Lors d’un entretien lundi, Vladimir Poutine et Barack Obama se sont entendus sur des « principes fondamentaux » pour la Syrie, a déclaré mardi le secrétaire d’Etat John Kerry.
Le renforcement de la présence militaire russe a sans doute amené le président américain Barack Obama à tirer deux conclusions désagréables sur la Syrie: il lui faut traiter avec Moscou et s’accommoder, du moins provisoirement, du maintien au pouvoir de Bachar al Assad. Isolé sur le plan international depuis le début de la crise ukrainienne au printemps 2014, Vladimir Poutine s’est replacé au centre du jeu dans le pays en envoyant chars et blindés près de Lattaquié, une manoeuvre qui inquiète Washington et a certainement poussé le président américain à accepter une entrevue en tête à tête lundi avec son homologue russe.
Lors de cet entretien, le premier en plus de deux ans, Vladimir Poutine et Barack Obama se sont entendus sur des « principes fondamentaux » pour la Syrie, a déclaré mardi le secrétaire d’Etat John Kerry, même si le Kremlin voit dans les divergences persistantes sur l’avenir de Bachar al Assad le signe que les relations entre les deux superpuissances ne sont pas encore au beau fixe. Le président syrien est solidement soutenu pas Vladimir Poutine, qui a estimé lundi à la tribune des Nations unies que ne pas collaborer avec Bachar al Assad contre les djihadistes de l’Etat islamique (EI) était une « énorme erreur ».
Barack Obama a au contraire répété à Vladimir Poutine que la Syrie ne retrouverait jamais sa stabilité si Bachar al Assad, qu’il venait de qualifier de « tyran » à la tribune de l’Onu, devait conserver sa place de président, selon un responsable américain au fait des discussions. Le point de vue du président américain est partagé par la France ou l’Arabie saoudite, dont le ministre des affaires étrangères Adel al Djoubeïr a jugé « inconcevable » le maintien au pouvoir d’Assad dans le cadre d’un règlement politique.
Multiples échecs diplomatiques
John Kerry a passé l’essentiel de ses journées à l’Assemblée générale des Nations unies à tenter de définir une nouvelle voie politique sur la Syrie et d’assembler un nouveau « groupe de contact » après les multiples échecs diplomatiques passés. Un groupe qui s’il émerge, comprendrait probablement la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et un certain nombre d’acteurs régionaux comme l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, qui soutiennent la rébellion anti-Assad.
A la tribune de l’Onu, Barack Obama a ajouté que les Etats-Unis étaient disposés à coopérer avec la Russie et l’Iran pour résoudre le conflit syrien. La possibilité de reconstituer un groupe P5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, Allemagne, France, Royaume-Uni) comme celui qui a négocié avec Téhéran l’accord sur le nucléaire iranien a également été évoquée. John Kerry reconnaît cependant qu’il sera difficile de rassembler toutes ces parties sans accord sur l’avenir de Bachar al Assad.
« Même si le président Obama voulait jouer le jeu (…), il y a 65 millions d’Arabes sunnites entre Bagdad et les frontières de Turquie, de Syrie et d’Irak qui n’accepteront jamais, jamais plus, Assad comme dirigeant légitime », a dit mardi le chef de la diplomatie américaine dans l’émission « Morning Joe » de MSNBC. « Les Russes doivent comprendre qu’on ne peut avoir la paix sans résoudre la question de l’adhésion de la population sunnite », a-t-il ajouté. Les spécialistes de politique étrangère jugent que la meilleure solution serait donc de laisser la question d’Assad de côté, en attendant.
Ils relèvent d’ailleurs qu’en dépit de sa position officielle en faveur du départ du président syrien, Washington dit ne pas voir de moyen d’y parvenir à un coût acceptable et affiche comme première priorité la lutte contre l’EI. « Si le départ d’Assad, la défaite de l’EI et un avenir pacifique pour la Syrie sont l’objectif ultime, n’essayons pas de tout faire en une seule fois », dit Matthew Rojansky, du Wilson Center, groupe de recherches de Washington. Une phase 1 consisterait par exemple selon lui à voir les Etats-Unis et la Russie travailler ensemble à la lutte contre l’EI, même si cela implique provisoirement de renforcer Assad.
« Il peut y avoir une phase 2. Il peut y avoir une phase 5 », ajoute-t-il.
Phil Gordon, coordonnateur jusqu’en avril dernier de la politique de la Maison blanche au Proche-Orient, prônait vendredi dans le magazine Politico « un nouveau processus diplomatique qui mettra autour de la table tous les principaux acteurs extérieurs et débouchera sur un compromis compliqué en vue d’une désescalade du conflit, même si cela oblige à remettre à plus tard la question d’Assad ».
