De Goldorak à la cérémonie du thé


mangaL’association franco-japonaise Assiana organise la troisième édition de Japan Matsuri. Un festival dédié à la culture japonaise. Le rendez-vous a débuté en 2007 à Montpellier dans la Maison pour tous Marcel Pagnol. Concentré sur deux jours il s’est développé en 2008 et poursuit sa poussée de croissance cette année après un report dans le temps lié à la risible crise du virus HAN1. Un concert d’ouverture assuré par l’ensemble de musique traditionnel Sakura à eu lieu samedi au Peyrou dans le cadre de Bazard en ville. Le feu d’artifice étant à venir les vendredi 30 avril, samedi et dimanche 1er et 2 mai salle des Rencontres de l’Hôtel de ville.

japan-street2« A mon retour du Japon, j’ai vu ce qui se passait à Paris autour de la culture nipone, explique Abada, le président d’Assiana qui a vécu sept ans au pays du soleil levant. Il y avait un vide à Montpellier, de là, est né Japan MatsuriEt puis les Japonais m’ont bien accueilli, je voulais leur rendre la pareille dans ma ville natale. Le but de Japan Matsuri est de promouvoir la culture japonaise ici. Mais l’objet de notre association est aussi de faire connaître Montpellier au Japon. On ne connaît pas notre ville là-bas. Je suis obligé de la situer à mes interlocuteurs entre Marseille et l’Espagne. » La communauté japonaise en France est estimée autour de 27 000 personnes majoritairement en Iles de France, suit la région PACA. Le Languedoc-Roussillon compte environs 400 ressortissants japonais dont 15O étudiants à Montpellier. Le nombre de passionnés du Japon est en revanche beaucoup plus important notamment chez les jeunes très friands de culture urbaine. Une autre catégorie de public, plus âgés, marque un intérêt soutenu pour la culture traditionnelle. « Notre association s’efforce de rendre cette culture accessible à tout le monde. On peu prendre par exemple des cours de japonais pour 4 euros de l’heure. Et des cours de cuisine à des tarifs très bas. »

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Il y en a pour tous les goûts dans la programmation de Japan Matsuri. Avec des ateliers traditionnels pour s’initier à la cérémonie du thé, à porter le Kimono, ou à l’art du Furoshiki (art classique de l’emballage à partir du tissu)… Une sélection de film japonais, prettés par le Consulat du Japon. Les plus jeunes pourront s’affronter sur les stands via viédogame, mais aussi participer à des concours de danse, interpréter les génériques de leur manga favoris sur écran géant, ou admirer les défilés de mode de jeunes créateurs en vogue comme de Kimonos. La musique fera lien entre tous les publics. Sont attendus les groupes Heiwa Daiko (époustouflants tambours de paix), Fumie Hihara (instrumentiste interprétant des morceaux traditionnels et modernes), Hitt monté par l’ancien bassiste du groupe populaire Otokage (rock pop). De 10 h à 22h Le week end s’annonce chaud à la Mairie.

Comment découvrir la culture traditionnelle japonaise et côtoyer la modernité ? Rencontre avec Yoko et Kyo.

Arrivée à Montpellier en 2006, Yoko poursuit son cycle d’études sur le patrimoine. Ce qui lui permet de comparer les deux systèmes. « Le patrimoine architectural français est en pierre, au Japon il est en bois. Cela implique des techniques de conservation vraiment différentes. Je pense que cette différence est aussi transposable à l’état d’esprit qui distingue les Français des Japonais.

Yoko fera une démonstration de la Cérémonie du Thé*, une des pratiques qu’elle propose dans le cadre de l’association Assiana, avec les cours de cuisine. « Récemment, à l’issue d’une démonstration dans la Maison pour tous du quartier Mosson, des animateurs sont venus me voir pour me dire qu’il n’avait jamais vu les enfants si bien se tenir. Ça m’a fait plaisir parce que cela signifie que l’esprit est un peu passé, » indique-t-elle modestement.

