L’immensité du ciel poétique méditerranéen actuel

Isabelle Fruleux xa présenté sa création scénique du livre de P Chamoiseau "Frères migrants Photo Olivier Allard

Isabelle Fruleux a présenté sa création scénique du livre de P Chamoiseau « Frères migrants Photo Olivier Allard

Sète
La poésie n’a pas de compte à rendre. « Elle ne résiste pas, elle existe », souligne Patrick Chamoiseau, et Le festival  Voix Vives qui fête ses vingt ans, le confirme.  

Au gré des déambulations  parmi les plus de quarante points de rencontre et les quatre-vingt rendez-vous quotidiens de l’aube sur la plage à l’insomnie musicale qui balisent d’émotions le Quartier Haut de Sète, la poésie contemporaine  s’affiche, se saisit, nous précède et nous succède dans une folle et éphémère épopée livrée au vent.

S’il est possible de garder trace écrite en se procurant l’anthologie de cette XXe édition, disponible Place au livre chez l’éditeur Bruno Doucet,  le festival n’a pas vocation à graver les poèmes dans le marbre.  Il est surtout question de les vivre. La présence des artistes de spectacle vivant, musiciens et comédiens qui s’unissent aux poètes en formant une accueillante communauté en est une démonstration.

A peine apparus, disparaissent poétesse et poète ne laissant derrière eux que songes et interrogations sur ce qu’ils peuvent bien vivre autour de cette mer ou ailleurs dans leur lointain exil. Dans cette longue valse de neuf jours, on perd une tête et on en retrouve une autre. On rencontre de jolis voisins et voisines, on pousse une porte et on entre dans une intimité. Seule la poésie  permet un tel espace de liberté…

La météo poétique fait savoir qu’il pleurera des poèmes jeudi entre 18h et 19h45. Les poèmes tomberont du ciel en danse et en musique. L’occasion de fêter les 20 ans d’un festival ayant ouvert une fenêtre sur la poésie méditerranéenne par laquelle passent de drôles d’oiseaux. L’occasion de tendre les mains pour les saisir ces poèmes en vol sans faire défaut à la parole poétique car, comme le dit la directrice artistique du Festival Maïthé Vallès-Bled : « La poésie s’inscrit immédiatement dans son temps avec ses réalités humaines et socio-politiques. »

Frères migrants

Voix Vives croise les pratiques artistiques contemporaines autour de la poésie. Samedi, accompagnée de musiciens la comédienne et metteuse en scène Isabelle Fruleux a présenté sa création scénique  du livre de Patrick Chamoiseau Frères Migrants (Seuil, 2017).  Sincère et libre, l’auteur martiniquais est revenu dimanche sur sa vision du phénomène migratoire. En tant que catastrophe humanitaire, mais aussi de problème politique :

aff_S14h30ChamoiseauaAaADR1copie2_640« On n’arrive pas aujourd’hui à répondre au problème migratoire alors qu’on sait que les migrations ne vont cesser de croître. Nous sommes confrontés à la nécessité de bâtir un nouveau cadre afin de pouvoir donner hospitalité. Cela ne se joue pas seulement au niveau international mais aussi au niveau national et local. S’il advenait demain en France une catastrophe nucléaire, aucun dispositif n’est prévu pour accueillir le grand nombre de migrants que cela occasionnerait. Et au-delà, comment s’imaginer un monde où les frontières ne seraient pas des guillotines ? ». Pour Patrick Chamoiseau, ces propos que l’on pourrait qualifier de politiques demeurent bien de nature artistique. Car l’auteur réaffirme que chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition.

« Le monde habite chacun de nous, il n’est pas une fatalité. L’idée n’est pas de donner des leçons. Mais si l’Europe laisse mourir des milliers de personnes qui n’ont d’autres choix que de fuir, cela signifie que l’imaginaire politique est épuisé, desséché. Et seul l’art, les activités culturelles, la poésie peuvent ouvrir notre imaginaire à d’autres possibles. »
La place de la poésie, dans ses expressions les plus variées, que nous ouvre ce festival a plus que jamais un rôle à jouer en libérant notre pouvoir de création.

 JMDH

Source La Marseillaise 25/07/2017

Voir aussi : Rubrique Festival, Voix Vives 2017, 650 rendez-vous poétiques à ciel ouvert, 100 poètes dans la ville, Voix vives 2016 Les yeux brillants d’un monde vrai !, rubrique Méditerranée,  rubrique Livre, Poésie, rubrique /Méditerranée,

Un WE à Avignon nombril du Théâtre

De quelle manière se bat-on pour avancer dans  un monde anormal  ?

