Israël à l’heure de l’Inquisition

Bâillonner la gauche

 Jean-Michel Basquiat. – Sans titre, 1984 ADAGP - Christie’s Images - Bridgeman


Jean-Michel Basquiat. – Sans titre, 1984
ADAGP – Christie’s Images – Bridgeman

Le gouvernement israélien utiliserait-il la transition numérique pour faire taire l’audiovisuel public ? Prétextant une mauvaise gestion, il a interrompu brutalement les programmes de plusieurs chaînes de télévision et de radio. Certains journalistes, mais aussi l’opposition de gauche, les mouvements de boycott et de militaires démobilisés font régulièrement l’objet d’accusations de trahison de la part de la droite au pouvoir. En mars 2016, Charles Enderlin témoignait du climat de chasse aux sorcières que connait actuellement Israël et questionnait l’avenir de la démocratie dans le pays. 14/05/2017

Un projet de loi approuvé par M. Benyamin Netanyahou entend imposer de nouvelles exigences de transparence aux associations israéliennes. Ce texte qui vise à pénaliser les organisations opposées à la politique du gouvernement s’inscrit dans le climat délétère d’une chasse aux sorcières orchestrée par les partis favorables à la colonisation.

as une semaine ne passe sans que la droite et l’extrême droite israéliennes prétendent débusquer de nouveaux traîtres. Organisations non gouvernementales (ONG) de gauche qualifiées de « taupes financées par l’étranger » collaborant avec l’« ennemi palestinien » ; écrivains, artistes, personnalités politiques : sur le Web, tous ont droit au shaming, c’est-à-dire aux intimidations et aux humiliations, souvent accompagnées d’insultes racistes et de menaces. En raison de leur opposition à l’occupation des territoires palestiniens, ou seulement parce qu’ils défendent la démocratie.

Même le président du pays, M. Reuven Rivlin, a été victime d’une telle campagne en décembre 2015. Il a eu le malheur de prendre la parole à la conférence organisée à New York par le quotidien de gauche Haaretz alors que des représentants de Breaking the Silence se trouvaient dans la salle. Cette association de militaires démobilisés qui témoignent sur leur service dans les territoires occupés est en effet accusée de porter atteinte à l’image d’Israël et de son armée. Elle a également été mise en cause pour avoir fourni des éléments de preuve à la commission d’enquête de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur la guerre à Gaza durant l’été 2014. Le gouvernement israélien avait refusé de collaborer avec cette instance, dont le rapport a fait état de violations susceptibles d’être qualifiées de « crimes de guerre », perpétrées à la fois par Israël et par les groupes armés palestiniens (1).

Le 8 février dernier, par 50 voix pour et 43 contre (sur 120 députés), le Parlement israélien a adopté en première lecture un projet de loi sur la « transparence » des ONG. Porté par la ministre de la justice Ayelet Shaked, affiliée au Foyer juif, partisan de la colonisation, ce texte oblige toute association recevant des subventions d’un gouvernement étranger à mentionner l’identité de ses donateurs dans ses rapports publics et lors de ses contacts avec des organismes et des officiels israéliens. Faute de quoi elle devra s’acquitter d’une amende de 29 200 shekels (6 800 euros). S’il concerne nombre d’associations de gauche et de défense des droits humains qui bénéficient des financements de gouvernements européens ou nord-américains, ce projet de loi ne s’applique pas à celles qui reçoivent des financements étrangers privés, telles les organisations de droite qui contribuent au développement de la colonisation. Critiqué par l’Union européenne et par les Etats-Unis, ce vote est intervenu dans un contexte marqué par un climat de défiance à l’égard d’une partie de la société civile, et surtout par l’affirmation du projet politique du premier ministre Benyamin Netanyahou.

