Décider c’est parier. Décider l’intervention en Syrie, plus de deux ans après le début d’une protestation pacifique dont la répression a provoqué une horrible guerre civile, est un pari risqué. Une telle intervention dès le début pour soutenir des résistants en majorité démocrates aurait été risquée, mais elle aurait couru des risques moindres qu’aujourd’hui.
L’utilisation du gaz sarin sur une population civile est avérée. Reste à prouver que ces gaz ont été employés par l’armée régulière, et non par un éventuel groupe rebelle « al-qaïdiste » ou autre. Haute probabilité ne signifie pas certitude. Le mensonge américain sur les armes de destruction massive de Saddam Hussein crée un doute qui pèse sur les esprits.
Même s’il était enfin prouvé que M. Al-Assad a employé ce gaz contre son propre peuple, même si le gaz est une arme prohibée depuis la première guerre mondiale et n’a pas été utilisé même au cours de la seconde, cette arme immonde ne massacre pas plus les civils que les bombardements massifs à gros calibres et bien entendu la plus petite bombe atomique. Toutefois, c’est un pas de plus dans l’horreur d’une guerre. Que cette tuerie déclenche une réaction morale tardive qui se traduit en intervention militaire, cela se comprend. Mais nous sommes devant une contradiction énorme : intervenir, c’est parier dangereusement, mais ne pas intervenir c’est parier non moins dangereusement, et nous payons déjà les conséquences de ce pari passif, comme l’a été le pari passif de la non-intervention pendant la guerre d’Espagne en 1937. Les ennemis de l’intervention ont montré ses dangers. Les ennemis de la non-intervention ont montré ses dangers. Ajoutons que dans l’un et l’autre cas, il est impossible de prédire la chaîne des interactions et rétroactions qui vont suivre.
Le pari d’intervention est un pari limité à des frappes de « punition ». Il n’est prévu aucune intervention au sol, et il semble difficile de penser que ces frappes puissent atteindre des objectifs capables de renverser la situation en Syrie. La guerre civile est déjà en fait une guerre internationale : l‘Iran, la Russie, le Hezbollah y participent du côté du régime ; des aides limitées parviennent aux rebelles de la part de pays arabes et occidentaux, des volontaires islamistes de multiples pays participent aux combats. Une intervention accroît les débordements du conflit hors Syrie, notamment au Liban, ce qui risque de transformer une guerre internationale limitée en un embrasement plus large : elle serait une aventure dont les effets sont inconnus.
EFFETS NÉGATIFS PROBABLES
Toute action en situation incertaine risque d’aller à l’encontre de l’intention qui l’a provoquée. C’est ce qui est arrivé au « printemps arabe » de Tunisie et d’Egypte. En Libye, la conséquence de l’élimination de Kadhafi a été le développement d’Al-Qaida au Sahel. On ne peut donc éliminer l’idée que l’intervention éventuelle ait des effets positifs très limités et des effets négatifs très grands. On ne peut éliminer qu’elle ajoute de l’huile sur un brasier et provoque son extension. On ne peut éliminer l’idée que la « punition » dégénère en punissant les punisseurs. Elle est de plus mal partie : pas de légitimité de l’ONU, pas de soutien affirmé des pays arabes, défection anglaise. Un vote négatif du Congrès américain conduirait à l’inaction, car la France ne saurait intervenir seule.
Mais l’inaction est elle-même un pari très dangereux, car la logique aboutit soit à une victoire implacable et épouvantable de M. Al-Assad, soit, en cas de défaite du président syrien, à une nouvelle guerre civile entre rebelles laïques et démocrates, sunnites, alaouites, kurdes, djihadistes, et à une décomposition de la Syrie en fragments ennemis, ce qui est le chemin que prend l’Irak, stimulé par les conflits interreligieux et interethniques de Syrie.