geishaYoko n’est apparemment pas une fan des jeux vidéos. Ses parents ont tenu à ce qu’elle acquière une culture traditionnelle. « Ils étaient inquiets de mon avenir et tenaient à ce que je reçoive une bonne éducation, que je connaisse les bonnes manières, que je sache recevoir. » Elle a suivi des cours auprès d’un Maître de cérémonie pendant plusieurs années. « Au début c’était très difficile, le Maître était très vieux. Il exigeait que l’on prenne un soin extrême dans toutes les choses que nous faisions. C’était en décalage complet avec ce que je vivais en dehors. Et puis j’ai appris à concilier les deux. Je sais m’amuser avec mes amis et suis restée une passionnée de traditions. Pour moi c’était l’occasion de porter le Kimono, d’apprendre à cuisiner avec les aliments de saison et surtout d’accéder à la notion de respect…

Kyo est en France depuis onze ans. Elle conclue un cycle d’études interculturelles à Paul Valéry. C’est le professeur de Japonais de l’association. « Mon cours est intergénérationnel. J’ai de jeunes élèves passionnés de mangas et de films d’animation qui souhaitent approfondir en apprenant la langue, des étudiants qui veulent voyager et des personnes plus âgées. Je m’efforce d’adapter mes cours en fonction de tout le monde. »

Quand on demande à Yoko et Kyo si les stéréotypes sur les Japonais ont la vie dure, elles répondent par un sourire avant de lâcher : « le car de japonais avec ses caméras et ses appareils photos nous colle toujours à la peau alors qu’il est aujourd’hui largement partagé par les touristes du monde entier. » Ou encore « Les geishas ne sont pas des prostitués. Ce sont des artistes qui savent danser, chanter, jouer du Shamisen… » Une semaine à suivre  pour en savoir plus sur le Japon d’hier et d’aujourd’hui.

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Japon Le Kabuki-za,

A tous vents la résistance se cultive à la cime

Ysabelle Lacamp : Un auteur est quelqu’un qui s’engage à travers l’écrit. Cela suffit-il pour garder le silence ?

En marge du bitume la forêt. Parallèlement au traditionnel défilé du 1er mai se tiendra ce jour-là à Lamalou-les-Bains, la Marche des écrivains. Une première qui voit le jour dans un de ces moments donnés par le hasard. « Je suis passé devant cet écriteau qui interpelle indiquant la Forêt des écrivains combattants. De là a germé l’idée d’associer des écrivains combattants d’aujourd’hui à ce lieu, » explique l’auteur Ysabelle Lacamp qui a travaillé au projet avec la femme de théâtre Mychèle Leca. Un projet monté de concert avec l’association des écrivains combattants et les Amis de la forêt des écrivains, qui mène un travail de terrain. « Il est question du souvenir et en même temps cette marche porte une réflexion qui se tourne vers l’avenir avec cet éternel débat de l’engagement a fortiori aujourd’hui. Un auteur est quelqu’un qui s’engage à travers l’écrit. Cela suffit-il pour garder le silence ? » questionne Ysabelle Lacamp.

L’âme du lieu

La Forêt des écrivains combattants à Lamalou-les-Bains, doit assez curieusement son existence aux inondations de 1930. Occupé à reboiser un sud de la France dévasté, L’Etat décide à l’époque et ce, grâce aux membres de l’association des Ecrivains combattants survivants de la guerre de 14, comme Maurice Genevoix, Pierre Mac Orlan ou Roland Dorgelès de dédier une forêt de 100 hectares à la mémoire des 560 écrivains morts au combat, « dressés contre l’invasion à l’image de ces arbres plantés contre l’inondation afin de resserrer les liens noués par les intellectuels et les hommes des champs sur le front.

Le front des écrivains* présent à Lamalou-les-bains s’annonce de très bonne consistance pour cette journée ouverte au public. Plus de quarante auteurs seront de la marche. « Nous en avons contacté un certain nombre. Beaucoup n’ont pas répondu. Ceux qui l’ont fait se sont engagés dans la seconde, précise Ysabelle Lacamp. Ce sont des engagés du cœur ». Cette adhésion ferme et individuelle à un projet collectif, l’interpelle : « Cette question de l’engagement touche à la définition de l’écrivain. A sa place dans un monde où les cartes se sont brouillées avec la fin supposée des idéologies. Pour certains auteurs, le mot engagement inspire une crainte parce qu’il est politiquement connoté. Il est galvaudé.

