Gilles Kepel : « La politique française arabe est difficile à décrypter. »

gilles_kepel_photo.1233692599GILLES KEPEL. Le Politologue spécialiste de l’Islam et du monde arabe est à
l’Agora des Savoirs ce soir à 20h30 pour évoquer les révolutions arabes.

 

Gilles Kepel est politologue, spécialiste monde arabe contemporain est professeur des université à Sciences Po Paris

Par quel bout allez-vous aborder la question des révolutions arabes dont la perception des enjeux est pour le moins brouillée pour les citoyens français ?

Face à cette situation complexe il est difficile de comprendre. Je suis allé sur le terrain, entre 2011 et 2013, où j’ai rencontré tous les intervenants politiques de la région dont les dirigeants du Qatar, principaux rivaux de l’Arabie Saoudite pour l’hégémonie du monde arabe sunnite, qui se sont retrouvés fragilisés après la destitution du président égyptien Mohamed Morsi. J’ai rendu compte de cette expérience sous la forme d’un journal* dans lequel je croise ma vision de myope issue de ce parcours, avec mon regard de presbyte, celui du recul sur ce monde que je connais bien.

Ce soir, je vais tenter de présenter la diversité des choses et de mettre un peu d’ordre. En plusieurs partie : la chute des régimes anciens, Irak, Libye, Tunisie, Egypte, et leurs maintient comme au Yemen, au Qatar, ou en Syrie. Je parlerai des guerres civiles de plus en plus islamisées et des guerres abandonnées.

Comment analyser l’appel au dialogue lancé par les Frères musulmans en Egypte ?

Leur position s’est considérablement affaiblie avec la montée en puissance du général Al-Sissi, maître du jeu en Egypte,  qui a bénéficié du soutien de l’Arabie Saoudite. Ils ne peuvent plus compter sur l’aide du Qatar et de la chaîne Al Jezeera qui a perdu, elle aussi, de son influence. Cet appel au dialogue est lié à une perte de popularité. Leur seule ressource est d’apparaître comme une force démocratique même si leur expérience du pouvoir s’avère désastreuse.

De l’aventurisme de Sarkozy en Libye aux déconvenues de Hollande en Syrie, on a le sentiment que  la politique arabe française ne sait pas sur quel pied danser…

Elle est très difficile à décrypter. J’ai le sentiment qu’elle est devenue la propriété d’énarques omniscients et d’idéologues qui souhaitent faire parler d’eux. Cette politique nous vaut peu de considération dans le monde arabe où la voix de la France était respectée

Quels sont les éléments qui permettraient de construire un état de droit dans les pays arabes ?

Un modèle de ce type ne peut se constituer qu’à partir d’une classe moyenne porteuse d’un projet démocratique. Malgré ses turpitudes actuelles, la Tunisie est le pays qui en semble le plus proche.

L’occident qui prêche la démocratie n’est pourtant pas très légitime quand il abandonne les peuples et se discrédite moralement et symboliquement ?

Notre culture dispose d’assez peu de fondement démocratique. Nous sommes face à un processus où les forces souhaitent retrouver la liberté d’expression et s’inscrire dans la citoyenneté. Le monde arabe a beaucoup changé. Il est hétérogène, composé de démocrates et de salafistes, la réalité est entre les deux. Le parachutage d’un modèle démocratique n’a pas de sens sans l’implication des populations.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

* Passion arabe. Journal, 2011-2013, éd Gallimard.

Gilles Kepel à 20h30 centre Rabelais, entrée libre.

