Le Canada met fin à ses frappes aériennes contre l’Etat islamique

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Le nouveau Premier ministre, Justin Trudeau, avait promis durant sa campagne « de mettre fin à la mission de combat » des forces canadiennes.

Le futur Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a informé Barack Obama, mardi 20 octobre, que son gouvernement allait mettre fin à ses frappes aériennes en Irak et en Syrie contre le groupe Etat islamique. Le chef du parti libéral, qui a remporté les élections générales lundi, avait promis durant sa campagne de « mettre fin à la mission de combat » du Canada.

Des engagements « compris » par Barack Obama, a déclaré Justin Trudeau lors d’une conférence de presse, mardi. Il n’a toutefois pas précisé le calendrier des troupes canadiennes, qui devraient désormais se cantonner à une mission d’aide humanitaire et de formation en Irak.

Toujours un « membre de premier plan de la coalition »

Durant leur entretien téléphonique, les deux hommes ont évoqué « la poursuite de l’engagement du Canada dans la coalition contre l’Etat islamique », a indiqué le futur Premier ministre. Il a assuré qu’Ottawa continuera d’être un « membre de premier plan » de l’alliance internationale dirigée par les Etats-Unis, se disant conscient du « rôle important » que son pays a à jouer contre le groupe terroriste.

Ottawa bombarde les positions des jihadistes en Irak depuis octobre 2014 et a étendu ces frappes à la Syrie en avril dernier. L’armée de l’air canadienne a déployé six chasseurs F-18, deux avions de surveillance Aurora, un avion de ravitaillement en vol et deux autres de transport dans cette zone. Quelque 600 militaires sont en outre déployés au Koweït, pour assurer le soutien logistique.

Source :  Francetv info avec AFP 21/10/2015

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Les enjeux de l’élection fédérale canadienne du 19 octobre 2015

Par Pierre Martin *

La 42e élection fédérale canadienne du 19 octobre 2015 est particulièrement importante car, au-delà même de la direction du gouvernement fédéral, qui pourrait échapper à l’alternance des libéraux et des conservateurs, pour la première fois depuis la fondation de la confédération en 1867, c’est aussi l’éventuelle confirmation du bouleversement marqué par l’élection de 2011, où les sociaux-démocrates du NPD[1] avaient pour la première fois de leur histoire devancé les libéraux comme principale alternative aux conservateurs, qui est en jeu.

 I/ Le bouleversement des élections de 2011

Les élections de 2011[2] (tableau I) ont été marquées par une victoire des conservateurs sortants qui progressent modestement en voix (39,6 %, + 2 pts) mais obtiennent une majorité absolue de sièges (166, + 23, sur 308). Mais c’est surtout la percée sans précédent des néo-démocrates (30,6 %, + 12,4 pts et 103 sièges, + 66) qui s’accompagne de l’effondrement des libéraux (18,9 %, – 7,3 pts et 34 sièges, – 43) et du Bloc québécois (6,1 %, – 3,9 pts et 4 sièges, – 45). Les libéraux se retrouvent en troisième position pour la première fois de leur histoire. Les indépendantistes du Bloc québécois, qui ne se présentent qu’au Québec, s’y effondrent (tableau II), passant de 38,1 % à 23,4 % et perdant la quasi-totalité de leurs sièges au profit du NPD.

Pour apprécier ces résultats, un bref retour en arrière s’impose.

Rappel historique

Les élections de 1993 ont été l’occasion d’un séisme électoral, avec l’effondrement de l’ancien parti conservateur, les Progressistes conservateurs (PC), victimes de la percée du Reform Party, droite radicale de l’Ouest, dans le Canada anglais, et de celle du Bloc québécois au Québec, les indépendantistes se présentant pour la première fois à des élections fédérales alors qu’ils avaient soutenu les PC contre les libéraux en 1984 et 1988. Les libéraux, derrière le Premier ministre Jean Chrétien, emportent largement les élections de 1997 et 2000 face à une droite divisée et des néo-démocrates qui restent faibles. Les PC tentent sans succès de reprendre le dessus sur la droite radicale –Reform Party puis Alliance Canadienne en 2000- d’abord en 1997 derrière Jean Charest[3], élu du Québec, puis en 2000 derrière l’ancien Premier ministre fédéral (1979-1980) Joe Clark (Alberta). L’année 2003 a vu d’importantes transformations dans le paysage politique fédéral. A droite, le leader de l’Alliance Stephen Harper a réussi à négocier avec la direction des PC la fusion des deux partis sous sa direction sous l’appellation de Parti conservateur du Canada. Chez les libéraux, la rivalité entre le Premier ministre Jean Chrétien et son ancien ministre des Finances (1993-2002) Paul Martin a tourné a l’avantage de ce dernier qui s’impose dans le parti et prend la direction du gouvernement en décembre 2003. Paul Martin incarne alors une ligne moins à gauche, plus centriste et favorable aux milieux d’affaires, et moins strictement fédéraliste, plus ouverte aux revendications de l’Ouest et du Québec. Alors que l’arrivée de Paul Martin au pouvoir avait été accueillie très favorablement par l’opinion, la situation s’est rapidement dégradée à cause du scandale des « Commandites[4] » et de sa gestion. Lors des élections du 28 juin 2004, qu’ils avaient provoquées pour se légitimer, les libéraux ont subi un recul considérable, en particulier au Québec, restant en tête grâce à la campagne de peur face à la droite radicale, mais devant former un gouvernement minoritaire. Ces élections avaient été marquées par un succès limité des conservateurs qui n’avaient pas réussi à attirer la fraction la plus modérée de l’ancien parti PC, par un net redressement du Bloc au Québec et du NPD sur l’ensemble du Canada, qui profite du virage au centre-droit des libéraux, et par l’arrivée des verts. Contraint fin 2005 à de nouvelles élections par l’arrêt du soutien du NPD et le développement du scandale des commandites, les libéraux de Paul Martin perdent les élections de janvier 2006 au profit des conservateurs de Stephen Harper, qui forment un gouvernement minoritaire. Les libéraux subissent un recul considérable, s’effondrant au Québec au profit des conservateurs. Stephen Harper avait considérablement modéré le programme de son parti, pour limiter l’effet de la campagne libérale, et fait des efforts en direction du Québec en améliorant son français[5] et en se prononçant pour un « fédéralisme d’ouverture ».