La résistance contre la déferlante du commerce sans limites commence à trouver un écho chez les parlementaires américains, qui ont rechigné devant la ratification accélérée du traité de partenariat transpacifique voulue par le président Barack Obama. Après deux décennies, le bilan accablant de l’accord de libre-échange nord-américain (Alena) ne devrait guère les inciter à persévérer dans cette voie.
Conclu entre le Mexique, les Etats-Unis et le Canada, l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) est entré en vigueur, le 1er janvier 1994, au milieu d’un flot de promesses. Ses promoteurs l’avaient répété : il allait permettre de développer les échanges commerciaux, doper la croissance, créer des emplois, réduire l’immigration clandestine. Tandis que le Washington Post s’émerveillait devant la « liste des nouvelles chances et des avantages » qu’il offrait (14 septembre 1993), le Wall Street Journal se réjouissait à l’idée que les consommateurs puissent bientôt bénéficier « de prix plus bas sur une vaste gamme de produits » (7 août 1992). Quant au Los Angeles Times, il assurait : « L’Alena générera beaucoup plus d’emplois qu’il n’en détruira » (29 mai 1993).
Ces commentaires lénifiants concernaient un accord commercial d’un genre nouveau. L’Alena ne se contentait pas, comme ses prédécesseurs, de réduire les droits de douane et de relever les quotas d’importation ; il impliquait également un nivellement des normes et prévoyait des mesures très protectrices pour les investisseurs étrangers. Il allait en outre autoriser les entreprises à contester directement des politiques nationales en assignant les Etats devant des tribunaux — des dispositions que l’on retrouve aujourd’hui dans le projet de grand marché transatlantique (GMT) (1). Examiner son bilan avec vingt ans de recul permet de mesurer le fossé séparant les annonces de la réalité. Et incite à se défier des évangélistes du libre-échange.
En 1993, les économistes Gary C. Hufbauer et Jeffrey J. Schott, du Peterson Institute for International Economics, expliquaient que l’Alena allait entraîner un accroissement des échanges commerciaux avec le Mexique et le Canada, suscitant la création de cent soixante-dix mille emplois avant la fin de l’année 1995 (2). Moins de deux ans après ces déclarations fracassantes, Hufbauer reconnaissait lui-même que l’effet sur l’emploi était « proche de zéro ». Il ajoutait : « La leçon pour moi, c’est que je dois me garder de faire des prévisions. » (3) Cet aveu n’empêche pas le Peterson Institute de multiplier désormais les prédictions optimistes au sujet du GMT…
Un déficit commercial abyssal
Loin d’avoir offert de nouveaux débouchés aux entreprises américaines et de les avoir poussées à embaucher, l’Alena a favorisé les délocalisations industrielles et l’ouverture de succursales à l’étranger, en particulier au Mexique, où la main-d’œuvre est bon marché. Dans le secteur agricole, une multitude d’entreprises américaines spécialisées dans la transformation de produits alimentaires se sont également installées au Sud. L’affaiblissement des normes sanitaires et environnementales engendré par l’accord leur a permis de profiter des bas salaires mexicains. En effet, avant 1994, de nombreuses denrées alimentaires transformées au Mexique étaient interdites à l’importation aux Etats-Unis, car jugées dangereuses. Une seule usine mexicaine transformant du bœuf était alors autorisée à exporter ses produits au Nord. Vingt ans plus tard, les importations de bœuf mexicain et canadien ont augmenté de 133 %, poussant à la faillite des milliers d’agriculteurs (4).
Le déficit commercial des Etats-Unis avec le Mexique et le Canada n’a cessé de se creuser : alors qu’il atteignait tout juste 27 milliards de dollars en 1993, il dépassait les 177 milliards en 2013 (5). D’après les calculs de l’Economic Policy Institute, le déficit commercial avec le Mexique a abouti à une perte nette de 700000 emplois aux Etats-Unis entre 1994 et 2010 (6). En 2013, 845 000 Américains avaient d’ailleurs bénéficié du programme d’« aide à l’ajustement commercial » (trade adjustment assistance), destiné aux travailleurs qui ont perdu leur emploi à cause des délocalisations au Canada et au Mexique ou de l’augmentation des importations en provenance de ces pays (7).
Non seulement l’Alena a diminué le nombre des emplois aux Etats-Unis, mais il a aussi affecté leur qualité. Les salariés de l’industrie licenciés se sont tournés vers le secteur déjà saturé des services (hôtellerie, entretien, restauration, etc.), où la paie est moins élevée et les conditions plus précaires. Cet afflux de nouveaux travailleurs a exercé une pression à la baisse sur les salaires. Selon le Bureau of Labor Statistics, les deux tiers des ouvriers licenciés pour raisons économiques ayant retrouvé un travail en 2012 ont dû accepter un emploi moins bien rémunéré. La baisse dépassait même 20 % pour la moitié d’entre eux. Sachant que, cette année-là, un ouvrier américain gagnait en moyenne 47 000 dollars par an, cela équivaut à une perte de revenu d’environ 10 000 dollars. Cela explique en partie pourquoi le salaire médian stagne aux Etats-Unis depuis vingt ans, alors que la productivité des travailleurs augmente.