Source : L’Hérault du Jour 20/12/2013

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Lou Marin :  » Il y a une sous estimation de la pensée libertaire de Camus »

Lou Marin invité chez Sauramps, Photo Redouane Anfoussi

Lou Marin invité chez Sauramps, Photo Redouane Anfoussi

Lou Marin est un chercheur allemand militant engagé dans le réseau des libertaires non–violents. Résidant à Marseille depuis une quinzaine d’année il a rassemblé l’intégralité des textes écrit par Albert Camus dans les revues libertaires en France et dans le monde. Le fruit de son travail a été publié en 2008 par Egrégores éditions, une petite maison marseillaise mais cet ouvrage est passé quasiment inaperçu. Il vient d’être réédité par les éditions montpelliéraines Indigène dirigé par Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou qui en a signé la préface. Lors de la présentation de l’ouvrage qui vient de se tenir à la librairie Sauramps en présence de l’auteur, J-P Barou s’est insurgé de l’impasse que font les grand médias sur cet ouvrage reçu avec un peu d’agacement par les maîtres à penser du monde intellectuel et médiatique français. Rencontre avec Lou Marin.

Qu’est ce qui vous a poussé à entreprendre ce travail sur Camus auquel vous vous êtes attelé durant vingt ans ?

Cette entreprise est liée à mon parcours personnel de militant au sein du mouvement anarchiste non-violent en Allemagne. En France, ce mouvement est assez méconnu. Il a été occulté par les actions de la Fraction armée rouge, or le mouvement non violent est une vieille tradition. On trouve trace de cette philosophie dès le XVIème siècle dans le Discours de la servitude volontaire de La Boétie. Au XIXème des gens comme Proudhon pensaient que la révolution sociale pouvait être atteinte pacifiquement. J’ai collaboré à des journaux comme le Graswurelrevolution et je me suis engagé dans le combat antinucléaire.

Nous avons mis en oeuvre des stratégies non-violentes nouvelles, celle par exemple, de ne pas s’attaquer au coeur du système nucléaire mais à ses infrastructures en s’en prenant au convoi de déchets nucléaires ou en coupant des pylônes électriques construits par les nazis. Détruire du matériel reste une action non-violente car cela ne produit pas de douleur. Nous avons beaucoup d’influence en Allemagne et aussi des résultats avec la fin du nucléaire programmé à échéance 2021.

La notion de discours est importante. Sur ce point on pourrait nous situer entre Bakounine et Ghandi. Mais nous étions à la recherche de revendications actuelles et modernes. Camus a fondé sa pensée à l’épreuve du quotidien. Il a traversé les catastrophes du XX e siècle, il s’est demandé comment est-ce possible qu’une civilisation soit devenue aussi barbare en partageant ce questionnement avec les anarchistes. L’analyse de sa révolte est utile aux militants qui luttent aujourd’hui pacifiquement partout dans le monde.

Cette question de la violence et de la non-violence reste au coeur de ses préoccupations ?

Il y a une conjugaison entre violence et non-violence chez Camus. Dans une auto-interview (1) il écrit : « La violence est inévitable et je ne prêcherai pas la non-violence », ce qu’il fera finalement dix ans plus tard. En 1942-1943 il observe à Chambon-sur-Lignon l’accord non-violent que passe la population du village pour le sauvetage des juifs. Cela le touche profondément. En même temps il ne souhaite pas que le pacifisme aille trop loin dans les compromissions pour éviter les conséquences qui mènent à la collaboration.

En 1958, il soutient les objecteurs de conscience en Algérie où il constate que la lutte armée échoue là où la non violence réussit.

Camus est aussi très lié à l’Espagne où il défend la cause des libertaires…

Pour lui c’est avant tout une question de moralité en tant que résistant. A la fin de 1944, de Gaule reconnaît le franquisme alors que pour Camus la guerre n’est pas finie sans que l’Espagne soit libérée. Cette position l’oppose également aux alliés, notamment à la Grande-Bretagne et aux Etats-Unis qui ont récupéré les troupes franquistes dans le cadre de la guerre froide. Camus trouve ses amis parmi les 500 000 réfugiés espagnols qui subissent la rétirada. Il s’insurge au côté des anarchistes syndicalistes contre l’ONU lorsque l’Unesco reconnaît l’Espagne de Franco.

camus-idgL’objet de votre ouvrage réhabilite la pensée libertaire de Camus Pourquoi a-t-elle été sous-estimée ?