De quelle manière se bat-on pour avancer dans un monde anormal ?

Chronique
Une ville à l’heure du choix. Un million de visiteurs sont attendus au Festival d’Avignon  qui propose plus de 1500 spectacles.

Il y a foule à Avignon où l’on attend un million de visiteurs, touristes culturels, parisiens (environ 25% du public), professionnels et amateurs éclairés… jusqu’au 26 juillet. Ce qui vous laisse moins d’une chance sur dix de parler à un avignonnais lorsque vous cherchez votre chemin. C’est bien-sûr le Off qui saute aux yeux, pavé de 1 480 spectacles proposés en trois semaines, contre une quarantaine pour le In – dont 29 coproductions – qui revendique 110 000 places payantes. Autrement dit, il est indispensable et pourtant impossible de se forger un avis sur une édition du festival d’Avignon. On fait des choix heureux ou malheureux…

Dans cette ville théâtre, un des élément frappant est la dimension du temps. Le temps que votre café refroidisse entre le moment où vous l’avez commandé et où il arrive, le temps de transport et de parking. Le temps passé dans les queues, où il faut bien dire, n’en déplaise à Olivier Py,  les parisiens ont acquis dans ce domaine une civilité disciplinaire qui dépasse de beaucoup le degré moyen de patience d’un méditerranéen.

A la différence du Off où le business horaire tourne à plein, les programmateurs du In laissent se déployer la durée nécessaire à l’expression théâtrale. C’est la tradition, et le public joue le jeu en restant concentré sur des spectacles dont la majorité dépassent trois heures. C’est rassurant,  mais cela surprend quand même, dans le monde numérique du spot publicitaire intrusif et du rasage gratis qui forge désormais notre quotidien.

Comme l’étau se resserre et qu’il faut bien faire  son métier : Parlons des spectacles. Ceux qu’on a vu dont on se serait passé, comme Memories of Sarajevo de Julie Bertin et Jade Herbulot. Les deux metteuses en scène et leurs acteurs, nous plongent dans la guerre en ex-Yougoslavie.

Livré comme élément d’une fresque historique qui ambitionne d’embrasser l’Europe, le sujet est bien creusé mais ce Sarajevo peu crédible, voire brouillon dans l’identification des appartenances fait naître une pièce bien plus pédagogique que théâtrale. Besogneux dans la restitution des faits et des gesticulations politiques, le spectacle plombé par vision chargée de pathos, ne décolle pas.

Le temps trop long, laisse place à un temps juste, proche de celui de Bergman, pour l’australien Simon Stone et son Ibsen Huis. La scénographie inventive, parfaitement appropriée, nous permet de suivre à travers les générations les mensonges qui vont miner la famille Kerkman. Leur maison de vacances est en verre. Elle tourne sur elle même et dans le temps. Chaque chapitre de la généalogie est une pièce.

Simon Stone puise dans la mythologie d’Ibsen, Solness le constructeur, Une maison de poupée, le Canard sauvage, Petit Eyolf, pour travailler ses personnages et recomposer une famille du XXIe siècle qui résonne à nos consciences. Une autopsie glaçante, économe et précise sur les ravages des non-dit pour tenter d’y voir clair.

JMDH

Source La Marseillaise 19/07/2017

Voir aussi : Rubrique Festival, Avigon 2017, L’Antigone fraternelle de Miyagi, Les Parisiens d’Olivier Py,rubrique Théâtre, Ibsen : Le dramaturge des invisibles sauts de l’âme,

Voix Vives 650 rendez-vous poétiques à ciel ouvert

La poésie, chemin de paix à Sète au coeur de l’été méditerranéen. Photo dr

La poésie, chemin de paix à Sète au coeur de l’été méditerranéen. Photo dr

Festival
Voix Vives, le grand rendez-vous de la poésie méditerranéenne contemporaine fête sa 20e édition du 21 au 29 juillet

Depuis 8 ans la Ville de Sète ouvre la cité à la poésie de l’aube à la nuit. Ce banquet poétique de neuf jours  débute ce soir*. Il fédère poètes, musiciens, comédiens et habitants, et séduit un public averti  ou amateur,  autour d’une expérience unique.

Vivre librement (l’accès est gratuit) au rythme de la poésie et aux contacts des poètes en dehors des temples de la culture  ouvre un accès indéniable à cet art réputé (à tord) difficile.

