Jo Sol évoque son film en compétition « Vivre et autres fictions ». Photo dr
Vivre et autres fictions, le dernier film du réalisateur espagnol Jo Sol, interpelle le regard que nous portons sur la vie. Il a été sélectionné dans la compétition long métrage et concourt pour l’Antigone d’Or 2016
Sur les neufs films en compétition, Vivre et autres fictions, affublé du sous-titre « Celui qui a envie de vivre finit toujours par avoir des problèmes avec la vie » – parce qu’il affronte la complexité -, figure assurément parmi les plus petits budgets. Il n’a bénéficié d’aucun soutien institutionnel, d’aucune coproduction venue des télévisions. C’est un peu comme si personne ne souhaitait que ce film voit le jour. Pourtant il existe. C’est un très bon film, engagé et émouvant, repéré et sélectionné par le Cinemed.
La volonté « de représenter ce qui n’existe pas dans l’imaginaire collectif » explique en grande partie cette situation. Le film livre par exemple un très beau plan sur l’orgasme d’un tétraplégique, bien loin des clichés porno et ultra classiques du cinéma.
A la frontière entre le documentaire et la fiction, le film s’appuie sur la relation entre Pepe un sexagénaire condamné après avoir emprunté des taxis pour gagner sa vie qui tente de se réinsérer à la sortie d’un séjour en hôpital psychiatrique, et Antonio, un activiste espagnol connu qui milite pour le droit à la sexualité des personnes en situation de handicap. Une rencontre riche où se confronte les générations face à un monde « normal » qui n’a aucun sens.
« Le film évoque une nécessité qui n’a rien d’étrange et que tout le monde devrait comprendre », indique le réalisateur barcelonais Jo Sol, qui appuie son propos sur la revendication d’Antonio d’un corps non subjectif proche du corps deleuzien où les organes sont désorganisés par les forces qui le traversent. En Espagne, le combat d’Antonio à l’égard de l’institution, porte ses fruits. L’Etat concède progressivement le financement de l’aide personnelle à domicile.
Mais ce que révèle surtout le film de Jo Sol, c’est la résistance de la population à accepter la différence. A partir d’un corps révolutionnaire, le réalisateur met le doigt sur les tabous couvés par la morale judéo-chrétienne. « L’Espagne traverse une crise culturelle sans précédent. Les institutions attendent qu’on leur propose des films convenus. C’est comme si je me retrouvais dans la situation d’un type qui aime une fille circulant nue dans la rue. »
Quand au rapport à la politique : « Les socialistes se rallient à la droite et Podémos a essayé de nettoyer le pouvoir pour intégrer l’institution mais tout le monde préfère les gens dans la rue, avec cette fragilité qui est le contraire de la faiblesse... »
JMDH
Prochaine projection au Cinemed vendredi 28 octobre à 10h.
Entretien Après 20 ans passés à enseigner la philosophie à l’Espiguette dans les lycées, Alain Guyard porte sa parole librement, hors des carcans académiques et sur les écrans.
Tel Diogène qui invectivait les gens au cœur de l’espace public, mais aussi en philosophe « forain », toujours sur les routes, il mène un combat pacifique mais pas inoffensif : faire circuler la culture philosophique dans des lieux inattendus, de manière non conventionnelle, et auprès de simples citoyens – paysans, infirmières, détenus, mais aussi des gens de tout bord et de tout milieu ! Le réalisateur Yohan Laffort l’accompagne au fil de ses pérégrinations philosophiques, revigorantes, décalées et parfois subversives mais accessibles à tous. La philosophie vagabonde amorce une réflexion sur les thèmes philosophiques chers à Alain Guyard, réflexion nourrie de ses interventions, et qui prend corps tout au long du film qui sort aujourd’hui.
Alain Guyard est philosophe forain. En plein champ, en prison ou au fond d’une grotte, il met la philosophie dans tous ses états et la ramène à sa dimension charnelle et subversive, au plus près des citoyens. Cette philosophie buissonnière nous aide à comprendre notre rapport au monde et à autrui pour tenter d’agir et d’assumer notre humaine condition. Et la pensée peut enfin vagabonder.
Quelle différence faites-vous entre enseigner et vagabonder ?
