La presse nationale salue la 39eme édition de « Jazz In Marciac ». LeMonde, LeParisien, L’Express, Challenges évoquent une programmation exceptionnelle et un vrai succès. En revanche le quotidien de Jean-Michel Baylet fait dans le « couac » et parle d’une première semaine creuse. `Le décalage est troublant.
Problème de goûts musicaux ? Pas du tout. Ce n’est pas une affaire d’oreille mais de business et de protocole. Le mauvais traitement de la Dépêche du Midi est lié à une fibre culturelle particulière. Une fibre culturelle version familiale : le sens du clan et un « crime de lèse majesté » envers l’héritier Baylet mais aussi la fin d’un partenariat commercial entre l’entreprise Baylet et « Jazz In Marciac ».
La patronne de la Maison de la Presse de Marciac, Véronique Berné, relativise la mauvaise humeur des commerçants : « ce sont quelques commerçants et très peu. Je peux montrer mes tickets de caisse. Il y a une très bonne fréquentation journalière ». Un restaurateur est sur la même ligne : « Je n’ai rien à dire. Je suis très content. On travaille bien. J’ai le nez dans le guidon et on bosse. Je n’ai pas entendu parler d’un mécontentement ».
Selon nos informations, il y a bien des grincements de dents du côté de certains commerçants. Mais il est surtout lié au tarif de location des emplacements et, s’agissant de la grogne mise en avant par la Dépêche du Midi, elle est circonscrite à quelques personnes. L’autre clou planté dans la chaussure de « Jazz In Marciac », à savoir la fréquentation et la qualité de l’affiche, est également « tordu ».
Plusieurs journalistes couvrant le Festival démentent catégoriquement le « flop » décrit par le quotidien de Jean-Michel Baylet. Erwan Benezet suit pour Le Parisien, les concerts. Ce n’est pas sa première édition de « Jazz In Marciac ». Il déclare : « La salle est remplie tous les soirs. C’est le même succès qu’en 2015 et même plus haut ». L’envoyé spécial du magazine Challenges, Thierry Fabre dresse le même bilan de la première semaine du Festival : « Autant l’an dernier on aurait pu espérer de meilleures fréquentations pour certaines soirées autant cette année le chapiteau est quasiment plein tous les soirs. Il faut dire que c’est vraiment une belle affiche. D’un point de vue artistique, c’est meilleur que l’an dernier ».
Visiblement, les journalistes de la presse nationale n’assistent pas au même festival que leur confrère de la Dépêche du Midi. En fait, c’est normal car les envoyés spéciaux du Parisien et de Challenges n’ont pas comme patron le fils de Jean-Michel Baylet.
Le ministre n’a pas du tout apprécié l’affront subi par son successeur de fils lors de la précédente saison de « Jazz In Marciac ». Le 25 juillet 2015, Manuel Valls assiste au festival gersois. Jean-Nicolas Baylet est présent mais « relégué » en dehors des premières places. Colère volcanique de Jean-Michel Baylet. On ne badine pas avec les feux de la rampe et les fauteuils de prestige. Peu importe que les services de Matignon soient à l’origine de ce terrible faux-pas. Le coupable est désigné : le président-fondateur du Festival, Jean-Louis Guilhaumon.
Avant l’été 2016, les relations entre le groupe de presse Baylet et « Jazz In Marciac » sont déjà tendues. Les premiers mauvais articles tombent. Un papier est particulièrement négatif. Il est signé par un journaliste que personne ne connaît à la Dépêche du Midi. Et pour cause. Selon une source, c’est en fait Jean-Nicolas Baylet qui aurait signé, sous un faux nom, le brulot.
Mais, à cette querelle autour d’un ego, s’ajoute depuis cet été, un autre motif de guérilla. Un motif beaucoup plus sérieux : une perte financière. « Jazz In Marciac » a rompu son partenariat avec le groupe de Jean-Michel Baylet. Nouvelle grosse colère de Jean-Michel Baylet. Et même menace de poursuite judiciaire pour rupture unilatérale de contrat.
La friction prend une toute autre dimension : l’argent. Avant d’être remplacée, l’entreprise de Jean-Michel Baylet gérait la location des emplacements, la sono et la scène. Le business passe à la concurrence.
Pour une source, c’est clair : « Baylet lance une kabbale contre le Festival car il a perdu du business ». Ces propos reviennent en boucle dans la bouche de nombreuses personnes. Ils sont lourds de sens et de conséquences : « un mauvais papier » pour sanctionner une perte de délégation de service public, cela s’appelle en bon français du « trafic d’influence ».
Ce n’est pas la première fois que des élus ou des responsables associatifs se font l’écho de telles « accusations ». Il faut dire que certaines coïncidences sont troublantes. Des communes (Castelsarrasin et Toulouse par exemple) ont coupé leurs budgets publicitaires avec le groupe Baylet. D’un seul coup, les maires de ces villes disparaissent des photos du quotidien régional.
Ces précédents entretiennent un lourd sentiment de suspension et même de tension. On ne compte plus les anecdotes (réelles, réécrites ou inventées) sur les méthodes « commerciales » et le lobbying acharné de Jean-Michel Baylet. Des anecdotes qui vont du conflit ouvert entre Jean-Michel Baylet et l’ancien maire de Toulouse, Pierre Cohen, au sujet de la délégation de la gestion du Parc aux Expositions jusqu’au démarchage à la hussarde d’une commune du Lot.
Mais, pour la première fois, l’omerta laisse la place à des confidences et des confessions.
« Jazz In Marciac » a permis le retour sur scène d’un monument du jazz, Ahmad Jamal. Mais la 39eme édition du festival gersois écrit également une nouvelle partition : la fin d’une mise en sourdine.
Désormais, les représailles, les coups tordus et le mélange des genres entre presse et business familial, ça ne passe plus.
Hala Mohammad, poète et réalisatrice syrienne exilée à Paris depuis juin 2011, est également engagée dans les échanges culturels entre la Syrie et l’Europe. Elle était invitée au Festival Voix Vives à Sète.
Comment viviez-vous en tant que poète en Syrie ?
A Damas, je n’ai jamais été invitée à une soirée ou à une lecture de poésie parce que je faisais partie de ceux qui sont avec la justice contre le régime de dictature avant qu’il y ait des tueries et des massacres. Nous les Syriens, n’avons pas démarré notre révolution en 2011. Nous avons entamé une lutte douce et pacifique contre l’injustice depuis bien plus longtemps. Nous avons établi notre paradis, ce que j’appelle l’art de vivre. Mais cela reposait sur un équilibre fragile parce que nous savions que si nous demandions plus, nous les intellectuels et les artistes, il y aurait des tragédies.
