Lettre de Mathilde 17 ans à François Hollande, président de la République

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Un j’accuse du XXI e siècle porteur d’espoir

Dans son texte Mathilde nous honore du titre de citoyen. Elle aurait pu avoir la mention très bien au BAC s’il existait une épreuve politique intérieure et internationale voire citoyenneté…

Ponctuée d’exemples probants, sa lettre exprime avec clarté ce que beaucoup de citoyens conscients pensent de la situation préoccupante de la France et des responsabilités politiques y affairant. Elle aide, les autres à s’émanciper d’une pensée formatée et étroite qui conditionne l’opinion publique.

Citoyens du monde

Citoyens du monde

 

Lettre à M. François Hollande, président de la République, à son gouvernement, et à tous les hommes et femmes politiques,

C’est en humble citoyenne que je m’adresse à vous, grands pontes de la politique, à vous qui, dès que possible, avez posté vos commentaires larmoyants sur les réseaux sociaux après la nouvelle des attentats de Nice. Vous qui vous êtes aussitôt empressés de glisser critiques acerbes, solutions personnelles et mesures à prendre derrière chaque expression de douleur à l’égard des victimes. Vous qui, tels des charognards, vous êtes arrachés les restes des 84 corps encore chauds et étalés dans la rue sous un mince tissu, vous qui avez sucé tels des vampires les perfusions des blessés à l’hôpital de Nice, vous qui avez pavé la promenade des Anglais de désolations savamment calculées comme on pave l’enfer de bonnes intentions. Vous pour qui l’état d’urgence est devenu banal et se doit d’être durci, pour qui la liberté des citoyens n’est rien face à la cuisante défaite de subir les retombées de vos actes, et dont les innocents font les frais. Car si la France n’est pas la seule, il est inutile d’essayer de se cacher davantage derrière le rôle que les États­-Unis ont pu jouer dans la création de l’État Islamique (qui s’est construit, rappelons­ le, sur les cendres de Saddam Hussein après une guerre préventive en 2003 complètement opposée au droit international).

Ne sommes­-nous pas de ceux qui ont régenté le Moyen­Orient au lendemain de la1ère Guerre Mondiale ? De ceux qui ont écartelé les peuples à grands coups de crayon tracés sur une carte en oubliant qu’ils ne manipulaient pas que des gisements de pétroles et des lieux stratégiques mais bien des populations ? De ceux qui ont accueilli Kadhafi car il avait du pétrole puis l’ont désigné comme ennemi despotique qu’il faut détruire, sans pour autant oublier son pétrole ? Partout où nous prétendons apporter la paix, nous semons la haine. Alors en France on pleure, mais on pleure de quoi ? Des victimes des attentats sur notre sol ou des erreurs qu’on a commises et qui finissent fatalement par nous éclabousser ? Alors, bien sûr, hommage aux victimes qui étaient là simplement pour un feu d’artifice et qui ont dû connaître l’horreur, mais hommage aussi à toutes les victimes anonymes que la France assassine dans le secret et dont personne ne semble se soucier. Je vous invite, vous qui tenez tant à continuer de bombarder la Syrie, à prendre – une fois n’est pas coutume – le temps de réfléchir posément. Regardez le reportage « Eau Argentée », qui est disponible sur internet. Regardez­ le vraiment et osez réitérer vos propos guerriers sur ce pays détruit, où aucun être­ vivant n’est épargné et où les enfants les plus jeunes ont assimilé le concept de sniper. Là­-bas, ce qu’il s’est passé à Nice survient tous les jours – et aucun syrien ne dispose des cellules d’aides psychologiques qui ont été mises en place dès la première heure après l’attentat, ni même de la qualité des soins qui sont délivrés aux blessés.

Je parle de la Syrie, mais je pourrais évoquer la Palestine, l’Irak ou le Yémen. Lorsqu’on cherche à traiter un problème, il convient d’en étudier la racine. Mais visiblement, aucun de vous ne semble décidé à admettre que la France se trouve aujourd’hui embourbée dans la position d’un serpent qui se mord la queue : nous faisons partie des causes profondes de ce que nous subissons actuellement. Est­-ce si difficile d’admettre que nos prédécesseurs et nous­ mêmes avons eu tort ? Il semblerait que oui puisque vous préférez nous enfoncer avec vous dans un cercle vicieux fait de haine et de sang sans cesse renouvelés. «Nous continuerons à frapper ceux qui, justement, nous attaquent sur notre propre sol, dans leur repère» affirmez­vous, Monsieur le Président, après avoir annoncé la prolongation de l’état d’urgence de six mois, défendu la nécessité de renforcer le contrôle aux frontières et clamé haut et fort que «Parce que les droits de l’homme sont niés par les fanatiques, la France est forcément leur cible».

(source : http://www.europe1.fr/politique/verbatim­attentat­a­nice­la­declaration­solennelle­de­francois­hollande­en-

integralite­2800048 ).