En vagabondant, je n’ai plus de copies à corriger, mais la rançon de la gloire, c’est qu’à chaque fois que je m’expose à un public, je me fais corriger. Pour des raisons techniques, on ne le voit pas dans le film, mais le public me prend régulièrement à partie, et je dois justifier les philosophes, ce qui n’est pas une sinécure…
Vous incarnez l’alliance du corps et de l’esprit tout en maintenant les ressorts du désir. Comment faites-vous alors, lorsque vous devez défendre l’idée d’un philosophe si elle n’est pas vôtre ?
Je reste dans le jeu. Je ne m’expulse pas du système, c’est une forme de théâtralisation. Je joue au philosophe que j’incarne. La règle c’est de tenir jusqu’au bout comme si l’idée était mienne. Mais le public n’est pas dupe. Il est conscient de mon rôle. Cela désacralise le rapport à la philosophie. Je suis un peu le bonimenteur, je laisse respirer.
Vous qui êtes plutôt un homme de scène, quel regard vous a renvoyé le film de Yohan Laffort ?
C’est enrichissant d’avoir le point de vue de Yohan. Cela flatte évidemment mon narcissisme de me voir comme ça sur grand écran (rire). Cette mise à distance, tournée avec beaucoup de sensibilité et délicatesse permet de souligner et de révéler des choses sur lesquelles je n’étais pas attentif dans l’action. Le film a agi comme un révélateur. J’ai réalisé, par exemple, à quel point ma pratique philosophique était articulée à des territoires géographiques et sociaux. Comment elle se détourne d’une image de la philosophie souvent considérée comme une science hors sol, comme si le fait de parler, de philosopher, pouvait se passer d’espace. Ce qui n’est pas vrai.
Les territoires géographiques que vous arpentez sont plutôt ruraux. Y trouve-t-on une appétence plus développée qu’en milieu urbain pour vivre avec philosophie ?
Le milieu urbain regorge d’offres culturelles qui ne répondent pas à un vrai désir. Le public entre souvent dans la consommation de cette offre ce qui ne permet pas de travailler son désir. L’essentiel de mes interventions et de mes déplacements s’effectue en fonction de sollicitations. Je trouve important que cela résulte d’une volonté.
Dans les rencontres philosophiques où les cafés philo, on se retrouve fréquemment dans un entre soi entre personnes cultivées. Il s’agit de rajouter du capital symbolique au capital qui existe déjà. Dans ces cas, la philosophie creuse le fossé social.
Le film documentaire vous suit dans des territoires sociaux, marqués par la précarité ou proche de situations ultimes et souligne une forte qualité de réception dans ces milieux considérés comme éloignés des questions philosophiques…
Les personnes, en marge, pour le dire vite, sont proches de leur existence. Elles vivent avec des questions urgentes qui les taraudent. Évoquer la question du bien et du mal dans un café philo bobo parisien et le faire, en milieu carcéral, en s’adressant à un type qui va sortir dans quinze jours après avoir tiré quinze ans, n’a pas la même résonance.
J’ai choisi d’user de mon expérience philosophale dans un rapport radical à l’existence. Je partage la définition de la philosophie de Jankélévitch pour qui la philosophie, c’est l’insolence. Elle ne peut pas être consensuelle. Elle doit instaurer un rapport de rupture avec l’ordre établi qui peut se décliner sous la forme de la rupture sociale.
Dans le film on vous voit citer Nietzsche pour penser autrement notre rapport à la morale mais aussi Épicure, Lucrèce… Le recours au matérialisme gréco-latin ferait-il équilibre à la mortifère théologisation politique du monde contemporain ?
Y a-t-il encore du politique ? Hannah Arendt porte une contribution précieuse sur la nature du pouvoir en rappelant que tout n’est pas politique. Elle évoque « l’éclipse du politique » lors de certaines périodes de l’histoire. La politique de l’action sans fin, le discours de gestion qui se généralise signifient que nous vivons cette éclipse du politique. Un candidat potentiel comme Macron, ancien banquier, qui jaillit comme ça de rien, démontre qu’on ne pense plus la politique en terme de fin et donc qu’on ne pense plus la politique. La philosophie pré théologique passe par une parole commune qui touche à la question des fins. Elle est subversive. Les gens ne sont plus dupes, si on leur répond seulement en termes de moyens. Nietzsche disait que les révolutions avancent à pas de colombes.
