Théâtre de Sète. Yvon Tranchant sans effets de manche

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Théâtre de Sète
Le directeur de la Scène nationale Yvon Tranchant qui a annoncé qu’il tirera sa révérence à la fin de la saison 2016 2017, poursuit sa mission avec détermination.

Après 14 ans de batailles et de plaisir à la tête de la Scène nationale de Sète et du Bassin de Thau,  Yvon Tranchant pourrait porter en bouche le goût de la mission accomplie, mais il reste concentré sur les dossiers en cours toujours animé par la volonté de tous instants qui sied à la conduite d’un service public.

«Le cahier des missions d’une Scène nationale on le connaît tous, soutenir la création et la diffusion,  et développer l’action culturelle, indique Yvon Tranchant, au-delà de cette vocation généraliste, je pense  que ce qui caractérise notre projet est  lié à la nature de notre implication dans l’aménagement du territoire et dans la production qui se prolonge par des implications dans l’économie du secteur avec des retombés en termes d’emploi.»

Le Théâtre de Sète se considère comme une maison dédiée aux artistes et au public. La mandature d’Yvon Tranchant est ponctuée d’événements où il a fallu défendre ce postulat. En 2003, le transfert  d’intérêt culturel communautaire de la Scène nationale, de la Ville de Sète à la Communauté d’agglomération du Bassin de Thau marque les contours du projet artistique et culturel. Cette décentralisation sur le territoire impliquait l’obtention de moyens supplémentaires.

«Nous avons défendu auprès du maire l’enjeu culturel de ce transfert, ce souvient  Yvon Tranchant. Des 40?000 habitants de Sète nous passions à un bassin de population de 90?000 habitants, avec des contraintes artistiques et spatiales, mais aussi un rayonnement plus conséquent

Les politiques suivent et le projet prend forme avec une programmation pluridisciplinaire de qualité : musique, théâtre, danse, arts croisés, cirque de création et une présence artistique adaptée dans toutes les villes de la communauté.

Accompagnement du public
« Le travail d’action culturelle est prédominant. Nous sensibilisons, accompagnons, fidélisons le public sur des choix artistiques. Dans les communes, nous cherchons des formes adaptées en nous ajustant aux infrastructures disponibles.» La cohérence dans le temps a permis de défricher d’aménager et de gagner la confiance d’un public. « On a fait bouger les gens dans leur rapport à l’art. Le public des petites communes profite aujourd’hui  d’une offre sur place et il a identifié le théâtre comme lieu centre où il se rend pour voir plusieurs spectacles par saison

 

L’activité de production
Parallèlement la Scène nationale de Sète a progressivement développé son outil de production au service des artistes et des compagnies avec une place importante donnée au suivi des artistes.

« La création c’est fondamental pour faire de la diffusion de qualité. C’est important de mener des parcours dans la durée avec des équipes artistiques. Notre responsabilité nous engage à être ambitieux et à développer des projets pas toujours faciles. Je pense par exemple au travail du chorégraphe Phia Ménard  qui n’est pas vraiment consensuel. Nous le suivons depuis de nombreuses années et aujourd’hui il a véritablement fidélisé son public. »

A quelques mois de son départ, Yvon Tranchant s’implique dans un nouveau défi impliquant l’aménagement du territoire et la production. La Scène nationale s’apprête en effet à assurer la gestion du Centre culturel de Mireval (entre Sète et Montpellier) pour y développer un projet de production et de diffusion dédié à la jeunesse. Elle pourra ainsi disposer d’un second lieu d’accueil artistique qui lui faisait défaut. Une façon de préparer l’avenir en laissant à son successeur une fréquentation de 50 000 spectateurs et du champs  potentiel de développement.

JMDH

Source La  Marseillaise 14/11/2016

Voir aussi : Actualité Locale,  Rubrique Théâtre, Politique culturelle,

Opéra Berlioz. Élégance d’un songe ouvert sur le monde

Photo Marc Ginot

Photo Marc Ginot

Sous la baguette magique de Michael Schonwandt, l’Orchestre de Montpellier célèbre et renouvelle Le songe d’une nuit d’été de Shakespeare avec le concours du captivant  récitant William Nadylam et de la talentueuse vidéaste Juliette Deschamps.