Certains promoteurs de l’Alena avaient prévu, dès 1993, ce phénomène de destruction d’emplois et de tassement des salaires. Mais, assuraient-ils alors, l’opération devait demeurer profitable pour les travailleurs américains, qui pourraient acheter des produits importés moins cher et bénéficier ainsi d’une hausse de leur pouvoir d’achat. Sauf que l’augmentation des importations n’entraîne pas nécessairement une baisse des prix. Par exemple, dans l’alimentaire, malgré un triplement des importations en provenance du Mexique et du Canada, le prix nominal des denrées aux Etats-Unis a bondi de 67 % entre 1994 et 2014 (8). La baisse du prix de quelques rares produits n’a pas suffi à compenser les pertes subies par les millions de travailleurs non diplômés, qui ont vu leur salaire réel baisser de 12,2 % (9).
Mais les travailleurs américains n’ont pas été les seuls à pâtir de l’Alena. L’accord a également eu des effets désastreux au Mexique. Autorisés à exporter sans entraves, les Etats-Unis ont inondé ce pays de leur maïs subventionné et issu de l’agriculture intensive, engendrant une baisse des prix qui a déstabilisé l’économie rurale. Des millions de campesinos (paysans) expulsés des campagnes ont migré pour se faire embaucher dans des maquiladoras (10), où ils ont pesé à la baisse sur les salaires, ou ont tenté de passer la frontière et de s’installer aux Etats-Unis. L’exode rural a également exacerbé les problèmes sociaux dans les villes mexicaines, conduisant à une montée en intensité de la guerre de la drogue.
Selon M. Carlos Salinas de Gortari, président du Mexique au moment de l’entrée en vigueur de l’accord, l’Alena devait permettre de réduire le flux des migrants essayant de passer au Nord. « Le Mexique préfère exporter ses produits que ses citoyens », lançait-il en 1993, assurant que son voisin avait le choix entre « accueillir les tomates mexicaines ou accueillir les migrants mexicains, qui cultiveront ces tomates aux Etats-Unis ». En 1993, 370 000 Mexicains avaient rejoint les Etats-Unis ; ils étaient 770 000 en 2000 ; 4,8 millions d’entre eux y vivaient clandestinement en 1993 ; 11,7 millions en 2012…
Ces départs massifs s’expliquent notamment par l’explosion du prix des produits de première nécessité. L’usage croissant du maïs américain pour produire de l’éthanol a fini par engendrer, au milieu des années 2000, une augmentation des prix, lourde de conséquences pour le Mexique, devenu dépendant des importations agricoles américaines.
Le prix des tortillas — l’aliment de base dans ce pays — a bondi de 279 % entre 1994 et 2004 (11). En vingt ans, le prix des produits de première nécessité a été multiplié par sept ; le salaire minimum, seulement par quatre. Alors que l’Alena devait leur apporter la prospérité, plus de 50 % des Mexicains vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Entre 1994 et 2014, le produit intérieur brut (PIB) par habitant du Mexique n’a augmenté que de 24 %. Entre 1960 et 1980, il avait bondi de 102 % (soit 3,6 % par an). Si le Mexique avait continué de croître à ce rythme, son niveau de vie serait aujourd’hui proche de celui des pays européens…
Les belles promesses se sont envolées, et il serait utile de dresser le bilan de cet échec afin de bâtir un modèle d’intégration économique plus juste. M. Barack Obama a reconnu lui-même les défauts multiples de l’Alena, assurant qu’il en tiendrait compte pour « résoudre certains problèmes » lors des futurs traités de libre-échange. Or, loin de tirer les leçons de ces erreurs, les négociateurs actuels du GMT semblent s’employer à les reproduire.
Mexique : la vie des journaliers agricoles, quand le rêve devient un cauchemard
En Basse Californie, au Mexique, voici le quotidien de ces milliers de travailleurs agricoles, qui, pour quelques pesos de l’heure, ramassent les fruits et légumes « made in mexique ».
Comme s’il s’agissait d’une course contre la montre, une trentaine de journaliers agricoles cueillent aussi vite qu’ils le peuvent des tomates dans une serre étouffante de San Quintin, au nord-ouest du Mexique.
On se baisse, on cueille plusieurs pièces à la fois dans un nuage de poussière, puis on charge sur ses épaules des seaux de 20 kg.
