plus de 16 milliards d’euros de licences pour la seule Arabie saoudite en 2015 et livré à ce pays pour 900 millions d’euros d’équipements militaires la même année […]. À aucun moment, le gouvernement n’a indiqué ces deux dernières années qu’il avait refusé, révoqué ou suspendu des autorisations d’exportation », commente Amnesty International.
L’ARABIE SAOUDITE, UN CLIENT CHOYÉ
La facilité avec laquelle les sociétés d’armement françaises s’adaptent aux demandes saoudiennes est le reflet des liens étroits et anciens entre les deux pays. S’il est extrêmement difficile d’avoir des informations précises sur ce sujet très opaque, des sources indiquent que :
dès le déclenchement de la guerre au Yémen, l’armée française « a effectué des vols de reconnaissance au-dessus des positions houthies pour le compte du client saoudien et continue à former ses pilotes de chasse », selon MS&T Magazine ;
la France a également transféré des nacelles Thalès Damocles XF de désignation de cible et de guidage de bombes, que les forces saoudiennes placent sous leurs avions de chasse – ce qui n’empêche pas les « bavures » ;
trois mois après le début du conflit, un avion ravitailleur Airbus 330-200 MRTT a été livré à l’Arabie saoudite. C’est le dernier d’une flotte de six ; en avril 2017, deux de ces avions étaient déployés au Yémen. Indispensables à la guerre en cours, ils ravitaillent en vol les F-15 saoudiens en carburant ;
des canons Caesar 155 mm de l’entreprise française Nexter, des hélicoptères de transport Cougar du groupe européen EADS et des drones de renseignement militaire SDTI de l’entreprise française Sagem ont été transférés durant le conflit ;
en 2016, la France a livré 276 blindés légers indique son propre rapport rendu en juillet 2017 au secrétariat du TCA. Ce lot serait composé en grande partie de blindés légers Renault Sherpa light et Vab Mark 3 du groupe Renault Trucks Defense originellement destinés au Liban. Dès février 2016, face à l’échec des campagnes de bombardements, la coalition s’appuie sur des milices locales équipées de véhicules légers émiratis Nimr pour tenter de déloger les forces houthies3. L’arrivée des blindés légers français, qui se faufilent sans difficulté dans les rues étroites des villes arabes, s’inscrit pleinement dans cette stratégie de contre-insurrection déployée au sol. Et les Sherpa light sont équipés de capteurs de dernière génération offrant une protection contre les engins explosifs improvisés posés par les forces houthies ;
de plus, la coalition fait également usage de petits patrouilleurs, en soutien aux navires de guerre, pour assurer le blocus du pays. Si l’entreprise française Couach bloque à quai deux patrouilleurs rapides à destination du Yémen en raison de l’embargo, elle débute ses livraisons d’intercepteurs rapides à l’Arabie saoudite dès août 2016, publie Mer et Marine. Selon Ouest-France,39 nouveaux exemplaires de ce type de bateaux sont destinés à Riyad. En décembre 2016, le contrat était en cours de finalisation ;
pour assurer le blocus qui affame la population, la coalition utilise des Corvettes Baynunah livrées aux Émirats arabes unis, notent Nadav Pollak et Michael Knights dans « Gulf Coalition Operations in Yemen (Part 3) : Maritime and Aerial Blockade »4. Quand la flotte du royaume est entrée en maintenance en mars 2016, la marine française l’a remplacée pour assurer la continuité du blocus, expliquait alors La Lettre de l’Océan indien. L’artillerie et la marine des forces de la coalition sont par ailleurs munies de systèmes électroniques de navigation vendus par Safran, autre groupe d’armement français. Des instruments notamment essentiels à la logistique des tirs ;
enfin, 745 fusils de précision ont été livrés à Riyad en 2015 et 500 en 2016 selon les rapports au Parlement sur les exportations d’armes de 2016 et 2017.