On ne peut donc échapper à la contradiction qu’en essayant la seule voie qui arrêterait la spirale des pires périls de l’intervention et de la non-intervention. C’est le compromis. Un tel compromis doit commencer par être un compromis entre les puissances. Un accord pourrait se faire sur le compromis entre la Russie, l’Iran, les nations arabes, les nations occidentales, peut-être sous l’égide de l’ONU, et proposé, voire imposé aux combattants. Il peut sembler inconcevable à beaucoup que Bachar Al-Assad ne soit pas éliminé. Mais la démocratie n’a été rétablie au Chili qu’avec un compromis qui a laissé le bourreau Pinochet deux ans à la tête de l’Etat et six ans à la tête de l’armée. L’irrésistible processus pacifique a abouti à la condamnation de Pinochet. Si une paix avait été conclue en Algérie en 1956 sur un compromis temporaire, la France n’aurait pas couru le risque d’une dictature militaire qu’a pu éviter le « coup de judo » de De Gaulle, l’Algérie n’aurait pas sombré dans la dictature du Front de libération nationale (FLN), on aurait évité tant de massacres ultimes provoqués par l’Organisation armée secrète (OAS) et le FLN.
Le compromis devrait se faire sous garantie internationale, voire avec la présence de forces de l’ONU. Il arrêterait les massacres et le processus de décomposition de la Syrie. Il arrêterait – avec la radicalisation actuelle – l’irrésistible progression d’Al-Qaida. Il inhiberait les puissances déchaînées de mort et de folie. Entre des impératifs éthico-politiques contradictoires, il constitue le plus prudent pour la Syrie, le Moyen-Orient, la planète. Ce n’est pas la solution, mais c’est le vrai moindre mal et c’est la possibilité d’une évolution pacifique. C’est donc le troisième pari qu’il faut tenter, incertain et risqué, mais moins que les deux autres, et, lui, humain et humanitaire pour un peuple martyr.
Le parquet de Paris a requis un non-lieu pour l’ancien ministre Charles Pasqua et l’entreprise Total dans l’enquête sur des malversations présumées au sein du programme onusien en Irak «Pétrole contre nourriture», a-t-on appris lundi de sources proches du dossier.
L’enquête, ouverte en 2002, s’était orientée vers diverses personnalités françaises soupçonnées d’avoir perçu au début des années 2000 des commissions occultes sous forme d’allocations de barils de pétrole du régime irakien de Saddam Hussein, en violation du programme de l’Onu «pétrole contre nourriture». Au total, 20 personnes physiques, dont l’une est décédée depuis, et deux entreprises, Total et Vitol, ont été mises en examen dans ce dossier. Le parquet de Paris avait déjà pris des réquisitions en septembre 2009 mais un nouveau juge chargé de l’enquête, Serge Tournaire, avait finalement mis en examen le 27 février le groupe Total en tant que personne morale pour corruption d’agent étranger, complicité et recel de trafic d’influence. Cette décision a relancé l’enquête et amené le parquet à prendre de nouvelles réquisitions. Le parquet a notamment considéré que l’enquête n’avait pas permis de démontrer que le patron de Total, Christophe de Margerie, s’était rendu complice d’abus de biens sociaux et que M. Pasqua s’était livré à du trafic d’influence. Il a requis «en milieu de semaine dernière» un non-lieu en leur faveur, de même que pour Total en tant que personne morale, selon ces sources.
Il revient désormais au juge Tournaire de décider leur éventuel renvoi devant le tribunal correctionnel. Au coeur de cette investigation se trouve la politique de pots-de-vin et de surfacturation imposée par le régime de Saddam Hussein pour contourner le programme onusien permettant à Bagdad de vendre du pétrole en échange d’aide humanitaire et de produits alimentaires. L’enquête s’est orientée vers des personnalités françaises susceptibles d’en avoir bénéficié, dont M. Pasqua, son conseiller diplomatique, Bernard Guillet, ou encore l’homme d’affaires proches des anciens dirigeants irakiens, Claude Kaspereit.
La coalition internationale a torturé des prisonniers irakiens et fermé les yeux sur des exactions commises par les forces irakiennes, a affirmé vendredi le site WikiLeaks, en publiant près de 400.000 documents secrets de l’armée américaine sur la guerre en Irak. «L’administration Obama a l’obligation (…) d’enquêter» sur ces révélations, a jugé le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, Manfred Nowak.
Après des semaines de suspense, le site spécialisé dans le renseignement a commencé à diffuser vendredi soir 391.831 documents qu’il a présentés comme «la plus grosse fuite de documents militaires secrets de l’Histoire». Les documents mettent en évidence «de nombreux cas de crimes de guerre qui semblent manifestes de la part des forces américaines, comme le meurtre délibéré de personnes qui tentaient de se rendre», accuse le site dans un communiqué.