Que de contradictions en si peu de temps : vous voulez renforcer les frontières quand la plupart des terroristes qui ont agi jusqu’à maintenant sont français ; vous parlez de fanatisme en référence à l’islamisme alors que le conducteur du camion fou était apparemment indifférent à la religion (si tant est que l’on puisse qualifier la folie de Daesh de religion) ; et enfin vous évoquez la France comme un pays de libertés alors même que vous annoncez le maintien de cette loi scélérate moderne qu’est l’état d’urgence. Continuez dans cette voie et la partie est gagnée pour l’État Islamique. Bien sûr, j’ai eu vent de cette idée selon laquelle l’opinion publique ne comprendrait pas une levée de l’état d’urgence alors qu’à force de rallonges elle s’y était accoutumée, tout comme elle risque de trouver bientôt normale l’utilisation du 49.3, visiblement en vogue à l’Élysée. Mais cela ne vient que de l’ignorance propagée par les principaux médias qui nous servent leurs réjections prémâchées en guise d’informations, nous irriguent d’images et d’événements anxiogènes qui paralysent notre esprit critique, l’émoussent et finissent par l’inhiber complètement. Si une situation donnée était exposée clairement, sans complexe, dans les JT, une analyse plus fine naîtrait dans le cortex des citoyens français et ils verraient combien les mesures liberticides sont absurdes. Si chacun était mis au fait des victimes, des dégâts que nous engendrons, alors la compassion naturelle sensée caractériser l’espèce humaine reprendrait le dessus et nous pousserait à chercher des solutions ailleurs.

Répondre à la violence par la violence, véritable logique puérile, est d’autant plus absurde que nous sommes en partie responsables des drames qui s’abattent sur notre sol comme une pluie radioactive tombe sur Tchernobyl. La guerre étant elle­-même une forme de terrorisme, la guerre contre le terrorisme se révèle être un triste oxymore, médiocre réponse que vous voulez opposer à Daesh. Comment fustiger les terroristes alors que nous­mêmes terrorisons les civils perdus dans les bombardements menés par notre « grande nation » pour rétablir une justice pastiche ? Je ne suis pas en train de défendre les actes terroristes, et cette phrase a son importance parce « dès que vous suggérez qu’il est important de considérer des réponses autres qu’une réplique violente, on vous accuse de sympathiser avec les terroristes. C’est une lâche façon de terminer une discussion sans examiner intelligemment les alternatives aux politiques actuelles. » (citation tirée d’un article d’Howard Zinn, « Notre guerre »). Mais, si les crimes de Daesh sont si terribles qu’il relèvent presque de l’indicible, il ne faut pas pour autant oublier les nôtres, qui, eux, relèvent plus du non­dit. Larguer des bombes n’est en rien une solution : chaque victime d’un bombardement (surtout les civils, plus nombreux que les terroristes) se transforme en martyr et constitue un argument de plus dans le discours de Daesh contre l’occident, incitant toujours plus d’hommes poussés par le désespoir à se radicaliser. Cela me fait doucement sourire de vous voir vous insurger face aux attaques que nous subissons depuis un an et demi quand je pense au Yémen, bombardé par l’Arabie Saoudite à l’aide de nos beaux Rafales. Si Daesh commet des exactions au nom d’une idéologie révoltante, nous vendons allégrement de la mort prématurée pour quelques billets tachés de sang. Comment, dès lors, pouvez­-vous encore – tous autant que vous êtes – supporter l’image que vous renvoie le miroir ? J’ai personnellement une si grande honte sans même être impliquée dans le commerce d’armes que je ne peux concevoir que vous puissiez continuer à tenir vos discours et à montrer patte blanche quand, à quelques kilomètres, des civils se font massacrer avec nos armes. À quel moment, dans votre esprit, l’argent a­-t-­il surpassé la vie humaine ? Comment pouvez­-vous vous émouvoir de 84 morts quand nous avons assassiné au moins 1850 yéménites (selon un rapport de l’ONU) ? Mais j’ai failli omettre, et je m’en excuse, un détail qui a son importance et fait la différence pour beaucoup : ce sont 84 morts français ! Et cet argument justifie que vos mathématiques géopolitiques placent 84 largement supérieur à 1850. En effet, comme l’a montré si justement George Bernard Shaw, « Le patriotisme, c’est cette conviction selon laquelle ce pays est supérieur aux autres parce que vous y êtes né. » J’en arrive à cette nécessité qui chaque jour se dessine un peu mieux, celle de se souvenir qu’avant d’appartenir à une nation, avant d’être recensés, répertoriés, classifiés ou même fichés par notre laborieuse administration, avant d’être convertis en chiffres sur des écrans, nous sommes tous des êtres uniques appartenant à l’espèce humaine.