« C’est sous un ciel de combat que s’ouvre cette édition, pour que la poésie existe, indique la directrice du festival Maïthé Vallès-Bled, un ciel qui accueille à Sète une centaine de poètes en provenance de toute les méditerranées. Beaucoup des pays représentés sont en guerre. Cette présence forte des poètes permet d’ouvrir un espace à l’identité de l’autre. Cela se produit entre les poètes mais aussi au-delà, car  cette force souterraine qui nous meut vers la compréhension de l’autre, nous permet de mieux nous comprendre nous-même. C’est un chemin de paix qui s’ouvre

Voix Vives offre aussi aux éditeurs et professionnels du secteur les conditions d’un échange fécond sur la place aux livres au coeur du festival. Ces rencontres entre poètes et éditeurs aboutissent chaque année à de nombreuses traductions et recueils qui n’auraient pas vu jour sans le festival.

Impossible ici de rendre compte des 80 rendez-vous quotidien qui cadencent ce flux poétique sous la lumière tranquille de la méditerranée. Le plus indiqué est encore de se rendre à Sète, et de se laisser porter par l’excédent d’énergie qui embrase la ville sans négliger de vivre les instants qui s’offrent.

JMDH

 * A 21h30 dans le jardin du Château d’eau avec le spectacle Poésicales 2017, entrée libre.

Source La Marseillaise 21/07/2017

Voir aussi : Rubrique Festival, Voix Vives 2016, 100 poètes dans la ville, Voix vives 2016 Les yeux brillants d’un monde vrai !Voix vives 2015, site officiel, Sans frontières les poèmes disent l’essentiel, rubrique MéditerranéeLybie, Liban, Tunisie, rubrique Livre, Poésie, rubrique /Méditerranée, rubrique Moyen Orient, Syrie, rubrique Rencontre,

Antiterrorisme : ce que contient le projet de loi qui remplacera l’état d’urgence

. Des membres du Raid lors d'un exercice à Sens, le 30 mars 2016. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP

. Des membres du Raid lors d’un exercice à Sens, le 30 mars 2016. (Kenzo Tribouillard ) / AFP

Assignation à résidence élargie à la commune, fermeture de lieu de culte, périmètres de protection de sites à risque : les grandes mesures votées par les sénateurs.

Le Sénat a adopté dans la nuit de mardi à mercredi le nouveau projet de loi antiterroriste voulu par le gouvernement pour remplacer, au 1er novembre, le régime exceptionnel de l’état d’urgence en pérennisant et en inscrivant dans le droit commun certaines de ses mesures.

L’ensemble de la droite sénatoriale LR et centriste, majoritaire, mais aussi les sénateurs LREM et ceux du RDSE, à majorité PRG, soit 229 élus, ont voté en première lecture pour ce texte qui sera débattu en octobre à l’Assemblée nationale. En revanche, 106 ont voté contre : les socialistes, les communistes et deux ex-membres du groupe écologiste désormais disparu, Aline Archimbaud et Esther Benbassa.

Le Sénat a validé les modifications apportées au projet de loi par sa commission des lois en mettant en avant la défense des libertés publiques. Voici les grands points du projet de loi :

Les assignations à résidence (rebaptisées « mesures individuelles de surveillance ») seront ordonnées par le préfet, qui aura avisé auparavant le procureur. L’espace de l’assignation ne pourra être inférieur au territoire de la commune. Ces mesures viseront « toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics ».

Le placement sous bracelet électronique pourra être inclus dans la mesure, qui sera de trois mois renouvelables. Au lieu d’un pointage quotidien prévu dans le texte, le Sénat a opté pour trois pointages par semaine.

Gérard Collomb, le ministre de l’Intérieur, avait exposé en juin :

« L’assignation à résidence sera remplacée notamment par une obligation de ne pas se déplacer à l’extérieur d’un périmètre géogra­phique permettant le maintien d’une vie familiale et professionnelle. Ce périmètre ne pourra être inférieur à la commune. »

Mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (assignations à résidence donc), visites domiciliaires (euphémisme du projet de loi pour les perquisitions) et saisies : l’application des dispositions permettant de prendre ces mesures est limitée dans le temps, au 31 décembre 2021, comme l’avaient proposé les sénateurs en commission. Le projet de loi initial ne fixait pas de date limite. Les sénateurs ont, de plus, prévu une évaluation annuelle de l’utilité de ces dispositions.

La fermeture administrative de lieu de culte peut être décidée, pour six mois au maximum, par le préfet, pour des activités ou des propos tenus, ou des idées ou théories diffusées, s’ils « provoquent à la commission d’actes de terrorisme en France ou à l’étranger, incitent à la violence ou font l’apologie de tels actes ».

