Michel Gueorguieff incorrigible combattant de l’imposture

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21/11/1950 02/09/2013

Choses de sa vie

Humble et séducteur, provocant et diplomate, Michel renvoie une image digne de son parcours indéfinissable et loin des sentiers battus. C’est une figure majeure du monde littéraire national très attaché à ses racines montpelliéraines. Un homme pudique passionné. Derrière chaque auteur de noir se cachait à ses yeux une relation. Un grand pro, mais combien peuvent passer d’une rencontre à l’autre avec la même vérité ? Mieux, en tirer une relation à chaque fois unique, souvent gravée dans les mémoires. Michel Gueorguieff est de ceux-là.

En 62 ans de passion, il a épousé toutes les causes auxquelles il croyait, sans faillir. Qu’il soit élève retors, fermement engagé pour défendre ses convictions, ombrageux fonctionnaire territorial, militant dévoué, combattant impitoyable de l’imposture intellectuelle, formateur compréhensif, animateur exigeant, découvreur littéraire éclairé, personne n’a oublié sa touche personnelle, onction invisible qui fait la différence entre une personne que l’on sent contrainte et un homme libre.

Filez lui un polar, il vous cuisinera son auteur pour s’en faire un complice et peut-être un ami, passez lui une robe d’avocat, il sera le plus touchant des défenseurs, tentez de pervertir la noblesse du bonhomme et vous trouverez la foudre… Bref, l’artiste transfigure les rôles et réussit la prouesse paradoxale de faire briller les œuvres et les auteurs tout en ayant l’humilité de s’effacer derrière eux. La classe.

S’il est resté un cas à part dans le monde littéraire, c’est que Michel Guorguieff a un credo. Sa théorie : « le roman noir est un roman qui parle de la littérature d’aujourd’hui. » Et de choisir son chemin en veillant toujours à favoriser le coup de cœur sur le coup de fric, offrant son savoir faire aux auteurs débutants, devenant maître de ses choix par indépendance, prêtant sa voix et sa crédibilité aux causes qui lui semblaient justes. Il n’a jamais voulu écrire, ce n’était pas sa place estimait-il. Mais chacun sait que réussir la mise sur orbite d’un festival comme le FIRN est plus difficile que de faire un livre. Les thématiques des festivals autour desquels il articulait la programmation montrent comment il aimait varier, tenter, risquer, déjouer la routine et le confort qui enterrent les vaniteux.

Un anticonformisme puisé dans l’enfance, comme pour briser le corset d’une éducation. Né le 21 novembre 1950, chez lui place Albert 1er à Montpellier, il est le fils de Krastu Ivanoff Guorguieff et de Eliane, Lina, Rose Capelle. Elle est aveyronnaise d’origine, habite à Montpellier d’où elle est diplômée des Beaux-arts, « Michel l’adorait » confie sa nièce Christine. Lui, ingénieur chimiste bulgare, polyglotte, qui a fuit le régime communiste. La légende familiale veut qu’il fut l’inventeur de la mayo en tube, avant l’heure.

A l’école, Guorguieff junior est en avance, ce qu’il doit en partie à son arrière grand-mère qui le contraint à lui lire le journal dès son plus jeune âge. Primaire, collège, lycée, fac de droit, puis de lettres, Michel poursuit ses études à Montpellier. Il passe son bac dès la première en 68. En fac il est élu à l’UNEF avant d’en devenir le président.

« Nous étions très mobilisés dans le débat sur l’avortement, une forme d’anticipation à la loi Veil» se souvient son ami d’enfance Richard, lui-même secrétaire du syndicat étudiant. Michel est très respectueux des femmes, pas misogyne pour un sous. En 1978, il épouse Marie-Martine Geazi qui décède dix ans plus tard des suites d’un cancer, le laissant jeune veuf. Dans ses lectures, peu lui importe le sexe. Ce qui ne l’empêche pas d’être séducteur, sensible. Sur ce point, les mots justes reviennent à son pote Serguei « Il se blindait à mort mais à l’intérieur c’était du cristal ».

