Pour Snowden, le mot « terrorisme » paralyse les journalistes

Edward Snowden en téléconférence en mars 2014

Edward Snowden en téléconférence en mars 2014

Des journalistes nécessaires mais souvent pas assez méfiants envers les pouvoirs publics, une concurrence qui amène les médias à ne pas traiter une info : comment Edward Snowden voit la presse et ses acteurs.

Un lanceur d’alerte a par nature des relations avec la presse et des journalistes – le procès Luxleaks sur l’évasion fiscale au Luxembourg l’illustre encore ces jours-ci.

Comment le premier voit-il les seconds, le rôle de la presse et de ceux qui la font ?

C’est ce qu’a demandé à Edward Snowden la journaliste Emily Bell, en décembre 2015, pour un livre à paraître cette année, «  Journalism After Snowden  : The Future of the Free Press in the Surveillance State  ».

La Columbia Journalism Review vient d’en publier une partie, dont voici des points forts.

 

Concurrence toxique entre médias

Edward Snowden constate que quand le Guardian a révélé l’affaire de la NSA, la concurrence a eu un effet négatif  : lorsqu’il y a un bénéfice pour un média concurrent, même si ce serait également à l’avantage du public, «  les institutions [médias, ndlr] deviennent moins désireuses de servir le public à leur détriment  ».

«  Il y a des choses que nous avons besoin de savoir, des choses importantes pour nous, mais nous ne sommes pas autorisés à les connaître, parce que le Telegraph ou le Times ou n’importe quel autre journal à Londres décide que, parce que c’est l’exclusivité de quelqu’un d’autre, on ne va pas le rapporter.

A la place, nous ferons de la “ contre-narration ”. Nous irons tout simplement demander au gouvernement un commentaire et nous le publierons sans nous poser de question, parce que c’est notre contenu exclusif.  »

 

 

Réseaux sociaux : toucher le public

Des outils comme Twitter permettent de toucher directement un public, note l’ancien sous-traitant de la NSA, dont le compte ouvert en septembre 2015 a maintenant 2,05 millions d’abonnés.

My first long form essay, On Resistance : https://t.co/lMdMFVyjuI pic.twitter.com/o4iTzKxicC

— Edward Snowden (@Snowden) 3 mai 2016

Le rôle de filtre des médias peut ainsi être parfois contourné, mais pas toujours à bon escient – Snowden cite Donald Trump comme «  acteur malveillant  » qui tourne à son avantage cet accès direct au public.

Mais la presse garde son utilité, estime Snowden, y compris dans son emploi et ses vérifications via Twitter. Si le directeur du FBI fait un commentaire inexact, «  je peux faire du fact-checking et dire que c’est faux. Mais à moins qu’une entité avec une plus grande audience, par exemple une institution de presse établie, le voit elle-même, la valeur de ces remarques reste minimale ».

 

 

Le terrorisme, mot magique

Depuis le 11 Septembre, déplore Snowden, la presse répugne à montrer le moindre scepticisme envers les affirmations gouvernementales, en particulier dès qu’on parle de terrorisme.

«  Si le mot “ terrorisme ” apparaît, les choses ne seront pas mises en question.  »

Et la presse avale trop souvent sans sourciller ce qu’on lui dit, ou est d’une prudence excessive.

Edward Snowden cite un article du New York Times sur les écoutes sans contrôle judiciaire lancées par George Bush, publié seulement fin 2005 alors qu’il était prêt dès octobre 2014, avant la réélection de Bush. Cette élection s’était jouée avec une faible marge, souligne Snowden, et si l’article était sorti avant, cela aurait peut-être changé son résultat.

 

 

Rien de neuf  ?

Il y a eu une réaction blasée du journalisme tech et de la presse sur la sécurité nationale, se souvient le lanceur d’alerte, lors de ses révélations de 2013 sur l’énorme collecte de données réalisée par les services américains. La réaction a souvent été « ça n’a rien de nouveau  ». Pour Snowden, c’était une forme d’orgueil de ces journalistes, une façon de dire «  nous sommes des experts, on savait que ça se produisait ».

«  Dans beaucoup de cas, ils ne le savaient en fait pas. Ils savaient que les capacités de le faire existaient, ce qui est différent.  »

En 2006, des articles sont sortis sur la collecte massive de données sur Internet et de métadonnées. Pourquoi n’ont-ils pas eu le même impact que les révélations de Snowden trois ans plus tard  ? «  Parce qu’il y a une différence fondamentale quant à l’impact d’une information entre connaître une possibilité, savoir qu’elle pourrait être utilisée, et le fait qu’elle l’est. En 2013, ce qui s’est passé c’est que nous avons déplacé le débat public d’allégations à des faits.  »

 

 

Capter l’attention

Il y a de plus en plus de publications qui se battent pour capter l’attention limitée du public. «  C’est pourquoi nous avons une hausse de publications hybrides, comme un BuzzFeed, qui produit juste un énorme tas de déchets  », avec des contenus «  fabriqués spécifiquement pour obtenir plus d’attention, même s’ils n’ont aucune valeur pour le public.  »

Snowden concède que ces publications commencent à produire aussi des actualités et de l’information journalistique à côté des listes de « dix photos de chatons adorables  ».