A son époque Camus était un ovni parce qu’il était  à la fois antimarxiste et anticapitaliste, ce qui était inconcevable dans les années 50. Aujourd’hui, ce phénomène me paraît inexplicable. Alors que les essais sur son œuvre abondent et ont mobilisé plus de 3 000 universitaires, philosophes, hommes et femmes de lettres. Personne n’expose cet aspect de sa pensée. Il y a une sous-estimation du militantisme libertaire qui a bénéficié d’une continuité de pensée jusqu’en 68, avant de s’évanouir dans un grand vide. Le mouvement libertaire est jugé sans importance dans le milieu philosophique.

Il n’y a pas de respect pour ceux qui ont pris L’homme révolté en tant qu’oeuvre philosophique. Je crois que le monde libertaire qui milite dans les mouvement sociaux a un but. Ce n’est pas le cas des chercheurs qui ne font pas le lien entre un principe et sa réalisation sociale. Leur but est avant tout égocentrique. Il s’agit d’avoir du renom.

Ne pensez-vous pas que nous sommes plus mûrs aujourd’hui pour saisir cet aspect de sa pensée ?

Il y a certainement un renouveau d’intérêt pour la pensée libertaire. Camus a écrit une phrase comme : « La propriété c’est le meurtre », ce qui prend une certaine résonance quand les ouvriers se suicident sur leur lieu de travail. Sarkozy voulait le transférer au Panthéon ce qui est fort de café pour un antinationaliste.

Tous les droits que nous avons dans une société n’émanent pas de la société. Ils viennent d’en bas. L’État a pour fonction de les arrêter et de les faire reculer lorsqu’il n’y a pas de résistance pour les conduire vers l’extrême droite. »

Propos recueillis par Jean-Marie Dinh

(1) Défense de l’Homme n°10, juin 1949

Albert Camus écrits libertaires, Indigène éditions, 18 euros.

Source : La Marseillaise 18/11/2013

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Dans le Gard la société civile s’engage contre la discrimination

Agir devant l'impuissance publique face à la montée du FN

Pour un vrai débat public et citoyen

Réfléchir sur les pannes qui se sont produites dans le processus d’intégration ou analyser la montée de l’extrême droite à l’échelle locale ne consiste pas à réduire ces problématiques qui se déploient à l’échelle nationale et européenne. Ce peut être au contraire une facon d’ouvrir le débat au plus près du quotidien. Les thèmes de l’exclusion et des discriminations émergent toujours difficilement dans le débat public hexagonal. « Localement, la moitié de la population est raciste, certains maires refusent d’aborder la question pour ne pas fâcher les gens », confie M. Mazauric.

A l’aune de ce témoignage, on mesure la nécessité de voir émerger des mouvements organisés et massifs. Avec le soutien de partis en manque de symbole, le monde associatif s’est depuis longtemps engagé dans ce combat mais de Fadela Amara à Harlem Désir, les premiers concernés ont plus pensé à servir leurs ambitions qu’à s’investir dans une action collective. La marche pour l’égalité de 1983 et « Convergence 84 » avaient ébauché une avancée qui fut minée par la récupération politique et les déceptions consécutives.

Par l’effet d’une méfiance compréhensible, les intéressés on finit par s’isoler dans des revendications communautaires. Il est plus que temps de dépasser le lourd contentieux colonial pour s’inscrire dans la réalité de la diversité. L’effet de loupe porté sur la situation du Gard permet de voir que le racisme s’exerce aussi en direction de l’étranger qui vient s’installer dans la région quelles que soit ses origines. « La peur du FN reste un des principaux ressorts du vote utile », souligne l’historien Alexis Corbière, une raison citoyenne de plus d’évaluer et d’agir en connaissance de cause…

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Société. Le Gard est le seul département à avoir placé le FN (25,51%) en tête au premier tour de la présidentielle en 2012. La société civile s’engage pour un retour à la fraternité soutenu par le CG 30.