La situation a changé depuis 2011, vue d’ici, le mouvement du peuple syrien semble tombé dans l’oubli…
En 2011, c’est le peuple qui réclamait un changement, pas les élites dont je faisais partie. A ce moment, nous sommes tous entrés dans cette marée d’espoir. En appelant de nos vœux un avenir meilleur pour la Syrie. Nous espérions que notre civilisation puisse accéder à la paix. Les dictatures comme les régimes totalitaires empêchent les civilisations d’exister. Nous avons lutté avec tout notre bonheur, toute notre force pour vivre heureux dans un pays que nous aimons beaucoup comme chaque peuple du monde aime son pays. Quand je suis arrivée en France, tout le monde parlait de Daesh. Tout le monde parlait des extrémistes arrivés en Syrie à la fin 2012, mais personne ne parlait des actes du régime face au peuple pacifique sorti réclamer la liberté dans la rue en chantant, en dansant en espérant rejoindre l’autre bout du monde ou la démocratie en Europe. Nous faisons partie de cette humanité. Nous ne sommes pas coupés du monde. On ne parlait que des extrémistes islamistes et cela m’a frappé énormément.
Pour quelle raison ?
Pour être juste, il faut voir toute la vérité. Si on ne peux pas voir toute la réalité, on ne pourra jamais être juste. On ne pourra jamais établir la paix. La liberté, c’est l’oxygène de la paix. Si on ne peux pas être libre dans sa pensée, libre pour voir et dire, libre pour entreprendre une recherche afin de trouver la liberté, pour avoir son approche personnelle, on ne pourra jamais établir la paix. On a besoin de beaucoup de courage pour cela. Nous les Syriens avons fait preuve de beaucoup de courage. Nous sommes un peuple pacifique issu d’une civilisation piétinée par la guerre, par la négation de nos droit, piétiné par la violence, par l’absence, par l’oubli.
Avez-vous été victime de la censure du régime ?
A un moment, j’ai fait un film sur la littérature et la prison et j’ai été convoquée par le service de sécurité en Syrie. Durant un quart d’heure, on m’a fait marcher dans des labyrinthes souterrains pour arriver à un interrogatoire dans le bureau du général. J’étais escorté par un homme qui était comme un mur à côté de moi. Bien sûr je tremblais de peur. Nous étions silencieux. Nous passions devant des cellules où des familles criaient et suppliaient qu’on leur permette de voir leurs proches. Je voyais tout cela, puis nous sommes arrivés devant la porte du général. Elle s’est ouverte sur une salle immense. Le général était assis au fond, derrière un bureau gigantesque, comme un bâtiment. Il m’a regardé. Il y avait un tapis énorme dans cette salle et moi j’étais tellement terrorisée que j’ai trébuché sur le bout du tapis qui arrivait jusqu’à la porte. J’ai regardé le tapis et je lui ai demandé pardon. J’ai demandé pardon au bout de tapis pour l’avoir piétiné. A ce moment précis, je suis de nouveau devenu poète. Je me suis dit que si je me laissais fondre par cette peur, je deviendrai esclave toute ma vie.
Que s’est-il passé ?
J’ai récupéré mon âme de poète, j’ai regardé le général et je lui ai dit. Je ne dirais pas un mot sans mon avocat tout en sachant que je n’avais nul droit d’avoir un avocat. Je pense que cet exemple est minime par rapport à tout ce que le peuple syrien a réclamé. Il a réclamé d’être son propre avocat de participer et de contribuer à l’écriture de l’histoire de la Syrie. Il a été tué à balles réelles. Le peuple syrien est pris en otage entre deux extrémistes. Il n’y a pas pour les Syriens de différence entre celui qui tue les civils et celui qui tue les civiles.
Qu’avez-vous ressenti lorsque votre âme de poète vous a fait relever la tête ?
J’étais démolie, brisée comme une feuille sèche dans la nature. Et j’ai réalisé que je pouvais reverdir. On se découvre souvent dans les moments les plus atroces, rien n’est plus fort que la vie. Le courage appelle le courage. J’ai ressenti beaucoup de joie. Comme un amour fou qui me protégeait, l’amour profond de la mémoire de l’humanité. Tout à coup, j’ai senti que j’appartenais au monde. Cela se situe au-delà de la citoyenneté. C’est un grain de beauté qui laisse des traces. La vie n’est rien d’autre que quelques traces. Je voulais dire au bourreau : tu peux être bon. Tu n’es pas obligé d’être un monstre. J’ai saisi le moment qui s’offrait pour lui faire sentir que nous étions égaux. Il a dit : traitez la bien. Ce qui pouvait tout vouloir dire mais moi j’étais certaine que j’allais sortir pour raconter ça. Si je n’avais pas senti qu’il allait me relâcher, je n’aurais pas trouvé ce courage. C’était en 2005, le peuple syrien l’a fait en 2011. Nous ne défendons pas la Syrie mais la dignité de l’être humain qui n’est ni un principe, ni une géographie ou une histoire. Il faut être profondément soi-même pour s’inscrire dans cette volonté. Nous ne sommes pas syriens pour être nationaliste.
A vous écouter, on mesure le degré de maturité et de courage de votre peuple. Quelle altérité est-il possible de concevoir avec les peuples européens dont la liberté demeure contrainte par les modes de vie et de consommation ?
J’ai beaucoup appris depuis que je suis en France. Ici, et partout en Europe, les gens sont très sensibles à la poésie . Ils sont fidèles à l’écoute. On vous place là où votre poésie se place. J’avais besoin de cela. Je me suis fondue dans la société, libérée du ciment de protection. Je parle comme je veux. Je ris et pleure comme je veux. C’est grâce à la liberté. Mais ce n’est pas parce que l’on vit dans un monde libre que l’on est libre. En Occident, on fait vivre les gens sous la peur économique. L’art existe, pour explorer ces zones occultées. L’être humain a la capacité d’être un artiste comme il a la capacité d’être libre.
L’engagement se distingue-t-il à vos yeux entre les hommes et les femmes ?
Les hommes et les femmes se complètent dans l’amour et le combat pour la vie. J’aime le fait d’être une femme. Je n’ai jamais eu la sensation d’être inférieure. Je suis mère, femme, épouse, aimée pour celle que je suis. Nous avons perdu tous nos biens et des êtres très chers comme tous les Syriens, mais j’ai beaucoup de chance. L’homme oriental sait aimer les femmes. Elle joue un rôle décisif sans que l’homme soit dépossédé. Chacun donne à l’autre.