DES ARMES POUR LE LIBAN QUI FILENT AU YÉMEN
Certains de ces armements étaient initialement destinés à l’armée libanaise. Conclu fin 2014 entre Paris et Riyad pour un montant de trois milliards d’euros, l’accord Donas (Don Arabie saoudite) prévoyait en effet la livraison aux Forces armées libanaises (FAL) d’équipements militaires français achetés par l’Arabie saoudite, la facture de 2,2 milliards d’euros était à la charge du royaume. Motif avancé pour ce transfert : la lutte contre l’organisation de l’État islamique (OEI) et la guerre en Syrie. La facture de 2,2 milliards d’euros était à la charge de l’Arabie saoudite. Ce contrat sur lequel travaillaient les industriels depuis 2011 a donné lieu à une première livraison en avril 2015 mais a été remis en cause peu après, sur fond de conflit avec l’entreprise française intermédiaire ODAS. Six mois après l’officialisation du contrat, l’Arabie saoudite déclenche l’offensive contre le Yémen. Des industriels de l’armement contactés par l’Observatoire des armements s’interrogent : le contrat Donas a-t-il été ficelé en prévision de cette guerre ? Pour que leur matériel s’adapte aux conditions définies par les pays destinataires, les sociétés d’armement doivent respecter les accords de l’OTAN. « Dès 2015, nous avons engagé les tests de matériel prévus pour Donas. Or à notre surprise, il fallait adapter le matériel aux conditions5 qui ne correspondent pas à celles du Liban. Dès lors, nous avons compris. Nous travaillions sur du matériel ayant vocation à servir au Yémen », confie un industriel sous couvert d’anonymat. D’après ce dernier, en avril 2017, « 80 % du parc destiné à Beyrouth aurait fait l’objet d’une commande ferme de l’Arabie saoudite à destination de ses propres forces et 95 % était déjà déployé sur le terrain, en test ou définitivement ». Selon la presse généraliste française, le contrat aurait été renommé Saudi-French Military Contract (SFMC) en 2015 et destiné à la seule Arabie saoudite, en revanche, selon la presse de renseignement, il existerait toujours. En semant le trouble sur le contrat Donas, la livraison ou non d’armements et leur utilisateur final, la France dilue ses responsabilités et détourne l’attention des problématiques liées à l’utilisation de ces armes.
La France a également équipé les autres belligérants, l’Égypte, le Qatar, les Émirats arabes unis et le Koweït. Parmi le matériel utilisé au Yémen, des chars Leclerc émiratis – des hauts gradés français se sont vantés sur LCI de la performance inédite du matériel français dans ce conflit — et des Mirage 2000 émiratis et qataris6, dont la France continue d’assurer la maintenance, la mise à niveau et l’approvisionnement en obus7. Ces avions de chasse sont destinés aux bombardements, les forces émiraties se déclarant insatisfaites de leurs capacités d’emport en munitions, note Air & Cosmos.
Par ailleurs, en vendant des armements tels que les Mirage, chars Leclerc ou Rafale, la France s’engage à assurer une maintenance qui peut durer de quinze à vingt-cinq ans. Elle est donc liée pendant cette période à la politique de l’Etat-client.
PENDANT LA GUERRE LES AFFAIRES CONTINUENT
Un an après le début de ce conflit voulu par le jeune prince de 31 ans Mohammed Ben Salman (fils du roi Salman) en quête de légitimité après avoir été nommé ministre de la défense, son échec était déjà visible. La ligne de front n’a guère évolué, des poches de résistance se sont créées, la coalition y répond par une stratégie de contre-insurrection en s’appuyant sur des milices locales équipées de véhicules émiratis Nimr, alors que l’économie et les citoyens saoudiens pâtissent eux aussi de cette guerre.
Au même moment, les rapports d’Amnesty International, et de Human Rights Watch dénoncent « les crimes de guerre » de la coalition. En février 2016, suite aux pressions du réseau européen contre le commerce des armes (Enaat) dont l’Observatoire des armements est membre et de l’ONG britannique Saferworld, le Parlement européen vote une résolution demandant un embargo de l’Union européenne sur les ventes d’armes à l’Arabie saoudite. Malgré des pressions du gouvernement de Manuel Valls, les députés socialistes se rallient au texte. Mais la France ne revoit pas sa politique et le 4 mars 2016, François Hollande décore même secrètement de la Légion d’honneur le prince héritier Mohammed Ben Nayef.
Le soutien militaire de la France aux opérations saoudiennes est donc militaire, logistique et politique, ce qui explique le silence de sa diplomatie. Sa responsabilité dans la complicité des crimes commis au Yémen n’est toujours pas posée. Les parlementaires français restent impassibles. Aucune commission d’enquête parlementaire n’est en place alors qu’ONG et associations appellent l’État français à stopper immédiatement toute transaction avec les belligérants du conflit et à effectuer un contrôle parlementaire des ventes d’armes.