S’il est un dramaturge célébré en musique c’est bien Shakespeare. Au XVIe siècle déjà, ses pièces faisaient la part belle à la musique, qui était partie intégrante de la représentation. Verdi composa quatre opéras inspirés du dramaturge, dont Macbeth, Otello et Falstaff. L’histoire de Roméo et Juliette inspira plusieurs compositeurs romantiques, comme Gounod qui en tira un opéra, Tchaïkovski qui composa une ouverture, ou Prokofiev.  La pièce Le Songe d’une nuit d’été, où se mêlent des elfes et des fées, a donné lieu au semi-opéra de Purcell The Fairy Queen ainsi qu’ à une ouverture que compose Mendelssohn à l’âge de dix-sept ans. œuvre étonnamment mûre, dont l’équilibre, la fraîcheur, et l’imagination ne cessent d’étonner.

Dans le cadre du 400ème anniversaire de la disparition de William Shakespeare, la carte blanche offerte au directeur musical de l’Opéra national de Bordeaux, le chef britannique Paul Daniel, se combine sur scène avec la création d’une performance vidéo de la réalisatrice française Juliette Deschamps. Il était probable que cette démarche rencontre l’esprit d’ouverture qui anime la directrice de l’Opéra Orchestre national de Montpellier, Valérie Chevalier dont les choix artistiques budgétairement contraints, promeuvent le dépoussiérage du répertoire et l’innovation qui a du sens. C’est ainsi que les Montpelliérains et les Alésiens ont pu apprécier ce week-end l’adaptation de l’œuvre de Mendelssohn en images, en conte et en musique interprétée par l’OONM sous la direction de Michael Schonwandt avec le Chœur de l’Orchestre et celui  de l’Opéra junior.

 Le potentiel ravivé de l’œuvre

Dix-sept ans après son ouverture, en 1843, alors que Mendelssohn est un musicien très en vue en Europe, il reprend sa partition de jeunesse et l’augmente de douze numéros pour deux voix de femmes, choeur et orchestre à la  demande de Frédéric-Guillaume IV de Prusse. C’est cette version du Songe qu’il a été donné d’entendre avec les passages, chantés (interprétés par la soprano Capucine Daumas et la mezzo-soprano Alice Ferrière) qui se glissent dans le texte même de la féerie de Shakespeare.

Le processus d’écriture de l’œuvre offre de multiples possibilités combinatoires parfaitement adaptées et exploitées par l’acteur William Nadylam. Dans le rôle du narrateur, il donne une pleine mesure de ses qualités acquises auprès de Peter Brook. Il en va de même du travail de Juliette Deschamps qui mixe en direct les images vidéo qu’elle a tourné en Angola, renouant avec la dimension universelle de l’œuvre et son envoûtante mise en abîme. Ces trésors de poésie, de tendresse, et de goguenardise, nous sont restitués dans une version narrative totalement contemporaine.

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 08/11/2016

Voir aussi : Rubrique Musique, rubrique Théâtre, rubrique Littérature, Littérature Anglo-saxone, rubrique Montpellier,

Juste la fin du monde de Xavier Dolan ou la Passion de l’homme Louis.

Juste-la-fin-du-monde-Xavier-Dolan-fait-sa-mueUne critique éclairée du film « Juste la fin du monde » de Xavier Dolan

Par Lydie Parisse*

Certains critiquent le côté parfois ‘branché’ du film de Xavier Dolan, d’autres les gros plans, etc.  Au-delà de ces controverses un peu tatillonnes, j’aimerais dire que le film, s’il ne respecte pas toujours la pièce « à la lettre », en restitue extraordinairement l’esprit. Toute réécriture opère toujours un déplacement du regard, parfois radicale : c’est le cas ici, puisque Dolan supprime les monologues de Louis et notamment l’épilogue. Mais dans le théâtre intime qui est celui du jeune cinéaste, on retrouve bien le clair-obscur typique de l’ironie permanente de Lagarce, sauf qu’ici ce clair-obscur naît clairement de la psychologie vertigineuse des personnages, de la charge émotionnelle qu’ils dégagent. Les codes du cinéma sont différents de ceux du théâtre, et les personnages plantés par Dolan sont là, dans un présent bien tangible qui n’est pas l’effet de rémanence auquel nous sommes habitués dans les mises en scène “contemporaines“ de Lagarce. Pourtant, le film sait aussi installer chaque figure dans une forme de présence-absence.