«  Ce n’est pas une critique d’un modèle particulier, mais l’idée ici est que le premier clic, le premier lien, occupe l’attention. Plus nous lisons sur quelque chose, plus cela remodèle réellement notre cerveau. Tout ce avec quoi nous interagissons a un impact sur nous, une influence, cela laisse des souvenirs, des idées, des sortes d’expressions mémétiques que nous emportons, et qui forment ce que nous attendons du futur.  »

 

 

Indépendance et méfiance

Interrogé sur tout le travail qu’il a mené (que l’on voit en partie dans le documentaire «  Citizen Four  » de Laura Poitras) avec des journalistes, Snowden salue d’abord, chez Glenn Greenwald, son indépendance et sa méfiance envers les allégations.

«  Plus une institution est puissante, plus on doit être sceptique. Un journaliste, I.F. Stone, l’a dit autrefois  : “ Tous les gouvernements sont dirigés par des menteurs et on ne devrait rien croire de ce qu’ils disent. ”  »

Snowden mentionne ensuite la prudence envers ses sources  : des détails ont ainsi été publiés dans la presse sur ses méthodes de communication, qui jusqu’alors étaient secrètes. «  Mais les journalistes ne m’ont même pas prévenu, et d’un coup j’ai dû changer toutes mes méthodes à la volée. Ce qui s’est bien passé parce que j’avais la capacité de le faire, mais c’était dangereux.  »

Thierry Noisette

Source Rue 89  11/05/2016

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Procès LuxLeaks

13178715_649795715168353_3591967811484239743_nDepuis le mardi 26 avril, les Français Antoine Deltour (30 ans), Raphaël Halet (39 ans) et Édouard Perrin (44 ans) à l’origine des révélations sur l’affaire LuxLeaks comparaissent devant la 12e chambre correctionnelle du tribunal de Luxembourg.

 

Au procès LuxLeaks, le procureur refuse de faire des exceptions pour les lanceurs d’alerte

 

Depuis le début du procès LuxLeaks, il incarne l’intransigeance de l’Etat luxembourgeois. Mardi 10 mai, tout en convenant de multiples circonstances atténuantes, le procureur d’Etat adjoint David Lentz n’a pas changé sa position sur le fond. Oui Antoine Deltour et Raphaël Halet, les deux « soi-disant lanceurs d’alertes », comme il les a qualifiés, sont bien des voleurs qui ont « dérobé » des documents à leur employeur, le cabinet PwC, avant de les remettre à un journaliste de Cash Investigation (France 2), Edouard Perrin. De son côté, celui-ci, a « fait fi des règles déontologiques et morales » du journalisme, en cherchant à se les procurer.

Concernant MM. Deltour et Halet, le procureur a retenu l’ensemble des motifs d’inculpation (« vol », « violation du secret des affaires » et du « secret professionnel », « accès frauduleux à un système informatique » et « blanchiment »). Il a requis contre eux une amende et dix-huit mois de prison, en ne « s’opposant pas » à ce que la peine soit assortie de sursis. Pour M. Perrin, il a requis une simple « amende », convenant qu’il avait poursuivi un motif d’information légitime, mais en usant de moyens, selon lui, constitutifs d’une complicité de « violation du secret des affaires et du secret professionnel ».

« Pas question d’ouvrir les portes aux délateurs de tout poil »

Les trois hommes étaient jugés depuis le 26 avril au tribunal d’arrondissement de Luxembourg et leurs avocats avaient auparavant tous plaidé la relaxe au nom de la protection des lanceurs d’alerte et du droit à l’information, reconnus par la cour européenne des droits de l’homme. Revenant longuement sur les faits, M. Lentz a expliqué pourquoi ils méritaient au contraire une condamnation. « S’il y a infraction, il ne peut y avoir qu’une seule chose, c’est la condamnation », a expliqué M. Lentz.

Or, en « copiant » la veille de sa démission des rescrits fiscaux, ces accords secrets d’interprétation de la législation conclus entre le fisc et les filiales des multinationales, l’ancien auditeur Antoine Deltour aurait bien commis un vol. D’autant que ces documents étaient « foncièrement légaux ». « Antoine Deltrour le dit lui-même ». Les transmettre à un journaliste est dès lors constitutif d’une violation du secret des affaires.

Peu importe que la révélation en 2012 et en 2014 par Cash Investigation et le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) de ces documents ait déclenché un vaste scandale. Peu importe que M. Deltour ait été décoré par le Parlement européen et que les Etats-membres de l’Union européenne se soient ensuite entendus pour s’échanger automatiquement les rescrits fiscaux. Pour le procureur, « le principe du lanceur d’alerte » ne peut tout simplement « pas s’appliquer lors de la commission d’une infraction ». « Pas question d’ouvrir les portes aux délateurs de tout poil », a-t-il fustigé, brandissant le risque de « chantage » qui pourrait sinon reposer sur toutes les entreprises.