Soutenus par plusieurs ministres, les mouvements de droite et d’extrême droite multiplient les campagnes pour délégitimer les ONG de défense des droits humains. Le plus actif est Im Tirtzu. Cette association estudiantine dont le nom signifie « Si vous le voulez », en référence à une phrase célèbre de Theodor Herzl (1860-1904), a vu le jour un matin de 2006 lorsque son fondateur, M. Ronen Shoval, a rencontré M. Moti Karpel, l’un des dirigeants du mouvement des colons, auteur de La Révolution par la foi (en hébreu). Cet ouvrage, publié en 2003 et sous-titré L’effondrement du sionisme et l’arrivée du changement par la foi, prône la reconstruction du temple de Jérusalem et prétend imposer la souveraineté israélienne sur l’ensemble de la « terre d’Israël », étant entendu que les Arabes n’y auraient plus que le statut de ger toshav : des résidents étrangers privés de droits politiques. M. Shoval s’est alors donné pour mission de « renouveler la pensée et l’idéologie sionistes, et de lutter contre les campagnes délégitimant l’Etat d’Israël en apportant des réponses aux phénomènes post- et antisionistes (2) ». Les responsables d’Im Tirtzu n’aiment pas que l’on qualifie leur mouvement de « fasciste », mais ils n’ont pas réussi à faire condamner pour diffamation plusieurs organisations qui lui avaient attribué cette épithète (3).

« Ils vivent parmi nous et ce sont des taupes »

Aidé par des membres de la droite parlementaire, Im Tirtzu a remporté quelques succès, notamment contre Breaking the Silence. Accusés — à tort — de soutenir la campagne internationale Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) (4) et de faire le jeu des ennemis d’Israël, les vétérans de l’association se sont vu interdire l’accès à l’armée et aux lycées. Dès lors, Im Tirtzu a vu grand. Avec l’aide de M. Moshe Klughaft, le proche conseiller de M. Naftali Bennett, ministre de l’éducation et président du Foyer juif, l’association a produit une vidéo (5) où l’on voit un homme brandir un couteau vers la caméra avec, en fond sonore, le commentaire suivant : « Avant même de vous poignarder, le terroriste sait que Yishaï Menuhin, du Public Committee Against Torture in Israel, une taupe implantée par les Pays-Bas, va le protéger du Shin Beth [le service de sécurité intérieure]. Le terroriste sait aussi qu’Avner Gvaryahu, de Breaking the Silence, une taupe allemande, traitera de “criminel de guerre” le soldat qui tentera d’empêcher l’attentat. Le terroriste sait aussi que Sigi Ben-Ari, de Hamoked, une taupe du gouvernement norvégien, le défendra devant la justice. Avant même de vous poignarder, le terroriste sait que Hagaï Elad, de B’Tselem, taupe de l’Union européenne, accusera Israël de crimes de guerre. Yishaï, Avner, Sigi et Hagaï sont israéliens. Ils vivent parmi nous et ce sont des taupes. Ils nous combattent lorsque nous luttons contre le terrorisme. » Dans cette logique, l’Europe, qui soutient la solution à deux Etats, serait donc hostile à Israël et complice du terrorisme.

Im Tirtzu bénéficie d’un comité de parrainage prestigieux. On y trouve une brochette de professeurs d’université, parmi lesquels Robert Aumann, lauréat en 2005 du prix de la banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, ou le Français Georges-Elia Sarfati, professeur à la Sorbonne, ainsi que des avocats, comme Me Daphne Netanyahou, la belle-sœur du premier ministre. Forte de ces soutiens, l’organisation a franchi un autre palier en dénonçant comme « taupes » gauchistes certains des principaux écrivains et artistes du pays : Amos Oz, Abraham B. Yehoshua, David Grossman, ainsi que des comédiens de premier plan. Alors que, jusque-là, le gouvernement et la droite avaient gardé un silence complice face à ce maccarthysme, des voix ont tout de même fini par se faire entendre. « Désigner ainsi de prétendus traîtres est une vieille technique fasciste, à la fois laide et dangereuse », a asséné M. Benny Begin, personnalité historique du Likoud, le parti de M. Netanyahou, et fils de l’ancien premier ministre Menahem Begin. M. Bennett a lui aussi réagi en qualifiant l’initiative d’Im Tirtzu d’« embarrassante et inutile ». Après cela, M. Netanyahou ne pouvait pas être en reste : « Je m’oppose à l’utilisation du mot “traître” pour qualifier ceux qui sont en désaccord avec moi. Nous sommes une démocratie et il existe une multitude d’opinions. » Mais il a dans le même temps dénoncé Breaking the Silence, qui « salit le nom d’Israël dans le monde (6) ».