Même si les dialogues ne sont pas tous conservés en l’état, la langue de Lagarce est bien là, du moins son esprit, dans sa recherche obsessionnelle du mot juste, dans son bégaiement collectif rituel qui dit une non-coïncidence du langage et de la pensée, une non coïncidence des mots et des corps, une non-coïncidence de soi à soi.  C’est dans ce déficit, qui touche le langage, qui touche l’être, que s’installent les personnages de Lagarce : une seule voix les traverse tous, dans une sorte d’identité transpersonnelle. Rhétorique de l’incertitude, tremblement du dire et tremblement de l’être, usage de l’approximation, telles sont les attitudes d’écriture d’un auteur qui pratique la culture du doute et le choix de l’hésitation, entendus comme un art poétique, mais aussi comme  un acte de résistance aux certitudes assénées par les discours totalitaires.

Ce que le film met particulièrement en relief, c’est à quel point le dispositif de la pièce est placé sous le signe de la perte, de la déperdition, qui marque la relation à l’écriture, aux autres, au monde. Le sentiment de la perte est lié au désir impérieux de retrouver le mot juste, la relation juste, le regard juste.

Pourquoi Louis est-il revenu parmi les siens après douze ans d’absence [1]  ? Par mélancolie ? Obsédé par le sentiment d’une perte irrémédiable située dans le passé, il revient  pour déplorer le manque d’amour dont il fut l’objet, plainte qui fut la sienne depuis l’enfance, et en même temps, venant annoncer sa mort prochaine, il se vit comme déjà mort. Impuissance, mélancolie, expérience de dépersonnalisation, tels sont les éléments de ce que Lagarce, dans son Journal, identifie au sentiment d’appartenir à l’humanité du « Troisième groupe » : « Il y a les vivants et les morts, et nous, là, qui sommes perdus et continuons ».

juste_la_fin_du_mondeEn arrivant chez sa mère, lui, l’écrivain, va être la cible de ses proches, et s’offrir en sacrifice. Ce que le film de Xavier Dolan révèle, dans un langage et un lyrisme qui lui est personnel, c’est la violence archaïque qui sous-tend les relations entre les personnages, et que nos scènes contemporaines, ont tendance à mettre à distance. Dans les pièces de Lagarce, la violence est d’abord un phénomène de langage, mais elle est aussi un phénomène éthique, lié à l’incapacité existentielle des personnages à prendre en compte la dimension de l’Autre, sans cesse ramené à la sphère du Même, au sens où l’entend Lévinas. C’est bien de cette violence-là que Louis est victime : empêché (sauf par Catherine) de s’exprimer en son propre nom, instrumentalisé par sa mère qui lui demande de rassurer les siens, il ne peut accéder à une existence séparée qu’à travers une relation biaisée : l’aparté au public dans les monologues (mais les monologues ont été coupés dans le film de Dolan). En dehors de cette adresse indirecte, il est réduit au mutisme et à une identité tronquée : sa fratrie donne de lui un portrait faussé, émaillé de jugements, rompant par là la continuité de sa personne : Louis ne parle pas en son nom propre. Selon Lévinas, le discours de la totalité est affirmation absolue d’une subjectivité qui s’érige en juge, d’où l’abondance des jugements de valeur qui visent à réduire l’autre, à l’instrumentaliser dans le discours du Même. Dans Juste la fin du monde, Catherine s’insurge contre cette habitude selon laquelle un nouveau né doit absolument ressembler à ses parents, et elle défend l’idée que son enfant « ne ressemble à personne », échappant à cette logique du scandale de l’altérité qui fait du langage familial une véritable machine de guerre propre à nier les différences, voire à les réduire, ou à exclure l’individu différent. En revanche, Antoine est dans la logique du Même : « Vous êtes semblables, lui et toi, et moi aussi, je suis comme vous », dit-il à sa sœur pour la consoler. Suzanne aussi ne veut voir en Louis que quelqu’un qui « ne change pas ». Les personnages se créent leurs propres enfermements, leurs propres citadelles. Tous ont peur, et c’est ce qui est à l’origine de la violence. Si la parole de Louis n’a pu être entendue parce qu’elle aurait eu l’impact d’un cri dans un tunnel vide, en revanche, son silence a été entendu, et c’est là, sans doute, toute la force du film de Dolan d’avoir pu filmer en gros plan les visages, car le visage, selon Lévinas, est le lieu de la relation juste, celle du face-à-face avec l’autre.

