L’accident de Michaël Schumacher déjà oublié, « l’affaire Dieudonné » à peine soldée, voilà que les frasques privées du Président de la République révélées par des photos (volées et ne prouvant pas grand-chose par elles-mêmes) publiées par le magazine Closer le 10 janvier ont offert à l’ensemble du microcosme médiatique un nouveau sujet d’emballement.
Mais comme seule la presse estampillée « people » peut se vautrer en toute bonne conscience dans le journalisme de trou de serrure et faire ses choux gras de la vie sentimentale des personnages publics, les médias d’information générale ont dû renoncer à l’aborder frontalement et trouver toute une série d’expédients pour s’en délecter sans avoir l’air d’y toucher. Il n’empêche : en quelques jours (si ce n’est en quelques heures), la curiosité insatiable des « grandes rédactions » et le flot intarissable des commentaires a transformé une « affaire privée » en pièce de boulevard mâtinée de drame républicain.
Pourtant, même traitée avec toute la hauteur de vue dont sont capables les « grands journalistes » face à « l’évènement », rien ne pouvait justifier que cette « affaire », qui n’a comme conséquences politiques que celles que lui confère sa médiatisation massive, interrompe le traitement « normal » de l’actualité et occulte pendant plusieurs jours d’autres informations devenues, d’un coup, secondaires.
Briseurs de tabous
Fondant sur les révélations de Closer comme un vol d’étourneaux, tous les médias les ont abondamment relayées. Mais pas n’importe comment… Aveugles à leur propre rôle et à leur propre frénésie, les grands médias ont ainsi passé la journée du 10 janvier à parler de la vie privée de François Hollande tout en cherchant gravement à comprendre, comme Le Figaro ou Europe 1, pourquoi « un verrou a sauté » s’agissant… de la médiatisation de la vie privée des Présidents de la République !
Et la plupart des médias d’opter pour la même stratégie : faire mine de prendre de la hauteur en retraçant de prétendues grandes évolutions « sociétales » et institutionnelles, pour mieux participer au commérage général sur la situation conjugale du Président : des Echos, à L’Est Républicain, ou 20 Minutes, en passant par le site de France Télévisions, ou le Huffington Post, il n’était question que de tabou levé, de grand déballage, de partage entre public et privé et… de la liaison entre François Hollande et Julie Gayet.
Le sommet de l’hypocrisie (et de l’absurde) étant atteint par Le Figaro qui organise un de ces pseudo sondages en ligne pour demander aux internautes si Closer a « eu raison de publier les photos de la vie privée du Président », mais omet opportunément de demander si Le Figaro a eu raison de s’en saisir comme d’une information incontournable…
Pour ce qui est du comble du moralisme, c’est Marianne qui l’atteint dans un article intitulé « Hollande, Gayet : respect de la vie privée, oui, mais pas quand la première dame est encore à l’Elysée », où le journaliste se fait juge des bonnes mœurs, condamnant François Hollande, « en porte-à-faux avec les principes minimum auxquels est tenu le chef d’un Etat où le mariage reste, pour l’heure, une institution civile définie par les lois de la République, avec ses contraintes et ses obligations, ses valeurs et ses devoirs. Ou alors c’est considéré que le pacs, le concubinage notoire et la vie à deux sous le même toit, notamment à l’Elysée, n’a pas la valeur du mariage à la mairie. Si Valérie Massonneau était Madame François Hollande, le président de la République irait-il quand même rejoindre Julie Gayet sur son scooter? ? On peut se poser la question. »
Enfin, on décernera la palme de l’aveuglement au journaliste de RMC qui, pour conclure leur entretien, demande à Olivier Besancenot : « Comment on fait pour que la vie privée n’interfère pas avec la vie publique et avec les vrais sujets qui intéressent les Français ? »
Très vite après les premières révélations, il fallut trouver d’autres angles pour pouvoir continuer à évoquer « l’affaire » en lui donnant une tonalité un peu moins burlesque et dérisoire qui justifierait qu’elle reste sur le devant de l’actualité.