« Nous devons prêter allégeance à l’humanité et non pas à une nation, quelle qu’elle soit » a écrit un jour Howard Zinn. Ceux qui nous attaquent font partie de notre espèce, possèdent les mêmes caractéristiques. Leurs actes terribles ne sont que l’écho d’un quotidien que l’occident leur a imposé parce qu’ils avaient le malheur d’être nés sur des nappes de pétrole et qui les a poussés à la haine. Il est crucial de rendre sa mémoire à notre pays et au monde entier, de se rappeler que l’argent n’est pas comestible, de penser « humain » plutôt que « finance », « bonheur » plutôt que « réussite » et « biodiversité » plutôt que « billet de banque ». Nous avons une marge d’une petite vingtaine d’années pour modifier nos habitudes de consommation et enrayer un tant soit peu le dérèglement climatique le plus important que notre espèce n’ait jamais connu. Allons­-nous gaspiller ce temps en guerres vaines alors qu’il est tant de manières d’enseigner l’amour ? Vous nous parlez de mesures sécuritaires renforcées quand nous avons besoin d’apprendre comment vivre demain.

Il est évident que nous sommes impuissants face à ces attaques, l’inefficacité des forces de l’ordre a tristement été démontrée à Nice : comment ont-­ils pu laisser un camion pénétrer sur une allée piétonne, pourquoi est­-il parvenu à parcourir deux kilomètres avant d’être stoppé ? Les solutions proposées par la caste politique, si elle sont aussi médiocres que l’action de la police, ont au moins le mérite de faire rire. Je pense en particulier à ce cher Henri Guaino, qui a déclaré qu’ « Il suffit de mettre à l’entrée de la promenade des Anglais un militaire avec un lance­-roquettes et il arrêtera le camion ».

(source : http://www.estrepublicain.fr/actualite/2016/07/15/lance­roquette­peine­de­mort­les­propositions­fusent ).

Alors évidemment, le petit détail à ne pas oublier ici, c’est qu’il s’agit d’un député LR candidat à la présidentielle 2017, donc équipé d’œillères, les yeux braqués sur son objectif qui est de mettre définitivement au tapis François Hollande en prétendant de manière sous­-jacente que, s’il avait été élu au moment de l’attentat, il n’aurait tout bonnement pas eu lieu. C’est là un manifeste flagrant de cette petite guéguerre entre politiques qui semble ne jamais prendre fin, même pendant un deuil national. Je ne vais pas gaspiller mon temps à démonter une à une les déclarations politiques, notamment à propos de l’interdiction du voile proposée par Jacques Myard qui atteste de son étroitesse d’esprit, mais plutôt tenter d’apporter des solutions alternatives. Il est nécessaire de former les masses plutôt que de supprimer leurs libertés, de réfléchir à l’origine du mal, de la haine qui ronge les terroristes. Réduire les inégalités et diffuser plus largement la culture constituent des pierres à la base de l’édifice de la paix mondiale. Plutôt que de nous rendre toujours plus  dépendants, encouragez les initiatives qui visent à former les citoyens sur des gestes simples ; plutôt que de nous inciter à la haine, à la peur, encouragez l’amour et l’entraide. Inquiétez­-vous du populisme qui affleure l’air de rien, faisant ressurgir des opinions qui ont permis l’accès d’Hitler au pouvoir dans les années 30. Ne vous figurez pas que le totalitarisme est mort, qu’il ne reviendra pas. Le totalitarisme se cache derrière chaque rejet, chaque parole portée par la crainte. Il ne se présentera pas avec une petite moustache brune et une raie sur le côté, il ne ramènera pas Auschwitz mais créera une nouvelle forme de violence, car l’esprit humain sait se montrer particulièrement inventif dans l’art de faire souffrir son prochain. Rappelez­-vous combien la pratique artistique, tellement mise à mal par l’éducation nationale, constitue un rempart efficace face à la haine, fille de l’ignorance. Gardez à l’esprit les sages paroles d’Edgar Morin : « à force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. » Penchez­vous sur des initiatives telles que celle des étudiants paysagistes et des enfants d’un quartier populaire de Seine­ Saint­ Denis qui, ensemble, embellissent un terrain vague pour apporter un savoir-­faire et un rapport à la Terre que trop de gens ont oublié. Ne soyez plus dans la démonstration calculée mais dans les actes concrets. C’est maintenant aux Français que je m’adresse, vous qui n’avez cessé de vous plaindre de l’incapacité de nos dirigeants, qu’avez­vous fait pour changer ce pays qui vous insupporte ? Qu’attendez­-vous pour engager le dialogue avec vos pairs, pour réfléchir ensemble à des solutions aux problèmes qui vous préoccupent ? Levez­-vous de vos fauteuils, éteignez votre télé, sortez et écoutez le murmure qui s’élève, la rumeur qui nous vient des multiples projets alternatifs qui se mettent en place. Informez­ vous sur des médias plus indépendants, trouvez un sujet qui vous tient à cœur et lancez­ vous, il y a tant à faire ! Si vous attendez qu’on vous prenne par la main, vous risquez de mourir avant d’avoir fait une chose qui vous rende réellement fier et vous autorise à marcher la tête haute.