Après sa victoire de 2006, les deux années de gouvernement minoritaire de Stephen Harper lui ont permis de modérer son image et de démentir les prévisions catastrophistes des libéraux. Il a provoqué des élections à l’automne 2008 au vu de la rapide dégradation de l’économie liée à la crise internationale. Les conservateurs l’ont à nouveau emporté lors des élections du 14 octobre 2008, progressant en pourcentage et en sièges, mais insuffisamment pour obtenir un gouvernement majoritaire (143 sièges sur 308). Les libéraux menés par Stéphane Dion, proche de l’ancien Premier ministre Jean Chrétien, subissent une lourde défaite, obtenant le plus faible résultat de leur histoire (26,2 %) et perdant 27 sièges, alors que les verts et le NPD progressent légèrement et que le Bloc décline au Québec. La victoire des conservateurs résulte essentiellement de leur image en termes de capacité à diriger l’économie dans une période qui s’annonce difficile. Après ces élections insatisfaisantes pour tous, Stéphane Dion a conclu une alliance avec le NPD et le Bloc pour renverser Harper. Celui-ci a pu conserver le pouvoir grâce au soutien de la gouverneur générale Michèle Jean (Représentante de la Reine), qui lui a permis de repousser la convocation du Parlement. Les proches de Paul Martin ont alors repris le pouvoir au sein du parti libéral en installant à sa tête Michael Ignatieff, universitaire de renom qui a fait l’essentiel de sa carrière hors du Canada (G.B. et E.U.). Durant la période de 2008 à 2011, les conservateurs ont géré habilement la crise économique et financière et fait preuve d’ouverture en direction des communautés d’origine asiatique jusque-là acquises aux libéraux, mais n’ont pu éviter une certaine arrogance qui a conduit au vote par la chambre des Communes d’une motion de défiance libérale le 25 mars 2011, conduisant à des élections le 2 mai 2011. Ces élections (tableau I) ont été marquées par une nette victoire des conservateurs qui ont obtenu une majorité absolue de sièges, un effondrement sans précédent des libéraux, relégués à la troisième place, ainsi que du Bloc, et à une percée du NPD. Le rôle des enjeux et des leaders a été décisif dans ces résultats. Harper avait une assez bonne image, était perçu comme le plus compétent sur l’économie et a bénéficié de la volonté de la majorité des électeurs de mettre fin à l’instabilité politique en ayant un gouvernement majoritaire, un enjeu fort promus par les conservateurs. A l’inverse, les libéraux ont pâti de la très mauvaise image de leur leader, de son agressivité, et de leur responsabilité dans l’organisation des élections. De plus, cette mauvaise image de M. Ignatieff contrastait avec la très bonne image de Jack Layton, le leader du NPD. Celui-ci a bénéficié de l’affaiblissement de l’enjeu du souverainisme au Québec et de la forte volonté de la majorité des québécois de renverser les conservateurs. Quand J. Layton a fait une ouverture en direction des indépendantistes en reconnaissant le droit du Québec à l’indépendance avec un vote référendaire majoritaire (50 % + 1 voix), contrairement aux libéraux et aux conservateurs qui soutiennent la loi référendaire[6], les jours suivant les sondages ont enregistré une percée du NPD au Québec et un effondrement du Bloc, phénomène qui a provoqué une poussée du NPD au niveau fédéral (le Québec pèse ¼ de l’électorat) où il a rattrapé les libéraux, bénéficiant alors d’une crédibilité nouvelle qui a permis un transfert d’une partie des électeurs libéraux vers le NPD dans le Canada anglophone.

II/ Les enjeux des élections du 19 octobre 2015

Les enjeux de l’élection fédérale du 19 octobre sont de deux ordres : (1) qui va gouverner à Ottawa ? (2) les bouleversements de l’élection de 2011 seront-ils confirmés par les résultats du 19 octobre ?

Qui va gouverner à Ottawa et comment ?

Les enquêtes d’opinion depuis le début de la campagne montrent que l’élection est a priori très ouverte, que c’est une lutte à trois entre les conservateurs sortants de Stephen Harper, les néodémocrates de Thomas Mulcair[7] et les libéraux de Justin Trudeau. D’autre part, quelque soit le parti qui l’emportera, il semble peu probable qu’il dispose d’une majorité absolue de sièges.

Après leur défaite de 2011, les libéraux se sont dotés d’un nouveau chef en avril 2013, Justin Trudeau, fils de l’ancien Premier ministre Pierre-Eliott Trudeau (1968-1979 et 1980-1984) et jeune (41 ans en avril 2013) député de Montréal depuis 2008. Ils ont alors bénéficié d’une très forte poussée dans les sondages qui les ont donnés largement en tête des intentions de vote, à plus de 40 % devant les conservateurs, reléguant le NPD à la troisième place autour de 20 %. Le désastre de 2011 semblait ainsi complètement effacé. Cette « Trudeaumania » s’est également concrétisée au profit des libéraux dans les élections partielles et provinciales. Mais cet « effet de popularité », courant dans les sondages hors élection au Canada, s’est dissipé à partir de mars 2015. Après leur victoire surprise lors des élections provinciales du 5 mai 2015 en Alberta, les néodémocrates sont alors passés en tête des intentions de vote devant les conservateurs en déclin, reléguant les libéraux à la troisième place autour de 25 %.

Les conservateurs sont affaiblis par les difficultés économiques et les scandales. La popularité de Stephen Harper a considérablement décliné et une nette majorité d’électeur indique souhaiter un changement de gouvernement. Cependant Harper garde la confiance du cœur de son électorat, autour de 30 %. Début août, au moment où la campagne électorale commence, les choses ne sont pas jouées.

Les bouleversements de 2011 seront-ils confirmés ?

L’élection fédérale de 2011 a été marquée par trois changements majeurs : (a) l’effondrement du Bloc au Québec au profit du NPD qui y devient la force dominante, (b) un très fort recul du parti libéral sur l’ensemble du Canada au profit du NPD et des conservateurs qui le réduit au statut de troisième parti à Ottawa, (c) la promotion du NPD comme opposition officielle, celui-ci devenant un compétiteur crédible pour le pouvoir fédéral, pour la première fois de son histoire.

Derrière cette question de la confirmation ou non des changements, il y a celle de la nature de l’élection de 2011. Est-elle une simple déviation électorale, marquée par des changements spectaculaires mais conjoncturels, ou au contraire une élection de réalignement qui marque l’émergence d’un nouvel ordre électoral après l’effondrement de l’ancien ordre électoral lors de l’élection de rupture de 2006[8] ?

Les enquêtes d’opinion, malgré leurs imprécisions et contradictions, indiquent très nettement qu’au Québec l’effondrement du Bloc s’accentue au profit du NPD. D’autre part, toutes les enquêtes depuis août 2015 indiquent que le NPD est devenu un concurrent crédible pour l’exercice du pouvoir à Ottawa. Par contre, malgré leur recul considérable de mars à août 2015 dans les sondages, les libéraux restent très au-dessus de leur résultat catastrophique de 2011 (18,9 %) et ne sont pas irrémédiablement distancés par les conservateurs et le NPD. Il semble bien qu’il y avait un élément conjoncturel significatif, la forte impopularité d’Ignatieff, dans l’effondrement libéral de 2011.