L’écriture de Lagarce développe plusieurs stratégies d’évitement de la violence et donc du tragique (qui est, au sens étymologique, contamination de la violence rituelle, n’oublions pas que la tragédie est issue du bouc – tragos – que l’on sacrifie).

La première consiste à faire du protagoniste principal moins un mourant qu’un revenant – et c’est là une des forces du casting de Xavier Dolan. Louis n’a pas le même degré de présence scénique que les autres personnages, il est une sorte de présent-absent, mais s’il est ainsi perçu, c’est à travers la folie collective des autres personnages, qui, le privant de sa parole, le déréalisent, le dépersonnalisent, en font une figure sans doute sacrificielle, mais aussi messianique. Sur le plan de la conscience, Louis est déjà d’outre-monde, il a basculé dans une perception où manque le lointain. «  Une des choses les plus mélancoliques dans le rapprochement de la mort : la perte du lointain », écrivait Hervé Guibert dans Le Mausolée des Amants. Mais dans la pièce, tout se passe comme si le fait de se trouver confronté au définitif (la séparation, la dernière fois, la mort) n’était plus seulement l’affaire de Louis, mais celle des autres. La hantise d’une nouvelle séparation les plonge en effet dans des accès de colère et de désespoir très bien rendus par le film de Dolan. Dans Juste la fin du monde, Louis est présenté comme une sorte de ressuscité qui vient brusquement révéler aux siens leur vrai contexte existentiel (le manque d’amour). On voit le sentiment de sidération, fait de trouble et d’admiration, qui accompagne son apparition au seuil de la maison familiale : en cela, nous sommes très proches du Théorème de Pasolini. Quant à la mère, elle tente de redonner à Louis sa place symbolique d’aîné (que Louis refuse dans le film de Dolan), et lui explique qu’il est revenu pour combler les manques existentiels de ses frères et sœurs, leur donner l’autorisation de devenir enfin eux-mêmes : «  Suzanne voudrait partir (…). Lui, Antoine, il voudrait plus de liberté, je ne sais pas (…). Et c’est à toi qu’ils veulent demander cela, c’est à toi qu’ils semblent vouloir demander l’autorisation ».  La tension monte, au point qu’à un moment, Antoine est près de frapper son frère (geste que le film esquisse, ce qui est peut-être un peu trop littéral, il est vrai). Pourquoi cet accès  de violence? C’est qu’en Antoine, contre son gré, quelque chose a été atteint. Le conflit extérieur cache un conflit interne (qui est aussi la caractéristique des héros tragiques). Ce rejet n’est pas de haine, il est la forme paradoxale d’un amour refoulé, d’une résistance qui se brise, d’un conflit intérieur qui trouve sa résolution en prenant la forme chaotique d’une conversion, d’une métanoïa opérée par la simple présence, silencieuse, de Louis. Ce moment de bascule est la conséquence de la présence négative de Louis parmi les siens, qui fait de lui une créature d’un autre monde, une figure de la résurrection. Avec le personnage de Louis, Lagarce met en œuvre le motif du retour parmi les vivants, qui nous renvoie à la Bible comme à la légende orphique : « admettre l’idée toute simple et très apaisante, très joyeuse, (…) l’idée que je reviendrai, que j’aurai une autre vie après celle-là où je serai le même, où j’aurai plus de charme, (…) où je serai un homme très libre et très heureux ».