Complicité de violation du secret des affaires

Il s’est montré encore plus sévère pour Raphaël Halet, qui était responsable de l’équipe de scanning des documents chez PwC et a agi séparément de M. Deltour, après avoir vu le premier Cash Investigation. « Un lanceur d’alerte, Halet ? Allons donc, qui va y croire ? », a tancé le procureur, en pointant le changement de version de l’accusé entre l’instruction et le procès. Au début, « Halet dit clairement que le but premier pour lui était de découvrir la taupe de la première fuite », avant de finalement affirmer devant le tribunal qu’il avait lui aussi agi par civisme. M. Halet a expliqué ce retournement par la peur qu’il aurait eue après avoir été identifié. Il avait alors signé un accord amiable avec PwC. En échange de sa totale coopération et de son silence, le texte prévoit de ne lui demander qu’un euro de dommages et intérêts au procès, alors que PwC estime le préjudice à dix millions.

Mais la partie la plus attendue du réquisitoire de M. Lentz était celle consacrée au journaliste Edouard Perrin, qu’il avait précédemment accusé d’être le « commanditaire » du « vol » de document commis par M. Halet. C’est pourtant lui qui avait pris contact avec le journaliste après la diffusion de l’émission en proposant de fournir de nouveaux documents. Les deux hommes s’étaient ensuite rencontrés à Metz en 2012 avant que M. Halet transmette seize déclarations fiscales, dont celle d’Amazon et d’une filiale d’Arcelor Mittal. L’accusation de complicité de violation du secret des affaires, concernant un journaliste, était fragile. D’autant que M. Halet a assuré devant le tribunal que M. Perrin n’avait fait « que son travail ».

Centmilledollarsausoleil@gmail.com

Mais le procureur n’a pas voulu transiger : « Halet n’a pas assez d’intelligence » pour organiser la fuite, « ses connaissances sont basiques ». S’appuyant sur le fait que la boîte mail centmilledollarsausoleil@gmail.com servant pour échanger en brouillon les documents était une idée du journaliste, le procureur a estimé qu’il était intervenu « non pas comme journaliste, mais comme coauteur et complice ». Pour M. Lentz, cela constitue un franchissement des limites autorisées par la déontologie de la profession. « Tous les moyens ne sont pas bons pour arriver aux résultats. La liberté d’expression journalistique ne prévaut pas sur la violation du secret professionnel ». Et pas question de s’abriter derrière le droit à l’information. « Il y a des limites » reconnues « par la Convention européenne des droits de l’homme », qu’il convient d’appliquer « pour éviter de sombrer dans l’anarchie », a-t-il sermonné.

Après avoir été si sévère sur la constitution des infractions, M. Lentz a ensuite reconnu qu’il existait de nombreuses circonstances atténuantes qui justifiaient de ne pas aller jusqu’à la peine théorique maximale – dix ans pour MM. Halet et Deltour. Les trois accusés ont notamment un casier judiciaire vierge et il est établi qu’ils ont agi de manière totalement désintéressée. L’impact politique considérable de leurs actes ne peut non plus être totalement ignoré, le secret autour de ces rescrits fiscaux étant désormais illégal. Surtout, le procureur d’Etat adjoint en convient, « certaines pratiques fiscales étaient effectivement douteuses ». Une phrase inédite dans la bouche d’un officiel luxembourgeois, et qui montre que le procès a au moins permis de faire bouger les lignes dans le pays. Une ultime audience est prévue mercredi 11 mai pour les répliques de la défense, le jugement devant ensuite être rendu courant juin

Jean-Baptiste Chastand

Source Le Monde 10/05/2016

 

 

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Procès LuxLeaks : retour sur les quatre premières journées d’audience

Comme l’ex-auditeur Antoine Deltour, l’ex collaborateur de PwC Raphaël Halet est accusé de vol domestique, de divulgation de secrets d’affaires, de violation de secret professionnel et de blanchiment des documents volés chez PwC.

Le journaliste Édouard Perrin, quant à lui, doit répondre comme coauteur des infractions de divulgation de secrets d’affaires et de violation du secret professionnel et, comme auteur, de l’infraction de blanchiment détention des seuls documents soustraits par Raphaël Halet.

Le procès LuxLeaks entame mardi matin sa deuxième semaine. Où en sont les débats ? Le Quotidien fait le point des quatre premières journées d’audience.

Première journée (26 avril 2016) : faille informatique

C’est dans une salle comble que le procès LuxLeaks s’ouvre sous l’œil d’une quarantaine de médias nationaux comme internationaux. Audience lors de laquelle les trois prévenus prennent une première fois position par rapport aux infractions qui leur sont reprochées. «Je reconnais la matérialité des faits», affirme ainsi Antoine Deltour. Raphaël Halet dit pour sa part : «Je conteste la qualification de certains faits.» Enfin, le journaliste Édouard Perrin déclare : «Je conteste.»