Marion Mazauric créatrice des Editions Au diable Vauvert

Marion Mazauric créatrice des Editions Au diable Vauvert

Premier festival du livre contre la discrimination

La semaine nationale contre le racisme et les discriminations prend du sens ce week-end à Vauvert avec la première édition du Festival in/différences initiée par les éditions Au Diable Vauvert et la librairie La Fontaine aux livres. « Nous inaugurons le premier salon du livre en France contre la discrimination, indique Marion Mazauric fondatrice des éditions du Diable. Nous le reconduirons chaque année à l’occasion de la semaine contre le racisme en mettant à l’honneur une pratique, une culture ou une population ostracisée. Le thème de cette année c’est le racisme, ce pourrait être les homosexuels ou la tauromachie...» Au cœur de la 2e circonscription du Gard représentée à l’Assemblée par Gilbert Collard, cette initiative s’accompagne de la parution d’un petit livre* qui fait le point sur les raisons locales de la montée du FN. L’ouvrage réunit historiens, sociologues, géographes ou spécialistes de l’extrême droite pour se pencher sur le cas du Gard.

L’historien Raymond Huard rappelle que les mouvements d’extrême droite prospèrent toujours sur un terreau particulier. Des débordements xénophobes d’Aigues-Mortes à l’encontre des ouvriers italiens à la fin du XIXe aux différents succès électoraux du FN dans le Gard à partir des Européennes de 1984 en passant par le mouvement poujadiste qui perce dans les années 50 auprès des rapatriés d’Algérie, le FN a trouvé les moyens de s’ancrer dans le département. Il a en outre bénéficié de l’attitude de deux présidents de région successifs. Jacques Blanc s’alliera directement avec le FN tandis que Frêche s’en est accommodé par calcul politicien.

La géographe Catherine Bernié- Boissard fait le lien entre le rapport des habitants à la ville et leur comportement électoral. Rattachant la récente progression du FN à un ensemble de facteurs : crise économique, délitement des services publics, ruptures des liens sociaux, crise culturelle. Ici comme ailleurs, la ruralité a reculé au profit du péri-urbain. « On ne gère plus le collectif, confirme Marion Mazauric qui vit sur place. On construit des villes entières sans place pour se rencontrer. Le défi du développement démographique suppose un effort mutuel. Les gens qui arrivent doivent respecter la culture et les autres doivent pendre conscience qu’ici les sangs se sont mêlés depuis les Wisigoths ». Au-delà du festival, plus de 75 associations sont mobilisées pour remettre l’intelligence au service de l’humain. Ils ont trouvé une réponse institutionnelle avec le Préfet du Gard Hugues Bousiges qui lance la semaine de la fraternité du 21 au 28 mars. Un réveil ?

Jean-Marie Dinh

Vote FN : pourquoi ? Ed Au Diable Vauvert 128 p 5 euros.

Source : La Marseillaise 16/03/2013

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Entretien : Boris Cyrulnik : Nos neurones anticipent notre passé

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La mémoire est toujours sociale. Photo dr

Le psychyatre aborde le fonctionnement imparfait de notre mémoire. Dans le cadre d’une conférence donnée à Béziers au Chapiteaux du Livre le 27 septembre 2013 sur le thème « Mémoire et autobiographie ».

Le psychiatre Boris Cyrulnik se dirige vers l’éthologie et se diversifie au maximum : éthologie, psychologie, neurologie, psychanalyse… Adepte de la multicausalité, à partir des années 1980, il voue son existence à la vulgarisation de son savoir grâce à ses livres : Mémoire de singe et paroles d’homme (Hachette, 1998), Les vilains petits canards (2004) et Quand un enfant se donne la mort – Attachement et sociétés (2011) éditions Odile Jacob.

L’intitulé de votre conférence « Mémoire et autobiographie » semble nous renvoyer dans le passé pour définir la perception que nous avons de nous-mêmes ?

A vrai dire, notre mémoire va chercher dans notre cerveau la trace neurologique qui nous rend sensible à un type d’événement. En quelque sorte, nos neurones anticipent notre passé. Il ne s’agit pas d’un retour des événements mais d’une reconstruction de notre passé. Nous allons chercher les images et les mots qui nous permettent de construire notre autobiographie. Cela répond à un processus neurologique et psychologique. Le passé s’éclaire à la lumière du présent. Si je suis de bonne humeur mon passé s’éclaire à partir d’éléments positifs. Si je ne me sens pas bien, je vais chercher à expliquer les éléments de ma tristesse. Dans les deux cas je ne mens pas.

