« Du réfugié de guerre vers l’immigrant économique »

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Tribune de Samir Daher, conseiller du Premier ministre libanais pour les Affaires économiques publiée dans le quotidien libanais L’Orient le Jour 31/10/2013

Depuis l’avènement du conflit syrien, le gouvernement libanais œuvre sans relâche pour faire face aux conséquences économiques et sociales, et autres retombées du conflit sur le Liban, dont un flux de réfugiés d’une ampleur sans précédent. Le Liban, déjà pays le plus densément peuplé de la région, porte le poids principal de la présence de réfugiés. En effet, il est devenu le plus grand pays d’accueil à la fois en nombre absolu, et en comparaison avec la taille de son territoire et sa faible population. Dans cette crise, le peuple et le gouvernement libanais, aux prix de grands efforts, font preuve d’une compassion et solidarité manifestes envers la détresse et le désespoir des réfugiés. Toutefois, les ressortissants syriens représentent déjà plus du quart de la population résidente du Liban et cette proportion ne cesse d’augmenter. Devant ce fait, il devient impératif qu’une politique rationnelle émanant d’un consensus national solide soit adoptée pour mettre en place des solutions réalistes et appropriées. Cet afflux peut donner lieu à des divisions susceptibles, à terme, d’affaiblir la cohésion nationale au sein de la société libanaise, et d’élargir le fossé de discorde et d’inimitié qui se creuse entre réfugiés et communautés d’accueil.

Outre la question des réfugiés, la guerre en Syrie a des retombées directes et indirectes sur l’économie libanaise. Cela s’est notamment traduit par le déclin de l’investissement, la perte d’emploi, la perturbation des routes commerciales et l’émergence d’un environnement peu propice au tourisme ainsi que la baisse des recettes du Trésor. Au Liban, ces effets négatifs sont substantiels vu la dépendance profonde de l’économie sur le secteur des services qui représente 75 % du produit économique, et est fortement vulnérable aux risques politiques et à l’insécurité.

Dans ce cadre, le Premier ministre a demandé à la Banque mondiale et aux Nations unies d’aider les autorités libanaises à mesurer l’impact multidimensionnel et le coût économique de cette situation, afin de mieux cibler et d’améliorer l’efficience de l’appui de la communauté internationale au Liban sur ce dossier, et l’amener à supporter la charge de cette crise majeure dont le Liban n’est en rien responsable.

Pour ce faire, la Banque mondiale a examiné les effets à court et long terme de cette crise sur le développement économique et social, en mettant l’accent sur : l’incidence du conflit sur le produit intérieur brut ; la capacité amoindrie de l’État à satisfaire la demande sans cesse croissante des réfugiés dans les domaines de l’éducation et la santé, et les secteurs divers de l’infrastructure ; et les conséquences de la crise sur les finances publiques. L’étude n’aborde pas l’aide humanitaire selon l’hypothèse que cette dernière sera toujours fournie par les agences humanitaires spécialisées. Les questions de sécurité et leurs retombées financières étaient au-delà des termes de référence de l’évaluation de la Banque mondiale.

Les principales conclusions de cette évaluation en termes de coûts économiques et budgétaires sur la période 2012-2014 appellent à la prudence et la circonspection, d’autant qu’elles ne reflètent que les conditions actuelles d’une crise encore en voie d’évolution, sans aucune visibilité quant à sa durée de stabilisation. Les effets du conflit se font sentir à plus d’un niveau. Tout d’abord sur l’économie nationale, par un manque à gagner de 7,5 milliards de dollars en PIB. Ensuite, sur le Trésor public, par un coût de 5,1 milliards de dollars, dont 1,1 milliard de dollars en dépenses budgétaires courantes pour les services fournis aux réfugiés, tels que les soins médicaux dans les hôpitaux publics, l’éducation dans les écoles publiques, et les subventions pour l’électricité et autres services et produits de consommation ; 2,5 milliards de dollars en investissements supplémentaires nécessaires pour maintenir l’accès aux services à leur niveau d’avant la crise en 2011, par exemple le nombre d’heures d’approvisionnement en électricité par jour pour 4 millions de résidents libanais et 1,2 million de ressortissants syriens ; et 1,5 milliard de dollars en diminution de recettes publiques résultant de l’affaiblissement de l’économie.