Comment réagissez-vous face aux attentats commis en France ?
J’ai ressenti une grande tristesse. Nous avons vécu cela et je ne voulais pas que les gens le vivent ici. Comment en finir avec ces formes de pouvoir qui touchent la profondeur criminelle ? La Syrie était mûre pour la démocratie. On a écrit Baudelaire dans les rues , et le pouvoir a tordu la vérité avec sa violence et ses mensonges. Le système despotique mondial a coopéré. Ce n’est pas les Syriens qui ont implanté Daesh dans leur pays. Cela on ne peut pas le dire tout seul, on doit le dire ensemble pour défendre la liberté.
Entretien réalisé par Jean-Marie Dinh
l A l’occasion du Festival Voix Vives en Méditerranée les Editions Al Manar viennent d’éditer le dernier recueil de Hala Mohammad «Ce peu de vie».
Dans son texte Mathilde nous honore du titre de citoyen. Elle aurait pu avoir la mention très bien au BAC s’il existait une épreuve politique intérieure et internationale voire citoyenneté…
Ponctuée d’exemples probants, sa lettre exprime avec clarté ce que beaucoup de citoyens conscients pensent de la situation préoccupante de la France et des responsabilités politiques y affairant. Elle aide, les autres à s’émanciper d’une pensée formatée et étroite qui conditionne l’opinion publique.
Citoyens du monde
Lettre à M. François Hollande, président de la République, à son gouvernement, et à tous les hommes et femmes politiques,
C’est en humble citoyenne que je m’adresse à vous, grands pontes de la politique, à vous qui, dès que possible, avez posté vos commentaires larmoyants sur les réseaux sociaux après la nouvelle des attentats de Nice. Vous qui vous êtes aussitôt empressés de glisser critiques acerbes, solutions personnelles et mesures à prendre derrière chaque expression de douleur à l’égard des victimes. Vous qui, tels des charognards, vous êtes arrachés les restes des 84 corps encore chauds et étalés dans la rue sous un mince tissu, vous qui avez sucé tels des vampires les perfusions des blessés à l’hôpital de Nice, vous qui avez pavé la promenade des Anglais de désolations savamment calculées comme on pave l’enfer de bonnes intentions. Vous pour qui l’état d’urgence est devenu banal et se doit d’être durci, pour qui la liberté des citoyens n’est rien face à la cuisante défaite de subir les retombées de vos actes, et dont les innocents font les frais. Car si la France n’est pas la seule, il est inutile d’essayer de se cacher davantage derrière le rôle que les États-Unis ont pu jouer dans la création de l’État Islamique (qui s’est construit, rappelons le, sur les cendres de Saddam Hussein après une guerre préventive en 2003 complètement opposée au droit international).
Ne sommes-nous pas de ceux qui ont régenté le MoyenOrient au lendemain de la1ère Guerre Mondiale ? De ceux qui ont écartelé les peuples à grands coups de crayon tracés sur une carte en oubliant qu’ils ne manipulaient pas que des gisements de pétroles et des lieux stratégiques mais bien des populations ? De ceux qui ont accueilli Kadhafi car il avait du pétrole puis l’ont désigné comme ennemi despotique qu’il faut détruire, sans pour autant oublier son pétrole ? Partout où nous prétendons apporter la paix, nous semons la haine. Alors en France on pleure, mais on pleure de quoi ? Des victimes des attentats sur notre sol ou des erreurs qu’on a commises et qui finissent fatalement par nous éclabousser ? Alors, bien sûr, hommage aux victimes qui étaient là simplement pour un feu d’artifice et qui ont dû connaître l’horreur, mais hommage aussi à toutes les victimes anonymes que la France assassine dans le secret et dont personne ne semble se soucier. Je vous invite, vous qui tenez tant à continuer de bombarder la Syrie, à prendre – une fois n’est pas coutume – le temps de réfléchir posément. Regardez le reportage « Eau Argentée », qui est disponible sur internet. Regardez le vraiment et osez réitérer vos propos guerriers sur ce pays détruit, où aucun être vivant n’est épargné et où les enfants les plus jeunes ont assimilé le concept de sniper. Là-bas, ce qu’il s’est passé à Nice survient tous les jours – et aucun syrien ne dispose des cellules d’aides psychologiques qui ont été mises en place dès la première heure après l’attentat, ni même de la qualité des soins qui sont délivrés aux blessés.
Je parle de la Syrie, mais je pourrais évoquer la Palestine, l’Irak ou le Yémen. Lorsqu’on cherche à traiter un problème, il convient d’en étudier la racine. Mais visiblement, aucun de vous ne semble décidé à admettre que la France se trouve aujourd’hui embourbée dans la position d’un serpent qui se mord la queue : nous faisons partie des causes profondes de ce que nous subissons actuellement. Est-ce si difficile d’admettre que nos prédécesseurs et nous mêmes avons eu tort ? Il semblerait que oui puisque vous préférez nous enfoncer avec vous dans un cercle vicieux fait de haine et de sang sans cesse renouvelés. «Nous continuerons à frapper ceux qui, justement, nous attaquent sur notre propre sol, dans leur repère» affirmezvous, Monsieur le Président, après avoir annoncé la prolongation de l’état d’urgence de six mois, défendu la nécessité de renforcer le contrôle aux frontières et clamé haut et fort que «Parce que les droits de l’homme sont niés par les fanatiques, la France est forcément leur cible».
Que de contradictions en si peu de temps : vous voulez renforcer les frontières quand la plupart des terroristes qui ont agi jusqu’à maintenant sont français ; vous parlez de fanatisme en référence à l’islamisme alors que le conducteur du camion fou était apparemment indifférent à la religion (si tant est que l’on puisse qualifier la folie de Daesh de religion) ; et enfin vous évoquez la France comme un pays de libertés alors même que vous annoncez le maintien de cette loi scélérate moderne qu’est l’état d’urgence. Continuez dans cette voie et la partie est gagnée pour l’État Islamique. Bien sûr, j’ai eu vent de cette idée selon laquelle l’opinion publique ne comprendrait pas une levée de l’état d’urgence alors qu’à force de rallonges elle s’y était accoutumée, tout comme elle risque de trouver bientôt normale l’utilisation du 49.3, visiblement en vogue à l’Élysée. Mais cela ne vient que de l’ignorance propagée par les principaux médias qui nous servent leurs réjections prémâchées en guise d’informations, nous irriguent d’images et d’événements anxiogènes qui paralysent notre esprit critique, l’émoussent et finissent par l’inhiber complètement. Si une situation donnée était exposée clairement, sans complexe, dans les JT, une analyse plus fine naîtrait dans le cortex des citoyens français et ils verraient combien les mesures liberticides sont absurdes. Si chacun était mis au fait des victimes, des dégâts que nous engendrons, alors la compassion naturelle sensée caractériser l’espèce humaine reprendrait le dessus et nous pousserait à chercher des solutions ailleurs.