Pour Michel, l’engagement est un moteur. Il milite au PS, tendance CERES, l’aile gauche du PS puis devient mittérandiste. Il se présente aux cantonales sur Montpellier sans succès, rejoint l’équipe municipale en 83 mais il n’a jamais fait partie de la frêchie. « C’était un homme de gauche au regard critique qui avait des convictions, des valeurs, une expérience politique et d’élu. Frêche s’en méfiait. », soutien Michel Crespy. Sa volonté de changer les choses se heurte à une ascension lente en politique à laquelle s’ajoutent des intrigues de cabinet et une kyrielle d’emmerdements.

Sa sortie de la sphère politicienne lui redonne des ailes. Viendra la rencontre avec Martine avec qui il collabore dans la rubrique art contemporain du journal Regard au milieu des années 80. Le couple se consolide dans la complémentarité, la complicité, et les grands voyages improvisés pour aller à la rencontre des monstres de la littérature américaine. Les Bonnie and Clyde du noir attaquent le genre sous toutes ses formes et transmettent leur passion contagieuse.

La reconnaissance du FIRN ne tarde pas à s’établir dans le milieu littéraire, du local à l’international en passant par le microcosme de l’édition parisienne où il tisse de solides amitiés comme avec François Guérif. Au gouvernail, Martine maintient fermement le cap d’exigence. Michel se prend toujours aussi facilement de sympathie pour les hommes libres ou empêchés de l’être comme Battisti. Là encore, il part au combat au côté de Fred Vargas dont il apprécie la capacité à se mettre en danger compte tenu de sa notoriété. Pierre Bouldoire, le Maire de Frontignan mouille sa chemise. En 2004, il consacre Cesare citoyen d’honneur de Frontignan, et le Firn poursuit son histoire folle d’humains et de militants.

Michel était un personnage, exigeant avec lui-même « Quand on le croisait dans la rue il ne paraissait jamais satisfait » relève l’ancienne maire Hélène Mandroux. En ville, il en effrayait plus d’un. Les imposteurs le redoutaient mais l’intéressé s’en amusait, car il n’avait rien d’un ogre et cultivait la discrétion. Bien qu’appréciant les grands espaces américains, la campagne n’était pas trop son truc, à cause des insectes qui le rendaient dingue. Michel ne craignait ni dieu ni la mort mais les petites bêtes…

Jean-Marie Dinh

Download-1Voir aussi : Rubrique LivreRoman noirMichel Gueorguieff passeur incorruptible, FIRN, Les amoureux du noir, Lien vidéo Soirée hommage à la Comédie du livre 2014

 

Festival Voix Vives. Sans frontière les poèmes disent l’essentiel

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Le poète Jihad Hudaib.

Festival. Alors que la guerre cause rage et désespoir, Voix Vives consacre la poésie comme territoire de paix en Méditerranée. A Sète jusqu’au 26 juillet.

La poésie contemporaine méditerranéenne occupe pacifiquement depuis vendredi le quartier haut de Sète et plusieurs enclaves de l’île singulière. C’est dans ce quartier populaire que les mots d’une centaines de poètes venus de toutes les rives accostent.

En levant la tête, on décrypte des extraits de poèmes pris au piège des banderoles qui les offrent à nos regards, mais la plupart des mots parcourent librement les rues. Portés par un vent émancipateur, ils pénètrent les ruelles, les parcs, et les jardins. L’imaginaire collectif se trouve enrichi de ce grand partage inédit qui aiguise notre savoir-vivre.

A l’instar de ses éditions à Sidi Bou Said (Tunisie), Gènes et Tolède (en septembre), le festival Voix Vives privilégie les relations maritimes en élargissant sa sphère géographique à la Méditerranée, africaine, latine, orientale et à celle des Balkans. Une escale au festival Voix Vives permet de saisir à quel point la grande bleue vivifie le monde en mouvement.

La poésie : territoire de paix

« Je suis né sur le chemin de l’exil et n’ai jamais connu la mer même si je viens d’une famille qui dort sur son épaule, explique le poète palestinien Jihad Hudaib. Du fait de la colonisation, la seule mer que j’ai connue était une mer morte, en Jordanie

Le regard de Jihad se veut lucide sur les sociétés, leurs entrecroisements et dysfonctionnements : « Le dialogue n’est toujours pas instauré entre les deux rives défend-il, heureusement qu’il existe entre les personnes et les citoyens, même s’il est le plus souvent basé sur l’idée du vainqueur et du vaincu. Soyons honnêtes, personne ne veut prendre la responsabilité de cette différence. La mer est bleue, obscure et claire, entre deux idées et le poète un oiseau qui voyage continuellement entre les deux rives.»