Les coûts sociaux sont tout aussi dévastateurs, car l’afflux massif de réfugiés augmente sensiblement l’offre de la main-d’œuvre, exerçant par là une pression à la baisse sur les niveaux des salaires. Pour les citoyens libanais, les conséquences sociales en sont désastreuses et se traduisent par la hausse des taux de chômage à près du double de leurs niveaux actuels, en particulier parmi les travailleurs non qualifiés dans les régions les plus pauvres (Nord et Békaa) qui, par le hasard de la géographie, abritent le plus grand nombre de réfugiés ; et l’ajout de 170 000 personnes au million de Libanais qui vivent en deçà du seuil de la pauvreté.

L’amplitude des coûts dérivés de l’analyse devrait soulever auprès des responsables comme des donateurs de graves préoccupations quant à la viabilité des politiques qui régissent actuellement les programmes d’assistance aux réfugiés, et ce à la lumière de coûts poussés à la hausse par les flux de réfugiés sans cesse grandissants. Ces conclusions soulignent la nécessité impérative pour le gouvernement de réévaluer ces politiques, notamment la nature et le contenu du programme de services offerts par secteur, ainsi que la gouvernance et le cadre organisationnel dans lequel l’aide est fournie. En outre, le gouvernement doit continuer d’explorer de nouveaux mécanismes et outils financiers susceptibles d’accroître et d’optimiser les flux de financements extérieurs reçus par les institutions libanaises, et qui jusqu’ici se sont avérés négligeables.

En conclusion, pour assurer de façon réaliste la viabilité du programme d’assistance aux réfugiés, les modifications à apporter à l’ensemble des services offerts doivent être basées sur le principe d’airain que les réfugiés se trouvent au Liban en des circonstances exceptionnelles et à titre temporaire dans l’attente de leur retour en Syrie, leur patrie.
Le devoir moral des autorités libanaises au cours de cette période par définition limitée est d’offrir, dans les domaines essentiels, un niveau abordable de services de base conforme aux normes appliquées de par le monde aux réfugiés de guerre dans des situations critiques comparables. Ne bénéficieraient de ces prestations que ceux qui seraient admis au Liban à titre de réfugié de guerre dûment qualifié selon des critères établis et vérifiés par les autorités libanaises. Les services publics et sociaux que les citoyens libanais sont habilités à recevoir ne peuvent plus constituer, en termes d’accès et de qualité, la référence qui définit l’aide apportée aux réfugiés. L’inexorable loi du nombre rend d’ailleurs cette approche aujourd’hui inabordable.

Si elle devait être poursuivie, une politique qui en termes de services offrirait le même niveau de prestations au réfugié qu’au citoyen, serait de fait une politique non déclarée visant à promouvoir, indépendamment de toute considération de sécurité, une immigration économiquement motivée de la Syrie vers le Liban voisin, facilement accessible et accueillant, où le niveau de vie mesuré par le revenu par habitant est de 3 à 4 fois plus élevé qu’en Syrie, et où les ressortissants syriens qui le souhaitent peuvent, par simple enregistrement, accéder à des services publics gratuits ou largement subventionnés. Pour illustrer comment le paquet de services offert jusqu’ici aux réfugiés peut être une incitation effective à l’immigration économique, il suffit de noter qu’en moyenne les coûts au Liban de l’éducation par élève syrien (2 300 dollars), ajoutés aux coûts des soins de santé par réfugié (400 dollars), actuellement dépasseraient à eux seuls le revenu total moyen par habitant de Syrie.

Voir aussi : Rubrique Moyen-Orient, Liban, Syrie, rubrique Géopolitique, rubrique Politique de l’immigration, rubrique Rencontre, Amin Maalouf

Dans le Gard la société civile s’engage contre la discrimination

Agir devant l'impuissance publique face à la montée du FN

Pour un vrai débat public et citoyen

Réfléchir sur les pannes qui se sont produites dans le processus d’intégration ou analyser la montée de l’extrême droite à l’échelle locale ne consiste pas à réduire ces problématiques qui se déploient à l’échelle nationale et européenne. Ce peut être au contraire une facon d’ouvrir le débat au plus près du quotidien. Les thèmes de l’exclusion et des discriminations émergent toujours difficilement dans le débat public hexagonal. « Localement, la moitié de la population est raciste, certains maires refusent d’aborder la question pour ne pas fâcher les gens », confie M. Mazauric.