Pour sa part, la ministre de la culture, Mme Miri Regev, a publié cette mise au point : « Si le public a le droit d’être informé, il faut éviter les commentaires pouvant inciter à la violence. » Membre du Likoud, cette personnalité très active a pourtant les artistes de gauche dans le collimateur. En témoigne son projet de loi sur le « loyalisme culturel » : ce texte entend interdire le versement de subventions à tout artiste qui porterait atteinte aux symboles de l’Etat, soutiendrait le terrorisme ou s’opposerait à l’existence d’Israël comme Etat juif et démocratique (7). La population ne rejette pas cette démarche. Déjà, en juin 2015, l’attitude offensive de la ministre à l’égard du monde artistique lui valait le soutien de 59 % des Juifs israéliens, selon un sondage de l’Israel Democracy Institute (8). Quant aux ONG de défense des droits humains, elles sont plutôt impopulaires : en octobre 2013, 52 % des personnes interrogées considéraient qu’elles portaient atteinte à l’Etat.

L’« Intifada des couteaux », autrement dit la vague d’attaques palestiniennes contre des ressortissants israéliens militaires et civils, contribue au durcissement de la société et à son virage à droite. Le « Rapport sur la haine » de la Fondation Berl Katznelson relève en moyenne plus de 500 000 commentaires et échanges haineux ou racistes chaque mois (9). En janvier 2016, l’éditorialiste Nahum Barnea décrivait l’Israël d’aujourd’hui en faisant référence à la violence politique en Allemagne de 1918 à 1933, à la veille de la prise de pouvoir par les nazis : « Cela ressemble à la république de Weimar. Cela sent comme Weimar. C’est cancéreux comme Weimar. Nous ne sommes pas la république de Weimar, mais ce qui se passe actuellement rappelle par bien des aspects ce qui est arrivé là-bas. Peut-être que c’est une bonne chose. Peut-être que cette vague d’incitations à la haine fera comprendre aux Israéliens combien la pente est glissante. La belle vie que nous avons — comparé à ce qui se passe chez nos voisins — nous aveugle. J’ai rencontré il y a quelque temps l’un des écrivains qui figurent sur une liste [de “traîtres”]. Il m’a dit : “Netanyahou dirige notre avion droit sur la montagne.” J’ai répondu : “C’est une mauvaise nouvelle. La bonne, c’est que nous voyageons en classe affaires” (10). »

A la tête du gouvernement depuis sept ans, M. Netanyahou est, lui, persuadé qu’il mène le pays dans la bonne direction et maintient vaille que vaille le cap à droite, tant sur le plan économique et social que face aux Palestiniens et à ses adversaires politiques. Selon lui, c’est la gauche israélienne qui s’est toujours trompée. Dans un ouvrage publié en 1995, après la signature des accords d’Oslo, il expliquait déjà que cette gauche avait « une prédisposition à absorber les arguments de la propagande arabe fondée sur le principe des “droits inaliénables du peuple palestinien”, débouchant sur la création d’un Etat palestinien aux côtés d’un Israël diminué. Ce syndrome provient de la maladie chronique qui affecte le peuple juif depuis le début du XXe siècle : le marxisme qui imprègne les mouvements juifs de gauche, d’extrême gauche et communistes en Europe de l’Est ». Cela expliquerait pourquoi « des personnes intelligentes, morales, cultivées, affirment qu’Israël doit quitter les “territoires”. (…) Nous assistons à une montée de l’antisémitisme, à une énorme vague de haine d’Israël en raison de l’islamisme qui se renforce, tandis que l’assimilation des Juifs en diaspora se développe rapidement. Mais cela n’intéresse pas spécialement la direction politique de la gauche, qui travaille à réaliser l’objectif de “libérer les Palestiniens du fardeau de l’occupation israélienne” en abandonnant le cœur de la patrie du peuple juif » (11).

Une loi pour interdire le boycott des colonies

Le premier ministre s’est donc donné pour mission d’assurer la survie du peuple juif sur sa terre. Selon l’analyste Eldad Yaniv, doyen du centre universitaire Shimon-Pérès, « il y a une cohérence absolue entre son idéologie et sa stratégie politique. Il est persuadé que l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de gauche, ou même d’autres dirigeants de droite, serait une catastrophe pour Israël, dont il se considère personnellement comme le gardien (12) ».