« 10 ! », « 24 ! », « 5 ! » crient chaque fois qu’ils vident leurs charges ces hommes et ces femmes, entre 16 et 60 ans, qui s’identifient ainsi par leur numéro dans ce ranch de Basse-Californie.
Quelque 30.000 paysans se sont révoltés en mars dans cette vallée semi-désertique pour dénoncer leurs conditions d’exploitation, similaires à celles de près de deux millions d’ouvriers agricoles du Mexique.
Mais l’extrême précarité de leurs conditions de vie les empêche de prolonger leur grève, pendant que patrons et Etat négocient.
Le travail commence à 06h00 du matin et dure au moins neuf heures mais parfois jusqu’à 14, sous un soleil de plomb.
Il faut récolter au moins 700 kg de tomates pour un salaire quotidien de 120 pesos (7 euros), mais pour que le lever à l’aube et la sueur en vaillent la peine, certains parviennent à plus que doubler leur journée en allant jusqu’à trois tonnes quotidiennes, vendues dans les 2.000 pesos (120 euros) à un grossiste aux Etats-Unis.
« On est comme des animaux »
Ces 15 euros seront une petite fortune, comparés à ce que gagne un journalier cueillant les fraises qui, les mauvais jours, rentre chez lui avec l’équivalent de deux euros en poche.
« Ainsi va notre vie. On doit travailler pour manger, on ne peut pas rester sans rien, mais on est déjà habitué à cela depuis qu’on a 14 ou 15 ans« , raconte à l’AFP Paulino José, un homme de 72 ans à qui on a confié des taches moins rudes. Il ne voit pas comment il va pouvoir prendre sa retraite.
Il fait partie des nombreux paysans venus dans les années 80 des régions pauvres du sud et à majorité indigènes d’Oaxaca ou du Guerrero.
Ils ont été attirés par la « terre promise » de San Quintin, une zone où travaillent actuellement quelque 80.000 journaliers et qui exporte la quasi-totalité de sa production de fraises, de fruits rouges, de tomates et de concombres vers les Etats-Unis voisins.
« Où donc irais-je travailler ? C’est à peine si je sais comment je m’appelle. Si on me dit d’écrire mon nom, je ne sais pas le faire. Vous imaginez ? Ici on est comme des animaux, on ne sait rien« , se lamente Maria, une journalière élevée dans les champs.
C’est là qu’elle a connu son mari dont elle a eu ses trois enfants âgés de deux, quatre et huit ans, souvent livrés à eux-mêmes.
Ce sont des esclaves modernes
Payés au jour le jour, souvent contraints de migrer selon les saisons, sans contrat ni sécurité sociale, avec des conditions d’existence et sanitaires précaires, les journaliers travaillent sous la pression constante des producteurs.
La dureté du travail n’est pas exclusive de la région de San Quintin, mais elle a été tenue sous silence jusqu’à ce que les ouvriers haussent le ton contre l’exploitation.
Les paysans de Basse-Californie ont obtenu une augmentation de leur salaire de 15%, mais les producteurs de la zone ne semblent pas près à lâcher plus.
« Il faut analyser les choses. Peut-être que ce n’est pas aussi juste qu’il le faudrait, mais on ne va pas dire au travailleur : ‘D’accord je te paie 300 pesos’. A quoi ça sert si le lendemain je dois venir lui dire de s’en aller, avec toute sa famille ?« , argumente Luis Rodriguez, un des responsables du ranch Los Pinos, le plus important de San Quintin.
Dans cette exploitation où se cultivent la tomate et le concombre, vivent un millier de familles dans un campement gratuit, avec salles de bains, cuisines communes, et des dortoirs privés de moins de 10 mètres carrés pouvant accueillir des groupes allant jusqu’à deux adultes et cinq enfants.
« C’est un esclavage moderne : ils sont pris au piège« , estime Antonieta Barron, de l’Université nationale autonome du Mexique (Unam).
« Ils peuvent partir, s’échapper et on ne les poursuivra pas, mais le patron dispose comme il veut de cette force de travail« , dit-elle.
Au terme d’une âpre bataille entre démocrates et républicains, le relèvement du plafond de la dette américaine à été voté mardi 2 août par le Sénat. Le président Barack Obama a promulgué le texte dès son adoption par les deux chambres du Congrès. L’accord autorise le Trésor à relever de 2 100 milliards de dollars le plafond de la dette, repoussant ainsi le risque d’un défaut de paiement. Le plan de réduction des dépenses publiques de 2 500 milliards d’euros, approuvé par le Congrès, n’a pourtant pas rassuré les marchés.
Henri Sterdyniak est directeur du département « Economie de la mondialisation » à l’OFCE et professeur à l’université Paris-IX Dauphine. Il dénonce un texte qui « fait supporter l’ajustement aux plus pauvres ».