A l’aune de ce témoignage, on mesure la nécessité de voir émerger des mouvements organisés et massifs. Avec le soutien de partis en manque de symbole, le monde associatif s’est depuis longtemps engagé dans ce combat mais de Fadela Amara à Harlem Désir, les premiers concernés ont plus pensé à servir leurs ambitions qu’à s’investir dans une action collective. La marche pour l’égalité de 1983 et « Convergence 84 » avaient ébauché une avancée qui fut minée par la récupération politique et les déceptions consécutives.

Par l’effet d’une méfiance compréhensible, les intéressés on finit par s’isoler dans des revendications communautaires. Il est plus que temps de dépasser le lourd contentieux colonial pour s’inscrire dans la réalité de la diversité. L’effet de loupe porté sur la situation du Gard permet de voir que le racisme s’exerce aussi en direction de l’étranger qui vient s’installer dans la région quelles que soit ses origines. « La peur du FN reste un des principaux ressorts du vote utile », souligne l’historien Alexis Corbière, une raison citoyenne de plus d’évaluer et d’agir en connaissance de cause…

JMDH

Société. Le Gard est le seul département à avoir placé le FN (25,51%) en tête au premier tour de la présidentielle en 2012. La société civile s’engage pour un retour à la fraternité soutenu par le CG 30.

Marion Mazauric créatrice des Editions Au diable Vauvert

Marion Mazauric créatrice des Editions Au diable Vauvert

Premier festival du livre contre la discrimination

La semaine nationale contre le racisme et les discriminations prend du sens ce week-end à Vauvert avec la première édition du Festival in/différences initiée par les éditions Au Diable Vauvert et la librairie La Fontaine aux livres. « Nous inaugurons le premier salon du livre en France contre la discrimination, indique Marion Mazauric fondatrice des éditions du Diable. Nous le reconduirons chaque année à l’occasion de la semaine contre le racisme en mettant à l’honneur une pratique, une culture ou une population ostracisée. Le thème de cette année c’est le racisme, ce pourrait être les homosexuels ou la tauromachie...» Au cœur de la 2e circonscription du Gard représentée à l’Assemblée par Gilbert Collard, cette initiative s’accompagne de la parution d’un petit livre* qui fait le point sur les raisons locales de la montée du FN. L’ouvrage réunit historiens, sociologues, géographes ou spécialistes de l’extrême droite pour se pencher sur le cas du Gard.

L’historien Raymond Huard rappelle que les mouvements d’extrême droite prospèrent toujours sur un terreau particulier. Des débordements xénophobes d’Aigues-Mortes à l’encontre des ouvriers italiens à la fin du XIXe aux différents succès électoraux du FN dans le Gard à partir des Européennes de 1984 en passant par le mouvement poujadiste qui perce dans les années 50 auprès des rapatriés d’Algérie, le FN a trouvé les moyens de s’ancrer dans le département. Il a en outre bénéficié de l’attitude de deux présidents de région successifs. Jacques Blanc s’alliera directement avec le FN tandis que Frêche s’en est accommodé par calcul politicien.

La géographe Catherine Bernié- Boissard fait le lien entre le rapport des habitants à la ville et leur comportement électoral. Rattachant la récente progression du FN à un ensemble de facteurs : crise économique, délitement des services publics, ruptures des liens sociaux, crise culturelle. Ici comme ailleurs, la ruralité a reculé au profit du péri-urbain. « On ne gère plus le collectif, confirme Marion Mazauric qui vit sur place. On construit des villes entières sans place pour se rencontrer. Le défi du développement démographique suppose un effort mutuel. Les gens qui arrivent doivent respecter la culture et les autres doivent pendre conscience qu’ici les sangs se sont mêlés depuis les Wisigoths ». Au-delà du festival, plus de 75 associations sont mobilisées pour remettre l’intelligence au service de l’humain. Ils ont trouvé une réponse institutionnelle avec le Préfet du Gard Hugues Bousiges qui lance la semaine de la fraternité du 21 au 28 mars. Un réveil ?

Jean-Marie Dinh

Vote FN : pourquoi ? Ed Au Diable Vauvert 128 p 5 euros.

Source : La Marseillaise 16/03/2013

Voir aussi : Rubrique Livre, Essais, Le massacre des Italiens rubrique Edition, rubrique Festival, rubrique Histoire, rubrique Société, citoyenneté, rubrique Politique, Politique de l’immigration, rubrique Débat,

“Les Roms ont dû intégrer la mobilité, pour s’adapter au rejet”

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Les débats médiatiques et les faits le prouvent : on assiste à une montée des discriminations et de la xénophobie contre les Roms. Le sociologue Jean-Pierre Liégeois décrypte les politiques de la France et de l’Europe à leur égard.