Sur les traces du grand banditisme
La première tentative fut un fiasco. Pendant 24h, entre le 12 et le 13 janvier, se multiplièrent, souvent dans un même article, des reprises du « scoop » de Médiapart affirmant que l’appartement abritant les rencontres présidentielles était lié au grand banditisme, qui allait se révéler faux (misère du « journalisme d’investigation » quand il ne prend plus le temps… d’enquêter pour épouser le rythme effréné de « l’actu » en temps réel), et les démentis très vite obtenus, relatant l’ire du propriétaire réel et démontrant que l’information n’en était pas une ! Aucun média ou presque, qu’il s’agisse de la presse écrite (voir Le Parisien ou Le Point), des grandes radios (comme RTL) ou des télévisions (voir notamment les sites de France Télévisions ou de LCI) ne fut épargné par cette fuite en avant.
Angoisse sécuritaire
Après cette consternante « séquence médiatique » et puisque l’appartement ne posait en définitive pas de problème, il s’agissait d’en chercher du côté de la sécurité du Président lors de ses escapades en scooter. Là encore, le suivisme de la plupart des grands médias fut sans faille. Du Nouvel Observateur à Libération, en passant par L’express, Le Figaro ou BFM-TV, la plupart relayaient sans sourciller les « analyses »… du paparazzi ayant réalisé les clichés pour Closer – à croire qu’il est aussi un expert de la protection des personnalités.
Statut or not statut ?
L’artifice suivant utilisé par les médias pour maquiller leur torrent de commentaires sur les amours présidentielles en enjeu institutionnel décisif fut de s’interroger sur le statut de première dame. Une question si impérieuse que toute la presse fut encore au rendez-vous pour entonner le refrain du moment : Le Monde, Libération, Le Figaro, L’Express, Le Point, Le Nouvel Observateur, etc.
Au chevet de Valérie Treierweiler
Un statut de première dame qui leur tient tant à cœur qu’aucun média ne jugea que l’hospitalisation de Valérie Trierweiler, consécutive aux révélations de Closer, ne méritait pas, ne serait-ce que par égard pour l’intéressée, d’être claironnée dans l’heure sur toutes les ondes… Plus consciencieux encore que ses confrères, Le Figaro interviewa la biographe de la compagne du Président qui fit cette confidence si importante qu’elle se retrouve en titre à l’article : « Dès qu’elle ira mieux, Valérie Trierweiler rendra coup pour coup à Hollande ». Et c’est sans doute aussi avec la ferme intention d’informer coûte que coûte, qu’une semaine après l’annonce de l’hospitalisation, L’Express ou Le Figaro relèvent que les médecins n’auraient pas autorisé à François Hollande à rendre visite à Valérie Trierweiler à l’hôpital…
Questions pour communicants
Après avoir glosé sur tous les aspects de « l’affaire » sans jamais distiller la moindre information significative, les médias essayèrent péniblement de la raccrocher à l’actualité politique. À moins que ce ne soit l’inverse : une tentative de rapprocher l’actualité politique de la seule question qui les intéressait ! Alors que François Hollande s’apprêtait pourtant à détailler le « pacte de responsabilité » qu’il entend proposer aux entreprises et qui constitue une inflexion politique majeure de son mandat, les journalistes n’étaient préoccupés que par une seule question relevant de la stratégie de communication du Président : le télescopage entre les révélations sur sa privée et la tenue de sa conférence de presse [1] ! Europe 1 et Télérama allaient même encore plus loin dans le souci de précision de l’information en cherchant à savoir qui, parmi les journalistes présents, oserait « poser la question » à François Hollande. On imagine la fièvre des lecteurs découvrant cette information…
En quête de « modèles »
Soyons justes : tout ne fut pas totalement futile. On s’interrogea donc gravement sur les limites entre vie privée et vie publique. L’immixtion des médias dans la vie privée des responsables politiques et particulièrement du président de la République est-elle justifiée et dans quelles limites ? Mais d’abord, pour se convaincre eux-mêmes de la légitimité d’offrir une place aussi démesurée à cette « affaire », et s’en dédouaner, les journalistes français du Monde, de L’Express, des Échos ou du Parisien, entre autres, ont largement rendu compte la façon dont les médias étrangers s’en saisissaient. Comme si les turpitudes de la presse au-delà de nos frontières justifiaient celles des médias français et amenuisaient leur responsabilité… Après le « modèle allemand » en matière de compétitivité, les « modèle anglo-saxon » sur la libido des responsables politiques ?