Le compromis trouvé entre républicains et démocrates est-il de nature à rassurer les marchés et les agences de notation ?
Il y a peu de risques pour que les agences de notation baissent la note (AAA, la plus élevée) attribuée aux Etats-Unis. Ces agences savent que le risque de défaut de paiement et de faillite est purement théorique : en cas de menace de faillite, la Fed (réserve fédérale) a les moyens d’intervenir pour financer la dette. En outre, le pays peut créer de la monnaie.
En réalité, le danger pourrait être politique : on peut imaginer qu’à l’avenir le mouvement conservateur du Tea Party paralyse le système en refusant tout compromis. Une agence pourrait prendre cette possibilité en compte pour dégrader la note américaine. Mais il y a peu de chances que cela arrive. Normalement, un pays qui crée sa propre monnaie a les moyens de rembourser sa dette.
Toutefois, une autre conclusion de ces quelques semaines de crise est que les Etats-Unis ont révélé leur fragilité à la face du monde : ils sont désormais moins fiables pour les investisseurs et auront du mal à encaisser un nouveau choc. Cet épisode a mis certains risques en évidence, accentués lorsque le Parlement et le président ne sont pas de la même couleur politique.
Sur le fond, l’accord vous paraît-il bon ?
Non, car il enferme la politique budgétaire américaine dans un carcan. Le texte ne prévoit pas de hausse d’impôt, ce qui enlève toute marge de manœuvre aux gouvernants pour soutenir l’économie, développer l’assurance maladie, lutter contre le chômage. Au final, ce sont les plus pauvres qui vont supporter l’ajustement, alors même que l’une des causes de la crise aux Etats-Unis, c’est la trop faible consommation, ou plutôt la trop forte consommation à crédit.
La tendance est même plus à la baisse de la protection sociale qu’à l’augmentation des impôts visant les plus riches. A court terme, il n’y a aucune chance pour que les impôts augmentent. C’est le point sur lequel la majorité des républicains ne céderont pas.
L’existence des aides sociales comme le programme Medicare peut-elle être menacée ?
La sécurité sociale américaine est fragile car elle ne suscite pas d’adhésion populaire massive. La crise a montré que ce système était protecteur et facteur de cohésion sociale, mais son poids sur les finances publiques l’affaiblit dans l’opinion.
Aux Etats-Unis, le système des aides sociales est remis en cause lors de chaque élection. Le pays n’est donc pas protégé contre un accident politique qui verrait la droite républicaine les supprimer. Les démocrates sont des défenseurs timides du système, ce qui rend l’équilibre fragile.
La solution de long terme face aux difficultés budgétaires serait une reprise de la croissance. En prend-on de le chemin ?
Les Etats-Unis sont dans une impasse. On l’a dit, l’économie américaine a besoin d’une plus grande consommation des plus pauvres, ce que ne va pas favoriser l’accord conclu sur la politique budgétaire.
Ils ont aussi besoin d’une croissance impulsée de l’extérieur, ce qui passe par une demande plus forte de la part de la Chine et des pays asiatiques. La seule marge de manœuvre des Etats-Unis pour être plus compétitifs en Asie est de faire baisser le dollar, de chercher un rééquilibrage des taux de change à l’échelle mondiale. Ils n’ont pas toutes les cartes en main.
Chambre des représentants a adopté dimanche la réforme du système de santé américain dont Barack Obama a fait la première priorité de son mandat en matière de politique intérieure.
Le projet d’une ampleur sans précédent depuis près de 40 ans en matière de santé publique a été approuvé tard dans la soirée par 219 voix contre 212. Déjà adopté par le Sénat, il va maintenant être remis au président des Etats-Unis pour être promulgué.
Le texte a pour objectif d’étendre l’assurance maladie à 32 millions d’Américains qui en sont dépourvus et d’interdire aux compagnies d’assurance de refuser de prendre en charge un client qui ne répondrait pas à des critères médicaux préétablis. Son adoption, qui met fin à une âpre bataille parlementaire coûteuse en terme de popularité pour le président, constitue une victoire d’envergure après l’échec de Bill Clinton, en 1994.
« Ce soir, alors que les experts disaient que ce n’était plus possible, nous avons élevé le niveau de notre politique », s’est félicité Barack Obama, qui a pris la parole tard dans la soirée à la Maison blanche. « Ce dispositif ne réglera pas tout ce qui affecte notre système d’assurance maladie, mais il nous fait avancer dans la bonne direction (…) C’est à cela que le changement ressemble », a-t-il ajouté.
Les élus démocrates ont laissé éclaté leur joie lorsque le seuil fatidique des 216 voix a été dépassé. « Yes we can! », ont lancé certains, toujours inspirés par le slogan de campagne de Barack Obama. « Nous avons aujourd’hui l’opportunité de terminer le grand chantier inachevé de notre société », a déclaré Nancy Pelosi, présidente de la Chambre, reprenant la formule d’Edward Kennedy, ardent promoteur du projet décédé le 25 août d’une tumeur au cerveau.