Jean-Pierre Liégeois, sociologue, a fondé en 1979 et dirigé jusqu’en 2003 le Centre de recherches tsiganes de l’Université de Paris Descartes (Paris-V). Depuis 1982, il travaille en étroite collaboration avec le Conseil de l’Europe et la Commission européenne. Il est membre élu du Conseil scientifique du Réseau universitaire européen d’études romani (Conseil de l’Europe et Union européenne) formé actuellement de près de trois cent cinquante chercheurs de trente-sept Etats.

Parmi ses derniers ouvrages : Roms et Tsiganes, dans la Collection Repères (Editions La Découverte, 2009), Roms en Europe, Editions du Conseil de l’Europe, 2007, Le Conseil de l’Europe et les Roms : 40 ans d’action, Editions du Conseil de l’Europe, 2010.

Les Roms sont à nouveau sur le devant de la scène politico-médiatique. Et pourtant on en sait toujours aussi peu sur eux, leur histoire, leurs communautés … Pourquoi ?
Dès que les discours abordent la question des Roms, on est en pleine confusion. Le résultat est qu’on dit tout et son contraire. Dans ces conditions, les propositions faites par les politiques ont peu de chances d’être adaptées, car elle portent sur des présupposés loin de la réalité. A l’analyse de ces discours, on en apprend plus sur ceux qui les prononcent que sur ceux qui en sont l’objet.

Les Roms ne sont pas inconnus, mais méconnus, et l’image qu’on s’en fait passe par des représentations sociales, préjugés et stéréotypes, très difficiles à modifier. Dès l’arrivée de familles dans l’Europe du XIVe et XVe siècles, commencent à se construire des images fondées sur des a priori, sur le fait qu’on ignore l’origine de ces familles, donc on l’invente. On est dans l’imaginaire, et au fil des siècles s’est constitué un réservoir de représentations dans lequel il suffit de puiser pour aller chercher les éléments dont on a besoin, pour justifier une attitude de rejet, un comportement discriminatoire, y compris au niveau politique le plus élevé : il suffit d’analyser les discours politiques pour voir clairement qu’ils s’alimentent à une image souvent fausse, négative ou folklorique, qui vient justifier les décisions qui sont prises. Les Roms ne sont donc pas définis tels qu’ils sont, mais tels qu’ils doivent être pour justifier des orientations politiques.

Alors, qui sont-ils ?
Les Roms, soit douze millions de personnes en Europe, viennent de l’Inde. Ils ont vécu 1 000 ans d’histoire, ils ont une culture, une langue dérivée du sanskrit, et leur présence en France est ancienne. Les Roms qui viennent aujourd’hui de Roumanie ou de Bulgarie ne sont donc pas les premiers. Si l’on évoque des moments intenses de déplacements, on peut citer celui d’avant la Révolution russe de 1917, ou encore dans les années 1970 les familles venant de l’ex-Yougoslavie. Par ailleurs l’usage en France du terme « Gens du voyage » renforce la confusion. C’est un néologisme administratif récent qui ne recouvre aucune réalité sociale ou culturelle. On voit donc que poser comme quasi synonyme Roms = « familles nomades venant de Roumanie depuis l’entrée de la Roumanie dans l’UE » est totalement faux.

Ils n’ont rien à voir avec le nomadisme?
Les familles sont souvent mobiles par obligation, pour s’adapter à des conditions d’existence changeantes, parfois menaçantes. Au cours de l’histoire, on assiste à des déportations, par exemple du Portugal vers l’Afrique et le Brésil, de l’Angleterre vers les colonies d’Amérique et vers l’Australie. Ou, quand des conflits se produisent, les Roms, souvent pris comme boucs émissaires ou bloqués entre les belligérants, doivent partir. Un des exemples récents est le Kosovo à la fin des années 90, d’où la presque totalité des Roms sont partis pour survivre et se sont réfugiés dans d’autres Etats. Ceux-ci veulent maintenant les y renvoyer sans mesurer les risques que les Roms courent.

Les Roms ont ainsi dû intégrer la mobilité dans leur existence, pour s’adapter à un rejet qui reste dominant. La montée actuelle des discriminations et de la xénophobie, dont les Roms, tous les rapports internationaux le montrent, sont les premières cibles en Europe, ne va pas entraîner une stabilisation sereine des familles ; elles seront souvent contraintes à aller voir ailleurs si leur sort peut être meilleur.