Le fond et le reste
Tout ne fut pas futile, mais quand les médias s’interrogent sur leur propre rôle ou que l’on s’interroge sur leur rôle dans les médias, la médiatisation elle-même se transforme en spectacle. Médiatique, bien sûr. Avec, parmi les conséquences, une omission et une inflation lamentables
Vie privée/vie publique ? Le tohu-bohu d’arguments contradictoires orchestré autour du respect de la vie privée du Président s’est accompagné d’un silence assourdissant : pas un mot ou presque sur le respect dû à la vie privée de Valérie Treierweiller et de Julie Gayet. Des « dégâts collatéraux » ?
Vie privée /vie publique ? Le tintamarre a atteint son maximum d’intensité dans le prétendu service public : trois « débats » en cinq jours sur France 2, dans les émissions « Des Paroles et des actes » du 16 janvier (avec, notamment, les duettistes Christophe Barbier et Franz-Olivier Giesbert), « Ce soir ou jamais » du 18 janvier, « Mots croisés » ce soir 20 janvier (avec notamment, les « incontournables » Jean Quatremer et Nicolas Domenach). La semaine prochaine, c’est promis : trois débats sur la vie privée des licenciés et, plus généralement, des chômeurs !
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De cette pathétique et unanime focalisation médiatique sur l’idylle supposée entre le Président de la République et une comédienne, nous n’avons retenu que le plus saillant. Nous aurions aussi pu relater la brusque célébrité de l’ex mari de Julie Gayet, interrogé sur toutes les ondes pour connaître l’état d’esprit de son ex épouse. Ou encore, « l’info » servie à peu près partout à propos… des croissants (au beurre ou ordinaires, nous ne saurons jamais) que son garde du corps aurait apporté à François Hollande au petit matin.
Nous aurions également pu évoquer les portraits à répétition de Sébastien Valiela, auteur de l’article dans Closer. Mais aussi, la resucée de voyeurisme provoquée le 17 janvier par la publication de nouveaux articles dans le même magazine. Alors que le soufflé semblait doucement retomber à la suite des déclarations de François Hollande renvoyant au respect de sa vie privée et à des déclarations ultérieures, leur contenu fut repris une nouvelle fois par une grande partie des grands médias, décidément jamais rassasiés.
On pourrait voir dans cet emballement médiatique insensé un épisode ponctuel et somme toute accidentel. Mais intervenant quelques jours à peine après que les médias ont fait de « l’affaire Dieudonné » une affaire d’État, on en vient à se dire qu’il s’agit là d’un mode de (dys)fonctionnement ordinaire, dans lequel les médias se complaisent. Et si la concurrence mimétique qu’ils se livrent pour l’audience explique largement cette couverture hors de toute proportion « d’évènements » qui n’en sont pas et ne devraient pas le devenir, cela ne justifie en rien que l’information et le public en soient les premières victimes.
Lou Marin invité chez Sauramps, Photo Redouane Anfoussi
Lou Marin est un chercheur allemand militant engagé dans le réseau des libertaires non–violents. Résidant à Marseille depuis une quinzaine d’année il a rassemblé l’intégralité des textes écrit par Albert Camus dans les revues libertaires en France et dans le monde. Le fruit de son travail a été publié en 2008 par Egrégores éditions, une petite maison marseillaise mais cet ouvrage est passé quasiment inaperçu. Il vient d’être réédité par les éditions montpelliéraines Indigène dirigé par Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou qui en a signé la préface. Lors de la présentation de l’ouvrage qui vient de se tenir à la librairie Sauramps en présence de l’auteur, J-P Barou s’est insurgé de l’impasse que font les grand médias sur cet ouvrage reçu avec un peu d’agacement par les maîtres à penser du monde intellectuel et médiatique français. Rencontre avec Lou Marin.