 

III/ Polarisation et obsolescence idéologique

Mais pour comprendre ce qui s’est passé dans la vie politique canadienne depuis 1993, il est nécessaire de prendre conscience d’une double dynamique de polarisation politique et d’obsolescence idéologique.

La dynamique de polarisation politique

Comme beaucoup de pays développés, le Canada a connu une forte poussée de droite radicale dans les années 1990. Ce durcissement idéologique à droite a d’abord contribué à la domination libérale orientée au centre gauche de 1993 à 2006 en divisant la droite jusqu’en 2003 et en fournissant un repoussoir électoral aux libéraux jusqu’en 2006. Mais, même si sa relative modération lui a permis de conquérir le pouvoir et une partie de l’électorat de centre droit, il n’en reste pas moins que le gouvernement conservateur de Stephen Harper est le plus à droite que le Canada a connu depuis près de 50 ans, depuis celui de John Diefenbaker de 1957à 1963. Sa présence au pouvoir depuis 2006 provoque une réaction d’insatisfaction croissante dans l’électorat de centre gauche, qui constitue le cœur de l’électorat des libéraux, du NPD et du Bloc. Cet électorat recherche de plus en plus l’instrument électoral qui lui permettra de se débarrasser du pouvoir conservateur à Ottawa. On a ainsi une dynamique de polarisation politique qui prend son origine à droite dans un durcissement idéologique et auquel répond un rejet croissant à gauche à partir de 2006. C’est cette polarisation qui explique la fidélité de l’électorat conservateur et le développement à partir de 2008 dans des milieux intellectuels, militants, et chez une minorité de responsables libéraux (dont l’ancien Premier ministre Jean Chrétien) et néodémocrates de la question de l’union électorale des progressistes, c’est-à-dire d’un rapprochement des libéraux et du NPD. Cette perspective, qu’elle prenne la forme d’une fusion des partis (comme à droite en 2003), d’accords électoraux ou simplement d’une coalition gouvernementale après les élections, est rejetée par les directions des deux partis et particulièrement par les libéraux. Mais les sondages montrent qu’une coalition gouvernementale après les élections serait approuvée par une nette majorité des électeurs libéraux et néodémocrates, quel qu’en soit le leader (Mulcair ou Trudeau). Il y a là un net décalage entre l’attente des électeurs et les stratégies des appareils qui pourrait être porteuse de crise en cas d’une nouvelle victoire conservatrice causée par la division des progressistes.

L’obsolescence idéologique sociale-démocrate et souverainiste

La percée électorale du NPD en 2011 ne doit pas laisser penser que l’idéologie sociale-démocrate aurait eu alors un Canada un succès particulier. Comme dans les autres pays développés, la social-démocratie est en crise idéologique au Canada dès les années 1990.

La social-démocratie canadienne a échoué à déborder les libéraux comme principale force de gauche face au conservateurs aux deux moments décisifs où l’occasion s’est présentée : en 1945 et au début des années 1990. En 1945 elle[9] a été vaincue électoralement par la mobilisation des forces patronales derrière les conservateurs lors des élections provinciales dans l’Ontario et contenue lors des élections fédérales par l’habileté du gouvernement libéral de Mackenzie King qui a mis en œuvre des mesures sociales importantes. Après 1991, le NPD dirigeait les gouvernements provinciaux de l’Ontario, de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan. C’était près de la moitié des canadiens qui étaient gouvernés par la social-démocratie. Ces gouvernements, particulièrement en Ontario[10] et en Colombie-Britannique, ont été des échecs qui ont contribué à la lourde défaite du NPD aux élections fédérales de 1993 (6,9 %). Depuis cette date les néodémocrates n’ont pas été plus capables qu’ailleurs de surmonter la crise idéologique et programmatique de social-démocratie face au déclin de la croissance économique et au remplacement du paradigme keynésien par le néolibéralisme dès la fin des années 1970. Les gouvernements provinciaux récents du NPD, en Nouvelle-Ecosse et au Manitoba, ne se sont pas distingués des autres gouvernements de centre gauche.

Au Québec le mouvement souverainiste, le Parti québécois au niveau provincial et le Bloc au niveau fédéral, subit à la fois le déclin de l’aspiration à l’indépendance depuis la défaite référendaire de 1995 et la crise des politiques sociale-démocrates au niveau des gouvernements provinciaux du Parti québécois (1994-2003, 2012-2014). L’effondrement électoral du Bloc en 2011 (23,4 %) doit être mis en rapport avec celui du PQ en 2014 (25,4 %).

IV/ Le début de la campagne électorale

La situation début septembre, après un mois de campagne électorale, confirme l’affaiblissement des conservateurs, devancés dans les sondages par le NPD et même parfois par les libéraux. Mais le redressement des libéraux est l’élément le plus significatif dans les évolutions d’intentions de vote depuis début août. Alors qu’au début de la campagne ceux-ci étaient en grand risque de marginalisation dans une dynamique bipolaire qui semblait s’esquisser entre le NPD et les conservateurs, ils ont réussi à redresser la barre, de 25 % à 28-30 %, réduisant sensiblement l’écart avec le NPD. Ceci s’explique par les positions prises par les deux partis sur la préoccupation principale (et croissante) des électeurs : la récession économique[11]. Alors que Thomas Mulcair, a promis un budget fédéral en équilibre, promesse illustrant la volonté principale du NPD de rassurer les électeurs et de présenter un projet crédible, Justin Trudeau n’a pas hésité à promettre une relance de l’économie par une relance de l’investissement public, même au prix d’un déficit public, tournant ainsi Mulcair sur sa gauche et progressant au dépend du NPD dans l’électorat hésitant entre les deux partis. Alors que le NPD, qui n’a jamais exercé le pouvoir à Ottawa, veut assoir sa crédibilité gestionnaire, les libéraux de Trudeau n’ont pas ce problème et sont ainsi plus libres car les derniers gouvernements libéraux ont correspondu à une bonne situation économique. On observe le même type de surenchère entre les deux partis sur la crise des réfugiés qui a fait irruption dans la campagne avec les images du corps d’Aylan Kurdi sur la plage de Bodrum[12]. Dénonçant la politique migratoire des conservateurs, les libéraux ont promis d’accueillir 25 000 réfugiés syriens et les néodémocrates 10 000 d’ici la fin de l’année.

Mais, pour appréhender complètement la situation des trois principaux partis, il faut tenir compte de deux phénomènes : les écarts entre les sondages d’intention de vote et la réalité, la transposition des résultats en voix aux résultats en sièges, qui seuls importent.

Lors des élections de 2011 les conservateurs ont été sous-estimés de plus de 3 pts en moyenne (36 % contre 39,6 %) par les derniers sondages, ce qui est considérable dans un combat triangulaire. Cette différence a été décisive pour leur permettre d’obtenir enfin une majorité absolue de sièges et de former un gouvernement majoritaire.