« Kill the Bill ! »
L’ensemble du groupe républicain a voté contre, tout comme 34 membres de la majorité. Dénonçant une vaste intrusion des pouvoirs publics dans le secteur de la santé, le parti conservateur prédit un creusement du déficit budgétaire et un recul de la liberté des patients. Le débat ne va toutefois pas en rester là, puisque les détracteurs de la réforme promettent de la contester dans leurs Etats respectifs. Le sujet restera en outre l’un des thèmes majeurs de la campagne pour les élections de mi-mandat, en novembre. « Les sénateurs républicains vont désormais faire tout leur possible pour remplacer les hausses d’impôts massives et les baisses de remboursement par les réformes que nos électeurs ont réclamées pendant ce débat », a averti Mitch McConnell, président du groupe à la chambre haute.
Le vote de la Chambre des représentants a été précédé d’intenses négociations dans les rangs démocrates. Les élus de la majorité hostiles à l’avortement, qui menaçaient de voter avec les républicains, ont finalement apporté leur soutien après avoir obtenu des garanties de la Maison blanche. Le président leur a ainsi promis de réaffirmer l’interdiction du recours à des fonds public pour pratiquer l’avortement, une fois le texte adopté.
Les élus ont également approuvé dimanche une série d’ajustements présentés dans la semaine pour rallier les suffrages des indécis. Ces ajustements seront intégrés à un projet de loi séparé dont le Sénat entamera l’examen cette semaine. Le vote, qui aura lieu à la majorité simple, devrait alors sceller la fin définitive du débat parlementaire. Plusieurs centaines de manifestants se sont rassemblés dimanche devant le Capitole pour protester contre la réforme aux cris de « Kill the Bill! » (« Tuez le projet de loi! »). Beaucoup ont pénétré dans l’enceinte parlementaire pour interpeller directement les élus. Les débats ont même dû être brièvement suspendus.
Les compagnies d’assurance ont combattu farouchement le projet, mais leur cote est repartie à la hausse, cette semaine sur les marchés financiers, lorsque les investisseurs ont réalisé que leurs pires craintes n’étaient pas fondées. Les laboratoires pharmaceutiques, les hôpitaux et bien d’autres acteurs du monde de la santé tireront parti de l’augmentation du nombre d’assurés et le texte adopté dimanche n’autorise pas les pouvoir publics à limiter les primes d’assurances ou les tarifs des soins. L’opinion reste, quant à elle, très partagée.
Jean-Philippe Lefief (Reuter)
Les principaux points de la réforme du président américain Barack Obama.
Objectif
Offrir une couverture maladie à au moins 32 millions d’Américains qui en sont dépourvus et couvrir environ 95% des moins de 65 ans.
«Bourse»
Le texte crée dans chaque Etat une bourse des polices d’assurances pour promouvoir la concurrence et tenter ainsi de faire baisser les prix des primes d’assurance.
Pénalités/Incitations
Chaque personne est tenue d’être assurée ou bien de payer une pénalité qui augmentera progressivement jusqu’à 2,5% de ses revenus en 2016. Les entreprises de plus de 50 salariés qui ne fourniront pas de couverture seront aussi pénalisées à raison de 2.000 dollars par an par salarié non-couvert. En revanche, les petites entreprises et les ménages modestes recevront des crédits d’impôts et des aides pour financer l’assurance santé.
Obligation pour les assureurs
Les assurances se verront interdire de refuser une couverture au prétexte de problèmes de santé pré-existants. En outre, le document prévoit de combattre les hausses de tarifs «déraisonnables ou injustifiées» imposées aux assurés par des compagnies privées.
Taxation des entreprises de santé
Les assureurs, qui vont bénéficier d’un plus grand nombre d’assurés, devront acquitter 67 milliards d’impôts nouveaux sur 10 ans. La facture atteint 23 milliards pour l’industrie pharmaceutique et 20 milliards pour celle des équipements médicaux.
Amélioration pour les personnes âgées
Le document prévoit de combler les failles actuelles, surnommées «trou dans le beignet» («doughnut hole»), de la couverture santé des personnes âgées, qui bénéficient du programme Medicare.
Subventions aux dispensaires de quartier
Le projet investit 11 milliards de dollars sur cinq ans dans ces dispensaires qui soignent actuellement 20 millions d’Américains.
Coût de la réforme
940 milliards de dollars sur 10 ans mais les experts estiment que la réforme doit réduire le déficit de 138 milliards sur les 10 premières années et de 1.200 milliards la décennie suivante.