Qu’est ce qui vous a poussé à entreprendre ce travail sur Camus auquel vous vous êtes attelé durant vingt ans ?
Cette entreprise est liée à mon parcours personnel de militant au sein du mouvement anarchiste non-violent en Allemagne. En France, ce mouvement est assez méconnu. Il a été occulté par les actions de la Fraction armée rouge, or le mouvement non violent est une vieille tradition. On trouve trace de cette philosophie dès le XVIème siècle dans le Discours de la servitude volontaire de La Boétie. Au XIXème des gens comme Proudhon pensaient que la révolution sociale pouvait être atteinte pacifiquement. J’ai collaboré à des journaux comme le Graswurelrevolution et je me suis engagé dans le combat antinucléaire.
Nous avons mis en oeuvre des stratégies non-violentes nouvelles, celle par exemple, de ne pas s’attaquer au coeur du système nucléaire mais à ses infrastructures en s’en prenant au convoi de déchets nucléaires ou en coupant des pylônes électriques construits par les nazis. Détruire du matériel reste une action non-violente car cela ne produit pas de douleur. Nous avons beaucoup d’influence en Allemagne et aussi des résultats avec la fin du nucléaire programmé à échéance 2021.
La notion de discours est importante. Sur ce point on pourrait nous situer entre Bakounine et Ghandi. Mais nous étions à la recherche de revendications actuelles et modernes. Camus a fondé sa pensée à l’épreuve du quotidien. Il a traversé les catastrophes du XX e siècle, il s’est demandé comment est-ce possible qu’une civilisation soit devenue aussi barbare en partageant ce questionnement avec les anarchistes. L’analyse de sa révolte est utile aux militants qui luttent aujourd’hui pacifiquement partout dans le monde.
Cette question de la violence et de la non-violence reste au coeur de ses préoccupations ?
Il y a une conjugaison entre violence et non-violence chez Camus. Dans une auto-interview (1) il écrit : « La violence est inévitable et je ne prêcherai pas la non-violence », ce qu’il fera finalement dix ans plus tard. En 1942-1943 il observe à Chambon-sur-Lignon l’accord non-violent que passe la population du village pour le sauvetage des juifs. Cela le touche profondément. En même temps il ne souhaite pas que le pacifisme aille trop loin dans les compromissions pour éviter les conséquences qui mènent à la collaboration.
En 1958, il soutient les objecteurs de conscience en Algérie où il constate que la lutte armée échoue là où la non violence réussit.
Camus est aussi très lié à l’Espagne où il défend la cause des libertaires…
Pour lui c’est avant tout une question de moralité en tant que résistant. A la fin de 1944, de Gaule reconnaît le franquisme alors que pour Camus la guerre n’est pas finie sans que l’Espagne soit libérée. Cette position l’oppose également aux alliés, notamment à la Grande-Bretagne et aux Etats-Unis qui ont récupéré les troupes franquistes dans le cadre de la guerre froide. Camus trouve ses amis parmi les 500 000 réfugiés espagnols qui subissent la rétirada. Il s’insurge au côté des anarchistes syndicalistes contre l’ONU lorsque l’Unesco reconnaît l’Espagne de Franco.
L’objet de votre ouvrage réhabilite la pensée libertaire de Camus Pourquoi a-t-elle été sous-estimée ?
A son époque Camus était un ovni parce qu’il était à la fois antimarxiste et anticapitaliste, ce qui était inconcevable dans les années 50. Aujourd’hui, ce phénomène me paraît inexplicable. Alors que les essais sur son œuvre abondent et ont mobilisé plus de 3 000 universitaires, philosophes, hommes et femmes de lettres. Personne n’expose cet aspect de sa pensée. Il y a une sous-estimation du militantisme libertaire qui a bénéficié d’une continuité de pensée jusqu’en 68, avant de s’évanouir dans un grand vide. Le mouvement libertaire est jugé sans importance dans le milieu philosophique.