D’autre part, la répartition géographique de leurs suffrages fait que les conservateurs seront avantagés en termes de sièges et les libéraux désavantagés si les trois partis sont proches en pourcentage de voix au niveau national. C’est pourquoi la tâche est encore plus difficile qu’il n’y paraît pour les libéraux dans leur objectif de revenir sinon au pouvoir, au moins comme principal adversaire des conservateurs. On comprend alors pourquoi les leaders libéraux mettent tout leur poids dans cette campagne électorale, avec l’engagement inhabituel[13] de la Première ministre libérale de l’Ontario Kathleen Wynne aux côtés de Justin Trudeau contre Stephen Harper et Thomas Mulcair. Pour les libéraux il est impératif d’effacer 2011 sinon la dynamique bipolaire risque de les marginaliser progressivement lors des élections fédérales suivantes.

Pierre Martin

* Politologue au CNRS, PACTE IEP de Grenoble, chargé de mission à la FNSP.

Tableau I : Ensemble Canada (1993-2011)

1993 1997 2000 2004 2006 2008 2011
Votants 69,6 (295) 67 (301) 61,2 (301) 60,5 (308) 64,7 (308) 58,8 (308) 61,3 (308)
Bloc 13,5 (54) 10,7 (44) 10,7 (38) 12,4 (54) 10,5 (51) 10 (49) 6,1 (4)
Verts 4,3 4,5 6,8 3,9 (1)
NPD 6,9 (9) 11 (21) 8,5 (13) 15,7 (19) 17,5 (29) 18,2 (37) 30,6 (103)
Libéraux 41,3 (177) 38,5 (155) 40,8 (172) 36,7 (135) 30,2 (103) 26,2 (77) 18,9 (34)
PC 16 (2) 18,8 (20) 12,2 (12)
REF/All/Cons 18,7 (52) 19,4 (60) 25,5 (66) 29,6 (99) 36,3 (124) 37,6 (143) 39,6 (166)
Autres 3,6 (1) 1,6 (1) 2,3 1,4 (1) 1 (1) 1,2 (2) 0,9

Tableau II : Québec (1993-2011)

 

1993 1997 2000 2004 2006 2008 2011
Votants 77,1 (75) 73,3 (75) 64,1 (75) 59 (75) 63,9 (75) 61,7 (75) 62,1 (75)
Bloc 49,3 (54) 37,9 (44) 39,9 (38) 48,9 (54) 42,1 (51) 38,1 (49) 23,4 (4)
Verts 3,3 4 3,5 2,1
NPD 1,5 2 1,8 4,6 7,5 12,2 (1) 42,9 (59)
Libéraux 33 (19) 36,7 (26) 44,2 (36) 33,9 (21) 20,7 (13) 23,7 (14) 14,2 (7)
PC 13,5 (1) 22,2 (5) 5,6 (1)
REF/All/Cons 0,3 6,2 8,8 24,6 (10) 21,7 (10) 16,5 (5)
Autres 2,6 (1) 1 2,3 0,7 1,1 (1) 0,8 (1) 0,9

[1] Nouveau parti démocratique.

[2] John H. Pammet et Christopher Dornan (eds), The Canadian Federal Election of 2011, Toronto, Dundurn, 2011.

[3] Qui a ensuite quitté la scène fédérale pour prendre la direction du parti libéral du Québec, province dont il deviendra Premier ministre de 2003 à 2012.

[4] Scandale lié à des détournements de fond par les libéraux lors de la campagne de promotion du Canada au Québec suite au référendum de 1995 perdu de très peu par les indépendantistes.

[5] Elément essentiel, notamment lors des débats des chefs dans les campagnes électorales, dont certains sont en français.

[6] La loi sur la clarté référendaire du 29 juin 2000 (rapporteur Stéphane Dion), pose un certain nombre de conditions très restrictives à la possibilité de l’accession à l’indépendance d’une province. Elle est contestée par les indépendantistes québécois.

[7] Thomas Mulcair a pris la succession de Jack Layton à la tête du NPD en mars 2012, suite au décès de celui-ci d’un cancer en août 2011.

[8]Pour l’ensemble de ces notions qui font référence à la théorie des réalignements, voir Pierre Martin, Comprendre les évolutions électorales, la théorie des réalignements revisitée, Paris, Presses de Science Po, 2000, p. 417-437, et Pierre Martin, Dynamiques partisanes et réalignements électoraux au Canada (1867-2004), Paris, L’Harmattan, 2005, p. 53-80.

[9] Il s’agissait alors du CCF, le Co-operative Commonweath Federation, parti socialiste prédécesseur du NPD. Sur la stratégie des libéraux en 1945, voir Pierre Martin, Dynamiques partisanes et réalignements électoraux au Canada (1867-2004), op.cit., p. 130-132.

[10] C.F Jean-Pierre Beaud et Guy Prévost, La social-démocratie en cette fin de siècle. Late Twentieth-Century Social Democray, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 1995.

[11] Ceci est analysé en détails dans l’enquête de l’institut EKOS du 4 septembre 2015.

[12] Enfant syrien retrouvé mort par des policiers turcs ainsi que son frère et mère suite au naufrage de leur canot, dont la famille avait fait une demande d’émigration au Canada où se trouve sa tante.

[13] D’habitude les chefs de gouvernements provinciaux restent discrets lors des élections fédérales et inversement afin de respecter les différences de compétences et de ne pas hypothéquer les nécessaires relations de travail entre les provinces et Ottawa.

Source by 12/10/2015

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Retour sur les promesses de l’Alena. Mirages du libre-échange

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La résistance contre la déferlante du commerce sans limites commence à trouver un écho chez les parlementaires américains, qui ont rechigné devant la ratification accélérée du traité de partenariat transpacifique voulue par le président Barack Obama. Après deux décennies, le bilan accablant de l’accord de libre-échange nord-américain (Alena) ne devrait guère les inciter à persévérer dans cette voie.

Conclu entre le Mexique, les Etats-Unis et le Canada, l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) est entré en vigueur, le 1er janvier 1994, au milieu d’un flot de promesses. Ses promoteurs l’avaient répété : il allait permettre de développer les échanges commerciaux, doper la croissance, créer des emplois, réduire l’immigration clandestine. Tandis que le Washington Post s’émerveillait devant la « liste des nouvelles chances et des avantages » qu’il offrait (14 septembre 1993), le Wall Street Journal se réjouissait à l’idée que les consommateurs puissent bientôt bénéficier « de prix plus bas sur une vaste gamme de produits » (7 août 1992). Quant au Los Angeles Times, il assurait : « L’Alena générera beaucoup plus d’emplois qu’il n’en détruira » (29 mai 1993).