Ce n’est qu’après sa quatrième victoire électorale en vingt ans que M. Netanyahou a pu, le 14 mai 2015, former une coalition à son goût. Libéré de la nécessité d’y intégrer des éléments centristes ou travaillistes, il peut désormais diriger le pays comme il l’entend. Chef du gouvernement, il conserve les portefeuilles de l’économie, de la communication et des affaires étrangères, où il a nommé Mme Tzipi Hotovely ministre déléguée. Députée du Likoud, proche du sionisme religieux, cette dernière est farouchement opposée à la création d’un Etat palestinien. C’est donc en toute connaissance de cause que M. Netanyahou l’a envoyée diffuser le message de son gouvernement à la « communauté internationale » : la Cisjordanie n’est pas occupée, mais fait partie intégrante de la « terre d’Israël ». Le jour de son entrée en fonctions, elle a exposé son credo devant un aréopage de diplomates et de hauts fonctionnaires de son ministère : « Il est important de répéter que cette terre nous appartient. Elle est entièrement à nous. (…) Le monde comprend les besoins sécuritaires d’Israël, mais les arguments d’éthique et de justice les supplantent toujours. » Et de citer Rachi, un talmudiste du XIe siècle : « C’est par sa volonté que [Dieu] donna Canaan aux sept peuples, et c’est par sa volonté qu’il la leur reprit et nous la donna… »

Déjà, en juillet 2011, M. Netanyahou avait fait adopter par la Knesset une proposition de loi contre le boycott des colonies. Lancée par le député du Likoud Zeev Elkin, cette initiative intervenait après le refus de dizaines d’artistes de se produire dans les implantations. Le texte, voté par 47 voix pour et 38 contre, permet d’engager des poursuites judiciaires « contre toute personne ou institution refusant de conclure des accords économiques, sociaux ou universitaires avec une personne ou un organisme en raison de ses liens avec l’Etat d’Israël, ses institutions ou les régions sous son contrôle [les territoires occupés] ». Des ONG de gauche qui avaient fait appel auprès de la Haute Cour de justice ont été déboutées le 16 avril 2015. Les juges se sont contentés de supprimer l’article autorisant les tribunaux à infliger des pénalités illimitées à ceux qui appellent au boycott, même si aucun dommage commercial ou économique n’est prouvé.

Ce jugement a surpris Me Talia Sasson. Pendant vingt-cinq ans, elle a été l’une des responsables des services du procureur de l’Etat ; elle préside aujourd’hui le New Israel Fund, qui finance plusieurs dizaines d’ONG israéliennes. « J’ai eu honte, dit-elle, que la Haute Cour entérine cette loi. Son seul objectif est de museler la gauche. Il aurait fallu distinguer l’interdiction du boycott de l’Etat d’Israël — là, j’aurais pu être pour ! — et l’interdiction du boycott des colonies. C’est inacceptable. De fait, dans ses jugements, la Cour suprême avait établi que la Cisjordanie ne fait pas partie de l’Etat d’Israël, qui n’y a pas imposé sa souveraineté. »

La détermination de M. Netanyahou s’est confirmée lors de l’examen du projet de loi sur la « transparence » des ONG par le conseil des ministres. Le chef du gouvernement a ainsi donné son imprimatur au texte en l’amendant à la marge — il a supprimé une disposition qui prévoyait que les membres des ONG touchant des financements d’un gouvernement étranger portent un badge spécifique lors de leurs visites à la Knesset. Députée au Parlement, dirigeante du parti Hatnuah (centriste, allié au Parti travailliste), Mme Tzipi Livni a occupé plusieurs postes ministériels au cours de la dernière décennie. Elle revient sur la portée de ce texte controversé : « Lorsque j’étais au gouvernement en tant que ministre de la justice [à trois reprises, la dernière fois de mars 2013 à décembre 2014], j’avais la possibilité de mettre mon veto à de tels projets de loi, ou de rejeter la plupart d’entre eux. Sauf qu’en dernier ressort les choses ne dépendent pas du ministre de la justice, mais du chef du gouvernement. S’il le veut, il peut rejeter un projet de loi. S’il veut préserver sa coalition, il laisse les éléments extrémistes de son gouvernement donner le ton, ce qui, à mon grand regret, est le cas. Je suis contre ces projets de loi. Nous sommes dans l’opposition et nous tentons de leur faire barrage, mais nos pouvoirs sont limités. » Pour sa part, Me Sasson qualifie ce texte de « stupidité destinée à réduire au silence le camp de la gauche. La politique de la droite, aujourd’hui, n’est pas d’aller au débat, à la controverse entre la gauche et la droite, mais de faire taire la gauche ».