Le poète France-Maximin Daniel

Le poète France-Maximin Daniel

Pour le poète romancier guadeloupéen Daniel Maximin, la Méditerranée n’est pas seulement une mer qui noie et sépare les ennemis. L’ami de Césaire, revendique un cousinage :

« Comme la Méditerranée la Caraïbe est un lieu à la croisée des cultures où l’on doit trouver une solution de paix parce que nous sommes cousins et pas parce que nous sommes différents. C’est la raison pour laquelle nous comprenons la Méditerranée. Comment être prétentieux lorsque l’on dépend comme nous des cyclones, des tremblements de terre, des éruptions volcaniques et des raz de marée ? La nature est notre modèle elle est la source même de la poésie. En Méditerranée, la proximité des civilisations explique la violence. Tout le monde est cousin et chacun veut marquer sa personnalité

La Méditerranée comme la Caraïbe sont des terres débordantes de créativité, « des terres de poésies » souligne Daniel Maximin qui fait un lien géographique et géologique entre les deux cultures « issues d’une terre en éruption, animées par un feu intérieur. »

Et le poète de se demander pourquoi les religions monothéistes ne parlent que de l’homme, et pas de l’homme et de la nature. « La mer est une fatalité au bout de chaque sentier et en même temps elle permet d’aller des deux côtés.»

Se pourrait-il que la poésie lave de sa pluie tous les affronts…

Jean-Marie Dinh

Source : L’Hérault du Jour 22/07/14

Voir aussi : Rubrique Festival, rubrique Livre, Poésie,, rubrique /Méditerranée, Palestine, Jordanie, On Line Festival Voix Vives,/

 

29e Rencontres de Pétrarque. La difficile réinvention du progrès en débat

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Thomas Piketty animera la séance inaugurale ce soir au rectorat. Photo DR

Festival de Radio France. L’hypothèse joyeuse combat le discours de la déploration aux 29e Rencontres de Pétrarque qui débutent ce soir au Rectorat et se poursuivront jusqu’au 18 juillet.

Dans le cadre du festival Radio France, les 29e Rencontres de Pétrarque* débutent aujourd’hui à Montpellier. Elles se tiendront jusqu’au 18 juillet sur le thème  « De beaux Lendemains ? Ensemble, repensons le progrès ».

Lundi, Thomas Piketty ouvrira le bal des neurones au rectorat avec une attendue leçon inaugurale. L’économiste est cette année le lauréat du Prix Pétrarque de l’Essai France Culture Le Monde pour son livre Le Capital au XXIème siècle paru au Seuil. Un ouvrage  qui porte sur le retour en force des inégalités dans lequel Thomas Piketty émet l’idée que supprimer la catégorie des rentiers, peu active économiquement, mais dominant pourtant la hiérarchie, permettrait de dynamiser la croissance économique.

Ces rencontres interrogeront la notion de progrès sous l’angle du politique. La soirée du mardi 15 juillet a pour thème « La politique peut-elle se passer de l’idée de progrès » ou en d’autres termes l’idée répandue d’un peuple de gauche progressiste dans l’âme et d’un peuple de droite conservateur par nature ayant vécu, comment mobiliser l’imaginaire collectif ?

Elle réunira Cécile Duflot et la philosophe Blandine Kriegel, ex députée communiste devenue conseillère de Jacques Chirac et ex membre du Comité consultatif national d’éthique. Les lumières du physicien Etienne Klein spécialiste de la physique quantique seront peut être utiles à ce débat.

Mercredi les Rencontres se proposent de répondre à la question
« La révolution technologique nous promet-elle un monde meilleur ? »

Jeudi, il s’agira du déclin de l’occident et de la ré-émergence du progrès en provenance d’autres latitudes, l’Inde, la Chine, l’Afrique. Mais il sera vraisemblablement difficile de contourner l’ethnocentrisme vu que trois des quatre invités sont des intellectuels français reconnus.