Ces commentaires lénifiants concernaient un accord commercial d’un genre nouveau. L’Alena ne se contentait pas, comme ses prédécesseurs, de réduire les droits de douane et de relever les quotas d’importation ; il impliquait également un nivellement des normes et prévoyait des mesures très protectrices pour les investisseurs étrangers. Il allait en outre autoriser les entreprises à contester directement des politiques nationales en assignant les Etats devant des tribunaux — des dispositions que l’on retrouve aujourd’hui dans le projet de grand marché transatlantique (GMT) (1). Examiner son bilan avec vingt ans de recul permet de mesurer le fossé séparant les annonces de la réalité. Et incite à se défier des évangélistes du libre-échange.

qi55En 1993, les économistes Gary C. Hufbauer et Jeffrey J. Schott, du Peterson Institute for International Economics, expliquaient que l’Alena allait entraîner un accroissement des échanges commerciaux avec le Mexique et le Canada, suscitant la création de cent soixante-dix mille emplois avant la fin de l’année 1995 (2). Moins de deux ans après ces déclarations fracassantes, Hufbauer reconnaissait lui-même que l’effet sur l’emploi était « proche de zéro ». Il ajoutait : « La leçon pour moi, c’est que je dois me garder de faire des prévisions. » (3) Cet aveu n’empêche pas le Peterson Institute de multiplier désormais les prédictions optimistes au sujet du GMT…

Un déficit commercial abyssal

Loin d’avoir offert de nouveaux débouchés aux entreprises américaines et de les avoir poussées à embaucher, l’Alena a favorisé les délocalisations industrielles et l’ouverture de succursales à l’étranger, en particulier au Mexique, où la main-d’œuvre est bon marché. Dans le secteur agricole, une multitude d’entreprises américaines spécialisées dans la transformation de produits alimentaires se sont également installées au Sud. L’affaiblissement des normes sanitaires et environnementales engendré par l’accord leur a permis de profiter des bas salaires mexicains. En effet, avant 1994, de nombreuses denrées alimentaires transformées au Mexique étaient interdites à l’importation aux Etats-Unis, car jugées dangereuses. Une seule usine mexicaine transformant du bœuf était alors autorisée à exporter ses produits au Nord. Vingt ans plus tard, les importations de bœuf mexicain et canadien ont augmenté de 133 %, poussant à la faillite des milliers d’agriculteurs (4).

Le déficit commercial des Etats-Unis avec le Mexique et le Canada n’a cessé de se creuser : alors qu’il atteignait tout juste 27 milliards de dollars en 1993, il dépassait les 177 milliards en 2013 (5). D’après les calculs de l’Economic Policy Institute, le déficit commercial avec le Mexique a abouti à une perte nette de 700000 emplois aux Etats-Unis entre 1994 et 2010 (6). En 2013, 845 000 Américains avaient d’ailleurs bénéficié du programme d’« aide à l’ajustement commercial » (trade adjustment assistance), destiné aux travailleurs qui ont perdu leur emploi à cause des délocalisations au Canada et au Mexique ou de l’augmentation des importations en provenance de ces pays (7).

Non seulement l’Alena a diminué le nombre des emplois aux Etats-Unis, mais il a aussi affecté leur qualité. Les salariés de l’industrie licenciés se sont tournés vers le secteur déjà saturé des services (hôtellerie, entretien, restauration, etc.), où la paie est moins élevée et les conditions plus précaires. Cet afflux de nouveaux travailleurs a exercé une pression à la baisse sur les salaires. Selon le Bureau of Labor Statistics, les deux tiers des ouvriers licenciés pour raisons économiques ayant retrouvé un travail en 2012 ont dû accepter un emploi moins bien rémunéré. La baisse dépassait même 20 % pour la moitié d’entre eux. Sachant que, cette année-là, un ouvrier américain gagnait en moyenne 47 000 dollars par an, cela équivaut à une perte de revenu d’environ 10 000 dollars. Cela explique en partie pourquoi le salaire médian stagne aux Etats-Unis depuis vingt ans, alors que la productivité des travailleurs augmente.

Certains promoteurs de l’Alena avaient prévu, dès 1993, ce phénomène de destruction d’emplois et de tassement des salaires. Mais, assuraient-ils alors, l’opération devait demeurer profitable pour les travailleurs américains, qui pourraient acheter des produits importés moins cher et bénéficier ainsi d’une hausse de leur pouvoir d’achat. Sauf que l’augmentation des importations n’entraîne pas nécessairement une baisse des prix. Par exemple, dans l’alimentaire, malgré un triplement des importations en provenance du Mexique et du Canada, le prix nominal des denrées aux Etats-Unis a bondi de 67 % entre 1994 et 2014 (8). La baisse du prix de quelques rares produits n’a pas suffi à compenser les pertes subies par les millions de travailleurs non diplômés, qui ont vu leur salaire réel baisser de 12,2 % (9).

Mais les travailleurs américains n’ont pas été les seuls à pâtir de l’Alena. L’accord a également eu des effets désastreux au Mexique. Autorisés à exporter sans entraves, les Etats-Unis ont inondé ce pays de leur maïs subventionné et issu de l’agriculture intensive, engendrant une baisse des prix qui a déstabilisé l’économie rurale. Des millions de campesinos (paysans) expulsés des campagnes ont migré pour se faire embaucher dans des maquiladoras (10), où ils ont pesé à la baisse sur les salaires, ou ont tenté de passer la frontière et de s’installer aux Etats-Unis. L’exode rural a également exacerbé les problèmes sociaux dans les villes mexicaines, conduisant à une montée en intensité de la guerre de la drogue.

Selon M. Carlos Salinas de Gortari, président du Mexique au moment de l’entrée en vigueur de l’accord, l’Alena devait permettre de réduire le flux des migrants essayant de passer au Nord. « Le Mexique préfère exporter ses produits que ses citoyens », lançait-il en 1993, assurant que son voisin avait le choix entre « accueillir les tomates mexicaines ou accueillir les migrants mexicains, qui cultiveront ces tomates aux Etats-Unis ». En 1993, 370 000 Mexicains avaient rejoint les Etats-Unis ; ils étaient 770 000 en 2000 ; 4,8 millions d’entre eux y vivaient clandestinement en 1993 ; 11,7 millions en 2012…

Ces départs massifs s’expliquent notamment par l’explosion du prix des produits de première nécessité. L’usage croissant du maïs américain pour produire de l’éthanol a fini par engendrer, au milieu des années 2000, une augmentation des prix, lourde de conséquences pour le Mexique, devenu dépendant des importations agricoles américaines.