Il n’y a pas de respect pour ceux qui ont pris L’homme révolté en tant qu’oeuvre philosophique. Je crois que le monde libertaire qui milite dans les mouvement sociaux a un but. Ce n’est pas le cas des chercheurs qui ne font pas le lien entre un principe et sa réalisation sociale. Leur but est avant tout égocentrique. Il s’agit d’avoir du renom.
Ne pensez-vous pas que nous sommes plus mûrs aujourd’hui pour saisir cet aspect de sa pensée ?
Il y a certainement un renouveau d’intérêt pour la pensée libertaire. Camus a écrit une phrase comme : « La propriété c’est le meurtre », ce qui prend une certaine résonance quand les ouvriers se suicident sur leur lieu de travail. Sarkozy voulait le transférer au Panthéon ce qui est fort de café pour un antinationaliste.
Tous les droits que nous avons dans une société n’émanent pas de la société. Ils viennent d’en bas. L’État a pour fonction de les arrêter et de les faire reculer lorsqu’il n’y a pas de résistance pour les conduire vers l’extrême droite. »
Propos recueillis par Jean-Marie Dinh
(1) Défense de l’Homme n°10, juin 1949
Albert Camus écrits libertaires, Indigène éditions, 18 euros.
Réfléchir sur les pannes qui se sont produites dans le processus d’intégration ou analyser la montée de l’extrême droite à l’échelle locale ne consiste pas à réduire ces problématiques qui se déploient à l’échelle nationale et européenne. Ce peut être au contraire une facon d’ouvrir le débat au plus près du quotidien. Les thèmes de l’exclusion et des discriminations émergent toujours difficilement dans le débat public hexagonal. « Localement, la moitié de la population est raciste, certains maires refusent d’aborder la question pour ne pas fâcher les gens », confie M. Mazauric.
A l’aune de ce témoignage, on mesure la nécessité de voir émerger des mouvements organisés et massifs. Avec le soutien de partis en manque de symbole, le monde associatif s’est depuis longtemps engagé dans ce combat mais de Fadela Amara à Harlem Désir, les premiers concernés ont plus pensé à servir leurs ambitions qu’à s’investir dans une action collective. La marche pour l’égalité de 1983 et « Convergence 84 » avaient ébauché une avancée qui fut minée par la récupération politique et les déceptions consécutives.
Par l’effet d’une méfiance compréhensible, les intéressés on finit par s’isoler dans des revendications communautaires. Il est plus que temps de dépasser le lourd contentieux colonial pour s’inscrire dans la réalité de la diversité. L’effet de loupe porté sur la situation du Gard permet de voir que le racisme s’exerce aussi en direction de l’étranger qui vient s’installer dans la région quelles que soit ses origines. « La peur du FN reste un des principaux ressorts du vote utile », souligne l’historien Alexis Corbière, une raison citoyenne de plus d’évaluer et d’agir en connaissance de cause…
JMDH
Société. Le Gard est le seul département à avoir placé le FN (25,51%) en tête au premier tour de la présidentielle en 2012. La société civile s’engage pour un retour à la fraternité soutenu par le CG 30.
Marion Mazauric créatrice des Editions Au diable Vauvert
Premier festival du livre contre la discrimination
La semaine nationale contre le racisme et les discriminations prend du sens ce week-end à Vauvert avec la première édition du Festival in/différences initiée par les éditions Au Diable Vauvert et la librairie La Fontaine aux livres. « Nous inaugurons le premier salon du livre en France contre la discrimination, indique Marion Mazauric fondatrice des éditions du Diable. Nous le reconduirons chaque année à l’occasion de la semaine contre le racisme en mettant à l’honneur une pratique, une culture ou une population ostracisée. Le thème de cette année c’est le racisme, ce pourrait être les homosexuels ou la tauromachie...» Au cœur de la 2e circonscription du Gard représentée à l’Assemblée par Gilbert Collard, cette initiative s’accompagne de la parution d’un petit livre* qui fait le point sur les raisons locales de la montée du FN. L’ouvrage réunit historiens, sociologues, géographes ou spécialistes de l’extrême droite pour se pencher sur le cas du Gard.