Une gauche qui est en perte de vitesse, comme le constate la professeure Tamar Hermann : « Au début des années 1990, on pouvait encore parler de deux camps qui s’affrontaient. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Je ne parle plus de “gauche”, mais des 20 % de la population juive adulte qui forment le groupe laïque, urbain, cultivé, universaliste, de sensibilité libérale. (…) Quant aux plus jeunes qui en sont issus, ils n’ont pas reçu les réponses qu’ils attendaient de leurs parents et se sont alors tournés vers une forme d’identité juive basique. » L’universitaire rappelle aussi que, en 2009 déjà, l’analyse sociologique montrait que plus de 51 % des Israéliens juifs croyaient en la venue du Messie. Parmi eux, des religieux, mais aussi des traditionalistes et des séculiers. Une plus forte majorité (67 %) estime que le peuple juif est le peuple élu (13). Cinq ans plus tard, le camp nationaliste religieux s’était encore renforcé, puisque 22 % de la population juive s’identifiait à ses valeurs (14).

Mme Livni s’inquiète des tendances qui se développent au sein de la société : « Le public juif a l’impression que nous sommes entourés d’ennemis. C’est d’ailleurs la réalité, dans le voisinage difficile où nous vivons. Il y a du terrorisme contre Israël ; l’extrémisme islamique se renforce. Malheureusement, une partie de la société se replie sur elle-même. Elle se défie d’une menace extérieure, mais aussi intérieure, à travers les minorités et les groupes opposés à la politique du gouvernement. Netanyahou les a montrés du doigt pendant la campagne électorale. On voit une union entre les Arabes citoyens d’Israël, les organisations de gauche et des gouvernements étrangers. Des secteurs de la société israélienne sont ainsi identifiés à l’ennemi. (…) Pour moi, sans aucun doute, Israël est la seule véritable démocratie du Proche-Orient et doit faire partie intégrante de ce que l’on appelle le “monde libre”. »

M. Netanyahou, quant à lui, entend faire adopter un projet de loi constitutionnelle qui redéfinit Israël comme l’Etat-nation du peuple juif et prévoit que le législateur s’inspire des principes du judaïsme. Le régime y serait défini comme démocratique, mais seuls les Juifs y auraient des droits collectifs ; les musulmans et les chrétiens, soit 20 % de la population, ne jouiraient que de droits personnels prévus par les lois. Pour Me Sasson, cela signifie qu’actuellement « l’antagonisme essentiel dans le pays n’est pas “gauche ou droite”, mais “pour ou contre la démocratie” ». Alors que l’échec du processus de paix avec les Palestiniens semble mener inexorablement à une forme d’Etat binational, la campagne orchestrée contre la gauche par le gouvernement et par la droite pose donc la question de l’avenir de la démocratie en Israël. Une question qui concerne aussi les communautés juives à l’étranger, où la plupart des intellectuels gardent un silence assourdissant sur cette évolution.

Charles Enderlin

Journaliste. Auteur notamment d’Au nom du temple. Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif (1967-2013), Seuil, Paris, 2013.
Source Le Monde Diplomatique Mars 2017

Comédie du livre. Rencontres, 6 pieds sous Terre, Manuela Carmena , maire de Madrid, Les éditeurs réagissent à la nomination de Francoise Nyssen

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Rencontre BD
Toujours 6 pieds sous Terre

 Auréolée par le succès de l’autofiction burlesque aux accents satiriques,  Zaï Zaï Zaï Zaï  de Fabcaro dont le grand public a découvert l’humour incisif à travers l’expo que lui consacrait cette année La Comédie du livre, la rencontre proposée avec 6 Pieds Sous Terre était hier une bonne occasion de vérifier  si l’équipe auteurs/éditeurs n’avait pas lâché la rampe et avec elle, l’esprit alternatif qui l’anime depuis des lustres.