La notion de groupe tient place au cœur de cette manifestation. Et vient rompre quelque part avec l’image de l’écrivain solitaire. « C’est une rencontre entre une famille d’écrivains. Beaucoup d’entre eux ont un rapport à l’exil ou détiennent des racines multiculturelles qu’ils interrogent. Cela permet de prendre une certaine distance, à l’image de la matière littéraire d’Amin Maalouf qui ne pourra être présent mais apporte son soutien à notre démarche. »

Dès 10h, le public est invité à parcourir la forêt avec les auteurs : « Il s’agit d’une marche commune où auteurs et public se retrouvent main dans la main plutôt que chacun d’un côté d’une table » Dans l’après-midi, deux débats se tiendront pour faire lien entre le combat d’hier et celui d’aujourd’hui. Une belle idée est née dans un environnement porteur. Espérons quelle pourra se prolonger et grandir sur la crête fragile de la forêt comme à la cime des arbres autour du bien commun des écrivains qui versent aujourd’hui leur encre où d’autres ont hier, versé leur sang.

Jean-Marie Dinh

* Sont attendus Sylvie Genevoix , Marie-France Pisier, Denise Epstein-Nemirovsky, Lydie Salvayre, Michèle Gazier, Brigitte Kernel, Fatou Diome, Murielle Szac, Théodore Klein, Eduardo Manet, Jean Rouaud, Christophe Bourseiller, Nedim Gursel, Kebir.M.Ammi, Jean-Marie Besset, Pascal Ory, Bruno Doucey, Robert Colonna d’Istria. Rens : 06 26 42 71 64

Voir aussi : Rubrique Livremémoire combattante en région sud,

Dans les coulisses peu reluisantes de Bollywood.

shobhaa_deShobhaa Dé une star indienne de passage à Montpelllier

Auteur à succès, journaliste, l’ex mannequin Shobhaa Dé est une star indienne qui s’est imposée avec détermination et dignité. Ecrivain très à l’écoute de la société, ses quatorze livres dont sept romans, abordent à travers le sexe et les problèmes de couples, la condition des femmes de manière décomplexée. Traduits dans plusieurs langues, ils se sont vendus en Inde à plusieurs millions d’exemplaires. Elle était hier l’invitée de la librairie Sauramps à l’occasion de la parution de La nuit aux étoiles, premier livre traduit en français qui dévoile les coulisses peu reluisantes de Bollywood.

Vous êtes un auteur très populaire en Inde où puisez-vous vos sources d’inspiration ?

De ma passion de vivre, de ma passion pour les mots, je pense que c’est cela qui me connecte avec mes lecteurs. C’est une connexion qui vient à la fois de la tête et du cœur.

La nuit des étoiles vous dévoilez l’envers du décor de Bollywood qui révèle un monde brutal…

Le travail d’un écrivain est de dire la vérité. Bollywood est en effet un monde de cruauté et de violence. Cela concerne tout le milieu mais cette violence se révèle plus particulièrement à l’encontre des femmes. J’ai écrit ce livre il y a vingt ans. Depuis les choses ont un peu évolué.

C’est le premier de vos livres traduit en français, pourquoi si tard ?

C’est sans doute lié au développement du cinéma de Bollywood en France. Je pense que chaque livre trouve son propre temps. Ce qui est très important c’est de trouver le bon éditeur.

Qu’est-ce qui a changé en vingt ans ?

Le cinéma indien concernait surtout le public national, avec la mondialisation, il s’est ouvert à l’international. Aujourd’hui les jeunes comédiennes choisissent de faire ce métier et font des études pour cela. Alors qu’auparavant leurs parents choisissaient pour elles. Comme dans le livre où les parents d’Aasha mettent quasiment leur fille de quinze ans dans le lit des producteurs. Le modèle de vie a beaucoup changé en vingt ans du moins dans les villes.

Dans le livre vous mettez en exergue les différences entre le Nord et le Sud ?

C’est différences s’expriment à travers la langue. Il est beaucoup plus difficile de réussir dans le cinéma si vous parler l’Hindi avec l’accent. Et puis il y a aussi la couleur de la peau. Le fait d’avoir des yeux clairs est un avantage.

La condition des femmes, un thème qui traverse votre œuvre, a-t-elle évolué durant cette période ?