Recueillli par Jean-Marie Dinh
«La philosophie vagabonde» (1h38 min) de Yohan Laffort.
« On veut nous faire croire que l’identité est ce qui résiste à l’autre. » Photo Jérôme Bonnet
L’historien Patrick Boucheron inaugure ce soir le cycle de conférences gratuites des Chapiteaux.
Professeur à l’université Panthéon-Sorbonne, Patrick Boucheron est entré au collège de France en 2015. Ce médiéviste se préoccupe de rendre audible sa discipline à travers la société d’aujourd’hui. Il aime bouleverser l’ordonnancement des disciplines, recourir à de nouveaux découpages intellectuels pour mieux percevoir le présent, quitte à déranger les traditions épistémologiques les mieux établies.
Vous ouvrez ce soir le cycle de conférences sur le thème « De l’histoire comme art de résister ». L’histoire serait un art ?
Je suis médiéviste, au Moyen-âge on entendait l’art comme une modeste technique, juste un savoir-faire qui renvoyait à un groupe social qui se reconnaissait lui-même dans ce groupe et dans ce savoir-faire. J’aime cette définition, comme l’idée de l’atelier de l’historien qui se rêve artiste. Notre matière première c’est un passé qui ne nous attend pas. Un passé à construire, qui peut inspirer un autre rapport à la vie. Un des historiens qui m’a inspiré, Georges Duby, se présentait comme un travailleur dans l’atelier.
Selon vous, qu’est-ce que résister veut dire ?
Cela n’a rien de martial, de véhément. C’est une manière modeste et obstinée d’opposer une résistance à l’air du temps, à l’arrogance du présent. On ne peut affirmer n’importe quoi si l’histoire résiste comme on pourrait le dire d’un matériau. Après bien-sûr, je ne méconnais pas ce qu’est historiquement l’histoire. Elle est née de la nécessité de célébrer le pouvoir, c’est un discours d’escorte. C’est pourquoi, ce que j’énonce reste une vision minoritaire.
Comment s’est opérée votre rencontre avec l’histoire ?
Très simplement, ce sont des enseignants qui avaient une certaine manière de dire l’histoire. Cette voix m’a entraîné et je l’ai suivi. Les livres, je les ai lus après. Je trouvais ces profs libres. Ils pratiquaient l’art de l’émancipation.
L’histoire comme libération… Comment divulguer ce message aux jeunes pour qui elle renvoie plutôt au passé ?
Tout dépend du rapport que l’on entretient avec le présent et avec la possibilité collective d’imaginer le futur. Si celui-ci nous paraît prometteur et source de progrès, de réalisation, le passé peut être une ressource de consolation. On peut avoir de l’histoire un usage nostalgique, ce qui entraîne souvent la fonction de conservation de l’histoire. On peut aussi, ce qui est assez fréquent chez les jeunes, avoir le sentiment qu’il faut faire évoluer les choses parce que le futur qui nous est promis n’est pas satisfaisant. Moi je pense qu’à chaque révolte, ce qui encourage à se révolter est un exemple. Le passé rappelle que l’on a pu sortir de certaines conditions. Nous avons actuellement des exemples d’emprunts au passé. Les jeunes pensent aujourd’hui à l’espérance communale. Faire commune, c’est faire résonner une histoire ancienne.
Dans ce rapport au temps, on touche à votre terrain de prédilection, celui de déjouer l’ordre des chronologies pour produire une intelligibilité du présent…
Oui, déjouer les chronologies et les généalogies, désarmer la question des origines qui est une notion démobilisatrice. Cette question des origines est un point d’arrêt. C’est l’endroit où commence la généalogie de l’autorité, mais aussi de la contestation qui ne vaut guère mieux. User de l’histoire pour répéter le roman de la commune ne vaut pas mieux que de répéter le roman des rois. Il n’y a pas de vérité en soi, pas de vérité absolue. Il n’y a que des vérités que l’historien doit construire pour mieux savoir les défendre, quitte à les défendre contre ses propres enthousiasmes?: il faut accepter que l’on va décevoir.