Peut­-être qu’après cette lettre, ma petite tête blonde viendra s’ajouter aux fiches S, mais cela m’est égal : je n’ai rien à me reprocher, à part peut­-être, le fait de daigner réclamer pour l’humanité cette liberté et cette égalité que tous clament et célèbrent depuis trois siècles mais auxquelles personne n’a encore vraiment goûté et le fait d’inciter le genre humain à cette fraternité que la France se plaît à afficher sur ses murs officiels. Liberté, égalité, fraternité, trois petits mots qui veulent dire tellement, trois petits mots étirés dans tous les sens pour masquer une vérité évidente, trois petits mots qui ne peuvent plus cacher la supercherie que l’on tente de dissimuler derrière.

Mathilde Lambert, 17 ans

Source : Carmaux Info 31/07/2016

Voir aussi : Actualité France, International, rubrique Médias, rubrique débat, rubrique Education, rubrique Société Citoyenneté, rubrique Politique, Politique Internationale, Une classe politique « nulle » face à une France immature, Nous payons les inconséquences de la politique française au Moyen-Orient, Rubrique Livres, il faut radicaliser la démocratie, rubrique Rencontre Kepel : « La politique française arabe est difficile à décrypter,

Ventes d’armes pour la Syrie et le Yémen : la filière des Balkans

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En recoupant contrats officiels, photos d’avions, de cargos ou d’hommes armés sur les front syrien ou yéménite, un collectif de journalistes met pour la première fois au jour un circuit de vente d’armes entre les pays des Balkans et du Moyen-Orient.

Très peu d’informations ont filtré jusqu’ici sur les quantités colossales d’armes qui parviennent depuis cinq ans aux différents groupes combattants en Syrie et au Yémen. L’enquête menée par un groupe de journalistes d’investigation des Balkans (1) lève une partie du voile sur la provenance et la trajectoire de ce matériel destiné aux champs de bataille du Moyen-Orient. Le marché, évalué à 1,2 milliard d’euros, implique huit pays vendeurs d’Europe centrale et orientale (Bulgarie, Croatie, République tchèque, Roumanie et Slovaquie, membres de l’Union européenne, mais aussi Serbie, Bosnie et Monténégro) et quatre acheteurs l’Arabie Saoudite, la Jordanie, les Emirats arabes unis et la Turquie. Des partenaires qui avaient très peu de relations commerciales avant le conflit syrien. Or, depuis 2012, des avions gros-porteurs chargés d’armes légères – fusils-mitrailleurs, lance-roquettes et munitions – décollent régulièrement des aéroports de Zagreb, Sofia ou Bratislava pour se poser à Djedda, Abou Dhabi ou Amman. Les livraisons ont considérablement augmenté en 2015 et comprennent du matériel plus lourd, y compris des chars de fabrication russe, acheminé par bateau.

Embargo contourné

«Ce commerce est certainement illégal, selon les experts des armements comme des droits de l’homme», souligne le rapport des journalistes produit dans le cadre d’un projet «pour une meilleure gouvernance». Ils ont traqué des documents et des photos sur les vols, les contrats, les rapports de l’ONU et de sources gouvernementales. Les licences d’exportation accordées contournent l’embargo décrété par l’UE sur les ventes d’armes aux belligérants en Syrie. Or des photos et des vidéos du terrain en Syrie, postées sur les réseaux sociaux montrent certaines de ces armes aux mains de brigades de l’Armée syrienne libre, soutenues par certains pays occidentaux et arabes, mais aussi de certains groupes salafistes.

Transactions pays par pays

 

Belgrade Airport | BIRN

Belgrade Airport | BIRN

Ces contrats ont rapporté des centaines de millions d’euros aux pays concernés et fait tourner leurs usines de production de munitions à plein régime. L’enquête publie les chiffres détaillés des transactions pays par pays. Ainsi, la Croatie et la République tchèque figurent en tête des vendeurs et 4 700 tonnes de matériel ont été livrés par la Bulgarie et la Roumanie à l’Arabie Saoudite. Le royaume sunnite, acheteur de près de 80% des armes des Balkans est aussi le principal bailleur de fonds des rebelles syriens. Il est en outre engagé dans une guerre au Yémen où des groupes de combattants sunnites porteurs d’armes d’origine balkanique ont été repérés sur des photos.

Les informations inédites de l’enquête des reporters des Balkans ont le mérite de révéler l’existence de l’une des filières d’armes vers les conflits sanglants de Syrie ou d’ailleurs dans la région. Les journalistes reconnaissent qu’il doit y en avoir bien d’autres et s’étonnent par exemple que le Qatar, connu pour être l’un des principaux fournisseurs des groupes armés syriens islamistes, n’apparaisse pas dans le commerce qu’ils ont mis au jour.