Ces documents révèlent «la vérité» de la guerre en Irak, a déclaré le fondateur du site Julian Assange, samedi lors d’une conférence de presse à Londres. WikiLeaks évoque aussi le comportement de soldats américains «faisant sauter des bâtiments entiers parce qu’un tireur se trouve sur le toit».
Tortures
Les documents révèlent «plus de 300 cas de torture et de violences commis par les forces de la coalition sur des prisonniers», ajoute WikiLeaks, qui a aussi dénombré plus d’un millier d’exactions de la part des forces irakiennes. «On parle de cinq fois plus de morts en Irak, un vrai bain de sang comparé à l’Afghanistan», a déclaré sur CNN le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, jugeant que «le message de ces dossiers est puissant et peut-être un peu plus facile à comprendre que la complexe situation en Afghanistan».
L’AFP a pu consulter une partie des documents à Londres avant leur diffusion sur internet. Une grande partie des textes sont expurgés des noms pouvant mettre en danger des personnes, a expliqué WikiLeaks. WikiLeaks a également remis à l’avance ses documents à plusieurs médias internationaux comme le New York Times, le Guardian, le Monde, Der Spiegel et la chaîne Al-Jazira, qui a la première révélé leur contenu.
15.000 décès de civils non révélés
Selon la chaîne de télévision du Qatar, l’armée américaine a «couvert» des cas de torture de détenus par les autorités en Irak, où des centaines de civils ont en outre été tués à des barrages tenus par les alliés. Au vu des documents, «les autorités américaines n’ont pas enquêté sur les centaines de cas de violences, tortures, viols et mêmes des meurtres commis par des policiers et des militaires irakiens», écrit le Guardian.
Selon le communiqué de WikiLeaks, les documents secrets couvrent la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2009, après l’invasion américaine de mars 2003 qui a renversé le régime de Saddam Hussein.
Les documents révèlent que le conflit a fait 109.032 morts en Irak, selon le communiqué, qui précise que plus de 60% sont des civils, soit 66.081 personnes. Sur ce total, 15.000 décès de civils n’avaient jusqu’à présent pas été révélés, selon WikiLeaks.
Nouveaux cas impliquant la société Blackwater
Ces chiffres montrent «que les forces américaines disposaient d’un bilan recensant morts et blessés irakiens même si elles le niaient publiquement», a relevé Al-Jazira. Un bilan américain publié officiellement fin juillet faisait état de près de 77.000 Irakiens civils et militaires tués de 2004 à août 2008.
Selon Al-Jazira, les documents font également état de liens entre le Premier ministre irakien sortant Nouri al-Maliki et des «escadrons de la mort» qui semaient la terreur au début du conflit. D’autres documents «révèlent de nouveaux cas impliquant (l’ancienne société de sécurité américaine privée) Blackwater dans des tirs contre des civils», sans qu’aucune charge ne soit retenue contre elle.
«L’administration Obama a l’obligation d’enquêter»
Le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, Manfred Nowak, a appelé le président américain Barack Obama à lancer une enquête sur les cas de torture révélés dans une série de documents de l’armée américaine publiés vendredi par le site WikiLeaks.
«L’administration Obama a l’obligation, quand surgit des accusations sérieuses de torture contre un responsable américain, d’enquêter et d’en tirer les conséquences… Cette personne devrait être traduit en justice», a déclaré M. Novak sur la radio BBC 4.
M. Nowak a cependant reconnu qu’il ne pourrait s’agir que d’une enquête américaine. Des poursuites par la Cour pénale internationale (CPI) ne sont pas possibles car les Etats-Unis ne reconnaissent pas la cour, a-t-il admis.
Au cours de la même conférence de presse, un responsable de WikiLeaks, Kristinn Hrafnsson, a annoncé la diffusion prochaine de nouveaux documents militaires américains, sur la guerre en Afghanistan cette fois.