Dans la foulée, Anita Bouvy, l’auditrice de PwC, présente son rapport d’enquête interne révélant une faille informatique. À la demande de Me William Bourdon, l’avocat français d’Antoine Deltour, elle confirme : «Oui, les documents étaient faciles d’accès.» Ce qui a permis au lanceur d’alerte d’accéder le 13 octobre 2010 à 2 669 documents et de les copier en 29 minutes. Raphaël Halet, quant à lui, avait libre accès aux documents dérobés en tant que membre, depuis 2011, de la cellule «tax process support» chargée notamment du scanning de centaines de documents de PwC. C’est ainsi qu’en 2012 il soustrait 16 fichiers contenant des déclarations fiscales d’entreprises clientes.

Deuxième journée (27 avril 2016) : «Anticapitaliste»

L’effervescence de la veille est retombée. L’affluence est beaucoup moins importante, y compris du côté des médias étrangers. Le commissaire de la police judiciaire Roger Hayard révèle la chronologie de l’enquête et le rôle qu’ont joué les trois prévenus. Il qualifie Antoine Deltour d’«anticapitaliste» en relevant notamment le fait qu’il est abonné à des newsletters de mouvements verts et suit l’actualité du journal Mediapart. Le journaliste, Édouard Perrin, quant à lui, aurait «tout orchestré» après avoir été contacté par Raphaël Halet. L’enquêteur retient, en outre, qu’il n’a «vraiment pas été communicatif» lors de sa comparution devant le juge d’instruction. La défense finit par douter de la manière dont l’enquête a été menée : n’a-t-elle pas été davantage conduite par PwC que par la police judiciaire ?

En fin d’audience, la défense apprend que son témoin tant attendu Marius Kohl – l’ancien préposé du fameux bureau 6 de l’imposition des sociétés – ne témoignera pas. II a remis un certificat médical pour la durée du procès.

Troisième journée (28 avril 2016) : «Changements de pratiques»

L’audience est suspendue au bout d’une heure. Car seuls trois témoins de la défense sont disponibles ce jour-là. Parmi eux, l’eurodéputé allemand Sven Giegold (les Verts), également membre de la commission spéciale TAXE du Parlement européen chargée, à la suite du scandale LuxLeaks, d’enquêter sur la pratique des rescrits fiscaux. À la demande de la défense, le témoin détaille l’impact de la publication des documents confidentiels. «Sans lanceur d’alerte, on n’aurait pas eu de changement de pratiques», résume-il. En fin d’audience, la défense annonce avoir cité le supérieur hiérarchique de Marius Kohl. Le directeur de l’administration des Contributions directes, Guy Heintz, est convoqué pour le lendemain par le biais d’un huissier de justice.

Quatrième journée (29 avril 2016) : PwC travaille pour le fisc

Les 35 minutes d’audition du témoin Guy Heintz ne font pas lumière sur le fonctionnement et les procédures suivies concernant la vérification et la validation des rulings. Le témoin s’appuie sur trois textes légaux : le « code pénal», le «statut des fonctionnaires » et le « secret fiscal ». La majorité des questions posées par la défense restent sans réponse. Tout ce qu’on apprend, c’est qu’une cinquantaine de personnes étaient affectées en 2010 au bureau 6.

10 h 15 : Tous les témoins ayant été entendus, l’audition des trois prévenus peut commencer. Raphaël Halet est le premier à être entendu à la barre. L’ancien responsable de la numérisation des documents de PwC au Luxembourg explique avoir été « choqué» après avoir visualisé l’émission Cash investigation, réalisée par Édouard Perrin, en mai 2012. «J’ai compris davantage le contenu des documents qu’on voyait passer [chez PwC].» En divulguant au journaliste 16 déclarations fiscales de sociétés clientes, il dit avoir « fait (so)n devoir de citoyen ». Mais la suite de ses propos diffère de la version qu’il a donnée devant le juge d’instruction en janvier 2015. À la barre, Raphaël Halet disculpe le journaliste Édouard Perrin. Il soutient que ce dernier ne lui a pas demandé de documents précis. Le parquet s’interroge sur ce revirement.

L’audience se termine d’une manière quelque peu habituelle. Le tribunal accepte que Me Bernard Colin interroge son propre client. À partir de toute une série de questions, Raphaël Halet déballe le système des rulings tel que pratiqué par PwC à l’époque. Il estime à 40 à 50 le nombre de tax rulings qui partaient le mercredi après-midi au fameux bureau 6 d’imposition des sociétés de Marius Kohl. Les rulings partaient à 13 h 30 pour revenir à 17 h 30. Selon le prévenu, les trois quarts revenaient signés. Et PwC s’occupait également d’imprimer les rescrits sur papier à en-tête de l’administration des Contributions directes.

Fabienne Armborst

Source Le Quotidien  Indépendant luxembourgeois 02/05/2016

 

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A Montpellier, Nuit debout crée une ZAD écologique en quartier populaire

arton9676-b5d18Les jeunes de Nuit debout sont venus occuper un parc menacé par des constructions, en soutien aux habitants en lutte. Ce poumon vert est indispensable pour l’harmonie de ce quartier de Montpellier. Les enfants apprécient : ils jouent dans le parc !