Hala Kodmani

(1) The Balkan Investigative Reporting Network (BIRN) and the Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP)

Source : Libération 28/07/2016

Voir aussi : Rubrique Politique Comment la France est devenue une cible « légitime » pour les groupes djihadistes, rubrique Affaires, La France et l’Italie, premiers fournisseurs européens d’armes à KadhafiKarachi le dossier avance, Renault et la “fabrication de chars pour la Wehrmacht, rubrique Economie, Rubrique UE, rubrique Moyen Orient, Israël, Drones : les secrets de la success-story israélienne,

Décryptage Huit questions pour comprendre le putsch raté en Turquie

Des Turcs devant le Parlement à Ankara lors d'une session extraordinaire, juste après le coup d'Etat avorté de vendredi. AFP

Des Turcs devant le Parlement à Ankara lors d’une session extraordinaire, juste après le coup d’Etat avorté de vendredi. AFP

Elise Massicard, chercheuse au CNRS et spécialiste de la sociologie politique turque, analyse la situation du pays au lendemain du coup d’Etat.

Vendredi soir, des officiers de l’armée turque ont tenté de prendre le pouvoir par la force et de renverser le président Recep Tayyip Erdogan, qui était alors en vacances sur la côte méditerranéenne. Après plusieurs heures d’affrontements, entre les putschistes d’un côté, et de l’autre la police, certains corps de l’armée et des citoyens turcs descendus dans la rue à l’appel du président Erdogan, ce dernier a pu reprendre la main sur le pouvoir, samedi matin.

Pouvait-on s’attendre à une tentative de coup d’Etat en Turquie ?

Les observateurs spécialistes du pays ne s’accordent pas tous sur ce point. Pour Elise Massicard, chercheuse au CNRS spécialiste de la sociologie politique contemporaine turque, «une telle éventualité était envisageable. Cela fait plusieurs mois que des rumeurs circulent sur une possible intervention antigouvernementale par l’armée». La Turquie possède une tradition de coups d’Etat militaires. Quatre ont eu lieu depuis 1960.

Actuellement, toutes les institutions étatiques sont contrôlées par le gouvernement. Un renversement du pouvoir ne pouvait vraisemblablement venir d’un autre acteur que l’armée. Du moins, une partie de l’armée, car l’intervention militaire de vendredi n’a pas été menée par tous les corps militaires. Certains pilotes de l’armée de l’air, par exemple, n’auraient pas suivi les putschistes et seraient intervenus pour les neutraliser.

Les militaires putschistes étaient-ils soutenus par une partie de la classe politique turque ?

«Certains milieux souverainistes ne sont pas contre une intervention militaire pour renverser le gouvernement, remarque Elise Massicard. Mais ce n’est pas une solution qui est acceptée officiellement. Le Parti kémaliste, la plus grande formation d’opposition ne soutient pas une intervention par la force». L’argument d’une prise de pouvoir non démocratique a été justement utilisé par Erdogan pour délégitimer ce parti. Face à la population, le président se présente désormais comme le défenseur de la démocratie en Turquie. Pourtant, depuis son accession au pouvoir, Erdogan n’a cessé de réduire les libertés individuelles, la liberté de la presse et le pouvoir de l’opposition.

La population descendue dans la rue condamnait-elle justement cette prise de pouvoir non démocratique ?

Selon notre reporter à Istanbul, il apparaît plutôt que les citoyens qui sont sortis dans la rue ont répondu à l’appel lancé par Erdogan via Facetime dans la nuit. Les slogans entendus seraient plutôt ouvertement pro-Erdogan. «Le président a toujours une assise populaire très large dans la société turque, rappelle Elise Massicard. La population est très polarisée sur ces questions entre ceux qui soutiennent le gouvernement, et ceux qui s’opposent à sa politique».

Le gouvernement a désigné rapidement la mouvance islamiste Gülen comme instigatrice du coup d’Etat. Est-ce crédible ?

La mouvance islamiste tenue par l’ancien allié du gouvernement, Fethullah Gülen, réfugié actuellement aux Etats-unis, est un «bouc émissaire pour Erdogan depuis la fin de l’année 2013, rapporte la chercheuse du CNRS. Le régime lui attribue tout ce qui ne va pas dans le pays». Selon elle, il semble donc difficile de croire qu’ils aient pu organiser cette intervention tout seuls. Par ailleurs, l’armée turque n’est pas spécialement pro-Gülen et inversement. Il est tout de même possible qu’il y ait eu une coalition entre la mouvance et une partie de l’armée pour renverser Erdogan.

«Mais pour la population qui ne suit l’actualité que via les médias étatiques, l’implication de Gülen est une explication tout à fait crédible, ajoute Elise Massicard. Ces médias affirment régulièrement depuis deux ans que la mouvance complote pour renverser le pouvoir». Ces membres sont poursuivis dans toutes les institutions d’Etat.

Doit-on s’attendre à une purge contre les putschistes ?

Erdogan l’avait promis dès le début du coup d’Etat vendredi soir. Elle a donc débuté dès le lendemain. Le Premier ministre Binali Yildirim a annoncé, samedi matin, l’arrestation de 2 839 personnes et la possibilité de rétablir la peine de mort pour punir «les traîtres». D’autres institutions sont touchées. Plusieurs centaines de juges ont été écartés samedi. En plus des affrontements entre policiers et militaires, certains civils auraient lynché des militaires putschistes. «Ces violences non contrôlées par les autorités ont été légitimées, voire encouragées, par le gouvernement», souligne Elise Massicard.