Le 16 décembre 2015, soit neuf mois après le début de l’offensive, des industriels de l’armement y prenant part se félicitaient des ventes record lors d’un colloque à la Sorbonne sur « les industries de défense face aux enjeux internationaux ». Pascale Sourisse, directrice générale en charge du développement international du Groupe Thalès, dont le premier client était le ministère de la défense français, se réjouissait de la vigueur d’un marché « pas du tout en train de rétrécir » et d’« une année exceptionnelle ». Même satisfaction pendant le salon international de la défense et de la sécurité Eurosatory de 2016 organisé à Paris, durant lequel Emmanuel Macron a d’ailleurs visité le stand Thalès. Étienne de Durand, délégué pour la politique et la prospective de défense à la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère de la défense a commenté ironiquement à la Sorbonne : « Vendre des armes, ce n’est pas comme vendre des chaussures ». Surtout quand on sait qu’à l’occasion d’une rencontre avec une dizaine de journalistes français à l’ambassade de l’Arabie saoudite le 22 mars dernier à laquelle Orient XXI était convié, des généraux et représentants du royaume ont laissé entendre qu’ils n’avaient pas la moindre idée de l’issue de cette guerre ni de la stratégie à suivre pour sortir de cet enlisement. Contacté par Orient XXI, le ministère des affaires étrangères français n’a pas répondu aux questions.
Le parlement européen a adopté jeudi, à une large majorité, une résolution non contraignante, qui critique violemment la diplomatie économique de la France vis-à-vis de Riyad.
Une large majorité d’eurodéputés s’est prononcée une nouvelle fois, jeudi à Bruxelles, pour un embargo des ventes d’armes à l’Arabie saoudite. La résolution, qui porte à l’origine sur « la situation au Yémen », exhorte Federica Mogherini, à la tête de la diplomatie européenne, à tout faire pour mettre en place cet embargo, « compte tenu de la gravité des accusations qui pèsent sur ce pays au regard de la violation du droit humanitaire au Yémen » (paragraphe 15).
Le ministre des affaires étrangères saoudien, Adel al-Jubeir, a fait savoir, ce vendredi, qu’il annulait sa visite au parlement européen, prévue le 5 décembre. Selon les Nations unies, plus de 8 000 personnes, dont 60 % de civils, ont été tuées dans la guerre civile qui continue de ravager le Yémen. Plus de 50 000 autres, dont un grand nombre d’enfants, ont été blessées. L’Arabie saoudite, entrée dans le conflit en mars 2015, mène les bombardements de la coalition, qui touchent, entre autres, des marchés et des habitations.
« Seize États membres […] continuent de vendre des armes à l’Arabie saoudite. Ils sont complices de ce massacre », dénonce l’eurodéputée espagnole Angela Vallina (IU, gauche unie, communiste). Le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne sont les trois pays, au sein de l’UE, qui vendent le plus d’armes à Riyad. L’Arabie saoudite est, de très loin, le premier client de la France pour les armes, devant l’Inde et le Brésil. La Suède est le seul État membre qui ait mis fin, officiellement, aux ventes à l’Arabie saoudite.
« Il est scandaleux que ce conflit ignoré soit alimenté par les armes provenant de l’Union, en particulier de la Grande-Bretagne et de la France », renchérit l’eurodéputé écolo Yannick Jadot, qui souhaiterait élargir cet embargo aux Émirats arabes unis. « La participation indirecte mais réelle de la France à cette guerre abominable […] est contraire aux engagements de notre pays dans le Traité sur le commerce des armes », juge-t-il. « Alors que Trump a signé un accord sur les armes chiffré à un milliard de dollars, le parlement européen, lui, propose des mesures concrètes pour mettre fin au désastre humanitaire au Yémen », insiste, de son côté, la Néerlandaise Marietje Schaake (D66, formation libérale).
La résolution, qui « condamne les frappes aériennes aveugles menées par la coalition », a été adoptée à une très large majorité (539 pour, 13 contre, 81 abstentions). Cette position n’est pas une surprise. En février 2016, l’hémicycle s’était déjà prononcé en faveur de cet embargo. Mais la majorité, entretemps, s’est encore élargie (on en était à 449 voix l’an dernier).