Où situez-vous les ponts entre histoire et littérature ?
Pour moi, la littérature et l’histoire sont toutes deux des sciences sociales et partagent à ce titre l’art de la description du réel. Dans le choix que j’ai fait pour le Moyen-âge, il y avait cet attrait pour les médiévistes qui sautaient les barrières avec la capacité d’être sociologues, politistes, anthropologues…
Dans votre livre « Léonard de Vinci et Machiavel »*, vous usez de cette double source, historique et littéraire…
Avec ce livre, j’ai voulu tester la frontière entre histoire et littérature. C’est un essai où j’ai tenté quelque chose qui n’a rien à voir avec le fait de bien écrire. J’avais le souci du récit et lorsque se pose la question de qui ordonnera le récit, cela devient politique. Ce livre se situe au-delà de la frontière de la confrontation, puisque l’histoire et la littérature ont été rivales pour comprendre le monde. D’une certaine manière, Balzac est un historien et Michelet est un écrivain. Cependant, éprouver les frontières ne signifie pas vouloir les abolir. Je n’écris pas pour déstabiliser. Ma génération a défendu l’histoire. Il a fallu réarmer la notion de réel pour lutter contre les négationnistes.
Ce combat semble aujourd’hui devoir se poursuivre sous de nouvelles formes...
Effectivement, quand on est enseignant, c’est important parce que cela relève de notre responsabilité. Il n’est pas simple de lutter contre la vision complotiste en argumentant et en poussant la réflexion sans jeter le bébé avec l’eau du bain, car certains complots existent.
Dans votre leçon inaugurale au Collège de France vous évoquez à propos de la théorie du pouvoir, donc au-delà de la religion, le christianisme comme une structure anthropologique englobante qui semble particulièrement d’actualité dans le monde contemporain…
Les structures englobantes sont beaucoup plus robustes qu’on ne se l’imagine et on est beaucoup plus gouvernés qu’on ne le pense. Nous avons construit certaines idées fausses sur le Moyen-âge. On dit des hommes de cette époque qu’ils étaient crédules et obéissants et qu’aujourd’hui nous sommes libres. Mais quand on va chercher des ressources dans le passé pour comprendre le présent, on les trouve plus libres et on se trouve plus dépendants.
La théologisation politique du monde occidental s’oppose-t-elle, comme le prétendent les grands leaders politiques, au fondamentalisme ?
Sur ce point, il ne faut pas tergiverser parce que l’heure est grave. L’idéologie de la séparation se répand partout. On veut nous faire croire que l’identité est ce qui résiste à l’autre. Ce qui veut se confirmer à elle-même. Etre fidèle à son identité serait être soumis à ses intolérances. Je ne veux pas polémiquer mais lorsque j’entends Wauquiez appeler à « résister » contre le prétendu afflux des réfugiés, je trouve ces propos effrayants. L’histoire nous aide à résister contre la progression des idéologies de la séparation et à dire calmement que nous sommes plus nombreux à ne pas nous sentir menacés par la différence.
Jean-Pierre Rousseau à temps plein sur le festival qui ouvre lundi avec « Les mille et quelques nuits » Photo Marc Ginot
Jean-Pierre Rousseau a été nommé directeur de la Musique de Radio France par Mathieu Gallet. Il est aujourd’hui directeur du Festival de Radio France qui débute lundi à Montpellier.
Il a été directeur général de l’Orchestre philharmonique royal de Liège, institution qu’il a profondément restructurée et tournée vers l’international. Jean-Pierre Rousseau a également été producteur responsable de la musique symphonique, à la Radio Suisse Romande.
Depuis votre nomination à la direction en 2014, vous avez assuré une transition l’année dernière qui offre à nouveau des perspectives au festival de Radio France. Aujourd’hui, les feux semblent au vert. Dans quel état d’esprit abordez vous cette nouvelle édition ?