Les politiques des Etats européens vis à vis des Roms vont toutes dans le même sens, celui de l’exclusion ? 
On peut proposer une typologie de ces politiques :
• des politiques d’exclusion, par le bannissement hors du territoire d’un Royaume, ou d’un Etat. Il s’agit le plus souvent d’une disparition géographique, par le rejet hors du territoire. Il peut aussi s’agir d’une disparition physique que la plupart des familles roms d’Europe ont eu à subir douloureusement sous le régime nazi.

• des politiques de réclusion : la disparition, souhaitée géographiquement par un bannissement, devient souhaitée socialement par l’enfermement et l’éclatement du groupe et des familles, et s’accompagne d’une utilisation de la force de travail que peut représenter la communauté rom. C’est l’envoi aux galères, l’envoi dans les colonies à peupler, la déportation, l’esclavage, etc.

• des politiques d’inclusion : par l’assimilation du Rom par son environnement. La disparition est alors culturelle, et le Rom n’est considéré que comme un marginal posant des problèmes sociaux. Il n’est plus interdit mais contrôlé, il n’est plus rejeté mais assimilé.

Ces trois catégories peuvent être considérées dans une chronologie, mais elles peuvent aussi coexister car la volonté d’assimiler n’a jamais réduit le désir d’exclure, d’où le hiatus qu’on observe entre le discours politique central et l’action des collectivités locales. Mais aujourd’hui, on entre dans une chronologie à rebours : il est davantage question, dans les discours politiques, d’exclusion plutôt que d’assimilation.

Chaque Etat cherche donc à renvoyer les Roms dans l’Etat voisin ?
Comme au temps de la royauté ! La négation des Roms est une des politiques d’Europe les mieux partagées. Là aussi, on peut distinguer trois tendances :

•  une réactivation de l’exclusion au niveau national, exacerbée avec la proximité d’élections. Le « Rom » en tant que bouc-émissaire est facile d’accès, il a peu de force politique pour se défendre, et dans ces conditions chacun peut impunément et de façon irrationnelle râcler les fonds de tiroirs des stéréotypes pour y trouver ce qui lui convient. D’ailleurs, le renvoi sous des formes diverses, comme les reconduites à la frontière, est inutile et plus coûteux qu’une politique d’accueil. On sait que les personnes ainsi traitées peuvent légalement revenir, et qu’une reconduite à la frontière coûte 21 000 euros minimum aux finances publiques (un rapport officiel du Sénat qui a fourni ces données en 2008).

• une pression des institutions internationales, qui vise à la reconnaissance des Roms, à leur protection, et à leur mobilité dans l’espace européen. Des stratégies nationales ont été adoptées sous la pression de l’Union européenne, mais le fossé est grand entre les projets et leur réalisation, et le suivi de l’UE reste mou à l’égard des Etats.

• une période d’indécision : on s’est aperçu que les politiques d’exclusion, réclusion ou assimilation, n’ont pas abouti au cours des siècles, et on s’interroge, ce qui ouvre la voie à de nouvelles réponses. Peut-être y a-t-il là une raison d’espérer un changement…

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Et la France, comment se situe-t-elle?
Elle entre de façon radicale dans la réactivation de l’exclusion. Les indicateurs sont nombreux : interpellations en France de la Halde puis du Défenseur des Droits, de la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme, interpellations européennes de la Commission européenne, notification à la France, par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, de sa violation de la Charte sociale européenne à l’égard des Roms et des « Gens du voyage », etc.

On peut aussi mentionner le fait qu’un texte fondamental comme la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales n’a pas été signé par la France : il s’agit d’un texte du Conseil de l’Europe, et sur les quarante-sept Etats membres seuls quatre n’ont pas signé : France, Turquie, Andorre et Monaco.

Et, pourtant vous insistez souvent sur le fait que les Roms sont au cœur de l’intégration européenne ?
Je propose même un renversement de perspective ! Deux faits majeurs marquent l’Europe : la mobilité des populations, et l’émergence de la question des minorités depuis 1990. Or les Roms illustrent les deux. Tous les Etats sont aujourd’hui obligés de gérer des situations complexes de multiculturalité, et les questions concernant les Roms sont exemplaires et peuvent servir de modèle.

Leur situation illustre ce que l’Europe a de plus négatif, en termes de discrimination, de rejet, de racisme, d’impuissance à accepter et à gérer la diversité. Mais par leur présence dans tous les Etats et leurs liens transnationaux, ils sont les pionniers d’une Europe future. Ils sont des passeurs de frontières, et dans une Europe qui se voudrait sans barrières, certains Etats veulent aujourd’hui restreindre la circulation des citoyens roms.