L’Irak a entamé une procédure judiciaire aux Etats-Unis pour réclamer des réparations à des sociétés étrangères ayant violé le programme « pétrole contre nourriture » mis en place dans les années 1990, a annoncé mardi à l’AFP le ministre irakien du Commerce. « Nous avons demandé à un avocat américain de poursuivre les sociétés qui ont violé la loi concernant le programme pétrole contre nourriture », a affirmé à l’AFP le ministre du Commerce Safaeddine al-Safi.Il n’a pas donné plus de précisions.
Le journal français Libération a révélé mardi que le gouvernement irakien réclamait 10 milliards de dollars de compensations à 93 sociétés convoquées devant le tribunal de New York pour avoir violé, entre 1997 et 2003, le programme. Parmi les sociétés incriminées figurent les entreprises françaises Renault et BNP Paribas, laquelle, en tant que « banquier du programme », est « en première ligne » selon le journal. La banque percevait pour le compte de l’Organisation des Nations unies l’argent issu de la vente du pétrole et payait les fournisseurs des produits de première nécessité destinés à la population irakienne. »Toute allégation selon laquelle BNP Paribas aurait agi d’une manière incorrecte est infondée. La banque compte par conséquent demander à la Cour le rejet de la plainte », a réagi BNP Paribas mardi. La procédure, au civil, n’en est qu’à ses débuts, le juge américain ayant encore à décider s’il y a matière à ouverture une procédure.
Le programme de l’ONU « Pétrole contre nourriture » avait été conçu pour aider les Irakiens à survivre face aux sanctions internationales imposées au régime de Saddam Hussein après l’invasion du Koweït en 1990. D’une valeur totale de 64 milliards de dollars, il avait permis à l’Irak de vendre sous contrôle des Nations unies, de 1996 à 2003, des quantités limitées de pétrole et d’acheter en échange des biens pour sa population. Mais le gouvernement irakien avait perverti le système et plusieurs milliards de dollars ont été détournés. Le scandale avait été révélé en janvier 2004 et son ancien directeur Benon Sevan avait démissionné de l’ONU en août 2005.
Plus de 2.200 entreprises (notamment russes, françaises et chinoises) originaires de plus de 60 pays seraient concernées par les manipulations de ce programme, selon un rapport d’une commission d’enquête indépendante dirigée par l’ancien président de la Réserve fédérale américaine, Paul Volcker. Le programme est entré en vigueur en décembre 1996 et a pris fin en novembre 2003, huit mois après l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis.
Le vice-président irakien, Adel Abdel Mahdi, va rencontrer des responsables du groupe pétrolier français Total pour discuter d’un contrat de plusieurs milliards de dollars, a-t-il déclaré , en visite de travail en France.
Lors d’une rencontre avec des journalistes , le vice-président et d’autres responsables irakiens ont déclaré souhaiter attirer des investissements français dans le secteur pétrolier de leur pays, dévasté par la guerre.
« Total a fait montre de sa volonté de travailler en Irak, en particulier dans le développement en amont des champs de gaz et de pétrole », a dit un conseiller gouvernemental et ancien ministre du pétrole, Thamer al-Ghabhdan.
Ce responsable a confirmé que Total, en partenariat avec la major américaine Chevron, avait été sollicité pour être candidat au développement de l’un des gisements les plus prometteurs du sud de l’Irak.
« Total, en partenariat avec Chevron, a été sollicité pour concourir directement pour le gisement de Nahr Bin Umar », a-t-il dit.
Le consortium franco-américain sera en concurrence avec les autres candidats, comme le norvégien StatoilHydro, a-t-il précisé.
Nahr Bin Umar est l’un des deux champs pétroliers dont Total négociait déjà l’attribution avec l’ancien régime irakien de Saddam Hussein, a-t-il dit.
« Total est donc dans une position réellement avantageuse », selon lui.
Abdel Mahdi, un ancien opposant à Saddam Hussein qui a passé 25 ans en exil en France, a ajouté: « Je leur ai parlé à de nombreuses reprises, et ils sont réellement intéressés » par le gisement.
Selon les responsables irakiens, le montant des investissements nécessaires pour ce champ n’a pas été fixé, mais un chiffre de 15 millions de dollars a été discuté.
L’ambassadeur irakien à Paris, Mowaffak Abboud, a estimé que les deux champs pétroliers visés par Total avaient un potentiel de production cumulée de plus d’un million de barils de brut par jour pendant 14 ans.