Le prix des tortillas — l’aliment de base dans ce pays — a bondi de 279 % entre 1994 et 2004 (11). En vingt ans, le prix des produits de première nécessité a été multiplié par sept ; le salaire minimum, seulement par quatre. Alors que l’Alena devait leur apporter la prospérité, plus de 50 % des Mexicains vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Entre 1994 et 2014, le produit intérieur brut (PIB) par habitant du Mexique n’a augmenté que de 24 %. Entre 1960 et 1980, il avait bondi de 102 % (soit 3,6 % par an). Si le Mexique avait continué de croître à ce rythme, son niveau de vie serait aujourd’hui proche de celui des pays européens…

Les belles promesses se sont envolées, et il serait utile de dresser le bilan de cet échec afin de bâtir un modèle d’intégration économique plus juste. M. Barack Obama a reconnu lui-même les défauts multiples de l’Alena, assurant qu’il en tiendrait compte pour « résoudre certains problèmes » lors des futurs traités de libre-échange. Or, loin de tirer les leçons de ces erreurs, les négociateurs actuels du GMT semblent s’employer à les reproduire.

Lori M. Wallach

Directrice de Public Citizen’s Global Trade Watch, Washington, DC.
Source Le Monde Diplomatique Mai 2015

Mexique : la vie des journaliers agricoles, quand le rêve devient un cauchemard

Champ de radis

En Basse Californie, au Mexique, voici le quotidien de ces milliers de travailleurs agricoles, qui, pour quelques pesos de l’heure, ramassent les fruits et légumes « made in mexique ».

Comme s’il s’agissait d’une course contre la montre, une trentaine de journaliers agricoles cueillent aussi vite qu’ils le peuvent des tomates dans une serre étouffante de San Quintin, au nord-ouest du Mexique.

On se baisse, on cueille plusieurs pièces à la fois dans un nuage de poussière, puis on charge sur ses épaules des seaux de 20 kg.

« 10 ! », « 24 ! », « 5 ! » crient chaque fois qu’ils vident leurs charges ces hommes et ces femmes, entre 16 et 60 ans, qui s’identifient ainsi par leur numéro dans ce ranch de Basse-Californie.

Quelque 30.000 paysans se sont révoltés en mars dans cette vallée semi-désertique pour dénoncer leurs conditions d’exploitation, similaires à celles de près de deux millions d’ouvriers agricoles du Mexique.

Mais l’extrême précarité de leurs conditions de vie les empêche de prolonger leur grève, pendant que patrons et Etat négocient.

Le travail commence à 06h00 du matin et dure au moins neuf heures mais parfois jusqu’à 14, sous un soleil de plomb.

Il faut récolter au moins 700 kg de tomates pour un salaire quotidien de 120 pesos (7 euros), mais pour que le lever à l’aube et la sueur en vaillent la peine, certains parviennent à plus que doubler leur journée en allant jusqu’à trois tonnes quotidiennes, vendues dans les 2.000 pesos (120 euros) à un grossiste aux Etats-Unis.

« On est comme des animaux »

Ces 15 euros seront une petite fortune, comparés à ce que gagne un journalier cueillant les fraises qui, les mauvais jours, rentre chez lui avec l’équivalent de deux euros en poche.

« Ainsi va notre vie. On doit travailler pour manger, on ne peut pas rester sans rien, mais on est déjà habitué à cela depuis qu’on a 14 ou 15 ans« , raconte à l’AFP Paulino José, un homme de 72 ans à qui on a confié des taches moins rudes. Il ne voit pas comment il va pouvoir prendre sa retraite.

Il fait partie des nombreux paysans venus dans les années 80 des régions pauvres du sud et à majorité indigènes d’Oaxaca ou du Guerrero.

Ils ont été attirés par la « terre promise » de San Quintin, une zone où travaillent actuellement quelque 80.000 journaliers et qui exporte la quasi-totalité de sa production de fraises, de fruits rouges, de tomates et de concombres vers les Etats-Unis voisins.

« Où donc irais-je travailler ? C’est à peine si je sais comment je m’appelle. Si on me dit d’écrire mon nom, je ne sais pas le faire. Vous imaginez ? Ici on est comme des animaux, on ne sait rien« , se lamente Maria, une journalière élevée dans les champs.

C’est là qu’elle a connu son mari dont elle a eu ses trois enfants âgés de deux, quatre et huit ans, souvent livrés à eux-mêmes.

Ce sont des esclaves modernes

Payés au jour le jour, souvent contraints de migrer selon les saisons, sans contrat ni sécurité sociale, avec des conditions d’existence et sanitaires précaires, les journaliers travaillent sous la pression constante des producteurs.

La dureté du travail n’est pas exclusive de la région de San Quintin, mais elle a été tenue sous silence jusqu’à ce que les ouvriers haussent le ton contre l’exploitation.

Les paysans de Basse-Californie ont obtenu une augmentation de leur salaire de 15%, mais les producteurs de la zone ne semblent pas près à lâcher plus.

« Il faut analyser les choses. Peut-être que ce n’est pas aussi juste qu’il le faudrait, mais on ne va pas dire au travailleur : ‘D’accord je te paie 300 pesos’. A quoi ça sert si le lendemain je dois venir lui dire de s’en aller, avec toute sa famille ?« , argumente Luis Rodriguez, un des responsables du ranch Los Pinos, le plus important de San Quintin.

Dans cette exploitation où se cultivent la tomate et le concombre, vivent un millier de familles dans un campement gratuit, avec salles de bains, cuisines communes, et des dortoirs privés de moins de 10 mètres carrés pouvant accueillir des groupes allant jusqu’à deux adultes et cinq enfants.

« C’est un esclavage moderne : ils sont pris au piège« , estime Antonieta Barron, de l’Université nationale autonome du Mexique (Unam).

« Ils peuvent partir, s’échapper et on ne les poursuivra pas, mais le patron dispose comme il veut de cette force de travail« , dit-elle.

Source AFP 30/04/2015

Festival International du documentaire. Un autre regard sur l’actualité et sur l’histoire

urlCinéma. La 14e édition du Festival International du documentaire en Cévennes bat son plein jusqu’à ce soir. Rendez-vous à Lasalle pour refaire le monde.

A Lasalle rendue célèbre par le film Bien de chez nous réalisé par son maire Henri de Latour, les membres de l’association Champ contre champ ont planché cette année autour du thème C’est pour quand ? Tout pourrait rester autour du point d’interrogation mais il n’en est rien, car les soixante films programmés cette année sont autant d’éléments de réponse.

Dans ce village d’irréductibles de 1100 habitants chacun des auteurs est considéré comme un citoyen actif et donc comme porteur de solution. A l’occasion du festival les amoureux du documentaire double la population. « L’année dernière nous avons fait 5 900 entrées, indique Jacques Monteil durant le festival nous aménageons quatre salles de projection. Durant l’année la population désormais cinéphile bénéficie d’une scéance par semaine grâce à un dispositif de cinéma itinérant qui circule dans les Cévennes.

La décentralisation figure parmi les innovations de cette édition puisque le festival embrasse plusieurs vallées du Parc national ce qui lui permet de se diffuser sur l’Hérault, le Gard et la Lozère dont ont espère bien obtenir un soutien du conseil départemental l’année prochaine. Autre nouveauté, l’émergence de la catégorie de web documentaire.