Ce discours peut-il être entendu, aujourd’hui ?
L’Union européenne a porté son attention sur la situation des Roms à partir de 1984, et son activité s’est intensifiée lors de la candidature d’Etats d’Europe centrale, essentiellement avec la mise en place de grands programmes d’aide financière qu’il faudrait aujourd’hui évaluer et coordonner, car on a l’impression qu’on navigue à vue, sans vision à moyen et long termes, et seulement en réaction à des événements auxquels il faut faire face à un moment donné.

Propos recueillis par Weronika Zarachowicz

Source Télérama 08/10/2013
Voir aussi : Rubrique Société, rubrique UE, rubrique Politique, Politique de l’Immigration,

Mémoire guatémaltèque et train de l’angoisse

Les trains traversent le Mexique chargés de proies faciles. Photo : Aude Chevalier-Beaumel.

Les trains traversent le Mexique chargés de proies faciles. Photo : Aude Chevalier-Beaumel.

Le collectif Alba Amérique Latine propose ce soir salle Rabelais, la Nuit du film documentaire dans le cadre des Journées latino-américaine.

A travers ses actions humanitaires le collectif Alba Amérique Latine met en place des actions de solidarité avec le continent Sud américain. Il oeuvre aussi pour éclairer les Montpelliérains sur la situation sociale, économique et culturelle. Les journées latino-américaines qui se tiennent actuellement proposent un cycle de cinéma d’auteurs qui aborde sans complaisance, les conflits, ruptures et nouvelles voies qui s’ouvrent en Amérique latine.

A ne pas manquer ce soir, Salle Rabelais, le film de Grégory Lasalle Trafiquants de vérités dans le cadre de la Nuit films-documentaire en partenariat avec le cinéma Diagonal. Le film revient sur le coup d’état de 1954 au Guatemala financé par la CIA. En mettant la commission de la vérité, mise en place en 1998 dans un souci de réconciliation nationale, au centre de son sujet, le réalisateur français aborde ce triste épisode à travers ses conséquences (200 000 morts et plus de 50 000 disparus) et la difficulté de reconnaître la réalité historique.

Quand le train passe


En ouverture de la soirée, on pourra découvrir Protégeme (Protège-moi), un film franco-mexicain tourné en 2012, par Aude Chevalier-Beaumel. La réalisatrice a posé sa caméra sur le toit des trains mexicains sur lesquels 800 personnes en provenance d’Amérique centrale tentent quotidiennement de rejoindre les Etats-Unis. «?Sur ce bout de parcours vers l’Eldorado étasunnien, les jeunes candidats courent beaucoup de risques, explique la réalisatrice, ils sont raquettés par la police, ou victimes de violence, de viols ou d’enlèvements perpétués par la criminalité organisée.?» Les trains chargés de plusieurs centaines de clandestins roulent lentement ce qui en fait des proies faciles pour les prédateurs en tous genres.

«?J’ai choisi de m’intéresser à ceux qui viennent en aide à ces malheureux. Sur ce parcours qui traverse le Mexique, existent des auberges humanitaires souvent tenues par des religieux qui offrent un court répit aux clandestins. Ces prêtres dont les actions ne sont pas toujours soutenues par leur hiérarchie, recensent leurs hôtes, ce qui permet de conserver des traces en cas de disparition. L’aide vient aussi de la population civile. Je me suis rendue dans un village où un groupe de femmes prépare depuis dix ans des repas, qu’elles emballent dans des sacs en plastique afin de les jeter aux passagers lorsque le train passe.

Jusqu’ici, les mesures prisent par Barak Obama en faveur des Latinos dont 87% se sont prononcés en faveur de son second mandat en novembre dernier, ne concernent pas ces passagers de l’oubli.

Jean-Marie Dinh

Source : L’Hérault du Jour23 mai 2013

Voir aussi : Rubrique Cinéma, Rubrique Mexique, Le grand échec du mur entre les USA et le Mexique,

Festival Arabesques : Il était une fois les chibanis

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Arabesques est un festival soutenu par le Conseil Général de l’Hérault, ouvert sur la Méditerranée, la diversité culturelle et la découverte des arts arabes. Chaque année la manifestation ouvre au Domaine d’O à Montpellier, la saison estivale du vaste espace dédié à la culture. Expositions, manifestations, débats, concerts, pièces de théâtre nourrissent ce rendez-vous autour d’une thématique. Pour sa huitième édition, le festival rend selon la volonté de son président Habid Dechraoui, un hommage aux Chibanis.