Du côté des Français, la plupart, y compris la droite du PPE (dont les LR français), ont voté pour le texte. Des députés du FN, mais aussi de l’UDI-Modem, à l’instar de Jean-Marie Cavada ou Jean Arthuis, se sont abstenus. « Cette résolution a tendance à tout mélanger, en exagérant le rôle de l’Iran dans le conflit en cours : c’est bien plus complexe », juge l’eurodéputée centriste Patricia Lalonde, référente de la délégation UDI-Modem sur ces questions.
Le paragraphe sur l’embargo a fait l’objet d’un vote séparé, plus disputé (lire le détail page 50 de ce document) : ils sont 368 élus, dont une majorité de sociaux-démocrates, écologistes et membres de la gauche critique, à l’avoir défendu. Côté français, la délégation UDI-Modem s’y est, cette fois, montrée favorable, tout comme le PS, EELV ou encore le Front de gauche. Mais les conservateurs LR, eux, se sont divisés.
Les principales figures de la délégation française du PPE, dont Michèle Alliot-Marie, Alain Lamassoure, ou Arnaud Danjean, se sont opposées à l’embargo (ce qui ne les a pas empêchées de voter pour la résolution finale, tout de même). Joint par Mediapart, Arnaud Danjean n’avait pas, vendredi midi, répondu à nos sollicitations. « L’armement sollicité par Riyad, ce sont des armements défensifs, qui sont utilisés par rapport à ce que eux perçoivent, depuis l’Arabie saoudite, comme une menace grandissante, l’Iran », avait avancé le député à Mediapart, en 2016, pour justifier son opposition à un embargo.
Sur le fond, cette résolution – peu médiatisée, et sans effet juridique – ne devrait pas gêner outre-mesure le chef d’État français Emmanuel Macron, qui continue, dans la droite ligne de François Hollande, à faire de l’Arabie saoudite l’un des principaux piliers de sa diplomatie économique. Alors qu’il n’était encore que candidat, il avait pourtant répondu, en début d’année, à un questionnaire de l’ONG Human Rights Watch, dans lequel il avait précisé : « Nous ne voulons pas vendre des armes qui serviraient ensuite à massacrer des civils. Cela n’est pas supportable. Si nous travaillons avec les monarchies du Golfe, nous conditionnerons nos contrats au respect des droits de l’homme. » En déplacement à Abidjan mercredi, Emmanuel Macron a par ailleurs assuré que l’Arabie saoudite s’était engagée, auprès de la France, à cesser tout financement de mouvements et de fondations extrémistes listés par Paris.
Les «mass shootings» sont surtout le symptôme de sociétés hypermodernes et hyperindividualisées. Puisque le collectif semble incapable de rendre le présent et surtout l’avenir plus juste que le passé et de rassurer les peurs individuelles, de nouvelles radicalités occupent l’espace laissé vacant.
Dallas, jeudi 7 juillet 2016, un homme seul muni d’un fusil d’assaut tire sur plusieurs policiers, en tue 5 et en blesse 7 ainsi que 2 civils. Le motif invoqué : il voulait se venger des «blancs et plus particulièrement des policiers blancs». Il s’agit du 8emass shooting aux Etats-Unis en 2016.
Aujourd’hui, les mass shootings ou tueries de masse sont devenus malheureusement une problématique connue du grand public. Par mass shooting, les universitaires entendent le plus souvent le fait qu’une personne puisse tuer au moins trois personnes en un laps de temps assez court (moins de vingt-quatre heures).
Ce phénomène n’est certes pas inédit puisque des tueries de masse ont été identifiées aux Etats-Unis et en Europe dès le XIXe siècle, mais l’originalité de la situation actuelle provient de l’accélération et l’extension du nombre de telles tueries dans tout l’Occident. Il y a trente ans, le nombre de mass shootings se limitait à un par an et le phénomène était particulièrement concentré sur le territoire américain. Depuis le début des années 2000, le nombre de mass shootings a été multiplié par 10 par rapport aux années 80, et même si le phénomène se concentre encore aux Etats-Unis, de nombreux cas se sont produits en dehors du sol américain : Canada, France, Suisse, Norvège…
De nos travaux récents, il ressort clairement que la circulation d’armes sur un territoire donné accroît la probabilité de réalisation d’un mass shooting mais ne constitue pas un facteur suffisant pour expliquer l’extension de ce phénomène. De même, le chômage, l’intervention militaire extérieure ou encore les inégalités peuvent avoir une incidence, mais cette incidence reste limitée et toute corrélation directe reste difficile à établir.