L’usage des périmètres de protection est circonscrit par les sénateurs aux abords de sites soumis au risque d’attaques terroristes. Les filtrages du public et des véhicules sont permis à l’entrée de ces sites, puis des fouilles et des palpations. Les sénateurs ont aussi renforcé les garanties relatives à la vie privée, professionnelle et familiale des personnes contrôlées au sein de ces périmètres.

Le système de suivi des données des dossiers de passagers aériens (PNR) est pérennisé. Le projet de loi adopté autorise aussi la création d’un nouveau traitement automatisé de données à caractère personnel pour les voyageurs de transports maritimes.

Les possibilités de contrôle dans les zones frontalières sont élargies.

Des mécanismes d’évaluation et d’encadrement des associations de prévention et de lutte contre la radicalisation ont été proposés par les sénateurs en séance publique.

Les agents des services de sécurité de la SNCF et de la RATP sont autorisés à transmettre en temps réel les images captées par leurs caméras individuelles lorsque leur sécurité est menacée.

Un nouveau cadre légal de surveillance des communications hertziennes est fixé.

Identifiants numériques : le projet de loi prévoyait que tout suspect relevant de la procédure d’assignation doive livrer ses contacts. Le Sénat a écarté la mesure en commission.

« Société du soupçon permanent »

Le texte avait été dénoncé par plusieurs organisations, dont Amnesty International France, la Ligue des Droits de l’Homme ou le syndicat de la magistrature (SM), mais aussi des personnalités comme le défenseur des droits Jacques Toubon, la juriste Mireille Delmas-Marty et le commissaire européen aux droits de l’Homme Nils Muiznieks.

Antiterrorisme : pourquoi intégrer l’état d’urgence dans le droit commun inquièteUne centaine de manifestants ont d’ailleurs défilé mardi devant le Sénat, à l’appel de plusieurs associations et syndicats, dont Droits devant, le DAL, le MRAP, ou l’Union syndicale solidaire, aux cris de : « État d’urgence, État policier ! Nous ne lâcherons rien de nos libertés ».

Le numéro un du PCF, le sénateur Pierre Laurent, avait annoncé qu’il allait « combattre le texte dans son ensemble ». Mais une question préalable de son groupe, dont l’adoption aurait entraîné le rejet de l’ensemble du texte en discussion, a été rejetée d’emblée.

Pour le ministre de l’Intérieur, la menace terroriste « est là, toujours prégnante ». « Nous voulons sortir de l’état d’urgence, mais nous ne pouvons le faire sans adapter notre dispositif de lutte contre le terrorisme », a dit Gérard Collomb. « Il nous reste encore à prendre des mesures qui nous semblent essentielles », a-t-il ajouté.

« La France ne peut se démunir contre le terrorisme« , a approuvé François-Noël Buffet (LR). « Il fallait donc ce texte. » « Vous arrivez à nous proposer une situation où on maintient l’état d’exception sans être dans l’état d’exception. Tout cela n’est pas crédible », a critiqué Jacques Bigot (PS).

« Avec ce projet de loi, la société qu’on nous propose de construire n’est même pas une start-up, mais une société du soupçon permanent, laissée entre les mains des pouvoirs administratifs, où le préfet et le ministre de l’Intérieur peuvent remplacer désormais les juges », a reproché Esther Benbassa.

Source  : L’OBS 19/07/2017 (Avec AFP)

Voir aussi : Actualité France, Rubrique Politique, De l’Etat d’urgence au 49,3 à l’Etat d’urgenceUn document exhaustif contre l’état d’urgence, Société Civile, rubrique Société, CitoyennetéUn « risque » pour la démocratie, rubrique Médias Le New York Times attaque sèchement Macron  On Line Le piège de l’état d’urgence ,

 

« Macron et le ventre des femmes africaines, une idéologie misogyne et paternaliste »

fv_livre1-551365Désigner la fécondité des femmes africaines comme une entrave au développement du continent, c’est leur faire porter la responsabilité de la misère et du sous-développement, pour absoudre l’Occident, estime la politologue Françoise Vergès*. 

Lorsqu’Emmanuel Macron désigne la fécondité des femmes africaines comme une entrave au développement du continent, dans quelle tradition idéologique s’inscrit-il ? 

Disons déjà que les États ont toujours voulu contrôler la fécondité des femmes. Mais la déclaration selon laquelle le développement du continent africain serait freiné parce que les femmes africaines feraient trop d’enfants est directement liée à l’idéologie occidentale d’après-guerre qui attribue aux femmes du Tiers monde la responsabilité de la misère et du sous-développement, ce qui évidemment absout l’Occident. Traite et colonialisme – travail forcé, déplacement de populations, guerres, massacres – n’auraient donc eu aucune conséquence.