Répondre à la violence par la violence, véritable logique puérile, est d’autant plus absurde que nous sommes en partie responsables des drames qui s’abattent sur notre sol comme une pluie radioactive tombe sur Tchernobyl. La guerre étant elle-même une forme de terrorisme, la guerre contre le terrorisme se révèle être un triste oxymore, médiocre réponse que vous voulez opposer à Daesh. Comment fustiger les terroristes alors que nousmêmes terrorisons les civils perdus dans les bombardements menés par notre « grande nation » pour rétablir une justice pastiche ? Je ne suis pas en train de défendre les actes terroristes, et cette phrase a son importance parce « dès que vous suggérez qu’il est important de considérer des réponses autres qu’une réplique violente, on vous accuse de sympathiser avec les terroristes. C’est une lâche façon de terminer une discussion sans examiner intelligemment les alternatives aux politiques actuelles. » (citation tirée d’un article d’Howard Zinn, « Notre guerre »). Mais, si les crimes de Daesh sont si terribles qu’il relèvent presque de l’indicible, il ne faut pas pour autant oublier les nôtres, qui, eux, relèvent plus du nondit. Larguer des bombes n’est en rien une solution : chaque victime d’un bombardement (surtout les civils, plus nombreux que les terroristes) se transforme en martyr et constitue un argument de plus dans le discours de Daesh contre l’occident, incitant toujours plus d’hommes poussés par le désespoir à se radicaliser. Cela me fait doucement sourire de vous voir vous insurger face aux attaques que nous subissons depuis un an et demi quand je pense au Yémen, bombardé par l’Arabie Saoudite à l’aide de nos beaux Rafales. Si Daesh commet des exactions au nom d’une idéologie révoltante, nous vendons allégrement de la mort prématurée pour quelques billets tachés de sang. Comment, dès lors, pouvez-vous encore – tous autant que vous êtes – supporter l’image que vous renvoie le miroir ? J’ai personnellement une si grande honte sans même être impliquée dans le commerce d’armes que je ne peux concevoir que vous puissiez continuer à tenir vos discours et à montrer patte blanche quand, à quelques kilomètres, des civils se font massacrer avec nos armes. À quel moment, dans votre esprit, l’argent a-t-il surpassé la vie humaine ? Comment pouvez-vous vous émouvoir de 84 morts quand nous avons assassiné au moins 1850 yéménites (selon un rapport de l’ONU) ? Mais j’ai failli omettre, et je m’en excuse, un détail qui a son importance et fait la différence pour beaucoup : ce sont 84 morts français ! Et cet argument justifie que vos mathématiques géopolitiques placent 84 largement supérieur à 1850. En effet, comme l’a montré si justement George Bernard Shaw, « Le patriotisme, c’est cette conviction selon laquelle ce pays est supérieur aux autres parce que vous y êtes né. » J’en arrive à cette nécessité qui chaque jour se dessine un peu mieux, celle de se souvenir qu’avant d’appartenir à une nation, avant d’être recensés, répertoriés, classifiés ou même fichés par notre laborieuse administration, avant d’être convertis en chiffres sur des écrans, nous sommes tous des êtres uniques appartenant à l’espèce humaine.
« Nous devons prêter allégeance à l’humanité et non pas à une nation, quelle qu’elle soit » a écrit un jour Howard Zinn. Ceux qui nous attaquent font partie de notre espèce, possèdent les mêmes caractéristiques. Leurs actes terribles ne sont que l’écho d’un quotidien que l’occident leur a imposé parce qu’ils avaient le malheur d’être nés sur des nappes de pétrole et qui les a poussés à la haine. Il est crucial de rendre sa mémoire à notre pays et au monde entier, de se rappeler que l’argent n’est pas comestible, de penser « humain » plutôt que « finance », « bonheur » plutôt que « réussite » et « biodiversité » plutôt que « billet de banque ». Nous avons une marge d’une petite vingtaine d’années pour modifier nos habitudes de consommation et enrayer un tant soit peu le dérèglement climatique le plus important que notre espèce n’ait jamais connu. Allons-nous gaspiller ce temps en guerres vaines alors qu’il est tant de manières d’enseigner l’amour ? Vous nous parlez de mesures sécuritaires renforcées quand nous avons besoin d’apprendre comment vivre demain.
Il est évident que nous sommes impuissants face à ces attaques, l’inefficacité des forces de l’ordre a tristement été démontrée à Nice : comment ont-ils pu laisser un camion pénétrer sur une allée piétonne, pourquoi est-il parvenu à parcourir deux kilomètres avant d’être stoppé ? Les solutions proposées par la caste politique, si elle sont aussi médiocres que l’action de la police, ont au moins le mérite de faire rire. Je pense en particulier à ce cher Henri Guaino, qui a déclaré qu’ « Il suffit de mettre à l’entrée de la promenade des Anglais un militaire avec un lance-roquettes et il arrêtera le camion ».