Histoire et mémoire

En Algérien, le terme signifie ancien, de manière étendue. Il fait référence à la population de travailleurs immigrés issus de l’Afrique du Nord. La présence des Chibanis en France métropolitaine est liée à la colonisation, et aux efforts de guerre des troupes musulmanes qui jouèrent un rôle décisif dans l’armée française en Afrique du Nord et dans la libération de la France. Cette présence atteint une importance inégalée avec l’immigration économique durant les trente glorieuses où les migrations de main d’oeuvre se transforment en implantation définitive. C’est dire si cet hommage qui éclaire les douloureux efforts consentis dans la solitude, tombe bien pour relire une période opportunément ignorée de notre histoire. A l’heure où la crise qui traverse le pays engendre un retour inquiétant de l’ignorance et de l’intolérance, revenir sur le parcours des Chibanis offre des clés de compréhension bien utiles.

Une démarche pédagogique

L’association Uni’Sons, qui porte le festival, rallie depuis ses premiers pas le jeune public à son travail. Des interventions artistiques sont conduites en partenariat avec les deux collèges du quartier de La Paillade. «Nous travaillons sur l’ouverture culturelle et sur l’identité en étroite collaboration avec les équipes pédagogiques», explique Abdou Bayou, le CPE du collège des Escholiers de la Mosson. Cette année une classe de 3e a travaillé sur l’histoire de l’immigration avec le concours des profs d’histoire, de français et d’espagnol. Après s’être documentés aux archives départementales en élargissant la recherche à d’autre pays comme l’Espagne, les élèves se sont rendus à plusieurs reprises dans les foyers Adoma de la ville pour échanger avec les Chibanis. «Beaucoup d’élèves qui habitent le quartier ignoraient l’existence de ces foyers. Concernant, les témoignages, nous avions convenu avec la directrice de laisser la porte ouverte. Certains sont restés un quart d’heure, d’autres du début à la fin de la rencontre. La traduction a favorisé l’échange. L’une des personnes à qui l’on demandait pourquoi elle peinait à user du français a eu cette réponse : Mon patron m’a toujours demandé de travailler, jamais de parler…»

Vertus de l’échange

Les élèves se sont passionnés pour ce travail d’enquête réalisé en dehors des heures de cours. « Cela les a amenés à s’interroger sur eux-même, et sur les autres, analyse Abdou Bayou, les ados se fabriquent des schémas de référence et oublient qu’ils en existent d’autres. Cette expérience les amène à comprendre que l’on doit cohabiter pour vivre ensemble. Je pense que c’était aussi positif pour les Chibanis qui n’avaient jamais eu l’occasion de transmettre, c’est valorisant d’être écoutés. Certains ont livré un regard critique sur le système, mais aucun n’a dit du mal de la France

Suite à ces rencontres les élèves ont écrit des récits de vie qui ont servi de matière à l’intervention artistique du metteur en scène Ali Merghache. «A partir des textes, nous avons travaillé sur le jeu d’acteur et construit une mise en scène». Celle-ci se compose de trois parties : le rapport à la guerre, quand les Chibanis portaient l’uniforme français, la vie quotidienne en France dans un foyer, et ce qui est resté là-bas, leur pays, leur femmes… « C’est un projet très intéressant qui est loin d’être anodin. D’un côté comme de l’autre, il y a une forte intensité. Pour beaucoup d’élève c’est un moyen d’interroger leurs racines. Les anciens qui ont vécu des vies très dures paraissent moins révoltés que nous. Ils étaient très touchés que l’on vienne à leur rencontre

Jean-Marie Dinh

Dans l’inconfort des habitudes

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Arabesques. Nasser Djemaï porte sur les planches l’histoire de l’immigration à travers la figure des chibanis. Rencontre…

Martin, la trentaine, hérite d’un petit coffret avec un nom et une adresse qui vont être le point de départ d’une quête identitaire le conduisant à la rencontre des Chibanis. Invisible mis en scène par Nasser Djemaï a dépassé le cap des cent représentations. La pièce est programmée aujourd’hui et demain au festival Arabesques.

Comment vous êtes-vous lancé dans cette aventure ?