Retour à la finance vendredi 18 avec un débat sur le thème : « Peut-on remettre l’économie au service du progrès ? » où l’on guettera l’intervention de l’économiste Gérard Dumenil, auteur de La Grande bifurcation (La Découverte) dans lequel il défend l’idée d’une structure de classes tripolaire comprenant capitalistes, cadres et classes populaires, et conçoit la réouverture des voies du progrès dans de nouvelles coalitions.

Jean-Marie Dinh

* Du 14 au 18 juillet de 17h30 à 19h30 Rectorat, rue de l’université à Montpellier.

 

 

Entretien avec Sandrine Treiner, directrice adjointe de France Culture en charge de l’éditorial.

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Sandrine Treiner. Photo France Culture

« De beaux Lendemains ? » « Ensemble, repensons le progrès ». Comment décrypter cette thématique à tiroir ?

Depuis plusieurs années nous nous étions positionnés sur des thématiques un peu pessimistes comme La crise démocratique ou Guerre et Paix l’année dernière, quand nous avions été rattrapés par l’actu. En préparant cette édition, nous nous sommes dit que nous nous laissions un peu porter par l’état d’esprit de la France et qu’il serait temps de proposer à nos invités de faire l’effort d’envisager l’avenir de manière positive et dynamique.

La notion de progrès porte interrogation. Elle nous renvoie une dimension idéologique qui est aujourd’hui totalement bouleversée…

Le terme progrès est en effet porteur d’une idéologie qui semble en panne. Sur ce point la question se pose à droite comme à gauche. Nous allons tenter de travailler ce que veut dire l’idée de progrès aujourd’hui en déclinant notre sujet à partir de grands thèmes qui remettent en cause l’idée de l’avenir comme la révolution technologique, le déclin de l’occident, l’orientation des politiques économiques…

Comment se porte France Culture ?

Très bien, je pense que les gens sont de plus en plus demandeurs de sens et que nous répondons à notre mission qui est à la fois de réinventer et d’éclairer le monde sur une base d’ouverture et de connaissances. En quatre ans notre audience a évolué de 22% passant de 1,6 à 2,1%. Nous avons passé la barre d’un million d’auditeurs/jour. En conservant notre public d’aficionados et en élargissant notre audience à des personnes qui ne pensaient pas que France Culture pouvait s’adresser à elles.

Quelle seront les innovations de la grille de rentrée ?

La grille sera assez stable dans l’ensemble. Il n’y aura pas de grand changement dans les fondamentaux, parce que ça marche bien et que nous avons déjà opéré beaucoup  de modifications depuis quatre ans. Denis Podalydès, sera une nouvelle voix quotidienne pour la littérature.

Quels ont été les grands axes du changement depuis l’arrivée d’Olivier Poivre d’Arvor ?

Le changement le plus important n’est pas forcément visible. Il a consisté à rendre la grille lisible. Nous avions beaucoup d’émissions thématiques éparpillées. Nous avons reclassé un peu comme on reclasse sa bibliothèque. Nous avons aussi rajeuni et féminisé l’équipe. Enfin on a réchauffé l’actu en proposant beaucoup plus de directs.

Craignez-vous des réductions budgétaires ?

Nous en avons déjà connu l’an dernier et sommes parvenus à faire des économies en évitant d’impacter les productions. Pour cette année notre budget ne sera pas en augmentation mais rien ne dit qu’il sera une nouvelle fois revu à la baisse.

Recueilli par JMDH

 Voir aussi :  Rubrique Festival, Festival de Radio France, rubrique Médias, rubrique Politique Politique culturelle, rubrique Rencontre, Jérome Clément, rubrique Livre, Essai, Thomas Piketty : Un capital moderne,

Alain Hayot : « La lutte contre le FN passe par un débat politique sur l’avenir »

 

 069eb6a936d2800ecb84ed3444678d7d_LALAIN HAYOT. L’homme de culture appelle dans son essai « Face au FN, la contre offensive » à une reprise en main du politique face à la consolidation de la droite extrême dans le paysage français.