Pas de caisse publique
La réforme ne crée pas de Caisse publique d’assurance maladie, pourtant souhaitée par l’aile gauche du parti démocrate et promise dans un premier temps par Barack Obama.
C’est déjà l’heure des premiers bilans à Washington. Le 19 janvier, Barack Obama pourra célébrer le premier anniversaire de son installation à la Maison Blanche. Nous sommes notamment allés interroger Allan Lichtman, professeur d’histoire politique à l’American University. Démocrate non conformiste, il faisait partie de tous ceux qui avaient placé d’immenses espoirs en Obama, et s’avoue aujourd’hui « déçu ».
Que retenez vous de cette première année du président Obama?
J’ai été surpris et déçu. Je croyais qu’Obama avait le potentiel pour être un président de transformation de l’Amérique, comme Franklin Roosevelt ou Ronald Reagan. Comme Franklin Roosevelt, il a été élu à la fin d’une ère républicaine conservatrice, qui a commencé avec Reagan et s’est achevée avec W. Bush. Je pensais qu’il y avait là une occasion historique pour Obama. Mais cela ne s’est pas réalisé. A cause des erreurs de leadership qu’il a commises , mais aussi du contexte politique américain. La plus grande erreur d’Obama, je crois, est de ne pas avoir pris le contrôle du débat politique national. Il est notre président le plus charismatique depuis Ronald Reagan. Et il n’a pas utilisé son immense charisme pour mener le débat. Le meilleur exemple est la réforme de l’assurance maladie. Il était si soucieux d’éviter les erreurs de Bill Clinton qu’il a renvoyé le sujet au congrès. C’est une erreur énorme. On ne peut pas laisser le gouvernail aux 535 membres du Congrès. Le résultat est qu’il n’y a pas de message clair sur la santé. Les opposants ont pris la direction du débat. Une bonne partie de la population américaine associe maintenant la réforme à des coûts énormes, un contrôle gouvernemental, ou même des escadrons de la mort pour tuer les grand-mères… Tout cela est faux bien sûr, mais une fois le débat ainsi cadré, il est très difficile d’en sortir. Quand Obama a voulu le reprendre en main, il était trop tard. La même chose s’est produite avec le climat… On n’arrivera à rien de cette façon.
Il faut bien pourtant gagner le vote des sénateurs. Obama aurait-il pu s’y prendre autrement?
La question essentielle n’est pas le vote des sénateurs, mais la façon dont la réforme est présentée à l’opinion publique. Même si la loi sur la santé est adoptée, un nombre substantiel d’Américains s’y oppose maintenant. Ils ne comprennent pas un traître mot de cette loi.La seconde erreur commise par Obama a été de croire qu’il pourrait coopérer avec les républicains. S’il avait lu mon livre (White Protestant Nation: The Rise of the American Conservative Movement), il aurait su qu’on ne peut pas faire de compromis avec eux. Les Républicains ont un seul et unique objectif: le faire échouer. On ne peut pas être gentil avec l’opposition, de nos jours. Ils vous couperont la gorge. De toutes façons, un président américain n’a pas à être gentil. Si Franklin Roosevelt avait tenté d’apaiser les isolationnistes, il n’aurait pas gagné la guerre! Tout le cours de l’histoire mondiale aurait été différent.La troisième erreur de Barack Obama est la guerre en Afghanistan. Il aurait dû nous sortir d’Afghanistan. Le seul appui dont il dispose sur ce sujet, ce sont les républicains…
Tout de même, sur l’Afghanistan, on peut plaider qu’Obama a fait preuve de « leadership »…
Non. Ce n’est pas courageux que d’envoyer des troupes américains au champ de bataille. Tous les présidents l’ont fait. Ce qui serait courageux, c’est de quitter une guerre quand on n’y est pas obligé. Voilà qui serait plus rare: quel président a jamais abandonné une guerre sans y être forcé?
Comment expliquez-vous ces « erreurs » de Barack Obama? Manquait-il d’expérience des rouages de Washington?
C’est peut-être une partie du problème. Il avait peu d’expérience à Washington. Mais Abraham Lincoln aussi n’avait servi que deux ans au Sénat avant d’être élu président, contre quatre ans pour Barack Obama. Obama écoute trop les consultants, les sondeurs et tous les intermédiaires. Ou les généraux, qui sont formés pour tuer ou détruire. Il faudrait se débarrasser de tous les consultants politiques, qui ne font que vous tirer vers le bas. Ils suivent les sondages au jour le jour, et vous poussent toujours vers le plus petit dénominateur commun. Ils ne veulent pas que vous preniez des risques. Quand tu es aussi brillant que Barack Obama, pourquoi écouter tous ces gens qui ne font que te rabaisser? S’il y avait eu tous ces sondages et ces consultants à l’époque de Lincoln, nous aurions peut-être deux pays aujourd’hui. Lincoln aurait été paralysé. Les grands présidents ont toujours été audacieux. En 100 jours, Franklin Roosevelt avait fait adopter quinze lois par le congrès. S’il avait suivi la méthode Obama, il n’y en aurait pas eu une seule… Mais il faut reconnaître aussi que les circonstances historiques ne sont pas les mêmes.