A la tête du Congrès, Sonia Gandhi met un point d’honneur à la promotion des femmes dans la sphère politique. La semaine dernière un texte est passé. Il fait suite à la volonté du (BJP) parti nationaliste Hindous de réserver 33% des postes du parlement à des femmes. Elles n’étaient que 9% auparavant. C’est une avancée certaine. Les femmes sont de plus en plus puissantes en Inde.

L’émancipation des femmes s’opère-t-elle aussi face à l’hindouiste qui vénère la femme mais la considère comme servante et garante, à travers la parenté, du système de caste ?

Il y a un fossé entre le monde riche et urbain et le monde pauvre et rural où vit 42% de la population. Mais les choses sont en train de changer. Mayawati, leader du BSP, représentant les intouchables, a été élue à la tête de l’Etat d’Uttar Pradesh, le plus peuplé d’Inde. Aujourd’hui, 7o% de la population à moins de trente ans. Les jeunes femmes ont de plus en plus accès à l’information et elles prennent conscience de leurs droits.

recueilli par Jean-Marie Dinh

La nuit aux étoiles, Actes Sud, 23 euros

Voir aussi : Rubrique Inde

Florence Aubenas : « vous dites bonjour, on vous regarde comme si le balai allait parler »

aubenasGrand reporter au Nouvel Observateur, Florence Aubenas a fait la plus grande partie de sa carrière à Libération. Pour écrire Le quai de Ouistreham (éditions de l’Olivier) elle a pris la décision de se mettre dans la peau d’une femme de ménage pendant six mois.

 » Votre choix initial était-il de mener un travail de journaliste ?

Face à la crise qui se profilait à l’horizon, il m’a semblé intéressant d’aller voir à hauteur d’homme et de femme comment cela se passait sur le terrain. Je n’ai pas trop réfléchi à la forme, j’ai abordé le sujet comme un reportage au sens strict du terme. Je ne suis ni sociologue ni éditorialiste. J’ai voulu raconter le monde tel que je le rencontrais.

Cela correspond à une certaine vision du métier en rupture avec la réactivité immédiate…

En partant pour une durée indéfinie, je voulais me donner le temps dont on ne dispose pas habituellement. J’ai commencé par prendre un congé sans solde de quatre mois, que j’ai prolongé. Par rapport aux contraintes du métier, que j’apprécie, c’est évidemment un luxe journalistique. Au début, je pensais que cela prendrait la forme d’un journal de bord. Mais je rentrais tard, je reprenais tôt. Je n’y arrivais pas.

Quel regard portez-vous sur le traitement médiatique de la société qui se résume le plus souvent aux faits divers ?

Curieusement, les journalistes traitent davantage les éléments inhabituels. Les journaux sont fait pour ça. Nous sommes formés dans cette logique, et finalement on traite plus facilement l’extraordinaire que l’ordinaire. Dans tout type d’approche sociale, il faut plus de temps et plus de place. Raconter le quotidien est plus difficile compte tenu du cadre dans lequel les journalistes travaillent. Les rédacteurs en chef vous demandent un traitement optimiste des choses parce que les gens sont déjà déprimés… Il y a une conjonction d’éléments qui fait que ces sujets là sont difficiles à traiter.

Votre soutien aux confrères de France 3 tenus en otages en Afghanistan semble reposer sur une mobilisation nécessaire de l’opinion publique mais aussi contre une certaine dévalorisation de la profession par le gouvernement ?

Au départ, le gouvernement a demandé aux journalistes de ne pas faire trop de publicité à cette affaire pour optimiser les négociations et ne pas nuire aux conditions de leur libération. La presse a joué le jeu. Ceux qui n’ont pas respecté les règles sont ceux qui l’avaient demandé. Plusieurs membres du gouvernement, Claude Guéan, le général Georgelin… se sont précipités pour briser ce souci de confidentialité en dévalorisant leur travail. Le problème est, dès lors, double. Si c’était dangereux de parler d’eux, pourquoi l’ont-ils fait ? Et pourquoi accabler des gens qui ont déjà la tête sous l’eau ? On ne peut pas venir nous expliquer : l’Afghanistan est un endroit primordial pour l’Occident ; nous devons y envoyer des soldats pour y défendre nos valeurs fondamentales et interdire à la presse de s’y rendre parce que ce serait trop dangereux. Les journalistes sont partis là-bas faire leur métier, et je ne vois pas pourquoi on les accable d’un coup, comme s’ils avaient fait du ski hors-piste.