J’entendais, il est vrai l’année dernière de façon pesante que ce serait sans doute le dernier festival, pour un certain nombre de causes comme la position de Radio France à l’égard du festival, la grève qui avait marqué la Maison ronde, les incertitudes liées à la grande région… Pour toutes ces raisons, nous devions réussir l’édition 2015, pas seulement pour les 30 ans, mais parce que c’était le meilleur plaidoyer pour pérenniser le festival. J’ai expliqué à mon équipe que nous étions en campagne, qu’il fallait motiver nos partenaires afin qu’ils nous épaulent. Avec le soutien du PDG Mathieu Gallet, nous avons rappelé à toutes les chaînes de Radio France que leur festival se déroule ici. La présidente de Région Carole Delga vient de le réaffirmer, c’est un festival emblématique pour le maillage du territoire et le large accès à la culture qu’il propose à tous, avec plus de 90% de manifestations gratuites. Nous avons conquis 120 000 auditeurs l’an passé. Je suis donc dans un état d’esprit serein, puisque le dernier CA qui s’est tenu en février à Paris confirme la convention cadre avec nos deux principaux partenaires jusqu’en 2019 voir en 2020, et à la fois conscient du travail de développement qu’il reste à mener.
Pourquoi avoir quitté vos fonctions de directeur de la Musique de Radio France ?
Historiquement la fonction de directeur de la Musique n’est pas liée à celle de la direction du festival, même si elle a pu être cumulée à certaines périodes. Mathieu Gallet m’a nommé à la direction de la Musique en me demandant de prendre aussi celle du festival, je ne sais pas comment j’aurais fait en cumulant les deux fonctions. C’est humainement impossible. Pour Radio France , je gérais 200 concerts dans l’année avec un budget de 60 millions. Pour le festival, je gère 200 concerts en trois semaines avec 3,9ME de budget, ce qui demande une implication complète. Je suis très heureux d’avoir fait ce choix.
Outre le maillage du territoire régional votre mission consiste aussi à hisser le festival au niveau des grands rendez-vous musicaux européens. Avez-vous des pistes ?
Je dispose d’une équipe qui fonctionne bien. J’ai aidé à répondre à un certain nombre de questions. De par la présence de Radio France, nous ne sommes pas un festival comme un autre. Au-delà des 120 000 auditeurs , combien en concernons nous par les ondes et la diffusion numérique ? Le Fantasio créé l’an passé a été demandé par 34 radios publiques dans le monde. Je pense que nous devons optimiser notre communication et mettre en place des outils qui valorisent le festival au-delà du territoire en démultipliant les capteurs de ce potentiel fugitif. Le fait que Radio France soit revenu en force sur le festival est à cet égard très positif.
Quelle est votre position sur la proposition émise par Jean-Paul Montanari de fusionner les trois grands festivals montpelliérains, Le Printemps des Comédiens, Montpellier Danse et Radio-France au sein d’une même entité pour gagner en visibilité internationale ?
Je comprends les raisons du directeur de Montpellier Danse. Ce n’est du reste pas une idée nouvelle. Quels seraient les avantages, les inconvénients et les conséquences d’une fusion ? Je partage l’idée qu’il faut mieux exploiter l’enchaînement de ces trois festivals, mais je ne suis pas convaincu qu’en matière de culture un chapeau unique serait plus vendeur. Pourquoi faire un seul festival ? Dans ma position , je peux me permettre de jouer les naïfs. Cela représente un risque sérieux pour que les partenaires diminuent leur contribution et je ne vois pas de gain pour le public.
Au final la balance penche plutôt du côté des inconvénients mais je rejoins l’idée de Jean-Paul Montanari pour unir nos forces.
Voyage d’Orient, la thématique 2016 du festival semble inscrire la musique comme un vecteur d’altérité…
Le choix de cette thématique s’est opéré avec Corinne Delafons en charge de la programmation avec qui je collabore très bien, nous sommes très complémentaires. Ce choix nous fait quitter le terrain rationnel. Il a pour vocation de proposer une invitation et de tracer des perspectives qui éclairent aussi bien les artistes que le public. Au départ il y avait une intuition et le constat que l’Orient pâtit d’une image catastrophique depuis la fin de la seconde guerre mondiale, avec l’embourbement du conflit israélo-palestinien, les révolutions arabes, Daesh… L’image de ces cultures qui nous ont tant fascinés jusqu’au début du XXe est devenue plutôt négative. Le choix de ce thème, permet de rappeler que l’Orient est aussi une immense source d’inspiration notamment musicale.
Comment avez-vous déployé la programmation autour de l’Orient ?