L’historien Raymond Huard rappelle que les mouvements d’extrême droite prospèrent toujours sur un terreau particulier. Des débordements xénophobes d’Aigues-Mortes à l’encontre des ouvriers italiens à la fin du XIXe aux différents succès électoraux du FN dans le Gard à partir des Européennes de 1984 en passant par le mouvement poujadiste qui perce dans les années 50 auprès des rapatriés d’Algérie, le FN a trouvé les moyens de s’ancrer dans le département. Il a en outre bénéficié de l’attitude de deux présidents de région successifs. Jacques Blanc s’alliera directement avec le FN tandis que Frêche s’en est accommodé par calcul politicien.
La géographe Catherine Bernié- Boissard fait le lien entre le rapport des habitants à la ville et leur comportement électoral. Rattachant la récente progression du FN à un ensemble de facteurs : crise économique, délitement des services publics, ruptures des liens sociaux, crise culturelle. Ici comme ailleurs, la ruralité a reculé au profit du péri-urbain. « On ne gère plus le collectif, confirme Marion Mazauric qui vit sur place. On construit des villes entières sans place pour se rencontrer. Le défi du développement démographique suppose un effort mutuel. Les gens qui arrivent doivent respecter la culture et les autres doivent pendre conscience qu’ici les sangs se sont mêlés depuis les Wisigoths ». Au-delà du festival, plus de 75 associations sont mobilisées pour remettre l’intelligence au service de l’humain. Ils ont trouvé une réponse institutionnelle avec le Préfet du Gard Hugues Bousiges qui lance la semaine de la fraternité du 21 au 28 mars. Un réveil ?
Pour l’intellectuel Patrick Viveret, il est nécessaire de «mettre en scène et en chaîne» les initiatives populaires :
Intellectuel historique de la deuxième gauche autogestionnaire, inlassable militant et penseur audacieux, Patrick Viveret est membre du Pacte civique et du Collectif Roosevelt.
Le terme de crise est-il encore pertinent ?
C’est un mot écran. Normalement il décrit une situation aiguë, conjoncturelle. Mais là on parle d’une «crise» qui durerait depuis les années 70… Il vaudrait mieux emprunter à Karl Polanyi son concept de «grande transformation» pour qualifier cette nouvelle mutation profonde, à la fois écologique, globale, sociale et informationnelle. Ou parler, avec Edgar Morin, de «métamorphose». En fait, comme l’ont pointé les Indignés, la crise est une arnaque. C’est le récit qu’a inventé une oligarchie mondiale pour préserver ses intérêts alors que le monde est bousculé par cette «grande transformation».
Cela passe notamment par le discours sur la dette. Michel Rocard et Pierre Larrouturou l’ont montré dans un livre récent : le processus de la dette est apparu avec les politiques reaganiennes et thatchériennes. Et cela relève davantage de l’escroquerie en bande organisée que de la crise.
Face à ce déjà vieux discours de la crise, des citoyens de plus en plus nombreux font preuve d’initiatives originales. Mais ces actions donnent l’impression d’être parfois naïves et surtout très locales. Pourquoi ?
A l’échelle mondiale, la créativité citoyenne est extraordinaire. Elle s’exprime simultanément dans deux directions : par la vision transformatrice qu’elle dessine et sur le terrain de la résistance au grand narratif de la crise. Alors, bien sûr, ces initiatives sont souvent modestes et locales. Face à la crise du macrocrédit, on oppose des expérimentations dans le domaine du microcrédit, pour ne prendre qu’un exemple. Non pas pour en rester indéfiniment à cette échelle mais, au contraire, avec l’objectif de préparer des réformes plus générales du macrocrédit.
Pourquoi ces initiatives demeurent-elles relativement invisibles ?