Voyez-vous un lien entre votre expérience d’otage en Irak en 2005 et celle que vous venez de vivre à Caen ?

Je n’y ai pas pensé du tout. Mais je ne suis pas quelqu’un de très introspectif. Cela ne veut pas dire que ce lien n’existe pas.

Votre livre permet la découverte du monde ignoré de la précarité. Je pense par exemple à la formation des agents d’entretien où l’on apprend surtout à être invisible …

Effectivement, en exerçant cette profession, vous réalisez que la principale qualité que l’on vous demande c’est d’être invisible. Pour parler de votre boulot, on va vous dire : elle est formidable, elle est venue, on ne l’a pas vue, on ne l’a pas entendue. On ne vous regarde pas, quand vous entrez et quand vous dites bonjour, on vous regarde comme si le balai allait parler. Parfois on parle de votre entreprise à la radio, c’est généralement pour annoncer le licenciement de 200 salariés mais on ne cite pas les intérimaires et les externalisés. Ces personnes sont dans l’ombre, dans le non-droit du travail dérégulé. Un certain nombre d’employeurs y trouvent leur compte. Dans cette catégorie de personnel, si vous dites je ne travaille pas le dimanche, vous ne travaillez pas.

La pression exercée et la mise en concurrence orchestrée par les marchands de main d’œuvre semble terrifiante…

La concurrence est omniprésente, entre les employés et les entreprises qui négocient les contrats de ménage à la baisse. Au bout de la chaîne, c’est la personne qui passe le balai qui se retrouve à courir. Tout ce qui concourt à la protection des salariés et à la régulation des relations employés – employeurs n’est pas pertinent dans cette zone là qui concerne quand même 20% des salariés français. Une zone où les syndicats n’ont plus prise.

Dans votre livre l’aspect humain est très présent à travers l’expérience de ces femmes qui s’anesthésient pour faire face aux humiliations. Vous mettez le doigt sur un processus d’auto-dévalorisation qui s’exerce chez certaines d’entre-elles…

C’est sûr que le travail précaire est avant tout féminin. 80% des précaires sont des femmes. 80% des Français qui sont sous le Smic sont des femmes. Et 80% des Français qui sont juste au-dessus du Smic sont des femmes. Donc les travailleurs pauvres et malmenés sont des femmes. J’avais une idée reçue très idiote qui était de penser que le travail précaire regroupe peu ou prou une population homogène. Ce qui est tout à fait faux. Il y a des retraitées, des lycéennes, des mères de famille, des gens qui débutent avec de l’ambition, d’autres qui ont dégringolé et qui subissent en souffrant. Il y a des réalités très différentes. Pour moi, une des grandes leçons de cette expérience, c’est de me dire que le travail précaire concerne tout le monde. Les femmes avec qui je suis restée en contact me disent, on n’est pas des précaires. Elles vivent cette désignation comme une forme de marginalisation. Elles disent on est la France de tous les jours. On est la France normale. Et elles ont raison parce que c’est là que l’on en est aujourd’hui. Mais comme ce monde est invisible on n’a pas vu cette France normale devenir précaire « .

Recueilli par Jean-marie Dinh

Florence Aubenas Le quai de Ouistreham aux éditions de L’Olivier

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Feraoun avait une vision lucide sur la société dans laquelle il vivait

Ali Mouzaoui sur le tournage

Invité par l’association Regards sur le cinéma algérien, le réalisateur Ali Mouzaoui* évoque son dernier documentaire sur la vie et l’œuvre de l’écrivain Mouloud Feraoun*.


« Dans le film, l’identité kabyle de Feraoun est au cœur de votre propos ?

Comment pourrait-il en être autrement ? Feraoun est le fruit de cette culture et la culture n’est pas quelque chose que l’on garde pour soi. Il était viscéralement attaché à ce territoire qui a maintenu son fonctionnement malgré toutes les tentatives de soumission. Ce fut notamment le cas face à l’empire Ottoman. Feraoun a résisté à la colonisation française, mais il émettait aussi des critiques sur le journal officiel du FLN. Basée sur la tradition orale, la société kabyle est fondée sur un système d’organisation démocratique. Dans le clan, les décisions concernant le village étaient prises en commun, les femmes étaient concernées et respectées. Dans ce cadre, où la pauvreté peut être acceptée sans souffrance, la vie se déroulait paisiblement.