Dans le cas de l’autobiographie et plus encore dans celui de l’autofiction ce travail de mémoire se trouve doublé d’un récit réinterprété qui peut se situer dans la fiction.

Quand on écrit son autobiographie, on s’adresse à l’intime qui saura nous comprendre. Il y a une intentionnalité de la mémoire. On va chercher les mots qui expliquent le fait que l’on ait été dédouané ou que l’on ait triomphé.

Même dans le roman, l’imagination la plus folle sollicite toujours des morceaux de réalité. La science-fiction par exemple, se compose à partir de la réalité. L’auteur retravaille sa mémoire, la remanie pour l’adresser à quelqu’un, pour en faire un souvenir identifiable. Quand Semprun s’attaque à son autobiographie, il écrit « mes brouillons saignent ». Il entretient dans un premier temps la mémoire de son passé douloureux jusqu’au moment où il se met au roman en utilisant des bribes de réalité, ce qui lui permet de redevenir maître de son passé.

Mais la mémoire peut intégrer nos blessures sans toujours les révéler ?

Oui, dans ce cas, il s’agit de la mémoire traumatique. On est prisonnier du passé. Celui-ci s’impose à nous dans le présent. On voudrait mettre notre souffrance dans le passé mais elle s’impose à nous comme si elle relevait d’un processus d’intentionnalité de la mémoire. C’est le cas des personnes victimes d’une agression qui vous disent « j’y pense toute la journée sans parvenir à chasser ces images et elles s’imposent la nuit dans mes cauchemars ».

Comment s’en libérer ?

Il faut retravailler sa mémoire, la remanier, l’adresser à quelqu’un, en faire un souvenir.

Ce qui suppose de trouver un environnement humain favorable…

La mémoire est toujours sociale. Un enfant ou un adulte isolé ne met rien en mémoire. On ne peut mettre en mémoire que des éléments extérieurs à soi. Les enfants abandonnés ou les prisonniers au cachot ont d’énormes trous de mémoire parce qu’ils n’ont pas accès à l’altérité. Le rapport aux autres est essentiel parce qu’il donne du sens et apporte un soutien.

Sans soutien le blessé de l’âme ne peut faire le travail seul. Il est très important d’être compris. Lorsqu’une femme agressée sexuellement se trouve confrontée à un fonctionnaire de police qui sourit ou refuse de la croire, elle subit un deuxième traumatisme.

Le déni est trop douloureux. Il peut se trouver aussi que l’entourage affectif de la personne y participe, en tenant un discours du type : c’est fini maintenant tout cela, on n’en parle plus… Et le blessé est souvent complice, parce que c’est trop dur à dire. Cette attitude empêche d’affronter le problème et de le résoudre.

On définit l’éthologie humaine comme l’étude des comportements individuels, la dimension collective doit-elle s’entendre comme l’agrégation des individus ?

De nombreux travaux existent comme la socio-éthologie des foules, ou l’éthiologie du récit collectif. Nous croyons intérioriser nos récits alors que la plupart d’entre-eux proviennent de notre environnement, ne serait-ce que notre langue maternelle.

A Toulon, nous menons des travaux collectifs avec les soldats blessés ou des communautés comme les Pieds-noirs qui ont été très mal accueillis ce qui a produit des blessures qui saignent encore. Les guerres sont à l’origine de beaucoup de films qui sont utiles parce qu’ils posent le problème.

Au Vietnam ou en Irak l’armée préparait les soldats qu’elle envoyait au feu en leur donnant un traitement afin de limiter leur état de conscience. Quels sont les résultats en terme de traumatisme ?