Alors évidemment, le petit détail à ne pas oublier ici, c’est qu’il s’agit d’un député LR candidat à la présidentielle 2017, donc équipé d’œillères, les yeux braqués sur son objectif qui est de mettre définitivement au tapis François Hollande en prétendant de manière sous-jacente que, s’il avait été élu au moment de l’attentat, il n’aurait tout bonnement pas eu lieu. C’est là un manifeste flagrant de cette petite guéguerre entre politiques qui semble ne jamais prendre fin, même pendant un deuil national. Je ne vais pas gaspiller mon temps à démonter une à une les déclarations politiques, notamment à propos de l’interdiction du voile proposée par Jacques Myard qui atteste de son étroitesse d’esprit, mais plutôt tenter d’apporter des solutions alternatives. Il est nécessaire de former les masses plutôt que de supprimer leurs libertés, de réfléchir à l’origine du mal, de la haine qui ronge les terroristes. Réduire les inégalités et diffuser plus largement la culture constituent des pierres à la base de l’édifice de la paix mondiale. Plutôt que de nous rendre toujours plus dépendants, encouragez les initiatives qui visent à former les citoyens sur des gestes simples ; plutôt que de nous inciter à la haine, à la peur, encouragez l’amour et l’entraide. Inquiétez-vous du populisme qui affleure l’air de rien, faisant ressurgir des opinions qui ont permis l’accès d’Hitler au pouvoir dans les années 30. Ne vous figurez pas que le totalitarisme est mort, qu’il ne reviendra pas. Le totalitarisme se cache derrière chaque rejet, chaque parole portée par la crainte. Il ne se présentera pas avec une petite moustache brune et une raie sur le côté, il ne ramènera pas Auschwitz mais créera une nouvelle forme de violence, car l’esprit humain sait se montrer particulièrement inventif dans l’art de faire souffrir son prochain. Rappelez-vous combien la pratique artistique, tellement mise à mal par l’éducation nationale, constitue un rempart efficace face à la haine, fille de l’ignorance. Gardez à l’esprit les sages paroles d’Edgar Morin : « à force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. » Penchezvous sur des initiatives telles que celle des étudiants paysagistes et des enfants d’un quartier populaire de Seine Saint Denis qui, ensemble, embellissent un terrain vague pour apporter un savoir-faire et un rapport à la Terre que trop de gens ont oublié. Ne soyez plus dans la démonstration calculée mais dans les actes concrets. C’est maintenant aux Français que je m’adresse, vous qui n’avez cessé de vous plaindre de l’incapacité de nos dirigeants, qu’avezvous fait pour changer ce pays qui vous insupporte ? Qu’attendez-vous pour engager le dialogue avec vos pairs, pour réfléchir ensemble à des solutions aux problèmes qui vous préoccupent ? Levez-vous de vos fauteuils, éteignez votre télé, sortez et écoutez le murmure qui s’élève, la rumeur qui nous vient des multiples projets alternatifs qui se mettent en place. Informez vous sur des médias plus indépendants, trouvez un sujet qui vous tient à cœur et lancez vous, il y a tant à faire ! Si vous attendez qu’on vous prenne par la main, vous risquez de mourir avant d’avoir fait une chose qui vous rende réellement fier et vous autorise à marcher la tête haute.
Peut-être qu’après cette lettre, ma petite tête blonde viendra s’ajouter aux fiches S, mais cela m’est égal : je n’ai rien à me reprocher, à part peut-être, le fait de daigner réclamer pour l’humanité cette liberté et cette égalité que tous clament et célèbrent depuis trois siècles mais auxquelles personne n’a encore vraiment goûté et le fait d’inciter le genre humain à cette fraternité que la France se plaît à afficher sur ses murs officiels. Liberté, égalité, fraternité, trois petits mots qui veulent dire tellement, trois petits mots étirés dans tous les sens pour masquer une vérité évidente, trois petits mots qui ne peuvent plus cacher la supercherie que l’on tente de dissimuler derrière.
Cher monde musulman, je suis un de tes fils éloignés qui te regarde du dehors et de loin – de ce pays de France où tant de tes enfants vivent aujourd’hui. Je te regarde avec mes yeux sévères de philosophe nourri depuis son enfance par le taçawwuf (soufisme) et par la pensée occidentale. Je te regarde donc à partir de ma position de barzakh, d’isthme entre les deux mers de l’Orient et de l’Occident!
Et qu’est-ce que je vois ? Qu’est-ce que je vois mieux que d’autres sans doute parce que justement je te regarde de loin, avec le recul de la distance ? Je te vois toi, dans un état de misère et de souffrance qui me rend infiniment triste, mais qui rend encore plus sévère mon jugement de philosophe ! Car je te vois en train d’enfanter un monstre qui prétend se nommer État islamique et auquel certains préfèrent donner un nom de démon : DAESH. Mais le pire est que je te vois te perdre – perdre ton temps et ton honneur – dans le refus de reconnaître que ce monstre est né de toi, de tes errances, de tes contradictions, de ton écartèlement interminable entre passé et présent, de ton incapacité trop durable à trouver ta place dans la civilisation humaine.
Que dis-tu en effet face à ce monstre ? Quel est ton unique discours ? Tu cries « Ce n’est pas moi ! », « Ce n’est pas l’islam ! ». Tu refuses que les crimes de ce monstre soient commis en ton nom. Tu t’indignes devant une telle monstruosité, tu t’insurges aussi que le monstre usurpe ton identité, et bien sûr tu as raison de le faire. Il est indispensable qu’à la face du monde tu proclames ainsi, haut et fort, que l’islam dénonce la barbarie. Mais c’est tout à fait insuffisant ! Car tu te réfugies dans le réflexe de l’autodéfense sans assumer aussi, et surtout, la responsabilité de l’autocritique. Tu te contentes de t’indigner, alors que ce moment historique aurait été une si formidable occasion de te remettre en question ! Et comme d’habitude, tu accuses au lieu de prendre ta propre responsabilité : « Arrêtez, vous les occidentaux, et vous tous les ennemis de l’islam de nous associer à ce monstre ! Le terrorisme, ce n’est pas l’islam, le vrai islam, le bon islam qui ne veut pas dire la guerre, mais la paix! »
J’entends ce cri de révolte qui monte en toi, ô mon cher monde musulman, et je le comprends. Oui tu as raison, comme chacune des autres grandes inspirations sacrées du monde l’islam a créé tout au long de son histoire de la Beauté, de la Justice, du Sens, du Bien, et il a puissamment éclairé l’être humain sur le chemin du mystère de l’existence… Je me bats ici en Occident, dans chacun de mes livres, pour que cette sagesse de l’islam et de toutes les religions ne soit pas oubliée ni méprisée ! Mais de ma position lointaine, je vois aussi autre chose – que tu ne sais pas voir ou que tu ne veux pas voir… Et cela m’inspire une question, LA grande question : pourquoi ce monstre t’a-t-il volé ton visage ? Pourquoi ce monstre ignoble a-t-il choisi ton visage et pas un autre ? Pourquoi a-t-il pris le masque de l’islam et pas un autre masque ? C’est qu’en réalité derrière cette image du monstre se cache un immense problème, que tu ne sembles pas prêt à regarder en face. Il le faut bien pourtant, il faut que tu en aies le courage.
Ce problème est celui des racines du mal. D’où viennent les crimes de ce soi-disant « État islamique » ? Je vais te le dire, mon ami. Et cela ne va pas te faire plaisir, mais c’est mon devoir de philosophe. Les racines de ce mal qui te vole aujourd’hui ton visage sont en toi-même, le monstre est sorti de ton propre ventre, le cancer est dans ton propre corps. Et de ton ventre malade, il sortira dans le futur autant de nouveaux monstres – pires encore que celui-ci – aussi longtemps que tu refuseras de regarder cette vérité en face, aussi longtemps que tu tarderas à l’admettre et à attaquer enfin cette racine du mal !