Les barrières de chantier ont été écartées pour ouvrir un passage. Un panneau coloré peint par des petites mains sur un grand morceau de carton annonce aux passants : « parc ouvert ». Au-delà, un étroit chemin s’enfonce entre les arbres pour déboucher sur une esplanade enherbée, dominée par une petite colline. De là haut, la vue embrasse les immeubles cernant l’unique espace vert du quartier. « Il faut venir au petit matin, on entend le concert des oiseaux », confie Aida Gradenigo, habitante de l’un des appartements HLM de la résidence Las Rébès à Montpellier, installée au pied de ce parc.

Depuis dix jours, l’élégante dame aux cheveux blancs n’est plus seule à les écouter le matin. Les lieux ont été investis par quelques dizaines de « jeunes » -étudiants, stagiaires, travailleurs -, venus avec leurs tentes et leurs outils au cœur de ce quartier populaire pour y installer une ZAD -comprenez « zone d’activité démocratique ». Ces nouveaux occupants ont répondu à un appel à l’aide des habitants du quartier. Ils sont une trentaine chaque soir à dormir sur place.

« Pour nous c’est un ballon d’oxygène », assure Hachème Amirpour, retraité de 73 ans. La vue depuis chez lui donne sur le parc. Un bâtiment pourrait être construit à dix mètres seulement de ses fenêtres. Cela fait un peu plus d’un an que les habitués de « la colline », comme on l’appelle ici, ont découvert un jour de début février un permis de construire affiché à l’entrée. Ils comprennent que 63 logements sociaux répartis en trois immeubles vont bientôt s’ériger sur cet hectare de verdure. Très vite, des habitants se réunissent et se mobilisent.

Hacheme, Aida, et Jean-Michel

« Depuis que la résidence Las Rébès a été racheté par l’office public HLM de la mairie, en 1999, les logements comme le square sont moins bien entretenus. Il y a déjà 68 % de logements sociaux dans notre résidence. Le quartier est saturé, la mixité sociale est en train de disparaître, ça suffit », estime Hachème. Mais après un an de réunions de voisinage, d’actions dans le parc et autour, de protestations auprès de la mairie ou dans les consultations de quartier, et de recours juridiques, toujours pas de réponse. Un matin, une première pelleteuse est arrivée, quelques habitants l’ont empêché de commencer. Une dizaine d’entre eux se sont retrouvés assignés en justice pour « entrave à la liberté du travail », en même temps que les deux associations qui défendent cet espace boisé. « On a eu 100 euros par personne d’astreinte, plus 100 autres euros à chaque fois que l’on empêchera les travaux, et les frais de justice sont à notre charge, détaille Hachème, qui fait partie des assignés. Cela fait beaucoup, parmi nous certains ne vivent qu’avec 460 euros pas mois. » Pour éviter de nouvelles sanctions financières, son association, Poumon Vert-Las Rébès, s’est dissoute. Les Enfants de la colline, eux, ont lancé une souscription pour payer les frais de justice : 1.000 euros d’huissier plus 4.000 euros d’avocat.

Un parc au milieu des immeubles, menacé par la construction de trois nouveaux immeubles

Certains commençaient à désespérer, quand le mouvement Nuit Debout de Montpellier leur a donné un nouveau souffle. L’un des opposants a eu l’idée d’aller y raconter l’histoire du square menacé lors de l’assemblée générale. Un appel a été lancé à participer à un grand pique-nique le dimanche 17 avril. Le soir, certains plantaient leurs tentes, l’occupation était lancée.

Un centre aéré à ciel ouvert

Moins de deux semaines plus tard, on pourrait croire qu’ils sont là depuis plusieurs mois. Les bâches tendues entre les branches d’un grand peuplier abritent la cuisine. Une yourte fait office de salon-dortoir-lieu de réunion. Les eaux de la douche ruissellent vers le petit jardin en permaculture où les premières pousses pointent déjà. Le bois des arbres coupés laissé sur place a permis de construire des tipis au sol et des cabanes dans les arbres. Un peu à l’écart, un espace bureau pour les nombreux étudiants qui occupent le site a été aménagé. « On envisage aussi d’y faire du soutien scolaire », espère Jules, l’un de ceux qui a planté sa tente sous les arbres. En bordure de l’esplanade, une aire d’herbes hautes est protégée par des barrières, pour ne pas déranger les hérissons. Ils sont réputés nombreux sur la zone. Plusieurs espèces de chauve-souris ont également été repérées.

Salon, dortoir et salle de réunion : la yourte est bien utile

Camille affiche une liste des règles sur la zad. « La règle n°1, c’est l’autogestion ! », explique-t-elle. On compte sur chacun pour participer à la vie collective. Mais l’enjeu, c’est aussi de préserver le lieu -notamment en évitant des déchets – et surtout de ne pas déranger les habitants. L’alcool fort est interdit, musique, bière et vin sont proscrits après 22 heures en semaine, 23 heures le week-end. « Et tous les matins, on essaye de se lever vers sept heures pour que tout le monde soit prêt quand les gens arrivent », ajoute Camille.