Dès les années 1950, cette idéologie, dans laquelle les États Unis jouent un grand rôle, va devenir vérité et autoriser de vastes campagnes antinatalistes (stérilisation forcée, contraception sans consentement) visant minorités, peuples autochtones, peuples sous domination. Notons que des États du Tiers monde vont adopter cette idéologie. Parmi les arguments de cette idéologie, il y a aussi la menace que ferait peser cette fécondité sur la sécurité – les enfants devenus adultes seraient tentés par la migration vers les pays riches ou par la révolution. Dans les congrès sur la population mondiale, des hommes, religieux, hommes d’Etat, experts en tous genres, dissertent sur le ventre des femmes, elles-mêmes étant en général absentes des débats.

C’est une idéologie misogyne – les femmes seraient irresponsables – et paternaliste – les femmes seraient des victimes – à laquelle se mêle une idée de la supériorité de l’Occident (les femmes en Europe qui ont eu à une époque pas si lointaine beaucoup d’enfants n’auraient elles jamais entravé le développement).

Si l’Afrique connaît un taux de croissance démographique important, il faut savoir que le continent a longtemps été sous-peuplé, et que ce continent comparé à certains pays (Inde, Chine) a eu un taux de croissance démographique très bas. Il faut, aussi, reconnaitre que le taux de fécondité n’est pas le même d’un pays à l’autre, qu’il est assez faible dans certains pays, l’Afrique n’est pas « un pays ». Enfin, les femmes africaines, dès qu’elles ont le choix,  font moins d’enfants. 43% des naissances ne sont pas désirées, l’accès à la contraception étant difficile.

Quelles authentiques entraves ce discours sur la fécondité des femmes africaines passe-t-il sous silence ? 

L’Afrique a été pillée, elle continue à être pillée avec la complicité de gouvernements africains, on le sait. Elle n’est pas à l’abri du capitalisme mondial qui repose sur l’économie d’extraction et le productivisme. Cela fait longtemps que des Africaines et Africains ont fait la critique de l’idéologie du développement à l’occidentale, que de jeunes intellectuels, artistes, économistes, philosophes, sociologues, partant de l’analyse des contradictions locales, régionales et transnationales, font des propositions. Cela fait longtemps que tout une jeunesse ne se tourne plus vers l’Occident.

Il y a de formidables énergies sur le continent, des groupes, des associations, des entrepreneurs qui cherchent des voies de développement à partir des ressources et des savoirs du continent, dans le respect de l’environnement et de la dignité de chaque personne, loin des idéologies occidentales de développement basées sur le PIB.

L’Europe veut continuer à croire qu’elle est indispensable, mais elle est de plus en plus seule à le croire.

En soi, la croissance démographique freine-t-elle mécaniquement la possibilité d’un développement durable, respectueux des êtres humains et de l’environnement ? 

Les femmes, il faut le dire et le répéter, font moins d’enfants dès qu’elles en ont le choix. C’est d’abord à elles qu’il faut penser, aucune femme n’a envie d’avoir des grossesses successives qui l’épuisent et n’assurent pas aux enfants qu’elles ont de vivre pleinement.

Quel mépris de parler des femmes de cette manière ! Le respect des êtres humains et de l’environnement n’est pas d’abord menacé par le nombre d’enfants mais par un système économique et politique qui ne cherche pas à améliorer la vie de chaque être humain mais à continuer à distinguer entre des vies qui comptent et des vies qui ne comptent pas. Quand les vies qui ne comptent pas sont si nombreuses, c’est là qu’est le danger.

Il y a péril en la demeure mais les dirigeants continuent à pérorer sur de vieilles idées, à rivaliser entre eux en adoptant des postures plus insignifiantes les unes que les autres. Que des dirigeants multiplient les obstacles au contrôle des femmes sur leur fertilité, qu’ils les encouragent à faire des enfants mais sans offrir services de santé et d’éducation, ou qu’ils les accusent de favoriser la misère, dans tous les cas, ils instrumentalisent le ventre des femmes.

Le ventre des femmes. Capitalisme, racialisation, féminisme, Françoise Vergès, Albin Michel, 2017.

Entretien réalisé par Rosa Moussaoui
Source :  l’Humanité . le 17 juillet 2017
Voir aussi : Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Afrique,  rubrique Société, Droit des femmes, rubrique Livre Chamoiseau : Cette idée de « race supérieure »,