Même les intellectuels occidentaux, quand je leur dis cela, ont de la difficulté à le voir : pour la plupart, ils ont tellement oublié ce qu’est la puissance de la religion – en bien et en mal, sur la vie et sur la mort – qu’ils me disent « Non le problème du monde musulman n’est pas l’islam, pas la religion, mais la politique, l’histoire, l’économie, etc. ». Ils vivent dans des sociétés si sécularisées qu’ils ne se souviennent plus du tout que la religion peut être le cœur du réacteur d’une civilisation humaine ! Et que l’avenir de l’humanité passera demain non pas seulement par la résolution de la crise financière et économique, mais de façon bien plus essentielle par la résolution de la crise spirituelle sans précédent que traverse notre humanité toute entière ! Saurons-nous tous nous rassembler, à l’échelle de la planète, pour affronter ce défi fondamental ? La nature spirituelle de l’homme a horreur du vide, et si elle ne trouve rien de nouveau pour le remplir elle le fera demain avec des religions toujours plus inadaptées au présent – et qui comme l’islam actuellement se mettront alors à produire des monstres.
Je vois en toi, ô monde musulman, des forces immenses prêtes à se lever pour contribuer à cet effort mondial de trouver une vie spirituelle pour le XXIe siècle ! Il y a en toi en effet, malgré la gravité de ta maladie, malgré l’étendue des ombres d’obscurantisme qui veulent te recouvrir tout entier, une multitude extraordinaire de femmes et d’hommes qui sont prêts à réformer l’islam, à réinventer son génie au-delà de ses formes historiques et à participer ainsi au renouvellement complet du rapport que l’humanité entretenait jusque-là avec ses dieux ! C’est à tous ceux-là, musulmans et non musulmans qui rêvent ensemble de révolution spirituelle, que je me suis adressé dans mes livres ! Pour leur donner, avec mes mots de philosophe, confiance en ce qu’entrevoit leur espérance!
Il y a dans la Oumma (communauté des musulmans) de ces femmes et ces hommes de progrès qui portent en eux la vision du futur spirituel de l’être humain. Mais ils ne sont pas encore assez nombreux ni leur parole assez puissante. Tous ceux-là, dont je salue la lucidité et le courage, ont parfaitement vu que c’est l’état général de maladie profonde du monde musulman qui explique la naissance des monstres terroristes aux noms d’Al Qaida, Al Nostra, AQMI ou de l’«État islamique». Ils ont bien compris que ce ne sont là que les symptômes les plus graves et les plus visibles sur un immense corps malade, dont les maladies chroniques sont les suivantes: impuissance à instituer des démocraties durables dans lesquelles est reconnue comme droit moral et politique la liberté de conscience vis-à-vis des dogmes de la religion; prison morale et sociale d’une religion dogmatique, figée, et parfois totalitaire ; difficultés chroniques à améliorer la condition des femmes dans le sens de l’égalité, de la responsabilité et de la liberté; impuissance à séparer suffisamment le pouvoir politique de son contrôle par l’autorité de la religion; incapacité à instituer un respect, une tolérance et une véritable reconnaissance du pluralisme religieux et des minorités religieuses.
Tout cela serait-il donc la faute de l’Occident ? Combien de temps précieux, d’années cruciales, vas-tu perdre encore, ô cher monde musulman, avec cette accusation stupide à laquelle toi-même tu ne crois plus, et derrière laquelle tu te caches pour continuer à te mentir à toi-même ? Si je te critique aussi durement, ce n’est pas parce que je suis un philosophe « occidental », mais parce que je suis un de tes fils conscients de tout ce que tu as perdu de ta grandeur passée depuis si longtemps qu’elle est devenue un mythe !
Depuis le XVIIIe siècle en particulier, il est temps de te l’avouer enfin, tu as été incapable de répondre au défi de l’Occident. Soit tu t’es réfugié de façon infantile et mortifère dans le passé, avec la régression intolérante et obscurantiste du wahhabisme qui continue de faire des ravages presque partout à l’intérieur de tes frontières – un wahhabisme que tu répands à partir de tes lieux saints de l’Arabie Saoudite comme un cancer qui partirait de ton cœur lui-même ! Soit tu as suivi le pire de cet Occident, en produisant comme lui des nationalismes et un modernisme qui est une caricature de modernité – je veux parler de cette frénésie de consommation, ou bien encore de ce développement technologique sans cohérence avec leur archaïsme religieux qui fait de tes « élites » richissimes du Golfe seulement des victimes consentantes de la maladie désormais mondiale qu’est le culte du dieu argent.
Qu’as-tu d’admirable aujourd’hui, mon ami ? Qu’est-ce qui en toi reste digne de susciter le respect et l’admiration des autres peuples et civilisations de la Terre ? Où sont tes sages, et as-tu encore une sagesse à proposer au monde ? Où sont tes grands hommes, qui sont tes Mandela, qui sont tes Gandhi, qui sont tes Aung San Suu Kyi ? Où sont tes grands penseurs, tes intellectuels dont les livres devraient être lus dans le monde entier comme au temps où les mathématiciens et les philosophes arabes ou persans faisaient référence de l’Inde à l’Espagne ? En réalité tu es devenu si faible, si impuissant derrière la certitude que tu affiches toujours au sujet de toi-même… Tu ne sais plus du tout qui tu es ni où tu veux aller et cela te rend aussi malheureux qu’agressif… Tu t’obstines à ne pas écouter ceux qui t’appellent à changer en te libérant enfin de la domination que tu as offerte à la religion sur la vie toute entière. Tu as choisi de considérer que Mohammed était prophète et roi. Tu as choisi de définir l’islam comme religion politique, sociale, morale, devant régner comme un tyran aussi bien sur l’État que sur la vie civile, aussi bien dans la rue et dans la maison qu’à l’intérieur même de chaque conscience. Tu as choisi de croire et d’imposer que l’islam veut dire soumission alors que le Coran lui-même proclame qu’«Il n’y a pas de contrainte en religion» (La ikraha fi Dîn). Tu as fait de son Appel à la liberté l’empire de la contrainte ! Comment une civilisation peut-elle trahir à ce point son propre texte sacré ? Je dis qu’il est l’heure, dans la civilisation de l’islam, d’instituer cette liberté spirituelle – la plus sublime et difficile de toutes – à la place de toutes les lois inventées par des générations de théologiens !