Nous proposons une exploration, partielle et subjective à l’instar de la soirée d’ouverture Mille et quelques nuits réunissant Lambert Wilson, Karine Deshayes, Michael Schønwandt et l’Orchestre national de Montpellier autour des secrets de Shéhérazade. Une création et une relecture des oeuvres de Nielsen,Rimski-Korsakov, et Ravel. On peut citer la chinoiserie d’ Offenbach, Ba-Ta-Clan, Des programmations thématiques au parfum oriental comme La route du thé ou Aimez-vous Brahms ? qui était fasciné par la liberté tsigane, tourneront en Région au même titre que des orchestres symphoniques qui sont programmés à Mende et Perpignan.
Il semble que l’offre pourtant très suivie des concerts gratuits de 12h30 et 18h30 soit en recul ?
Ces propositions autour de des jeunes solistes talentueux et de la musique de chambre sont maintenues. Il peut y avoir un effet d’optique notamment sur la première semaine où se cumule l’arrivée du Tour de France le 13 et le 14 juillet. Nous sommes aussi dans une nouvelle répartition territoriale à budget constant. Il faut néanmoins rappeler que 90% des concerts sont gratuits. C’est le cas notamment pour la musique électro avec Tohu Bohu, ainsi que toute la programmation Jazz au Domaine D’o . Ce principe de gratuité est réaffirmé.
Poursuivez vous l’exploration des oeuvres méconnues ?
Oui cela participe à l’identité du festival. On pourra voir cette année à Montpellier Marco Polo et la princesse de Chine, Iris de Mascagni. Et l’opéra Zoroastre de Rameau qui est rarement donné.
Recueilli par JMDH
Du 11/07 au 26/07. Informations : http://www.festivalradiofrancemontpellier.com
Arabesques : pourse construire il faut savoir d’où l’on vient
Nesma dépeint l’itinéraire de la poésie arabo-andalouse. Photo dr
Le festival Arabesques qui met en lumière la richesse des cultures arabes est aussi un vecteur d’intégration.
A travers cette 11e édition, le festival Arabesques poursuit l’exploration des multiples richesses de la culture du Monde Arabe. Un voyage qui nous conduit à travers l’histoire sur des terres d’échanges et de tolérance en se gardant bien de la tentation exotique ou folklorique au sens touristique du terme. Il s’attache aux racines comme à la réalité multiculturelle, y compris dans l’hexagone. L’action menée auprès des scolaires durant toute l’année par l’association Uni’Son, mis à l’honneur au début du festival, est une pierre angulaire d’une manifestation dont la programmation reste avant tout festive.
Hier au cinéma Diagonal, la projection du documentaire de Wahid Chaïb et Laurent Benitah s’inscrit pleinement dans cet esprit. Le film Chaâba du bled au bidonville évoque le Chaâba, lieu d’habitation surnommé par ses habitants qui signifie « trou», « patelin lointain » en arabe dialectal. Il propose un coup de projecteur sur un lieu de vie de 1949 à 1967 d’une trentaine de familles algériennes venues en France au sortir de la seconde guerre avec l’espoir d’améliorer le quotidien de leurs familles restée en Algérie.
Ce témoignage soulève la difficulté d’une génération de migrants et de leurs descendants à évoquer le passé. Il participe pleinement à la démarche positive d’Arabesques quant aux origines déjà évoquées lors des éditions précédentes avec le témoignage des Chibanis.
Le passage de repères identitaires bouleversés à celui de cultures partagées suppose un travail de (re) connaissance auquel s’emploie le festival à travers de multiples propositions.
A l’heure de la montée de l’influence salafiste auprès d’une partie de la jeunesse, les déclarations du chef du gouvernement actant que le courant fondamentaliste « était en train de gagner la bataille idéologique et culturelle » ne peuvent que renforcer l’échec de l’intégration. Parce qu’elles tendent à désigner l’islam en général comme une menace dirigée contre la France.
La partie de la compréhension et de l’humanisme défendue par Arabesques qui concerne la grande majorité des musulmans français sans se limiter à une communauté religieuse ou une carte d’identité, porte en revanche ses fruits. On le voit dans la diversité du public.