La seconde stratégie d’évitement de la violence consiste à faire bifurquer le dispositif du tragique vers le Trauerspiel. Il est effet deux lignées dans le théâtre occidental : le théâtre tragique, hérité des grecs, et le théâtre non-tragique, ou pré-tragique, hérité des mystères médiévaux. Walter Benjamin, dans Essais sur Brecht, définit le héros non tragique comme l’homme ordinaire, « sans qualités », pour reprendre le titre du chef-d’œuvre de Robert Musil. Ce qui voulait écrire Lagarce, c’était l’histoire d’ « un seul homme, sans qualité, sans histoire, tous les autres hommes ». Ce mode de lecture nous autorise à lire le personnage de Louis comme une figure de la perte, qui, par son aptitude au renoncement (il renonce à son projet de départ, préférant bafouiller des promesses de retour), par son aptitude à l’abandon (à la fois actif et passif) est un personnage entre deux mondes qui donne la mesure d’un monde.

L’homme renoncé est un personnage qui hante la littérature européenne, et qui, sur le plan théâtral, s’inscrit dans la tradition du Trauerspiel, dans lequel Walter Benjamin voit la « célébration de la Passion de l’homme » ou encore le « drame du martyr ». Les dernières pièces de Lagarce consacrées au cycle du retour racontent ce parcours : un homme meurt et cherche à donner à sa mort une justification, profitant de cette occasion du retour aux sources pour devenir son « propre maître », c’est-à-dire devenir libre. La démarche est d’emblée présentée comme sans espérance (« sans espoir jamais de survivre »), laissant entendre que le héros a renoncé aux idées de salut avant de prendre le chemin de la maison familiale. Louis est bien un « martyr » au sens étymologique de « témoin ». C’est bien le rôle qu’il va jouer dans sa famille : il écoutera les autres.

L’abandon est un état à la fois passif et actif. Si dans sa famille, abandonner les siens est une faute,  Louis a abandonné les siens et en retour, a été abandonné d’eux et en souffre, mais il réalise, contre toute attente,  « que cette absence d’amour fit toujours plus souffrir les autres que (lui) ». L’abandon est un état de conscience paradoxal, car il est une tentative de conciliation des contraires, dont l’image est la nuit lumineuse. « C’est comme la nuit en pleine journée », dit Antoine dans Juste la fin du monde pour résumer le contexte étrange dans lequel baignent ces retrouvailles, et que le film de Dolan tente de rendre par le travail de surexposition des lumières et des contre-jour, et par cette jolie idée d’une chaleur caniculaire.

L’abandon est paradoxal, il est aussi un choix, un acte de volonté : le choix de la non-violence, porté jusque dans la peur, jusque dans la souffrance-même. Lagarce dira plus tard vouloir raconter dans Le Pays lointain « la violence, comme étrangère », la mettre à distance par l’écriture. C’est pourquoi « dire ce refus de l’inquiétude » (jusque dans l’inquiétude-même), est son «  premier engagement » : ce refus de l’inquiétude n’est autre qu’une recherche du détachement, ou de la liberté de qui ne possède rien et n’est possédé par rien. Il est certain que le succès des pièces de Lagarce et de Juste la fin du monde vient de ce qu’elles nous rattachent au fonds anthropologique de l’humanité. Aussi la figure de Louis, comme les autres figures d’écrivains de ses pièces, est-elle moins une figure d’abandonné qu’une figure de dépossédé. C’est ce qui fait que  l’écriture de Juste la fin du monde a sans doute été nourrie par des souvenirs de cinéma, et s’apparente à des œuvres telles que  Le Sacrifice (1986) de Tarkovski, film qui a bouleversé Lagarce au moment de sa sortie, parce qu’il parle de la fin du monde, mais d’une fin du monde au sens d’une apocalypse, au sens étymologique de renversement des apparences, de révélation de réalités cachées.  Un film testamentaire, puisque Tarkovski est mort  quelques mois après. « C’est magnifique, C’est magnifique et les images restent dans ma tête. Eprouvant aussi. Les acteurs sont excellents (la comédienne qui joue la femme de Josephson notamment). C’est cela par-dessus tout que j’aimerais pouvoir écrire », affirmait Lagarce.