La créativité est considérable mais elle est souvent invisible et peu reliée. C’est l’une des raisons qui nous conduit à lancer, le 12 octobre, des états généraux de la transformation citoyenne. L’idée consiste à mettre en relation des plateformes qui sont elles-mêmes déjà collaboratives – comme le Collectif Roosevelt, le Pacte civique, le Collectif pour une transition citoyenne, etc. Face à l’incapacité des formes politiques traditionnelles à inventer, il devient urgent de mobiliser cette énergie citoyenne, de mettre en scène et en chaîne ces différentes initiatives. Sinon, c’est tout simplement le Front national qui pèsera encore plus fort sur la politique et la société. Il nous faut interpeller les pouvoirs publics en leur demandant tout simplement de remplir leur office ministériel au sens propre, de se comporter en véritable service public qui aide et accompagne cette énergie citoyenne au lieu de la bloquer.
Que pourrait faire un gouvernement pour encourager ces initiatives ?
C’est la discussion que nous – le Pacte civique, le Collectif Roosevelt et d’autres – avons eue, il y a quelques semaines, avec Jean-Marc Ayrault. Curieusement, le diagnostic fut partagé. Le Premier ministre nous a confié combien, à chaque fois qu’il se déplace sur le terrain, ces initiatives lui redonnent du courage, mais combien aussi elles lui semblaient trop peu visibles et reliées. Sa crainte, compte tenu du discrédit du politique, était que toute forme d’aide soit vécue comme une récupération, une instrumentalisation.
Nous lui avons expliqué que, de notre côté, nous étions prêts à prendre nos responsabilités en suscitant une vaste initiative citoyenne mais qu’il fallait impérativement que cela se traduise, à un moment donné, par de nouvelles formes de contrats passés avec les institutions de la République. Nous l’avons prévenu que si le gouvernement n’était pas prêt à entrer dans ce type de démarche, les forces vives de la société risquaient d’entrer rapidement en conflit avec le pouvoir. Et que ce serait un conflit autrement plus dur que le classique clivage droite-gauche. Nous en sommes là. Il semble que l’essentiel des groupes parlementaires de gauche, une bonne partie des gens autour du Premier ministre, une partie non négligeable de personnes qui gravitent autour de la présidence de la République souhaitent aller dans cette direction. Mais nous sommes sous la Ve République, ce système que, dès les années 70, Edmond Maire qualifiait de «monarchie nucléaire».
Décider c’est parier. Décider l’intervention en Syrie, plus de deux ans après le début d’une protestation pacifique dont la répression a provoqué une horrible guerre civile, est un pari risqué. Une telle intervention dès le début pour soutenir des résistants en majorité démocrates aurait été risquée, mais elle aurait couru des risques moindres qu’aujourd’hui.
L’utilisation du gaz sarin sur une population civile est avérée. Reste à prouver que ces gaz ont été employés par l’armée régulière, et non par un éventuel groupe rebelle « al-qaïdiste » ou autre. Haute probabilité ne signifie pas certitude. Le mensonge américain sur les armes de destruction massive de Saddam Hussein crée un doute qui pèse sur les esprits.
Même s’il était enfin prouvé que M. Al-Assad a employé ce gaz contre son propre peuple, même si le gaz est une arme prohibée depuis la première guerre mondiale et n’a pas été utilisé même au cours de la seconde, cette arme immonde ne massacre pas plus les civils que les bombardements massifs à gros calibres et bien entendu la plus petite bombe atomique. Toutefois, c’est un pas de plus dans l’horreur d’une guerre. Que cette tuerie déclenche une réaction morale tardive qui se traduit en intervention militaire, cela se comprend. Mais nous sommes devant une contradiction énorme : intervenir, c’est parier dangereusement, mais ne pas intervenir c’est parier non moins dangereusement, et nous payons déjà les conséquences de ce pari passif, comme l’a été le pari passif de la non-intervention pendant la guerre d’Espagne en 1937. Les ennemis de l’intervention ont montré ses dangers. Les ennemis de la non-intervention ont montré ses dangers. Ajoutons que dans l’un et l’autre cas, il est impossible de prédire la chaîne des interactions et rétroactions qui vont suivre.