Trois films seront montés en ligne avec une participation scénographique des internautes. Parmi les temps fort, on découvrira neuf films québécois dont les sujets proposent une vision très mondialisée. A ne pas manquer le coup de projecteur sur le travail du réalisateur indonésien Joshua Oppenheimer avec la diffusion de son dyptique : The act of Killing suivi  de The look of silence autour de la tragédie indonésienne de 1965 perpétrée par l’armée du général Suharto qui fit 500 000 victimes avec la bénédiction des Etats-Unis.

Son travail transforme les codes du documentaire de manière provocatrice en unissant réalité et fiction. Une mise en abîme de la culpabilité des assassins et peut être des voyeurs que nous sommes. Ces projections seront complétées par une conférence avec Amnesty International A propos du rapport à l’actualité, Jacques Monteil précise : « Dans le choix de son sujet, le documentariste exprime ce qui lui paraît urgent pour faire contre poids aux grands médias. Ils use de sa caméra pour écrire sa vision, interroge les gens et fait lien.»

JMDH

Source La Marseillaise : 16//2015

Voir aussi : Rubrique Festival, rubrique Cinéma,

Aéroport de Toulouse: les preuves du mensonge

macron-vallsEmmanuel Macron prétend que l’aéroport de Toulouse restera contrôlé à 50,1 % par des actionnaires publics. Mediapart publie des fac-similés du pacte d’actionnaires secret qui attestent du contraire : les trois membres du directoire seront désignés par les investisseurs chinois. Et l’État a signé une clause stupéfiante, s’engageant à soutenir par avance toutes leurs décisions.

Dans le dossier de la privatisation de l’aéroport de Toulouse, Emmanuel Macron a décidément pris une incompréhensible posture. Prétendant que la cession aux investisseurs chinois ne portera que sur une part minoritaire du capital, et suggérant du même coup que l’État et les collectivités locales resteront aux commandes de l’entreprise, il s’en est pris, samedi, très vivement aux détracteurs du projet.

Dans le prolongement de notre précédente enquête, dans laquelle nous pointions plusieurs contrevérités énoncées par le ministre de l’économie (lire Privatisation de l’aéroport de Toulouse : Emmanuel Macron a menti), Mediapart est pourtant en mesure de révéler la teneur précise du pacte d’actionnaires qui lie désormais l’État aux investisseurs chinois ayant remporté l’appel d’offres lancé pour la privatisation. Ce document a pour l’instant été tenu soigneusement secret par Emmanuel Macon. Les reproductions que nous sommes en mesure de révéler établissent clairement que le ministre de l’économie a menti.

Laurent Mauduit

Avant d’examiner le détail de ce pacte d’actionnaires secrets, reprenons le fil des événements récents pour comprendre l’importance de ce document. Annonçant au journal La Dépêche que l’aéroport de Toulouse-Blagnac allait être vendu au groupe chinois Symbiose, composé du Shandong Hi Speed Group et Friedmann Pacific Investment Group (FPIG), allié à un groupe canadien dénommé SNC Lavalin, Emmanuel Macron avait fait ces commentaires : « Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas d’une privatisation mais bien d’une ouverture de capital dans laquelle les collectivités locales et l’État restent majoritaires avec 50,01 % du capital. On ne vend pas l’aéroport, on ne vend pas les pistes ni les bâtiments qui restent propriété de l’État. […] Nous avons cédé cette participation pour un montant de 308 millions d’euros », avait dit le ministre de l’économie. Au cours de cet entretien, le ministre appelait aussi « ceux qui, à Toulouse, sont attachés à l’emploi et au succès d’Airbus, [à] réfléchir à deux fois aux propos qu’ils tiennent. Notre pays doit rester attractif car c’est bon pour la croissance et donc l’emploi », avait-il dit.

Dans la foulée, le président socialiste de la région Midi-Pyrénées, Martin Malvy, avait aussi laissé miroiter l’idée, dans un communiqué publié dans la soirée de jeudi, que cette privatisation n’en serait pas véritablement une et que l’État pourrait rester majoritaire. « J’ai dit au premier ministre et au ministre de l’économie et des finances, depuis plusieurs semaines, que si l’État cédait 49,9 % des parts qu’il détient – et quel que soit le concessionnaire retenu –, je souhaitais que la puissance publique demeure majoritaire dans le capital de Toulouse-Blagnac. C’est possible. Soit que l’État garde les parts qu’il possédera encore – 10,1 % – soit que le candidat désigné cède une partie de celles qu’il va acquérir. Emmanuel Macron confirme que le consortium sino-canadien n’y serait pas opposé. Je suis prêt à étudier cette hypothèse avec les autres collectivités locales, la Chambre de commerce et d’industrie et le réseau bancaire régional, voire d’autres investisseurs. Nous pourrions nous réunir au tout début de la semaine prochaine pour faire avancer une réflexion déjà engagée sur la base d’un consortium ou d’un pacte d’actionnaires en y associant l’État », avait-il déclaré.

Invité dimanche soir du journal de France 2, Manuel Valls a, lui aussi, fait entendre la même petite musique lénifiante. L’aéroport de Toulouse, a-t-il fait valoir, « va rester majoritairement dans les mains des collectivités territoriales et de l’Etat (…) il faut assumer que nous vivons dans une économie ouverte », a-t-il déclaré. « Nous, nous avons le droit de vendre des Airbus, d’investir en Chine et les Chinois ne pourraient pas investir chez nous ? Mais dans quel monde sommes-nous ? », s’est-il insurgé, avant d’ajouter : « Il faut assumer que nous vivons dans une économie ouverte et, en même temps, nous préservons bien sûr nos intérêts fondamentaux. Ce que nous faisons pour un aéroport, nous ne le ferons évidemment pas dans d’autres filières, je pense par exemple au nucléaire ».

En somme, le ministre de l’économie, le président socialiste de la région et le premier ministre ont, tous les trois, fait comprendre que l’aéroport de Toulouse resterait entre les mains de l’État et des collectivités locales, l’investisseur chinois ne mettant la main que sur 49,9 % du capital, l’État gardant 10,1 %, la Région, le département et la ville de Toulouse détenant le solde, soit 40 %.

En apparence dans son bon droit, Emmanuel Macron a donc monté encore d’un cran, en prenant très vivement à partie, samedi, tous ceux – et ils sont nombreux, au plan national comme au plan régional – qui s’inquiètent de ce projet de privatisation soi-disant partielle. « Celles et ceux que j’ai pu entendre, qui s’indignent de cette cession minoritaire de la société de gestion de l’aéroport de Toulouse, ont pour profession d’une part d’invectiver le gouvernement et d’autre part d’inquiéter les Français », a-t-il déclaré, en marge du congrès de l’Union nationale des professions libérales.