* Lydie Parisse est dramaturge, elle est notamment l’auteure de Lagarce. Un théâtre entre présence et absence, Classiques Garnier, 2014.

 

Du risque de se revendiquer pitoyable

Théâtre
Ron Mueck, Big Man (1998)Mélankholia, la création de la compagnie U-structurenouvelle donnée au Théâtre  Jean Vilar est également programmée au Périscope à Nîmes en janvier 2017 et  au Domaine d’O en février dans le cadre du festival Big Band de hTh.

Depuis trois ans la compagnie U-structurenouvelle brasse du spleen avec le projet  Mélankholia qui vient d’éclore sur le plateau du théâtre Jean-Vilar.  Ce projet, envisagé comme une perspective répond à l’idée audacieuse de partir d’un sentiment pour embrasser le monde contemporain. Cela aurait pu être l’amour, la tristesse ou la rage mais c’est la mélancolie qui a contenu le désir de la troupe.

La mise en scène est signée Stethias Deler, association de Stefan Delon et Mathias Beyler ayant tous deux développé par ailleurs un travail sur le même thème. « Au départ je suis tombé sur  un texte du sociologue Stéphane Hampaetzoumian qui envisage l’Occident comme une personne et se dit que si elle souffre de quelque chose, c’est de la mélancolie, indique Stefan Delon. A partir de là, nous avons exploré le concept. Tout ce que nous faisons pour échapper au malheur, à la violence des émotions, aux injonctions de bonheur vers lesquels nous pousse la société, nous y ramène. Mélancolie et dépression, c’est la même chose. Aujourd’hui, il est interdit d’être  malheureux, de s’ennuyer. Nous avons décidé de se trouver dans cet état, d’être pitoyable et stérile. »

Le choix peut être perçu  comme une manière d’échapper au degré inouï de brutalité atteint en ce début de XXIe siècle. Vaccin contre le réel, la mélancolie a de tout temps été conçue comme un espace de respiration, voire de création, qualifiée de bile noire par les grecs qui la concevaient comme un répit aux humeurs perturbatrices. A travers une succession de tableaux, le spectacle mixe les facettes de cet état transitoire. Images de la mélancolie religieuse magistralement exprimée par Bosh dans La Tentation de Saint Antoine ou plus moderne avec le spleen poétique. Mais la performance provient surtout du rapport des acteurs au plateau basé sur l’improvisation. Si l’effacement de la conduite dramatique peut surprendre, elle laisse grande la place au sujet mélancolique, véhicule transparent des sentiments de son histoire intime, en prise avec un monde, qui le dépasse.

Tandis que  chute le mur de Berlin,  que s’effondrement les Twin Towers, les acteurs éprouvent leur piteuses limites. « Nous assumons l’absence de fil conducteur et d’indication pour être cette chose. Ce que je dis, je suis le seul à le dire et personne n’est là pour me couvrir. » Le spectacle fait naître une forme d’empathie liée à la grande liberté d’interprétation et d’expression, à la lenteur des corps aussi. Un peu comme si s’était déclenché chez les comédiens le besoin de témoigner du désarrois des êtres sensibles.

Mélankholia produit artistique transitoire et non fini, ne manque pas de questionner. La mélancolie participe-t-elle à nouveau à notre perception du monde en contribuant ainsi au développement de thèmes politiques ? Faut-il s’en garder, l’accepter, la combattre… à vous de voir.

JMDH

Source ; La Marseillaise 05/11/2016

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Cinemed. Printemps d’un cinéma tunisien en ébullition

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Le réalisateur Lotfi Achour et l’actrice , co-scénariste, Anissa Daoud. Photo jmdi

En compétition pour l’Antigone d’or, le film de Lofti Achour Demain dès l’aube  aborde la Tunisie post- révolution et démontre la vitalité du cinéma tunisien dont l’offre diversifiée s’exprime avec force, parfois où elle n’est pas attendue.