De nombreuses voix que tu ne veux pas entendre s’élèvent aujourd’hui dans la Oumma pour s’insurger contre ce scandale, pour dénoncer ce tabou d’une religion autoritaire et indiscutable dont se servent ses chefs pour perpétuer indéfiniment leur domination… Au point que trop de croyants ont tellement intériorisé une culture de la soumission à la tradition et aux « maîtres de religion » (imams, muftis, shouyoukhs, etc.) qu’ils ne comprennent même pas qu’on leur parle de liberté spirituelle, et n’admettent pas qu’on ose leur parler de choix personnel vis-à-vis des « piliers » de l’islam. Tout cela constitue pour eux une « ligne rouge », quelque chose de trop sacré pour qu’ils osent donner à leur propre conscience le droit de le remettre en question ! Et il y a tant de ces familles, tant de ces sociétés musulmanes où cette confusion entre spiritualité et servitude est incrustée dans les esprits dès leur plus jeune âge, et où l’éducation spirituelle est d’une telle pauvreté que tout ce qui concerne de près ou de loin la religion reste ainsi quelque chose qui ne se discute pas!
Or cela, de toute évidence, n’est pas imposé par le terrorisme de quelques fous, par quelques troupes de fanatiques embarqués par l’État islamique. Non, ce problème-là est infiniment plus profond et infiniment plus vaste ! Mais qui le verra et le dira ? Qui veut l’entendre ? Silence là-dessus dans le monde musulman, et dans les médias occidentaux on n’entend plus que tous ces spécialistes du terrorisme qui aggravent jour après jour la myopie générale ! Il ne faut donc pas que tu t’illusionnes, ô mon ami, en croyant et en faisant croire que quand on en aura fini avec le terrorisme islamiste l’islam aura réglé ses problèmes ! Car tout ce que je viens d’évoquer – une religion tyrannique, dogmatique, littéraliste, formaliste, machiste, conservatrice, régressive – est trop souvent, pas toujours, mais trop souvent, l’islam ordinaire, l’islam quotidien, qui souffre et fait souffrir trop de consciences, l’islam de la tradition et du passé, l’islam déformé par tous ceux qui l’utilisent politiquement, l’islam qui finit encore et toujours par étouffer les Printemps arabes et la voix de toutes ses jeunesses qui demandent autre chose. Quand donc vas-tu faire enfin ta vraie révolution ? Cette révolution qui dans les sociétés et les consciences fera rimer définitivement religion et liberté, cette révolution sans retour qui prendra acte que la religion est devenue un fait social parmi d’autres partout dans le monde, et que ses droits exorbitants n’ont plus aucune légitimité !
Bien sûr, dans ton immense territoire, il y a des îlots de liberté spirituelle : des familles qui transmettent un islam de tolérance, de choix personnel, d’approfondissement spirituel ; des milieux sociaux où la cage de la prison religieuse s’est ouverte ou entrouverte ; des lieux où l’islam donne encore le meilleur de lui-même, c’est-à-dire une culture du partage, de l’honneur, de la recherche du savoir, et une spiritualité en quête de ce lieu sacré où l’être humain et la réalité ultime qu’on appelle Allâh se rencontrent. Il y a en Terre d’islam et partout dans les communautés musulmanes du monde des consciences fortes et libres, mais elles restent condamnées à vivre leur liberté sans assurance, sans reconnaissance d’un véritable droit, à leurs risques et périls face au contrôle communautaire ou bien même parfois face à la police religieuse. Jamais pour l’instant le droit de dire « Je choisis mon islam », « J’ai mon propre rapport à l’islam » n’a été reconnu par « l’islam officiel » des dignitaires. Ceux-là au contraire s’acharnent à imposer que « La doctrine de l’islam est unique » et que « L’obéissance aux piliers de l’islam est la seule voie droite » (sirâtou-l-moustaqîm).
Ce refus du droit à la liberté vis-à-vis de la religion est l’une de ces racines du mal dont tu souffres, ô mon cher monde musulman, l’un de ces ventres obscurs où grandissent les monstres que tu fais bondir depuis quelques années au visage effrayé du monde entier. Car cette religion de fer impose à tes sociétés tout entières une violence insoutenable. Elle enferme toujours trop de tes filles et tous tes fils dans la cage d’un Bien et d’un Mal, d’un licite (halâl) et d’un illicite (harâm) que personne ne choisit, mais que tout le monde subit. Elle emprisonne les volontés, elle conditionne les esprits, elle empêche ou entrave tout choix de vie personnel. Dans trop de tes contrées, tu associes encore la religion et la violence – contre les femmes, contre les « mauvais croyants », contre les minorités chrétiennes ou autres, contre les penseurs et les esprits libres, contre les rebelles – de telle sorte que cette religion et cette violence finissent par se confondre, chez les plus déséquilibrés et les plus fragiles de tes fils, dans la monstruosité du jihad !
Alors, ne t’étonne donc pas, ne fais plus semblant de t’étonner, je t’en prie, que des démons tels que le soi-disant État islamique t’aient pris ton visage ! Car les monstres et les démons ne volent que les visages qui sont déjà déformés par trop de grimaces ! Et si tu veux savoir comment ne plus enfanter de tels monstres, je vais te le dire. C’est simple et très difficile à la fois. Il faut que tu commences par réformer toute l’éducation que tu donnes à tes enfants, que tu réformes chacune de tes écoles, chacun de tes lieux de savoir et de pouvoir. Que tu les réformes pour les diriger selon des principes universels (même si tu n’es pas le seul à les transgresser ou à persister dans leur ignorance) : la liberté de conscience, la démocratie, la tolérance et le droit de cité pour toute la diversité des visions du monde et des croyances, l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes de toute tutelle masculine, la réflexion et la culture critique du religieux dans les universités, la littérature, les médias. Tu ne peux plus reculer, tu ne peux plus faire moins que tout cela ! Tu ne peux plus faire moins que ta révolution spirituelle la plus complète ! C’est le seul moyen pour toi de ne plus enfanter de tels monstres, et si tu ne le fais pas tu seras bientôt dévasté par leur puissance de destruction. Quand tu auras mené à bien cette tâche colossale – au lieu de te réfugier encore et toujours dans la mauvaise foi et l’aveuglement volontaire, alors plus aucun monstre abject ne pourra plus venir te voler ton visage.
Cher monde musulman… Je ne suis qu’un philosophe, et comme d’habitude certains diront que le philosophe est un hérétique. Je ne cherche pourtant qu’à faire resplendir à nouveau la lumière – c’est le nom que tu m’as donné qui me le commande, Abdennour, « Serviteur de la Lumière ».
Je n’aurais pas été si sévère dans cette lettre si je ne croyais pas en toi. Comme on dit en français: «Qui aime bien châtie bien». Et au contraire tous ceux qui aujourd’hui ne sont pas assez sévères avec toi – qui te trouvent toujours des excuses, qui veulent faire de toi une victime, ou qui ne voient pas ta responsabilité dans ce qui t’arrive – tous ceux-là en réalité ne te rendent pas service ! Je crois en toi, je crois en ta contribution à faire demain de notre planète un univers à la fois plus humain et plus spirituel ! Salâm, que la paix soit sur toi.