La première régle est l’autogestion

Vers quatorze heures, le jardin s’anime de cris d’enfants. Le square est devenu le lieu de rendez-vous des gamins du coin. Sous la yourte, un cours de percussions s’organise. Vers le tipi des enfants, se tient un atelier peinture. Un match de foot s’installe sur l’esplanade tandis qu’une partie de balle au prisonnier commence en contrebas. Les « zadistes » font office de moniteurs de centre aéré. Pas besoin d’expliquer aux petits pourquoi une journaliste vient les voir. « Je ne veux pas qu’ils construisent parce que j’aime bien venir ici, on s’amuse », lance Bayane. « On est là pour jouer, avoir des nouvelles copines, pour profiter de la nature. C’est trop bien cet endroit, on rencontre des gens qu’on ne connaît pas ! » approuve Cherine.

Les enfants jouent entre les tentes

Certains viennent seuls, d’autres avec leurs mères. Elles, pour la plupart, se tiennent un peu à l’écart, installées sur des chaises de jardin en plastique. La majorité sont voilées. Un groupe d’ados en baskets et jogging tient conseil un peu plus près du campement. Anne, jeune maman voilée, vient avec ses deux enfants et n’hésite pas à se mêler à la bande d’occupants et d’habitants mobilisés qui fait vivre le campement : « Avant, j’avais l’habitude de traverser le parc tous les jours pour emmener les enfants à l’école. Mais on y restait peu. Depuis que c’est occupé, c’est du bonheur, on est dans la nature, les gamins ils se régalent, ils font autre chose que de regarder la télé, ils dorment mieux le soir. Et nous on rencontre des gens, des voisins. On a pris conscience de l’importance de garder ce bout de vert et on n’a plus envie de le laisser au béton. »

Tristan : « On nous rabâche qu’il faut casser les ghettos »

Tristan, la trentaine, rentre du boulot et vient promener son chien qui chahute avec les gamins. « Je viens tous les jours, raconte-t-il. J’habite ici depuis quatre ans et c’est au parc que j’ai rencontré mes voisins. Je ne comprends pas ce projet. Toute l’année, on nous rabâche qu’il faut casser les ghettos, faire de la mixité sociale, et un matin on nous dit qu’on va planter encore plus de logements sociaux dans un quartier où il y en a déjà plus de 500 ! »

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« Dans un quartier avec espace vert, la criminalité baisse de 60 % »

En fin d’après-midi, deux animatrices improvisées ramènent trois petites filles qui habitent quelques centaines de mètres plus loin, dans la cité des Cévennes. Là, les immeubles sont deux fois plus haut qu’à Las Rébès. Au pied de la dizaine d’étages, se succèdent boulangerie, boucherie hallal, épicerie et tabac aux devantures délavées. La mosquée s’est installée dans un ancien supermarché. En face, entre deux barres, une dalle de béton est colonisée par une nuée d’enfants en rollers, surveillés depuis les balcons colorés de linge. On nous fait comprendre qu’il faut ranger l’appareil photo. « Il y a aussi des espaces verts chez nous », lâche une des fillettes en désignant quelques mètres carrés accueillant deux pins qui surmontent quelques buissons. « Mais c’est vrai qu’ici on tourne en rond, alors qu’au parc on fait de nouvelles activités », ajoute-t-elle.

« Le quartier s’est paupérisé ces cinq dernières années, la résidence des Cévennes est en voie de ghettoïsation et de paupérisation », affirme Jean-Michel Vidal. Ce fonctionnaire vit à Las Rébès depuis dix-sept ans. « On vient d’être classé Zone urbaine sensible. Derrière la préservation du parc il y a aussi un enjeu social. Pourquoi des gens plus démunis n’auraient-ils pas droit à un espace vert ? Ce sont justement ceux qui n’ont ni jardin, ni résidence secondaire ! Il y a une étude qui dit que dans un quartier avec des espaces verts, la criminalité baisse de 60 %. Les jeunes ont besoin d’un endroit où se détendre, où jouer au ballon, courir, au lieu d’être en bas de l’immeuble. Toute personne sensée sait ça ! »

En face, le porteur du projet de construction est ACM Habitat, l’office public de l’habitat de la métropole de Montpellier. Son président n’est autre que le maire de la ville, le divers gauche Philippe Saurel, qui rappelle que l’office a reçu 16.000 demandes de logements sociaux en 2015… Il explique également ne pouvoir arrêter un projet déjà bien avancé. Son adjointe à l’urbanisme, Stéphanie Jannin, a reçu les habitants et leur a indiqué qu’il resterait environ 7.000 mètres carrés de parc autour des futurs immeubles, à aménager en concertation.