Selon nous – et c’est la thèse que nous défendons depuis plusieurs années –, l’accroissement du nombre de mass shootings résulte plus structurellement de l’avènement d’une société hypermoderne en Occident. Reprenons la définition du sociologue François Ascher qui considère que nos sociétés sont entrées dans une nouvelle phase de la modernité, une phase qui allie un processus d’approfondissement de l’individualisation et un renforcement de chaque individu à faire société, c’est-à-dire à vouloir participer à la communauté globale notamment du fait de la multiplication des sources d’informations à la disposition de chacun.
Dans la société hypermoderne, l’individu cherche à avoir une maîtrise sur les événements, à combattre de manière réflexive ce qui lui paraît injuste, et à choisir ce qui peut lui paraître éthique. C’est un contexte où la personnalité du tueur de masse peut se développer. De manière radicale, il considère avec sa rationalité propre (rares sont les tueurs de masse diagnostiqués fous), régler des problèmes sociétaux et se faire justice, se venger de catégories d’individus qui semblent se liguer contre lui ou contre une communauté dont il se sent proche. En ce sens, le cas de Micah Johnson, le tueur de Dallas, est symptomatique de notre époque. Noir américain, réserviste de l’armée de terre déployé en Afghanistan, vivant dans la banlieue de Dallas, il a certainement vécu le meurtre d’un jeune noir par la police le 5 juillet à Bâton-Rouge (Louisiane) comme le meurtre de trop, un meurtre qui vient s’ajouter à la longue liste des hommes noirs tués par des policiers blancs lors d’une arrestation.
Les radicalités actuelles sont certainement le résultat de l’incapacité du collectif à rendre le présent et surtout l’avenir plus juste que le passé et à rassurer et calmer les anxiétés et les peurs individuelles. En fermant la porte à toute échappée utopique par rapport au présent, la conscience de l’absence d’un ailleurs pousse certains individus à prendre leur avenir en main ici et maintenant. Poussés par des bouffées narcissiques incontrôlées, des hommes, surtout des hommes, prennent alors les armes et deviennent des bombes humaines.
Sans cette capacité à fédérer autour de nouveaux projets sociétaux, certains chercheront individuellement ou collectivement à se venger de notre société actuelle. Ces actes aussi atroces qu’odieux continueront à perdurer tant que nous n’arriverons pas collectivement à redonner sens à notre avenir.
A woman crosses a street in front of campaign posters of Mauritania’s outgoing president and candidate to his succession Mohamed Ould Abdel Aziz in Nouakchott on June 19, 2014, on the last day of campaining ahead of the June 21 presidential poll. The Islamic Republic of Mauritania is led by Mohamed Ould Abdel Aziz, an ex-general who led a 2008 coup and won election a year later, who is tipped to win the upcoming elections, amid a boycott by leading opposition groups. AFP Photo Seyllou
De riches arabes saoudiens semblent avoir été tentés de « faire leurs courses » de chair fraîche et de « bois d’ébène » en Mauritanie, pays complaisant face à la traite humaine.
En ce début de 21e siècle, en cette fin de juillet 2015, Aminetou Mint el Moktar, la célèbre présidente de l’Association de femmes chefs de famille de Mauritanie, l’AFCF, révèle un scandale la traite des femmes. « 200 jeunes filles, récemment parties de Mauritanie, sont déjà sur place, en Arabie saoudite. Elles sont séquestrées dans des cours de maisons, victimes de toutes les formes de maltraitances physiques, psychologiques et sexuelles », affirme la présidente de l’AFCF jointe par « L’Obs » en Mauritanie.
Dénonçant « une forme aberrante d’esclavage contemporain et une traite sexuelle », Madame el Moktar a porté cette affaire de trafic massif de femmes entre la Mauritanie et l’Arabie saoudite devant la police et le Parquet de Nouakchott, la capitale mauritanienne. La police judiciaire a ouvert une enquête après le dépôt d’une plainte d’une des mères des jeunes filles.