Erdogan a-t-il utilisé les responsables religieux pour légitimer son appel à la population ?

Dans la nuit de vendredi, à Istanbul, les muezzins ont interrompu leur chant de prière pour appeler la population à descendre dans la rue afin de soutenir le gouvernement. Pour la chercheuse du CNRS, «ce ne sont pas des initiatives personnelles». En Turquie, les imams et les muezzins sont des fonctionnaires d’Etat, et Erdogan a des liens forts avec la communauté religieuse musulmane. Reste que c’est la première fois que le gouvernement en appelle aux responsables religieux pour relayer ce type de messages politiques. «Pour Erdogan, c’est un moyen de se légitimer en s’appuyant sur la religion», ajoute-t-elle.

Erdogan avait-il préparé ses arrières dans l’éventualité d’un coup d’Etat ?

Vendredi soir, les putschistes comme les forces pro-gouvernementales ont fait usage d’un important arsenal militaire. Comment expliquer cet équilibre? D’abord, toute l’armée n’a pas soutenu le coup d’Etat. Il y avait donc des moyens de défense militaires du côté des pro-Erdogan. L’arsenal donné à la police laisse tout de même penser que le président envisageait un retournement des militaires. Depuis son accession au pouvoir, Erdogan s’est beaucoup appuyé sur la police pour établir sa politique sécuritaire. Leurs moyens d’intervention ont été largement renforcés depuis plusieurs années.

Quelles conséquences ce coup d’Etat échoué pourrait avoir sur la position de la Turquie dans la région, et dans le monde ?

Dans le pays s’observe déjà un resserrement du pouvoir par Erdogan. L’échec de ce putsch renforce l’assise du président turc sur l’opposition politique qui subsiste, mais aussi face aux puissances qui interviennent dans la région. Le gouvernement a déjà annoncé la fermeture de la base militaire d’Incirlik, qui servait de base arrière pour la coalition internationale, dans les interventions en Syrie et en Irak, tant que Fethullah Gülen ne serait pas extradé des Etats-unis. Plus largement, c’est tout l’espace aérien qui a été fermé. Les missions aériennes des Etats-unis contre l’Etat islamique ont donc été suspendues.

La communauté internationale, y compris la France, a largement condamné le coup d’Etat. De même pour tous les partis représentés à l’Assemblée nationale turque. «Le président a pu ainsi rassembler derrière lui et obtenir un consensus sur son maintien au pouvoir, alors qu’il était, depuis plusieurs mois, fragilisé, à cause notamment de la multiplication des attentats terroristes sur le territoire, observe Elise Massicard. Cette reprise en main politique pourrait avoir pour conséquence un durcissement de la gestion sécuritaire de la question kurde». 

Aude Massiot

Source Libération 16/07/2016

Voir aussi ; Actualité Internationale, Rubrique Moyen Orient, Turquie, Erdogan retrouve les moyens de poursuivre sa dérive autoritaire, Le mouvement Gülen, une énigme turque, Kurdistan, rubrique UE, Sommet UE-Turquie sur les réfugiés un accord « moralement insupportable, On Line, Le coup d’Etat, une tradition des militaires turcs , Les réseaux sociaux, le président Erdogan et Facetime,

Après Nice, une classe politique « nulle » face à une France immature

Gilles Kepel dénonce une classe politique "nulle", à propos des réactions sur l'attentat de Nice Joël Saget/Afp

Gilles Kepel dénonce une classe politique « nulle », à propos des réactions sur l’attentat de Nice Joël Saget/Afp

Sur France Inter, au lendemain de la tragédie de Nice, Gilles Kepel a dénoncé une « classe politicienne nulle » face aux changements du monde. Question: l’opinion publique française a-t-elle les politiques qu’elle mérite?

« Notre classe politicienne est nulle ». Le jugement est terrible. Surtout quand il est prononcé, au lendemain d’un événement aussi épouvantable que l’attentat de Nice, par une autorité reconnue comme le spécialiste du djihadisme Gilles Kepel. C’était ce vendredi matin, sur France Inter, où le chercheur était appelé à donner son sentiment sur les réponses politiques apportées ou suggérées par les uns et les autres face à la tragédie terroriste: « débat minable, pas du tout à la hauteur du défi. Notre classe politicienne est nulle face à cela, elle donne le sentiment de courir derrière l’événement, d’être intéressée surtout par ses chamailleries ».

Le propos touche, qui vise l’ensemble d’un personnel politique qui donne le sentiment de se raccrocher à des réflexes de posture et de communication comme dépourvus de sens, comme s’il était dépassé par la dimension historique des événements auquel il est confronté.

La sentence sans appel de Gilles Kepel ne vise pas seulement la gauche de gouvernement, François Hollande, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve. Il inclut également les gauches de la gauche, dont certains représentants, en dépit de tout bon sens, continuent de dénoncer l’Etat d’urgence, Les Républicains de Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, qui oscillent entre obligation d’union nationale et tentation polémique, et le Front national de Marine Le Pen et Florian Philippot.