A l’heure où les bidonvilles ressurgissent dans les grandes villes françaises, poussés par les inégalités croissantes, et l’arrivée de nouvelles populations migrantes il parait urgent de s’intéresser, aux origines des problèmes posés, à la richesse des identités culturelles concernées pour ne pas reproduire un schéma discriminant voué à l’échec.
Le début de semaine fut illuminé par la présence exceptionnelle et hypnotisante de l’Orchestre arabo-andalou de Fès à l’Opéra Comédie. Sous le serein patronage de Mohamed Briouel qui se produit aussi en compagnie d’artistes de traditions juives, les huit musiciens chanteurs de l’orchestre national ont interprété un répertoire traditionnel du XV² siècle. La restitution de la musique ancienne andalouse marocaine dans la pure tradition, porte en elle une dimension populaire attisée par la présence des artistes qui a conquis le public Montpelliérain.
La fin de semaine s’annonce également riche en propositions.
Hindi Zahra
Vendredi à 19h30 au Théâtre Jean-Claude Carrière, un concert de Bab Assalan quartet issue d’une rencontre entre le luthiste syrien Khaled et son frère percussionniste, Mohanad Aljaramani et le clarinettiste français Raphaël Vuillard. A 21h30 suivra dans l’Amphi D’O un double plateau plein d’énergie. Karimouche la chanteuse danseuse rappeuse et comédienne débarque sur scène avec son style et son franc-parler pour embarquer le public dans un show musical où se côtoient ragga, reggae électro et pop music. Dans un style tout autre, plus dépouillé, la chanteuse d’origine berbère Hindi Zahra pose le charme de sa voix sur des mélodies jazz, soul et folk.
Waed Bouhassoun
Samedi, le rêve commence à 15h avec la conteuse Halima Hamdane (pour enfant). A 16h le journaliste Rabah Mezouane fait le point sur la musique du Maghreb dans le paysage français. A 18h, il ne faut pas manquer le récital de la syrienne Waed Bouhassoun, une outiste talentueuse qui chante des poèmes d’Adonis, Mansur al-Hajjal, d’al -?Mulawwah, ou d’Ibn Arabi sur ses propres compositions.
« Faire émerger l’idée d’une communauté au sein de laquelle ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise. »
Habib Dechraoui
Entretien avec Habib Dechraoui, le directeur du festival Arabesques qui a débuté par deux journées dédiées au public scolaire.
Fort de son expérience, le festival Arabesques se positionne aujourd’hui comme un carrefour permettant le croisement des richesses artistiques du monde arabe et comme un merveilleux outil de coopération avec les villes et acteurs culturels des pays de l’autre rive de la Méditerranée. L’édition 2016 qui se tient à Montpellier jusqu’au 22 mai rend compte de ce mouvement, de ces croisements, de ces apports culturels.
Après la dixième édition célébrée l’année dernière, quel type de motivation vous guide dans le contexte difficile que traversent les pays arabes ?
L’édition 2015, a été très appréciée pour sa qualité artistique et très suivie avec près de 200 000 personnes concernées par le festival et tout le travail réalisé en amont par l’association Uni’Sons qui oeuvre notamment auprès des scolaires. Avec Jeunesse en Arabesques, nos activités de sensibilisation artistique qui contribuent au rapprochement entre les peuples, connaissent une demande exponentielle. Pour une autre partie du public, l’opéra du Caire perpétuant le répertoire Oum Kalsoum à l’opéra Comédie reste un souvenir inoubliable.
C’est aussi un vecteur qui fait sens car il s’agit de musique classique. Un double rapprochement s’est opéré du public habituel de l’opéra vers un répertoire différent et d’un public qui apprécie ce répertoire mais n’avait jamais franchi les portes de l’opéra. Avec la directrice de l’opéra, Valérie Chevalier, très enthousiasmée par cette expérience, nous poursuivons notre collaboration. Cette année nous recevons l’orchestre arabo-andalou de Fès, le groupe le plus important du genre andalou marocain. Ils seront à Montpellier lundi 16 mai pour une date unique en France. Et d’autres projets sont en cours.
Sous quelles étoiles s’inscrit le thème de l’Orient merveilleux ?