Cette histoire est un peu celle de mon père arrivé en France en 1968. J’étais donc sensibilisé à ce sujet, jamais traité au théâtre. C’est un sujet casse-gueule, le danger aurait été de vouloir tout raconter. J’ai tenté d’ouvrir une petite lucarne pour mettre en lumière la vie de ses hommes qui sont arrivés pour travailler en se coupant de tout. Certains ont vécu la guerre contre leur propre pays. Leur désir de réussite s’est étiolé avec le temps. Ils se sont usés pour finir pauvres et oubliés. Il y a une dimension proche des Danaïdes dans cette histoire digne des tragédies grecques.

Avez-vous approché la réalité vécue sur le terrain ?

Oui, comme l’indique le titre, c’est une génération invisible. J’ai effectué un travail d’immersion à Grenoble, où j’ai passé un bout de  temps dans les cafés sociaux. Au foyer Adoma j’ai pu approfondir  en rencontrant des personnes qui connaissent bien le vécu de ses hommes toujours très discrets.

Quelle place réservez-vous aux femmes ?

Les femmes sont traitées de manière virtuelle. Elles hantent l’espace comme des fantômes. Elles apparaissent immenses, projetées en fond de scène sur quatre mètres de haut. Leur absence nourrit les fantasmes…

Comment peut-on s’expliquer le fait que ces hommes soient restés seuls après la loi sur le regroupement familial ?

Cela est lié à plusieurs facteurs. Il y a d’abord l’illusion du provisoire. Les Chibanis ont toujours nourri l’espoir d’un retour au pays. Ils ne comptaient pas s’installer en France. Les années passant, ils ont compris que leurs salaires ne leur permettraient pas de revenir chez eux. Ils ne vivaient pas de grand chose, mais avec l’argent qu’ils envoyaient à leur famille il fallait toujours travailler plus. Les années défilent et les enfants grandissent sans vous. On finit par s’habituer à votre absence. Et puis il y a le mythe du tonton d’Amérique que l’on entretient lorsqu’on se rend au pays les bras chargés de cadeaux pour tous. Au final le décalage s’enracine et vous renoncez à accueillir vos proches pour les faire vivre dans des conditions qu’ils n’imaginent même pas.

Quelle a été la nature de votre travail avec les comédiens ?

Il y a six comédiens. Pour Martin, je voulais un jeune homme naïf avec une maîtrise de la langue française pour favoriser l’identification des spectateurs. Pour les Chibanis cela a été plus difficile de trouver des comédiens d’origine arabe de plus de soixante ans. Leur savoir faire s’est perdu parce que le théâtre ne leur donne pas de travail. Ils sont employés à la télé ou au cinéma. Il a fallu se remettre sur les rails, remuscler par la pratique. C’est un peu comme un piano que l’on accorde. Aujourd’hui ils usent de toutes leurs cordes pour passer de l’histoire intime à l’histoire universelle des hommes. Ce sont des personnages totem.

Recueilli par JMDH

 

Repères historiques

Les manoeuvres de la république

Durant les trente glorieuses, pour sa reconstruction puis sa croissance économique, la France a d’importants besoins de main-d’oeuvre. Elle fait appel à de jeunes hommes pauvres et isolés venus d’Afrique et du bassin méditerranéen. Peu formés, peu exigeants, et peu payés, ils sont souvent employés avec des contrats de travail à durée limitée comme manoeuvre dans les travaux publics et les entreprises du bâtiment mais aussi comme ouvriers spécialisés (OS) du travail à la chaîne, en particulier dans l’industrie automobile.

La différence de niveau de vie, de développement économique et de potentiel démographique entre le Nord et le Sud, entre la métropole et ses colonies, puis avec les pays du champ de coopération nourrit ce mouvement de population.

Les travailleurs vendent leur force de travail, dépensent le moins possible sur place, afin d’envoyer à leur famille la plus grande partie de ce qu’ils peuvent économiser et songent surtout à rentrer au pays dans l’espoir d’y mener fortune faite, ou au moins épargne cumulée, une vie plus heureuse et plus aisée sur le plan matériel. Leur conditions de vie sont souvent précaires.

On bâtit à la hâte des foyers de travailleurs immigrés sur fonds publics, comme ceux de la Sonacotra (société nationale de construction pour travailleurs immigrés) devenus les foyers Adona. Mais beaucoup sont exploités par les marchands de sommeil dans des conditions d’insalubrité et d’insécurité extrême. Cette réalité s’inscrit toujours aujourd’hui dans le paysage de Montpellier.

Voir :  Histoire de l’Islam et des Musulman en France. Editions Albin Michel