A en croire Kepel, les uns comme les autres ne comprennent pas le bouleversement de l’histoire auquel ils sont confrontés.

Un problème de logiciel

D’une part, en ce qu’ils ne comprennent pas l’ennemi et son fonctionnement, pourtant transparent: « le logiciel de ce terrorisme-là n’a toujours pas été compris par le pouvoir politique, quel qu’il soit (…) On est dans une autre dimension, il ne s’agit pas de dire qu’on va faire appel à la réserve, tout le monde sait que les forces de l’armée et de la police sont épuisées ».

D’autre part, en ce qu’ils n’en discernent l’objectif, présent en toutes lettres dans « les textes mis en ligne depuis 2005 par ce djihadisme de troisième génération: il faut épuiser les forces de l’ordre et il faut faire en sorte que la société, qui est totalement déboussolée, se prépare à une logique de guerre civile entre enclaves de confessions différentes ».

Face à ce danger, le gouvernement, chaque fois dans l’urgence, procède à des annonces qui ont pour objet de rassurer, autant que faire se peut, l’opinion. A chaque tragédie, le curseur du déploiement des forces policières et militaires monte d’un cran. Après Nice, c’est la Réserve qui est convoquée. Et l’état d’urgence maintenu pour trois mois encore. Le gouvernement pouvait-il faire autrement, dans les heures qui suivent un acte de la nature de celui commis à Nice? Non. Il fallait envoyer des signaux de rassurance l’opinion inquiète. Mais cette même opinion inquiète, en demande d’actes immédiats, sait aussi que ce qui a eu lieu à Nice relève de la menace auscultée par Gilles Kepel. Des sentinelles déployées ici et là ne suffisent pas à empêcher un individu déterminé à passer l’acte.

Partenaire du gouvernement, ses oppositions de droite, d’extrême droite et d’extrême gauche paraissent aussi éprouver de la peine à se hisser à la hauteur du rendez-vous de l’histoire. On ne sait pas encore tout du scénario de la tragédie de Nice que certains sont déjà affairés à dénoncer le pouvoir en place, à l’accuser les uns à dénoncer le manque de précautions et les failles sécuritaires, à l’image d’un sénateur LR, Philippe Dallier, qui s’est empressé de s’en prendre sur Twitter à François Hollande et Manuel Valls (avant de faire machine arrière toute), les autres à persévérer dans une dénonciation de l’état d’urgence devenue vide de sens. De ce point de vue, Kepel n’a pas tort de pointer ces « chamailleries » vaniteuses.

Gilles Kepel souligne, sans doute à juste titre, les failles des politiques. Mais il devrait aussi s’interroger sur l’état de cette même opinion, en fonction de laquelle les politiques réagissent, cette opinion qui leur demande encore et encore des mesures, des policiers, des troupes et des moyens, mais qui ne fait pas encore toujours la démonstration d’une maturité politique à la hauteur de l’enjeu.

Combien d’autruches béates?

On se souvient, par exemple, de la sortie d’un humoriste face à Manuel Valls, invité de l’émission On n’est pas couché, sur France 2, quelques semaines après les attentats du 13 novembre. Alors que le Premier ministre tentait de faire dans la pédagogie de guerre en période terroriste expliquée à un peuple qui en a perdu l’usage depuis la fin de la Guerre d’Algérie, Jérémie Ferrari s’était abandonné à l’une de ces sorties médiatiques qui caractérisent l’époque: « Vous avez dit qu’on était en guerre. Non, non, non! Vous, votre gouvernement est en guerre, nous on n’est pas en guerre. Nous, on se fait tirer dessus quand on va voir des concerts. Vous êtes en guerre, le gouvernement est en guerre, pas nous! »

On rappelle ici la saillie de l’humoriste prétendant au rôle de penseur parce qu’elle est emblématique du problème français. Déni de l’histoire. Refus de la réalité. Fuite. Dérobade. A l’époque, il s’était trouvé bien des gens pour saluer la sortie de Jérémie Ferrari, qui avait cloué le bec de Manuel Valls en se posant en pacifiste qui ne veut faire la guerre à personne. Cette anecdote disait pourtant toute la difficulté de faire de la politique, sous menace terroriste, face à une opinion qui ne veut pas comprendre que l’histoire redevient tragique. Combien de Jérémie Ferrari en France, à droite ou à gauche, à l’extrême droite et à l’extrême gauche? Combien d’autruches béates, la tête enfouie dans les caves de la Ligne Maginot des idéalités infantiles?

La classe politicienne est-elle « nulle » parce qu’elle est, aussi, confrontée à une opinion publique anesthésiée par un demi-siècle de paix, et qui serait devenue en grande partie toute aussi « nulle »? La question mérite d’être posée. Et vite.