Avec une vingtaine de films projetés, le Cinemed consacre cette année une large place à l’émergence cinématographique tunisienne. « La révolution a eu un véritable impact car elle a libéré le pouvoir politique mais aussi artistique »,  constate le directeur du festival Christophe Leparc. Cinq ans après la révolution, on assiste à un véritable renouveau nourri par une grande diversité de propos, féminins et masculins, qui ont pour dénominateur commun le désir d’une expression libre.

« En Tunisie, la politique est en retard. Face à la société qui fait des bons en avant, l’Etat est en retard, souligne le réalisateur Lofti Achour venu présenter son film en première mondiale. Les cinéastes se sont emparés de la démocratie. Mais le budget de la culture, qui reste sous l’influence des religieux, ne cesse de baisser depuis 2011. Il est aujourd’hui deux fois moins important qu’à l’époque de Ben Ali. » La productrice Dora Bouchouda, qui oeuvre pour faire découvrir la richesse des jeunes talents, évoque « une vraie rupture. Il y a  un renouveau dans l’expression lié au fait que les gens se sentent  légitimes,  particulièrement les femmes. »

Ce renouveau n’est pas sans rappeler le mouvement espagnol de La Movida. La Tunisie qui produit 5 à 6 films par ans reconstruit actuellement son réseau de salles. Elle multiplie les projections et les débats pour répondre à la demande du jeune public tunisien, qui est au rendez-vous.

Demain dès l’aube
A la différence du  film de  Leyla Bouzid A peine j’ouvre les yeux situé quelques mois avant la révolution,   qui rend compte du poids de  l’état policier sur la jeunesse, Demain dès l’aube, répond à la volonté de parler de la Tunisie d’aujourd’hui.  Lofti Achour a co-écrit le scénario avec son actrice Anissa Daoud et l’auteur de théâtre contemporain Natacha de  Pontcharra.

Cette démarche collective est animée d’un souci d’authenticité et d’exigence qui trouve une vraie cohérence cinématographique. Elle offre une richesse de lectures croisées de cette période fondatrice de l’histoire tunisienne. Aux antipodes des clichés attendus, du point de vue de la forme, ce cinéma bénéficie de l’expérience cultivée par des artistes ayant su exprimer ce qu’ils voulaient dire sous un régime policier, sans donner prise à la censure politique.

Maîtrise du propos donc, qui fut largement bousculé par la nouvelle donne. «  Au départ nous étions partis sur un scénario autour des événements du 14 janvier 2011, le jour du départ de Ben Ali, puis les idées ont évolué, explique Anissa Daoud. Il faut s’imaginer ce que peut être un état policier sans tête qui s’entre-dévore. Viols, meurtres, horreurs, de nombreuses exactions ont été commises. Mais aussi des scènes plus intimes. Beaucoup de Tunisiens qui étaient dans la rue se sont réfugiés dans les appartements d’autres citoyens et ont vécu ensemble ce moment sans se connaître. C’est à se moment que les bulles étanches de la société tunisienne ont explosé. »

Cet état d’ébullition de tout un peuple se poursuit quelques semaines avant que l’Etat réaffirme son autorité. Ce que certains invités ont nommé « la Restauration ». Le film revient  sur ce moment de violence, de grâce et d’interrogation face à la liberté : « On s’est dit on fait quoi ? C’est quoi notre projet commun ? »

Le titre inspiré de Victor Hugo Demain dès l’aube, s’attache au devenir citoyen de la Tunisie avec réalisme. Il reste vigilant sur la véracité du propos, empli d’une énergie démocratique  dont on ne peut qu’espérer qu’elle saura bousculer les vieilles démocraties endormies.

JMDH

Source La Marseillaise 28/10/2016

Voir aussi : Rubrique Cinéma, CinemedCinemed 2016 miroir d’un monde qui mute, Jo Sol : Idée d’un corps révolutionnaire et universelElite Zexer : Sur le sable bédouin, rubrique Festival, rubrique Montpellier,  rubrique Israël, rubrique Rencontre,