Vous oubliez que Barack Obama a fait adopter, très vite, un énorme plan de relance…
Oui, mais c’était facile.Tout le monde voulait l’argent de la relance. A part cela, il n’a pas accompli grand chose durant cette première année. Même si la réforme de la santé est adoptée, on ne sait pas encore si la loi sera bonne ou non. Il faudra cinq ou dix ans pour en juger car beaucoup de ses dispositions n’entreront pas en vigueur avant plusieurs années.
N’est-ce pas plutôt que l’Amérique est devenue ingouvernable?
Oui, les circonstances sont particulièrement difficiles. D’abord à cause de cette règle des 60 voix au Sénat, pour éviter le filibuster. C’est devenu un énorme problème. Tout le débat sur la santé aurait été différent s’il suffisait de 50 voix au lieu de 60. On ne se soucierait pas de Joe Lieberman ou Ben Nelson, qui ont maintenant toute latitude pour démolir la loi. Ensuite, il y a le problème du partisanisme extrême, avec un parti républicain très dur qui n’a pour seul souci que de revenir au pouvoir. Nous n’avons plus ces républicains progressistes qu’on appelait Rockefeller Republicans, du nom du gouverneur de New York Nelson Rockefeller. Richard Nixon fut sans doute le dernier président progressiste que nous ayons eu. Avec le républicain Nixon, nous avons eu les lois de protection de l’environnement, des traités majeurs avec l’Union soviétique, la percée avec la Chine, une vaste extension du système de sécurité sociale et des avancées pour les droits civiques. Il a fait beaucoup plus que Jimmy Carter ou Bill Clinton. Mais ces républicains n’existent pratiquement plus, ils appartiennent à l’histoire.
Qu’en est-il de la promesse Obama de changer la façon dont on gouverne à Washington?
Il n’a rien fait. Et c’est le troisième élément qui rend les choses si difficiles: le pouvoir de l’argent et des lobbyistes. Obama est le président dont la campagne a été la plus coûteuse de tous les temps, et de loin. Jadis il suffisait de quelques dizaines de millions de dollars pour être un candidat crédible à la présidence. Il faut maintenant des centaines de millions. Même pour un poste local, cela vous coûtera maintenant 100 000 dollars pour se présenter à un county council. Des millions de dollars pour faire campagne pour un siège au Congrès, dans une circonscription disputée. Où trouver cet argent? A moins d’être vous-même très riche, il faut l’obtenir auprès de grands groupes d’intérêts. Et ce ne sont pas les hommes politiques qui profitent le plus de tout cet argent qui vont changer ce système.
Barack Obama semble très soucieux de sa place dans l’Histoire. Sur la base de cette première année, quelle pourrait-elle être?
Oui, il se soucie de son rôle dans l’histoire, comme tous les présidents. Mais il n’a pas fait grand chose encore pour devenir un président historique. Les grands présidents, qui ont marqué l’histoire, comme Abraham Lincoln, Theodore Roosevelt, Franklin Roosevelt ou Ronald Reagan, deux républicains et deux démocrates, étaient tous des audacieux. On n’admire pas les Jimmy Carter ou les William Harrison, les présidents du « milieu de la route », les pragmatiques. S’il continue sur la même voie, Barack Obama sera vite oublié. Il sera peut-être réélu, comme Bill Clinton l’a été. Mais il n’entrera pas dans l’histoire comme un Ronald Reagan ou un Franklin Roosevelt, des présidents qui ont marqué leur époque.
Justement, vous avez élaboré un système de « clés » (The Keys to the White House, 1996), permettant de prédire l’élection des présidents américains. Que disent vos clés actuellement au sujet d’une réelection de Barack Obama?
Les clés disent qu’ils sera réélu. Car il est peu probable que l’économie reste dans le fossé jusqu’à l’élection. L’économie va sûrement repartir, et les républicains n’ont pas de candidat charismatique à opposer à Obama. Mais être réélu ne veut pas dire qu’il sera un grand président. Bill Clinton aussi a été réélu…
Vous êtes vraiment sévère, ce n’est qu’une première année…
Oui, je suis sévère. Et d’ailleurs Obama peut encore se reprendre. Il a encore trois ans, c’est beaucoup. Il est jeune, intelligent. Mais je crois qu’il devra changer de méthode. Peut-être aussi son second mandat sera différent, s’il n’a plus besoin de se soucier de sa réélection.