« Mais ces espaces seront dédiés à de la voirie », craint Hachème. « Et pourquoi ne va-t-on pas mettre des logements sociaux dans les quartiers du sud-est, où ils construisent des appartements de luxe de deux cent mètres carrés ? », interroge Jean-Michel.

Certains soupçonnent même un conflit d’intérêt à la mairie. Car Stéphanie Jannin travaillait, avant d’être élue, pour le cabinet d’architectes Lebunetel. Or c’est justement ce cabinet qui a été choisi pour le projet de Las Rébès (voir page 4 de ce document).

« Avec l’association Anticor, nous avons donc porté plainte contre X auprès du procureur de la République pour prise illégale d’intérêt. Stéphanie Jannin aurait dû se désinvestir du dossier, or elle a reçu les habitants en concertation et a fait de nombreuses prises de parole sur le sujet », explique Sébastien Lenoir, président des Enfants de la Colline. Autre espoir du côté de la voie juridique, l’association entame un recours contre le permis de construire, car le bâtiment 11 du quartier Las Rébès, juste en bordure du parc, est déjà fragilisé. La crainte est que les nouvelles constructions précipitent son effondrement.

Afin de débloquer l’affaire, les membres du conseil citoyen du quartier des Cévennes (qui contient Las Rébès et la cité des Cévennes) appelle la mairie à la concertation. Pour les occupants, cette journée de lundi risque d’être décisive : les vacances scolaires finies, les enfants seront moins présents et la police pourrait ne plus hésiter à intervenir. « Avec l’état d’urgence j’ai peur que ça se finisse en matraque et gazage », avoue Tristan. « Mais on est préparés, répond Jules. On a des listes de personnes à appeler en cas d’intervention, on peut ramener du monde. Et on a la vigie », lâche-t-il en désignant une cabane en haut du grand peuplier. Les policiers mettraient alors du temps à en déloger les occupants, suffisamment pour faire venir du renfort. Cet arbre, le seul que le projet de construction a prévu de garder, serait alors le meilleur allié des défenseurs du square.

Marie Astier (Reporterre)

Source Reporterre 2/05/2016

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Procès Luxleaks : « Monsieur Hollande, de quel côté êtes-vous ? »

arton5585-271f3Le procès du lanceur d’alerte Antoine Deltour et du journaliste Edouard Perrin, qui ont révélé le scandale LuxLeaks, débute le 26 avril au Luxembourg. Ils risquent de lourdes amendes et peines de prison pour avoir simplement divulgué des informations sur un vaste système d’évasion fiscale. Le collectif de journalistes « Informer n’est pas un délit » interpelle le président de la République François Hollande : a-t-il l’intention de soutenir ses deux concitoyens, qui ont diffusé des informations relevant de l’intérêt général ?

Monsieur le Président de la République,

Mardi 26 avril s’ouvre le procès LuxLeaks. Deux de vos concitoyens sont poursuivis par la justice luxembourgeoise pour avoir informé le monde entier des pratiques fiscales douteuses mises en œuvre par le Grand Duché et permettant aux entreprises d’e?chapper a? leur impôt, notamment en France. Un sujet qui vous est cher, puisque comme vous le déclariez en 2012, votre adversaire « c’est le monde de la finance ».

Antoine Deltour est lanceur d’alerte. Edouard Perrin est journaliste. Sans eux, pas d’information. Sans leur courage, les dizaines de millions de lecteurs ou téléspectateurs de 80 médias ayant relayé et poursuivi les investigations dans plus de 26 pays via le consortium international des journalistes d’investigation ICIJ, n’auraient pu être informés.

Bientôt des centaines d’Antoine Deltour ?

La justice luxembourgeoise leur reproche de ne pas avoir respecté le « secret des affaires ». Ce fameux « secret des affaires » qu’une majorité de parlementaires européens a choisi récemment d’ériger en principe à travers le vote d’une directive qui permettra de poursuivre systématiquement et massivement désormais tous les Antoine Deltour et Edouard Perrin de l’Union européenne.

À moins que la France et d’autres pays, via le Conseil des États membres ne bloquent dans les semaines qui viennent cette directive dangereuse. Mais encore faut-il avoir la volonté de défendre – avec sincérité – la liberté d’informer et le droit de savoir de 500 millions d’Européens.

Il y a deux semaines, le scandale « Panama Papers » s’affichait à la une de 109 publications dans le monde. Comme vous, nous étions choqués par ce vaste système d’optimisation fiscale des plus grandes compagnies qui ne jouent pas le jeu de la solidarité devant l’impôt.

Bientôt un soutien présidentiel pour les lanceurs d’alerte ?

A juste titre, vous affirmiez au lendemain de ces révélations d’une ampleur sans précédent : « Je remercie les lanceurs d’alerte, je remercie la presse qui s’est mobilisée (…) c’est grâce à un lanceur d’alerte que nous avons ces informations (…) ils prennent des risques, ils doivent être protégés ».

Voilà pourquoi nous souhaiterions vous entendre dire la même chose à l’endroit d’Antoine Deltour et d’Edouard Perrin. Ils risquent de lourdes condamnations, et pourtant l’ensemble de notre société leur doit beaucoup.