Cela a fait beaucoup de dégâts, on connaît les difficultés d’intégration vécues par les vétérans du Vietnam. A leur retour au pays bon nombre des GI’s victimes des horreurs de la guerre se sont identifiés à des agresseurs. Depuis on a compris qu’il fallait s’occuper d’eux et les soutenir. L’armée américaine a mis en place les Buddys sur le principe qu’il ne faut jamais laisser un soldat seul. Chaque soldat à son Buddy qui peut l’aider au moment du départ ou à son retour.

En même temps l’armée a changé. Aujourd’hui nous avons des armées de métier et on a de plus en plus recours à des entreprises privées qui embauchent des mercenaires.

La nature des combats a aussi évolué avec les conflits asymétriques. Dans la dernière guerre menée par Israël contre le Hezbollah, Israël disposait de 130 000 hommes contre 3 000. Il y a eu une victime israélienne contre 500 dans l’autre camps, pourtant Israël n’a pas gagné la guerre et a perdu la guerre psychologique.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 26/09/2013

Voir aussi : Rubrique Sciences humaines, rubrique Rencontre, Daniel Friedman, Roland Gori, Ken Anderson

Quand votre responsable vous ordonne de tourner le bouton…

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Rencontre. Michel Terestchenko est venu présenter chez Sauramps, la célèbre expérience sur la soumission à l’autorité de

Milgram, dont il signe la préface.

En 1961, alors que le procès Eichman fait la une des journaux, le psychologue américain Stanley Milgram imagine un programme de recherche sur l’obéissance à l’autorité. Présenté comme une expérience sur l’apprentissage, les sujets actionnent un panneau de commande doté d’une série de commutateurs allant graduellement du choc electrique très léger au choc extrême. Au fil du déroulement, les sujet reçoivent l’ordre de délivrer des chocs de plus en plus élevés aux personnes  qui se trompent de réponse.

En réalité, l’expérience visait à déterminer le point de rupture, définit comme le moment où les personnes refusent d’obéir aux ordres des scientifique. A 300 volts, les victimes frappe violemment sur la cloisons, à partir de 315 volts, ils cessent de répondre et les coups s’arrêtent. A la fin de la séance 65% avaient poussé l’obéissance jusqu’à accepter d’envoyer , par trois fois, la décharge maximale de 450 volts.

« Les résultats sont terrifiants et déprimant » constate Milgram qui cherchait, comme Arendt,  à  s’expliquer les causes de l’extermination massive durant la seconde guerre mondiale. Cette expérience  démontre que des gens ordinaires, dépourvus de toute hostilité, peuvent massivement accomplir des actions abominables au nom de l’obéissance. « L’expérience Milgram met à mal un certain nombre de présuposés, comme celui que les gens ne sont nullement enclin à faire souffrir un innocent. Celui qui voudrait qu’en l’absence de coercition, le sujet reste libre et maître de ses actes, ou encore celui qui pose que le moi profond décide de ses actions à partir d’un choix raisonné de valeurs »,  souligne Michel Terestchenko.

Plusieurs expériences scientifiques conduites depuis confirment cette tendance « L’expérience a été critiquée en raison des problèmes déontologiques qu’elle soulève. Il serait impossible de  la reconduire dans un cadre scientifique aujourd’hui. En même temps, on a autorisé en 2010 la diffusion sur France Télévision de l’émission Le jeu de la mort, où le pouvoir de l’animateur de télévision conduit les gens à commettre des choses cruelles. A un autre niveau, la situation de tournage de la palme d’Or 2013, pose la question du cinéma en tant que système, est ce que l’art a tous les droits ? »

Pour  Terestchenko, il faut avoir conscience « de notre vulnérabilité » face aux conséquences potentiellement destructrice de l’obéissance, et au-delà de nous-même, et veiller à contrôler les structures hiérarchiques, qui par nature , s’organisent en exigeant la docilité et la soumission de leur membre, dans les institutions et les entreprises.

Jean-Marie Dinh

Expérience sur l’obéissance et la désobéissance à l’autorité, ed de La Découverte  Zone

Voir aussi : Rubrique Essais, La torture une pratique institutionnelle,