Docteur en sociologie et anthropologie, professeur à l’Ecole nationale d’architecture de Marseille, délégué national à la culture au PCF, conseiller régional en Provence-Alpes-Côte d’Azur (groupe Front de Gauche), ancien vice-président de la Région Paca délégué à la Culture et à la Recherche (1998 – 2010), Alain Hayot a été un acteur important du combat victorieux contre le couple Mégret à Vitrolles.

On assiste au retour de l’extrême droite qui, bien que n’ayant jamais disparue du paysage hexagonal, resurgit avec vigueur. A quoi doit on attribuer cette réémergence ?

La droite française a toujours était marquée par une radicalité sur son aile droite qui revient à différentes époques de son parcours, le boulangisme à la fin du XIXème siècle, l’affaire Dreyfus, les années 30, la période de Vichy ou encore le poujadisme sont là pour le rappeler. C’est pourquoi je soutiens que la réémergence que vous évoquez est un peu facilement attribuée au contexte de crise que nous traversons. Si celle-ci touche une partie croissante de la population avec la peur du déclassement qui l’accompagne et nourrit les rangs de l’électorat frontiste, je pense que la réémergence de l’extrême droite ne relève pas seulement de la crise socio-économique. Nous nous trouvons aujourd’hui devant une véritable crise de civilisation, une crise du sens qui concerne le devenir même de la société humaine. L’extrême droite s’engouffre dans cette crise du sens. Voter FN n’est pas un simple moyen d’exprimer son mécontentement. L’extrême droite se construit comme une alternative à la société, d’autant mieux que la sociale démocratie démontre son impuissance à incarner une alternative au néolibéralisme. La droite nationaliste est engagée dans la reconquête idéologique et culturelle. Elle est en capacité de s’inscrire durablement dans le paysage français.

Elle bénéficie pour cela d’un certain nombre d’éléments politiques et médiatiques qui assurent sa légitimation…

En effet, le processus de reconquête se voit légitimé par une forme d’hégémonie culturelle. Très vite une partie de la droite s’est mise à courir après les thèses de la droite extrême : Sarkozy, Copé, Fillon ont vu là un facteur de recomposition pour l’UMP en crise. A droite, on a assisté à une convergence idéologique qui a trouvé sa traduction électorale dans les urnes lors des dernières municipales. A gauche, depuis l’attitude purement tactique de Mitterrand qui prenait en compte la notion de « seuil de tolérance », le boomerang nous est revenu. On voit aujourd’hui que le FN ne divise plus la droite. Au PS, il y a eu aussi : « La France n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde » de Rocard, « Le FN pose les bonnes questions mais apporte de mauvaises réponses », de Fabius, Valls et les Roms… Je montre dans ce livre que le FN ne pose ni les bonnes questions ni n’apporte les bonnes réponses.

La diabolisation du FN ou le sempiternel pacte républicain comptent à vos yeux parmi les pièges à éviter pour combattre le FN…

La diabolisation est une pratique qui renoue exclusivement l’extrême droite au passé. Il faut garder l’histoire en mémoire, mais cela ne suffit pas parce que le FN a mis à jour sa pensée. L’extrême droite n’est plus une réplique du passé, elle tente de répondre aux enjeux actuels. Le national socialisme parle aux Français d’aujourd’hui et prétend apporter des solutions. Dans le cas du débat sur les Européennes, on veut nous faire croire qu’il y a d’un côté les libéraux et de l’autre les nationaux populistes anti-européens. Dans ce schéma simpliste, le FN apparaît comme une alternative crédible. Il prône le retour à un capitalisme national, protectionniste, chrétien et identitaire, ce qui s’avérerait dans les faits, un projet politique barbare. C’est une escroquerie intellectuelle qu’il faut dénoncer en expliquant vraiment de quoi il retourne.