Ni vous, ni aucun membre de l’exécutif français ou européen n’a encore affirmé son soutien à nos courageux concitoyens. Comment rester silencieux plus longtemps ? Il est temps de se prononcer.

Le Collectif « Informer n’est pas un délit » [1].

- Le site du Comité de solidarité avec Antoine Deltour et Edouard Perrin au Luxembourg

Notes

[1] Le collectif s’est formé en janvier 2015, à la suite du projet de loi du gouvernement français censé soutenir la croissance et contenant un volet sur « le secret des affaires » qui menaçait gravement la liberté d’informer. Il rassemble de nombreux journalistes issus de la presse écrite, de la radio, de la télévision et de l’Internet.

Source : Batamag 22/04/2016

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Politique, Affaires, Un nouveau droit à l’opacité pour les multinationales, rubrique Société Justice, rubrique UE, rubrique , Luxembourg, Vers un retour du politique aux forceps,

Et pendant ce temps, les lanceurs d’alerte crèvent tout doucement

Quand on fait ce métier, il y a des coups de fil qui te foutent le moral en l’air. Mais alors bien comme il faut.

Lundi dernier, ton amie journaliste passait une journée relativement pourrie, bloquée que j’étais sur la première phrase d’un article (« C’est une histoire à dormir debout qui est arrivée à Patrick »/ « Patrick ne s’attendait vraiment pas à ça« / »Depuis toujours, Patrick boit du café au lait le matin« ). Vers 18H, j’avais un rendez-vous téléphonique. J’espérais me changer les idées ; je n’ai pas été déçue.

Ami lecteur, il s’agissait de Stéphanie Gibaud. Une femme que je suis depuis deux ans, quand j’avais réalisé pour Marianne une longue enquête sur les lanceurs d’alerte.

Ça fait maintenant 8 ans que cette tout juste quinquagénaire a une vie de merde. Ancienne employée de la banque suisse UBS, elle a mis à jour un vaste système d’évasion fiscale internationale.

Depuis, elle court les plateaux télé, elle explique la nécessité de protéger les lanceurs d’alerte sur toutes les ondes, elle s’est même retrouvée face au ministre des Finances, Michel Sapin, au cours de l’émission Cash investigation sur le scandale des Panama Papers. En plus d’avoir permis à la France de récupérer 12 milliards d’euros cachés au Fisc (DOUZE MILLIARDS), ce qui en fait d’emblée une héroïne de la nation, Stéphanie Gibaud est devenue une figure médiatique.

Mais voilà. Notre époque n’étant pas avare d’obscénité, elle survit avec 400€ par mois. Elle n’a jamais retrouvé de boulot, les employeurs potentiels estimant sans doute que l’honnêteté est un vilain défaut. La patrie reconnaissante a encaissé les thunes et l’a plantée là, sa moralité en bandoulière.

Et pendant ce temps, le parlement européen vient de voter la directive sur « le secret des affaires », qui risque fort d’empêcher les journalistes de faire leur boulot, et de neutraliser définitivement les lanceurs d’alerte.

De quoi devenir fou ? Se jeter sous un train ? Oui oui. C’est d’ailleurs la menace qu’esquisse Stéphanie Gibaud lorsqu’elle déroule son calvaire pour la énième fois. Voici, ami lecteur, ce qu’elle m’a raconté.

 STÉPHANIE GIBAUD :

« Je suis en urgence vitale. Je vis avec 400€ par mois depuis juillet 2014. La banque refuse mes chèques, et je vais devoir quitter mon appartement si je ne veux pas que mes biens soient saisis.

A la suite de l’émission Cash investigation, il y a une pétition qui a circulé, et une cagnotte a été lancée sur un site de crowdfunding. Je suis touchée, mais je ne sais pas si vous vous rendez compte de l’humiliation que je subis. Ce sont les citoyens, choqués, qui viennent suppléer l’État.

On a un ministre des Finances qui dit se battre contre l’évasion fiscale, il reconnaît que j’ai aidé à rapporter 12 milliards d’euros dans les caisses de l’État, mais il dit qu’il ne peut pas m’aider. Qu’est-ce que ça veut dire ? Dans le pays des droits de l’Homme ? Quand les gens sont en état de survie, on ne peut rien faire ? Sapin me propose de venir témoigner à l’Assemblée Nationale. Mais il faut que je trouve à m’habiller, il faut que je me paye un ticket de métro pour ça ! Comment on fait ? Au bout d’un moment, vous avez des envies de vous supprimer, parce que ce n’est plus possible.

Je sais que je présente bien. Je parle correctement, je donne l’impression d’être une femme forte. Je ne sais pas si les gens s’imaginent que j’ai un mari qui gagne bien sa vie à mes côtés, mais je n’ai plus rien. Je me retrouve à mettre en avant des aspects très personnels de ma vie, comme dans un reality show, alors que c’est à l’inverse de mon éducation. Sapin gère sa carrière, moi je gère ma survie ».

Source MAJ

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