Si, comme le dit Kepel, notre classe politique est nulle, tétanisée par une opinion fragmentée, clivée et divisée, le risque est alors grand de voir triompher la stratégie déployée par les ennemis de la France, à savoir « faire en sorte que la société, qui est totalement déboussolée, se prépare à une logique de guerre civile entre enclaves de confessions différentes ». Soit la possible réalisation de l’analyse développée par le directeur de la DGSI Patrick Calvar, qui, auditionné dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats de 2015, a déclaré : « la confrontation entre l’ultra-droite et le monde musulman inéluctable ».

Cette perspective est-elle inéluctable? De Hollande à Sarkozy, en passant pas Juppé et Valls, les politiques vont devoir convaincre du contraire. Convaincre Jérémie Ferrari et ses semblables, voilà l’urgence. Et pour ce faire, relire Mendès France, l’apôtre du convaincre en démocratie : « Pour les dirigeants d’abord. Le premier devoir, c’est la franchise. Informer le pays, le renseigner, ne pas ruser, ne pas dissimuler ni la vérité ni les difficultés ; ne pas éluder ou ajourner les problèmes, car dans ce cas, ils s’aggravent ; les prendre de face et les exposer loyalement au pays, pour que le pays comprenne l’action du gouvernement ». Pour ne pas être « nul » aux yeux de Kepel, il faut sans doute renouer avec Mendès.

Source : Challenges 15/07/2016

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Bayram Baltci: «Pour la première fois, l’armée turque se montre divisée»

Le portrait du président Erdogan est affiché sur cet immeuble à Ankara, le 16 juillet 2016. REUTERS/Tumay Berkin

Couvre-feu, loi martiale et aéroport fermé. La Turquie vit une tentative de coup d’Etat depuis vendredi 15 juillet au soir, un putch mené par une partie de l’armée hostile au président Recep Tayyip Erdogan. Le pouvoir semble sur le point de reprendre l’Etat en main, mais la situation reste confuse. Bayram Baltci, enseignant-chercheur au Centre de recherches internationales (Ceri), revient sur le rôle de l’armée en Turquie.

RFI : Sait-on si le coup d’Etat a réussi ou échoué ?

Bayram Baltci : La tension est encore assez incertaine, assez trouble. Maintenant, on a le sentiment que c’est plutôt un échec. Apparemment, le pouvoir est en train de se ressaisir, après avoir perdu le contrôle de la situation pendant quelques heures. C’est plutôt Erdogan et la majeure partie de l’armée qui vont finir par s’imposer et non pas les putschistes au sein de l’armée.

Ce n’est pas la première fois que les militaires prennent le pouvoir par la force en Turquie. Mais cette fois-ci, on a l’impression de ne pas voir un seul bloc. L’armée turque apparaît divisée.

Effectivement, c’est la première fois. Ce n’est pas la première fois que l’armée tente de prendre le pouvoir, mais c’est la première fois qu’elle se montre un peu divisée. Jusque-là, en 1960, 1971 et 1980, à chaque fois que l’armée a tenté de reprendre le pouvoir, elle était unie en bloc derrière son chef d’état-major. Mais dans ce cas, ce n’est visiblement pas le cas et c’est plutôt une première. Je dirais que c’est assez inquiétant pour l’armée turque qui pour la première fois se montre divisée, alors qu’historiquement elle a été unie, elle a été à l’origine de la fondation de la Turquie. Je pense que ce sera quelque chose de nouveau dans l’histoire du pays et ce sera probablement une situation qui va préoccuper les dirigeants.

Est-ce qu’on peut rappeler le rôle de l’armée dans la société turque, son rôle pour le pouvoir, mais pour l’Etat turc plus généralement ?

Je pense que l’armée turque est assez prestigieuse. Malgré les coups d’Etat qu’elle a organisé en Turquie, bien que dans l’histoire elle soit apparue souvent antidémocratique, il y a quand même un certain soutien au sein de la population à l’armée. C’est pour cette raison qu’à l’heure actuelle, il y a une mobilisation de la population contre le coup. On a le sentiment que c’est pour protéger le pouvoir d’Erdogan, mais c’est beaucoup plus complexe que ça. Il me semble que l’armée était prestigieuse, mais en même temps, on a le sentiment que la population turque a changé et qu’elle ne veut pas que l’armée soit au pouvoir, mais plutôt dans ses casernes pour protéger la Nation.

Peut-on parler des cibles qui ont été visées par les putschistes ? Il y a notamment eu le MIT, le bâtiment des services de renseignement…

Non. C’est une première et cela montre à quel point pour le pouvoir de Erdogan et le MIT est important. Cela montre à quel point il y a une rivalité de compétition, entre différentes structures de forces en Turquie. Apparemment l’armée a visé le MIT, le bâtiment des renseignements généraux, plus, je crois l’Assemblée nationale, plus l’état-major. On a vu aussi la police contre l’armée, ce qui est une première en Turquie. D’habitude, il y a toujours des rivalités, mais pas à ce point-là. Mais le fait que le MIT ait été visé par les putschistes montre à quel point c’est un appui fort pour le pouvoir d’Erdogan.

Source : RFI 16/07/2016

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