Vous soulignez l’ambiguïté de la politique de Jules Ferry qui introduit la langue française en Kabylie en envoyant des instituteurs dans les villages à partir de 1895…

Je ne m’oppose pas à la transmission du savoir. Ni a la langue française que je porte dans mon cœur. L’écrit a permis de sauvegarder notre tradition orale. Je mentionne qu’à l’époque le certificat d’étude n’était pas une escale sur le chemin du savoir mais une étape finale pour les Algériens. La France souhaitait mettre en place une école adaptée à un peuple de cultivateur. Un atout pour la transformation qui n’hypothéquerait pas la colonisation. Lors du recrutement dans les villages, chaque famille devait fournir un enfant à l’école française. Elle choisissait le plus chétif car cela venait soustraire un berger à la famille. Dans une société précaire, l’école était un élément de déstabilisation. Feraoun a bénéficié de l’école française. Il a beaucoup travaillé tout en restant dans le juste. Il avait une vision sur la société dans laquelle il vivait et en parlait avec un maximum de lucidité

A qui s’ adresse votre documentaire ?

Ma conception répond à une double dynamique. Donner une représentation de la culture kabyle et montrer la vie et le combat de Feraoun aux siens. Je ne fais pas référence à la torture, j’évite de montrer les morts, y compris pour évoquer son assassinat. J’ai d’abord voulu refléter le désespoir culturel et la ténacité de son combat. Il est de mon devoir d’être assez didactique. Le legs de Feraoun c’est un message humain et le sens de l’effort. Avec le temps, j’ai compris que je poursuivais la même mission avec bonheur.

Dans sa période algéroise, Feraoun a fréquenté Camus. Les deux auteurs avaient-ils des différents politiques ?

Après avoir lu La Peste, Feraoun envoie une lettre à Camus dans laquelle il lui reproche de situer son roman à Oran sans que l’on n’y croise une seule silhouette d’arabe. Dans sa réponse Camus lui répond en substance : Monsieur Feraoun, il est de votre devoir de le faire. Ce dont ne se privera pas Feraoun, même si on lui a reproché par la suite de n’écrire que sur la Kabylie. Je pense que l’on écrit pour les siens. Mais pour moi les deux auteurs font partie du même univers. Je revendique Camus comme un des miens. Sa mère était femme de ménage, et le père de Roblès, maçon. Si la société avait pu taire ses violences, on aurait pu aller vers une société merveilleuse de convivialité et de tolérance. »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

mouloud-feraoun* Mouloud Feraoun est un écrivain kabyle algérien d’expression française né le 8 mars 1913 à Tizi Hibel en haute Kabylie. Élève de l’école normale de la Bouzareah (Alger), il enseigne durant plusieurs années comme instituteur, directeur d’école et de cours complémentaire, avant d’être nommé inspecteur des centres sociaux. Feraoun commence à écrire en 1934 son premier roman, Le fils du pauvre. L’ouvrage, salué par la critique obtient le Grand prix de la ville d’Alger. L’écrivain est abattu le 15 mars 1962 à Alger, à quatre jours seulement du cessez-le-feu, par un commando de l’OAS.

*Ali Mouzaoui, réalisateur algérien, est titulaire d’un diplôme de metteur en scène de films d’arts obtenu à l’Institut supérieur du cinéma de l’ex-URSS en 1980. De retour au bercail en 1987, il se consacre à son métier. Il a réalisé plusieurs films documentaires dont Dda L’Mouloud (film consacré à Mouloud Mammeri) et Le Bijou d’Ath Yenni. Il a aussi produit des films de fiction comme Début de saison, Les bandits d’honneur de Kabylie, Les Piments rouges, Portrait de paysagiste et Mimezrane. Le docu-fiction sur Mouloud Feraoun réalisé en 2009 est présenté dans la région en avant-première internationale dans le cadre de Regards sur le cinéma algérien. Ali Mouzaoui est aussi l’auteur de Thirga au bout du monde, son premier roman paru aux éditions l’Harmattan.

Voir aussi : rubrique cinéma autour du film de Bouchareb, livre Laurent Mauvignier Des hommes, Todorov la signature humaine, rubrique politique locale le musée de la France en Algérie,