Sous le ciel aux mille et une étoiles de l’héritage arabo-andalou. Nous avions choisi la thématique avant les attentats de novembre dernier. Ces sinistres événements nous renforcent dans notre conviction que la culture est le vecteur essentiel du savoir vivre ensemble. Il s’agit de souligner et de faire émerger l’idée d’une communauté au sein de laquelle ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise. Cet héritage commun n’appartient pas à une religion ou une autre.
Vous employez le terme communauté, comment faut-il l’entendre ?
Lorsque je parle d’Arabesques, je fais tout pour ne pas évoquer la religion qui relève du domaine privé. La communauté à laquelle je fais référence se compose d’une pluralité d’identités à la fois sociales, géographiques, ethniques, populaire, rurales et urbaines… La communauté est la somme de ces identités qui composent le public d’Arabesques.
Auquel s’ajoute les artistes qui viennent d’autres rives de la Méditerranée. J’admire par exemple le courage de la société civile tunisienne qui est très active. J’ai envie d’y contribuer à un petit niveau en faisant venir des artistes. La scène émergente du monde arabe est pleine de vivacité à l’instar du festival musical de Beyrouth Beirut & Beyond dont la dernière édition à pour la première fois été annulée en raison des troubles que connaît la capitale libanaise. Tous ces artistes composent une partie de notre communauté. Il nous font du bien. C’est une des raisons d’être du festival Arabesques de donner à comprendre, de préserver l’art traditionnel arabe et de rendre visibles les créateurs émergents. Pour des raisons budgétaires, j’ai malheureusement dû annuler deux projets auxquels je tenais beaucoup : une création audiovisuelle égyptienne, et un groupe palestinien.
Le festival ne se réduit pas à établir une programmation, où en êtes-vous dans la mise en perspective ?
Nous avons passé le cap des dix ans l’an dernier. Après chaque édition l’équipe du festival se retrouve dans les Cévennes pour faire le bilan. Je sais généralement où je veux aller mais il est important pour moi de rester à l’écoute des acteurs qui m’accompagnent depuis le début. Si la musique reste au centre de notre programmation parce qu’elle est populaire et fédératrice le festival a la volonté d’amener le public ailleurs . Aussi bien vers des formes classiques que vers la découverte de groupes rock et électro qui font une percée significative dans les pays arabes. Nous avons aussi la volonté d’ouvrir le festival à d’autres formes d’expressions artistiques comme les arts plastiques, le théâtre, le cirque… pour suivre le mouvement de la nouvelle scène arabe qui diversifie ses moyens d’expression.
La délocalisation du festival pourrait-elle être en jeu dans les années à venir ?
Depuis trois ans les sollicitations se succèdent à l’échelle européenne et au-delà. Mais je suis attaché à mon territoire d’action qui est un des plus sinistrés. Notre QG se situe toujours dans le quartier haut de La Paillade. Je pense que le combat doit se mener au front. C’est important de ne pas déserter parce que le monde à horreur du vide.
Aujourd’hui dans les quartiers, on voit les acteurs économiques, sociaux et culturels agoniser. Une fois qu’ils ne seront plus là, ce sera la fin. Après les attentats de Bruxelles, le Bourgmestre à fait un constat très lucide en affirmant que le combat contre le terrorisme et le repli identitaire passaient d’abord par la culture et l’éducation.
Pour moi le succès du festival n’est pas une surprise. Il est lié au soutien du Conseil départemental, mais je connaissais dès le début le potentiel de ce projet. Après 10 ans nous devons projeter de nouveaux axes de développement. Je persiste à penser que nous devons lancer des passerelles à partir d’ici, des racines. Mes parents sont arrivés là dans les années 50. Tout cela je le valorise aujourd’hui et cela me donne de la force. On ne devrait pas accorder tant d’attention aux gens qui présentent leur projet avant de leur demander leur bilan. Ce qu’il ont fait concrètement.
Vos coup de coeur à l’affiche de cette 11e édition…
Le cabaret Tam Tam qui nous fait replonger dans les nuits parisiennes festives de la diaspora orientale parisienne dans les années 40. Et le récital de Waed Bouhassoun réfugiée syrienne qui interprète ses compositions au Luth sur des poèmes d’Adonis, Sorhawardi ou Ibn Arabi. Elle me touche beaucoup.