Complicité des autorités mauritaniennes
Trois cent autres esclaves mauritaniennes seraient prêtes à partir, selon Aminetou Mint el Moktar, qui est en contact avec les familles et a réussi à s’entretenir au téléphone avec une des victimes en Arabie saoudite. Menacée de mort par les imams radicaux et esclavagistes dans son pays, Aminetou el Moktar a reçu, en 2006, le prix des droits de l’Homme de la République française. Et, en 2010, elle a été distinguée par la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, pour son combat contre l’esclavage moderne. Comme beaucoup de militants abolitionniste en Mauritanie, dirigée par la communauté arabo-berbère qui emploie des esclaves, elle a connu la prison.
Car la complicité dans le trafic qu’elle dénonce de certaines administrations mauritaniennes, qui ont fourni un grand nombre de passeports, semble avérée. Les autorités saoudiennes, qui ont octroyé beaucoup de visas, pourtant normalement difficiles à obtenir, semblent elles aussi responsables. « J’estime que le départ d’un tel nombre de personne, appartenant à la même communauté, ne peut passer inaperçu des autorités des deux pays », écrit Madame el Moktar dans un mail à « L’Obs ». L’organisatrice du trafic a été entendue par la police mais laissée en liberté.
Des « maîtres » jamais condamnés
Officiellement, ce sont des femmes mauritaniennes ordinaires qui viennent d’être envoyées en Arabie saoudite pour y accomplir un travail « normal », de « domestique ». Mais, en fait, ce sont des « harratines », de la caste des esclaves ou descendants d’esclaves de Mauritanie (près de 40% de la population). Elles auraient simplement été « exportées ». La Mauritanie est le dernier État au monde à avoir aboli l’esclavage en 1981. Ce n’est qu’en 2007 que, sous la pression internationale, cette République islamique a criminalisé cette pratique largement répandue. Mais, à ce jour, malgré quelque rares et très brefs séjours en prison, aucun maître n’a encore été condamné définitivement. Il y aurait toujours de 150.000 à 300.000 esclaves dans ce pays peuplé de quelque 3,5 millions d’habitants. Soit le plus fort taux d’esclaves au monde.
Les riches arabes saoudiens semblent avoir été tentés de « faire leurs courses » de chair fraîche et de « bois d’ébène » dans ce pays complaisant face à la traite humaine. Beaucoup de jeunes filles de Madagascar, un des pays les plus pauvres au monde avec la Mauritanie, partent aussi en Arabie saoudite pour devenir « domestiques ». Où elles sont, en fait, réduites en esclavage. Une fois arrivées, elles découvrent le travail vingt heures par jour, les maltraitances, la faim. « L’Arabie saoudite est réputé pour l’esclavage. Accusés de crimes ou de péchés, des jeunes femmes des Philippines, d’Inde ou Pakistan sont parfois liquidées après avoir été séquestrées et violées et renvoyés chez elle dans un cercueil », assure Madame el Moktar.
Un « secret de polichinelle »
Ce n’est pas la première fois que l’on en parle de traite de femmes entre la Mauritanie et l’Arabie saoudite. « C’était un secret de polichinelle mais c’est la première fois que des cas avérés seraient nommément dénoncés », souligne Mamadou Lamine Kane, un expert mauritanien qui travaille pour des ONG occidentales à Nouakchott. Une Commission mixte entre la Mauritanie et l’Arabie Saoudite a été établie en 2011, notamment pour gérer les conflits sur les « domestiques ».
« Avec la mise en place de cette commission pour freiner la traite, la situation s’était améliorée », souligne Aminetou Mint el Moktar. Selon la présidente de l’AFCF, les victimes choisies sont des proies faciles. « Le danger guette nos filles issues des milieux défavorisés de Nouakchott et l’intérieur pauvre du pays », dit cette femme qui se bat depuis plus de 30 ans contre toute forme d’exploitation. Certaines jeunes filles destinées au trafic sexuel sont victimes du mirage d’un travail à l’étranger, d’une bonne éducation à la Mecque. D’autres sont vendues par leurs familles en détresse.
La République islamique de Mauritanie, dirigée par un régime très autoritaire, est soutenue par l’Occident et notamment par la France, pour sa lutte contre le terrorisme islamique dans la zone Sahara-Sahel. Quant à l’Arabie Saoudite, qui finance l’islam radical, sa monarchie est aussi soutenue par l’Occident et par la France, dont elle est le premier acheteur d’armes.