Et en ce qui concerne la base d’un front républicain…

Je suis contre la mise en place d’un cordon sanitaire autour du FN. F comme fasciste, N comme nazi, ça fait trente ans que l’on entend ces thèmes. Le FN porte un projet qui s’inscrit dans l’histoire de la droite, pas en dehors du système capitaliste, il adopte une autre position que celle du libéralisme mondialisé qu’il faut combattre sur le terrain politique. Laisser penser que le FN est hors système permet au PS d’évacuer le débat de fond. Par ailleurs, il paraît difficile d’évoquer un pacte républicain dans une société qui exclut le peuple du champ de la politique. La réponse à la crise démocratique passe selon moi par la refondation d’un projet politique émancipateur du peuple et de l’individu. Aujourd’hui le pouvoir dépossède les citoyens de la décision. C’est la grande question posée au projet communiste qui a été porteur d’une émancipation collective mais pas individuelle. Le coeur du projet émancipateur aujourd’hui c’est la question de la démocratie, lieu d’émancipation collective et individuelle.

Sur quel terrain le combat doit-il se mener ?

L’extrême droite se réclame du peuple mais l’entraîne dans des voies contraires à ses intérêts. La contre offensive doit se mener sur le terrain social. Il faut relier, reconstruire des liens de solidarité entre les générations, entreprendre une reconquête idéologique et culturelle, rappeler que la nation est une construction historique qui ne se base pas sur l’exclusion, refonder la République laïque, penser l’exercice de la citoyenneté. Bref il faut oser la politique. Marine Le Pen, le PS et l’UMP gèrent le pays avec une boîte à outils, on gère un pays avec des idées, des valeurs.

Ces perspectives sont-elles applicables à l’ensemble de l’UE qui disposera très vraisemblablement d’un groupe d’extrême droite au sein de son Parlement ?

Ce qui se passe en Europe confirme globalement mon analyse. On assiste à une montée impressionnante des populismes qui sont déjà au pouvoir dans certain pays. En France, dans le grand Sud-Est, le Marinisme a de sérieuses chances d’arriver en tête. Il faudra bien se poser les questions que je pose dans mon bouquin…

Propos recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 19/05/2014

Voir aussi  : Rubrique Politique, rubrique Rencontre, rubrique UE,

Fred Vargas « Respect, tendresse et compréhension tacite… »

 

Photo David Maugendre

Photo David Maugendre

Fred Vargas. La reine du polar français assiste ce soir à la soirée hommage à Michel Gueorguieff organisée par Soleil noir, l’Herault du Jour et Cœur de Livres ce soir à 21h au Centre Rabelais..

On vous voit rarement dans les salons ou manifestations consacrés aux livres…
C’est vrai, et cela ne veut pas dire que je les snobe ! Mais ces manifestations me mettent trop « en visibilité » et je suis quelqu’un de discret.

Dans le cadre de l’hommage rendu à Michel Gueorguieff vous venez pour la 1ère fois à la Comédie du livre, à quoi tient votre motivation ?
Mais c’est tout simple : à Michel Gueorguieff ! Et au désir d’expliquer encore le « cas Battisti », que Michel a tant défendu. Mon attachement pour lui se compose d’admiration, respect, tendresse, compréhension tacite… c’est bien difficile à expliciter !

Outre le goût pour la littérature, vous partagiez celui de l’authentique et de l’implication…
Oui et oui, aux deux termes. Michel était toujours lui-même, sans faux semblant ni rôle, si bien que vous étiez assuré de pouvoir prendre pour argent comptant ce qu’il vous disait. Et il était toujours au front, de manière tenace. Il n’était pas dans d’éphémères batailles. Pour Battisti par exemple, alors que l’oubli s’installait fatalement avec les années, Michel n’était pas homme à accepter l’insouciance que génèrent le temps et l’éloignement. Il demeurait intensément présent et attentif.

A quoi tient votre engagement total pour Cesare Battisti ?
Pour le dire vite, parce que la machine judiciaire italienne a sciemment condamné cet homme en son absence, sans une preuve ni un témoin. Et que les justices française, européenne et brésilienne ont emboîté le pas et fermé les yeux pour des motifs strictement politiques. Face à de tels mensonges, c’est un devoir d’élever la voix, tout au moins si l’on rêve encore d’une « vraie justice ».

Vous venez de préfacer le livre « Cesare Battisti Les coulisses obscures » qui trouve très peu d’échos en France…
En effet. Seuls Le Point et l’Humanité ont publié un article. Le silence autour de ce livre est assourdissant et anormal. Ce qui invite évidemment à s’interroger : pour quelles raisons ce texte doit-il absolument rester caché ? Pour quelles raisons le public ne doit-il pas savoir ?