La formule volontairement féroce contre ceux qui « ont pour profession d’une part d’invectiver le gouvernement et d’autre part d’inquiéter les Français » risque fort, toutefois, de se retourner contre son auteur car la combinaison du mensonge et du dénigrement des opposants est une curieuse vision de l’exercice du pouvoir en démocratie.

Oui, du mensonge ! Le terme n’est pas exagéré. Déjà dans notre précédente enquête, nous avions usé de cette formulation et, pour l’étayer, nous avions révélé quelques courts extraits du pacte d’actionnaires qui va désormais lier l’État français aux acquéreurs – pacte d’actionnaires dont ont eu connaissance certaines des collectivités publiques concernées par le projet et auprès desquelles nous avions obtenu ces informations. Mais comme le ministre de l’économie persiste à dire qu’il s’agit d’une privatisation partielle et suggère que les actionnaires publics gardent la main, nous sommes en mesure de rendre publics les fac-similés des passages les plus importants de ce pacte d’actionnaires secret, qui établissent le mensonge du ministre et que ces mêmes collectivités nous ont transmis.

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Dès le premier coup d’œil, on trouve donc la confirmation que le pacte d’actionnaires lie bel et bien l’État, qui conserve pour l’instant 10,1 % du capital, non pas à la Chambre de commerce et d’industrie de Toulouse (25 % du capital), le Conseil général du département (5 %), le Conseil régional (5 %) et la Ville de Toulouse (5 %). Non ! Alors que sur le papier les actionnaires publics restent majoritaires, l’État trahit ses alliés naturels et conclut un pacte d’actionnaires avec l’acquéreur chinois. En clair, les investisseurs chinois sont des actionnaires minoritaires, mais l’État leur offre les clefs de l’entreprise pour qu’ils en prennent les commandes.

Les dispositions prévues par ce pacte d’actionnaires secret pour les règles de gouvernance de la société viennent confirmer que les investisseurs chinois, pour minoritaires qu’ils soient, seront les seuls patrons de la société. Voici les règles de gouvernance prévues.

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D’abord, la société sera supervisée par un conseil de surveillance de 15 membres, dont 2 désignés par l’État et 6 désignés par l’investisseur chinois, selon la disposition « 2.1.2 » du pacte. Autrement dit, ces huit membres du conseil de surveillance, liés par le pacte, garantiront aux investisseurs chinois minoritaires de faire strictement ce qu’ils veulent et d’être majoritaires au conseil de surveillance.

Le point « 2.1.3 » du pacte consolide cette garantie offerte aux investisseurs chinois puisqu’il y est précisé que « l’État s’engage à voter en faveur des candidats à la fonction de membres du conseil de surveillance présentés par l’Acquéreur, de telle sorte que l’Acquéreur dispose de six (6) représentants au Conseil de surveillance ».

Mais il y a encore plus grave que cela. Au point « 2.2.2 », l’État donne la garantie quasi formelle à l’investisseur chinois, aussi minoritaire qu’il soit, qu’il pourra décider strictement ce qu’il veut et que la puissance publique française ne se mettra jamais en travers de ses visées ou de ses projets. C’est consigné noir sur blanc – et c’est la clause la plus stupéfiante : « L’État s’engage d’ores et déjà à ne pas faire obstacle à l’adoption des décisions prises en conformité avec le projet industriel tel que développé par l’Acquéreur dans son Offre et notamment les investissements et budgets conformes avec les lignes directrices de cette Offre. »

Qu’adviendrait-il ainsi si l’investisseur chinois décidait d’augmenter le trafic de l’aéroport dans des proportions telles que cela génère de graves nuisances pour le voisinage ? Par un pacte secret, l’État a déjà pris l’engagement qu’il ne voterait pas aux côtés des collectivités locales pour bloquer ce projet, mais qu’il apporterait ses voix aux investisseurs chinois.

Si on prolonge la lecture de ce pacte d’actionnaires pour s’arrêter aux « décisions importantes » pour lesquelles l’État sera contraint d’apporter ses suffrages aux investisseurs chinois, on a tôt fait de vérifier que cela concerne tous les volets de la vie de l’entreprise. Voici en effet, au point « 4 » les « décisions importantes » qui sont en cause :

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En clair, les « décisions importantes » concernent tout à la fois « l’adoption du plan stratégique pluriannuel », « l’adoption du plan d’investissement pluriannuel », « l’adoption du budget », etc.

Bref, les investisseurs chinois ont carte blanche pour faire ce qu’ils veulent. Au point « 3 », on en trouve d’ailleurs la confirmation, avec cette autre clause stupéfiante : « Le Directoire sera composé de (3) trois membres. L’État s’engage à voter en faveur des candidats à la fonction de membre du directoire et de Président du directoire présentés par l’acquéreur, étant précisé que ces candidats feront l’objet d’une concertation entre l’État et l’Acquéreur préalablement à la séance du  Conseil de surveillance concerné, afin de s’assurer que l’État n’a pas de motif légitime pour s’opposer à la désignation de l’un quelconque des candidats proposés par l’Acquéreur. » En clair, là encore, l’État trahit ses alliés naturels que sont les collectivités locales, pour offrir les pleins pouvoirs aux investisseurs chinois, même s’ils sont minoritaires.

Au passage, l’État donne aussi les pleins pouvoirs aux investisseurs chinois, sans le moindre garde-fou, pour qu’ils pratiquent la politique de rémunération qu’ils souhaitent au profit de ceux qui dirigeront la société. « Les mêmes dispositions s’appliqueront, mutatis mutandis, s’agissant de la détermination de la rémunération de ces mêmes candidats », lit-on à ce même point « 3 ».

Et toute la suite du pacte est à l’avenant. Voici la fin du point « 4 » et les points « 5 » et « 6 » :

57SkhxEo8XK8pJyH0toFaKbsZnEEt il est prévu au point « 10 » que ce pacte liera les parties pour une très longue durée. Voici ce point « 10 » :

Id4DgdyyOkRXumQX_0aixQZqk3wLe pacte est donc prévu pour une durée de douze ans, reconductible ensuite pour les dix années suivantes.

Alors, avec le recul, les belles assurances ou les anathèmes du ministre de l’économie prennent une bien étrange résonance. Comment comprendre que le ministre de l’économie ait pu jurer, croix de bois, croix de fer, « qu’il ne s’agit pas d’une privatisation mais bien d’une ouverture de capital dans laquelle les collectivités locales et l’État restent majoritaires avec 50,01 % du capital » ? Comment comprendre cette sortie tonitruante contre ceux qui « ont pour profession d’une part d’invectiver le gouvernement et d’autre part d’inquiéter les Français » ? Un mélange de mensonge et de cynisme…

Gerard Karageorgis

Source Médiapart et Sans langue de bois : 07/12/2014

Voir aussi : Actualité France, Aéroport de Toulouse Document, Rubrique Politique, Affaires, Politique économique, On Line, Autoroutes: le rapport de la Cour des comptes ,