Le pari d’intervention est un pari limité à des frappes de « punition ». Il n’est prévu aucune intervention au sol, et il semble difficile de penser que ces frappes puissent atteindre des objectifs capables de renverser la situation en Syrie. La guerre civile est déjà en fait une guerre internationale : l‘Iran, la Russie, le Hezbollah y participent du côté du régime ; des aides limitées parviennent aux rebelles de la part de pays arabes et occidentaux, des volontaires islamistes de multiples pays participent aux combats. Une intervention accroît les débordements du conflit hors Syrie, notamment au Liban, ce qui risque de transformer une guerre internationale limitée en un embrasement plus large : elle serait une aventure dont les effets sont inconnus.
EFFETS NÉGATIFS PROBABLES
Toute action en situation incertaine risque d’aller à l’encontre de l’intention qui l’a provoquée. C’est ce qui est arrivé au « printemps arabe » de Tunisie et d’Egypte. En Libye, la conséquence de l’élimination de Kadhafi a été le développement d’Al-Qaida au Sahel. On ne peut donc éliminer l’idée que l’intervention éventuelle ait des effets positifs très limités et des effets négatifs très grands. On ne peut éliminer qu’elle ajoute de l’huile sur un brasier et provoque son extension. On ne peut éliminer l’idée que la « punition » dégénère en punissant les punisseurs. Elle est de plus mal partie : pas de légitimité de l’ONU, pas de soutien affirmé des pays arabes, défection anglaise. Un vote négatif du Congrès américain conduirait à l’inaction, car la France ne saurait intervenir seule.
Mais l’inaction est elle-même un pari très dangereux, car la logique aboutit soit à une victoire implacable et épouvantable de M. Al-Assad, soit, en cas de défaite du président syrien, à une nouvelle guerre civile entre rebelles laïques et démocrates, sunnites, alaouites, kurdes, djihadistes, et à une décomposition de la Syrie en fragments ennemis, ce qui est le chemin que prend l’Irak, stimulé par les conflits interreligieux et interethniques de Syrie.
On ne peut donc échapper à la contradiction qu’en essayant la seule voie qui arrêterait la spirale des pires périls de l’intervention et de la non-intervention. C’est le compromis. Un tel compromis doit commencer par être un compromis entre les puissances. Un accord pourrait se faire sur le compromis entre la Russie, l’Iran, les nations arabes, les nations occidentales, peut-être sous l’égide de l’ONU, et proposé, voire imposé aux combattants. Il peut sembler inconcevable à beaucoup que Bachar Al-Assad ne soit pas éliminé. Mais la démocratie n’a été rétablie au Chili qu’avec un compromis qui a laissé le bourreau Pinochet deux ans à la tête de l’Etat et six ans à la tête de l’armée. L’irrésistible processus pacifique a abouti à la condamnation de Pinochet. Si une paix avait été conclue en Algérie en 1956 sur un compromis temporaire, la France n’aurait pas couru le risque d’une dictature militaire qu’a pu éviter le « coup de judo » de De Gaulle, l’Algérie n’aurait pas sombré dans la dictature du Front de libération nationale (FLN), on aurait évité tant de massacres ultimes provoqués par l’Organisation armée secrète (OAS) et le FLN.
Le compromis devrait se faire sous garantie internationale, voire avec la présence de forces de l’ONU. Il arrêterait les massacres et le processus de décomposition de la Syrie. Il arrêterait – avec la radicalisation actuelle – l’irrésistible progression d’Al-Qaida. Il inhiberait les puissances déchaînées de mort et de folie. Entre des impératifs éthico-politiques contradictoires, il constitue le plus prudent pour la Syrie, le Moyen-Orient, la planète. Ce n’est pas la solution, mais c’est le vrai moindre mal et c’est la possibilité d’une évolution pacifique. C’est donc le troisième pari qu’il faut tenter, incertain et risqué, mais moins que les deux autres, et, lui, humain et humanitaire pour un peuple martyr.