Tous les terroristes sont-ils musulmans ? Combien y a-t-il de terroristes à travers le monde ? Qui sont les premières victimes du terrorisme ?
1 Environ 5 % des attaques ‘terroristes’ en Europe sont commises par des islamistes
Quand on vous dit ‘terrorisme’, vous pensez probablement au 11 septembre, à l’attaque des transports londoniens en 2005 ou encore à la tuerie de Charlie Hebdo ? C’est plutôt normal : ces trois attentats, commis par des groupes islamistes, ont marqué les esprits. Ils ne sont pas pour autant représentatifs du terrorisme en Europe. Au contraire : sur 321 attaques ‘terroristes’ perpétrées en Europe de l’Ouest entre 2000 et 2013, seules 17 l’ont été par des groupes extrémistes musulmans. C’est presque deux fois moins que les attaques terroristes commises au nom d’idéologies anarchistes et d’extrême gauche cumulées.
Un acte de terrorisme est défini comme une attaque commise pour diffuser un message à visée politique, économique, religieuse ou sociale, faisant au moins un mort ou un blessé.
À noter également que l’indépendantisme basque est responsable de près d’un tiers des attaques terroristes en Europe de l’Ouest.
Par ailleurs, le pays le plus touché par le terrorisme est de très loin l’Espagne, qui concentre à elle seule plus d’un quart des attaques. La France, elle, arrive en 3e position. Mais près d’un tiers de ces attaques sont imputables au mouvement indépendantiste corse, qui ont commis sur notre sol trois fois plus d’attentats que les mouvements islamistes.
2 Quand les médias parlent de terrorisme, il s’agit 8 fois sur 10 de terrorisme islamique
La critique est récurrente : les médias propagent une image déformée de l’islam. En clair, les journaux et les télévisions colporteraient l’idée que le terrorisme est essentiellement musulman.
La semaine dernière, le hashtag #MuslimLivesMatter, créé au lendemain du meurtre de trois étudiants musulmans aux États-Unis, a ainsi été partagé plus d’un million de fois sur Twitter pour protester contre les stéréotypes journalistiques. Les internautes protestaient contre l’emploi du terme ‘fou’ pour qualifier l’auteur de la tuerie, alors que le mot ‘terroriste’ aurait été immédiatement utilisé, selon eux, si l’homme avait été musulman.
Impossible à prouver ? Pas si sûr. Une étude américaine de décembre 2014, parue dans le Journal of Communication, montre que les médias ont une fâcheuse tendance à surreprésenter les actes de terrorisme commis par des musulmans, alors que ceux commis par des non-musulmans sont souvent passés sous silence ou minimisés.
En passant en revue les programmes de huit chaînes de télévision américaines, dont CNN et Fox News, entre 2008 et 2012, les auteurs de l’étude ont trouvé qu’en moyenne, 81 % des actes terroristes dont parlent les médias sont des actes terroristes musulmans.
Un chiffre particulièrement exagéré sachant qu’aux États-Unis, comme en Europe, moins de 5 % des actes dits ‘terroristes’ sont commis par des musulmans (selon le FBI). Quitte à choisir, il vaut donc mieux être un musulman dans la vraie vie que sur Fox News.
3 Le terrorisme islamique est responsable de 60 % des victimes d’attentats
Si le terrorisme islamique reste très marginal en Europe par rapport aux autres formes de terrorisme, il est en revanche le plus meurtrier.
Sur les 321 attentats terroristes perpétrés en Europe de l’Ouest entre 2000 et 2013, 95 ont été meurtriers, atteignant un total de 430 morts.
Sur les 17 attentats islamistes recensés, 16 se sont soldés par la mort d’au moins une personne. En tout, 260 personnes sont décédées à cause d’un acte terroriste musulman, soit 60 % du total des morts du terrorisme.
4 Près de 9 victimes du terrorisme sur 10 sont des musulmans
À l’échelle du monde, peut-on dire que le terrorisme tue plus de musulmans que de chrétiens, de juifs et d’athées ? C’est ce que prétend un rapport de 2011 du Centre national du contreterrorisme (NCTC) des États-Unis. Les chiffres qui y sont présentés sont éloquents : entre 82 et 97 % des victimes du terrorisme (tous types confondus) entre 2005 et 2010 à travers le monde étaient musulmanes.
Le rapport ne précise pas la proportion de cas pour lesquels il n’est pas possible de déterminer l’appartenance religieuse des victimes. Un manque d’évidence qui ne compromet pas fondamentalement les chiffres du NCTC. Un autre indicateur que le terrorisme tue surtout des musulmans est de regarder quels sont les pays les plus touchés.
D’après des chiffres de la Global Terrorism Database, entre 2000 et 2013, plus de 60 % des attentats terroristes ont eu lieu dans des pays où la population est en majorité musulmane.
D’après un décompte de la BBC sur la même base de données entre 2004 et 2013, sept pays figurent parmi les 10 plus touchés par le terrorisme international, au premier rang desquels l’Irak, l’Afghanistan et le Pakistan, qui concentrent à eux trois les 2 / 3 des morts du terrorisme dans le monde.
5 Seuls 0,02% des musulmans sont soupçonnés d’être des terroristes
En 2013, 143 personnes suspectées de terrorisme religieux, en majorité islamiste, ont été arrêtées en France, contre 20 en Espagne, 19 en Belgique et 5 en Allemagne, selon le dernier rapport Europol sur le terrorisme en Europe.
Par ailleurs, on estime à environ 3 000 le nombre de jeunes européens partis faire le jihad en Syrie et en Irak. En France, le nombre s’élève à un peu plus de 1 000, selon des chiffres données par le procureur de la République en novembre 2014. Soit 0,02 % de la population musulmane en France, estimée selon les instituts à 4,7 millions. Même en y ajoutant les personnes arrêtées pour suspicion de terrorisme citées plus haut, on peine à atteindre un nombre significatif.
Point bonus
Si vous avez peur de mourir dans une attaque terroriste, rassurez-vous. Selon un statisticien américain, vous avez 250 fois plus de chance de mourir dans votre bain que sous les balles d’un extrémiste politique ou religieux. L’étude, sortie en 2011, avait alors suscité un vif débat sur les dépenses en matière de lutte antiterroriste. Pas sûr, pourtant, que l’utilité des chiffres et des statistiques aille jusque là.