Le livre apporte-t-il des éléments nouveaux ?
Beaucoup. J’en citerai un, majeur : y sont reproduits les faux mandats fabriqués par la cour italienne pour pouvoir condamner Battisti. Faux mandats sciemment déclarés comme « authentiques » par les cours française, européenne et brésilienne ! Je les ai découverts en 2005, et en neuf ans d’efforts, je n’ai jamais pu les faire publier dans un journal ! Cette fois-ci, ils sont enfin à la disposition de tous. Ce qui explique le silence autour du livre : il est bien gênant en effet de faire savoir que la Cour d’appel de Paris et la Cour européenne des Droits de l’homme se sont appuyées sur des faux – qu’elles savaient faux – pour pouvoir extrader Battisti ! Ca « fait désordre », comme on dit…

Qu’elle est la situation de Battisti aujourd’hui ?
Précaire, alors que chacun croit l’affaire terminée. C’est loin d’être le cas. Il ne doit en effet sa liberté qu’à une décision présidentielle, celle de Lula, et non une décision de justice. D’autre part, sa situation de « résident » au Brésil, et non de réfugié, ne lui permet de voyager que dans les pays limitrophes du Brésil. Il ne pourrait poser un pied en France sans être aussitôt extradé vers l’Italie, en prison à vie.

Trouvez-vous de la disponibilité pour écrire ?
C’est vrai que cet engagement a pris beaucoup de temps, tant pour effectuer les recherches que pour voyager au Brésil. Mais j’ai publié quatre livres durant cette période. Le prochain roman est presque achevé.

Recueilli pas Jean-Marie Dinh

A l’issue de la soirée Fred Vargas dédicacera ce soir C Rabelais. DM

Un procès politique

0524 page18 104d P2 battisti« Un livre total qui expose enfin la masse des vérités enfouies sur cette terrible affaire », soutient Fred Vargas dans la préface. Le livre restitue notamment le contexte politique italien des années de plomb concentré sur les années 1970 marquées par la violence de l’activisme politique. Pour saisir l’affaire Battisti il est primordial de l’inscrire dans le contexte des années de Plomb en Italie. Cette période qui couvre les année 70 prolonge le mai 68 italien qui s’étire sur deux ans, entre 1967 et 1969. L’amplitude de ces protestations, s’explique par la conjonction entre la révolte étudiante et la révolte ouvrière. La dernière est constituée par la radicalisation de certains groupes d’extrême gauche qui, dans une situation extrêmement tendue, s’orientent vers la lutte armée clandestine. Dans la première partie du livre, Carlo A Lungarzo revient utilement sur le climat de guerre froide et le terrorisme d’Etat. L’Italie d’après-guerre n’a pas liquidé son héritage mussolinien. Malgré leurs différences, l’Etat, l’Eglise, les fascistes et le parti communiste italiens étaient unis contre le mouvement social étudiant et ouvrier. Les Etats-Unis œuvrent en sous-main via les stay-behind armies, réseaux clandestins coordonnés par l’OTAN. Le plus célébre d’entre eux, le Gladio, mis en place sous l’égide de la CIA et du MI6, est financé par des hommes d’affaires et industriels italiens, soutenu par le Vatican, la magistrature et l’Etat. Avec l’aide de la loge clandestine P2, dirigée par Licio Gelli dont Silvio Berlusconi a été membre. Les années de Plomb débutent en 1969 par un attentat à la bombe qui tue 16 personnes et en blesse 88 à la Piazza Fontana, à Milan. Un acte terroriste commis par des activistes néofascistes, qui frappent la foule à l’aveugle puis diffusent de faux tracts au nom de l’ultragauche autonome. On compte plus de 600 attentats qui font prés de 400 morts et des centaines de blessés. Quatre sur cinq sont le fait d’organisations clandestines d’extrême droite. Alors que la terreur fasciste reste impunie, l’Etat italien promulgue des « lois spéciales », réactivant notamment des lois mussoliniennes, pour arrêter et juger les militants de gauche.

Livre Carlos A. Lungarzo « Cesare Battisti  Les Coulisses obscures » éditions Viviane Hamy