On souffle, on respire, car il n’en n’est rien. Précisons d’emblé qu’il n’est pas ici question de discuter de l’utilité de cette rampe, mesure élémentaire de sécurité après les brainstorming arrosées, (base formalisée de résolution créative de problème généralement orchestrée par un dessinateur) mais bien de connaître les nouvelles ambitions de la maison montpelliéraine abritant un des grands espoir de tout l’univers..?

La réponse est claire et elle fut spontanée : « Maintenant c’est Fab qui paye l’apéro.» Devant cette lourde tâche, tâche, tâche, tâche, le nouveau responsable confie qu’il préférait son ancien statut, parce que désormais il a le sentiment d’être attendu. Ce qui peut provoquer des crises d’angoisse. On le croit sur parole.

Pour échapper aux travaux forcés, il a décidé de se remettre au travail. Outre la couverture inédite de notre n° spécial Comédie du livre qu’il a griffonné en trois jours et pour laquelle nous lui sommes infiniment redevables, il prépare la sortie de plusieurs albums dont «Titre interdit» qui nous plongera dès novembre dans les affres de la célébrité après le succès de son dernier livre. Un vrai cauchemar.

Quand au boss Miquel, il pense  que cette notoriété est une bonne occasion pour éditer moins de livre et accompagner ses auteurs. Bref, pour faire plus la fête !

JMDH

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Manuela Carmena , maire de Madrid , une femme politique occasionnelle et exceptionnelle    Crédit Photo jmdi

Un digne hommage à Stéphane  Hessel

Rencontre
En tant que vecteur de pensée la littérature livre chaque année  matière à réflexion sur la manière d’appréhender le monde et la politique. La rencontre en hommage à Stéphane Hessel, qui aurait eu 100 ans, fut en ce sens un moment fort de l’édition 2017. Cette rencontre animé par l’auteur et éditeur Jean-Pierre Barou, réunissait Isabel Alba, Sylvie Crossmann, et la maire de Madrid Manuela Carmena.
Un lien de conscience commun et complice s’est tissé  naturellement entre les invités. Isabel Alba dont le roman La véritable histoire de Matías Bran, évoque une chronique minutieusement documentée sur le mouvement révolutionnaire mondial autours de la Révolution hongroise de 1919. Sylvie Crossmann qui a su rappeler la personnalité  hors norme du résistant humaniste  Stéphane Hessel en passant d’Aristote à Apollinaire, et le témoignage vivant qu’il est possible de  faire de la politique autrement incarné par Manuela Carmena.
A mi-mandat, la maire de Madrid, qui vient de publier Parce que les choses peuvent être différentes chez Indigène Editions, a captivé le public venu l’écouter. Après avoir remercié les spectateurs « merci de réfléchir, merci d’aimer penser…» elle est revenue sur sa décision de partir en campagne pour la mairie de Madrid alors qu’elle ne le souhaitait pas. « J’étais en retraite… J’ai finalement accepté parce que je me suis dit que  j’avais lutté toute ma vie pour la démocratie. Je me suis dit qu’il y avait un moyen de changer la façon de faire de la politique,» explique-t-elle.
Ce à quoi elle s’emploie : « nous devons apprendre à penser notre autonomie». étayant ses dires d’exemples puisés dans la vie quotidienne celle, du couple, de la vie des femmes…  » Nous devons faire  tout notre possible pour augmenter la sensibilité sociale parce que cela conduit à la solidarité sociale

JMDH

 

Editions

Françoise Nyssen sur la sellette

Sans inconfort…. Il eut été bien improbable en effet que se trouvant au milieu d’un parterre d’éditeurs lors de la comédie du livre la nouvellement ministre de la culture s’y trouve désapprouvée. Françoise Nyssen, madame la Ministre, a fait  de longue date et jusqu’à tout récemment fait  partie du bâtiment. Elle en sait un bout, sortant du sérail, sur les tenants et aboutissants concrets et abstraits de tout ce qui tient un livre. Pour ne pas qu’il vous tombe des mains mais aussi pour qu’il fasse longue et riche  route d’avenues en chemins de traverse. Il est toutefois bon d’aller entendre la parole de ceux qui, comme elle, savent lire entre les lignes, savent que les pages ne tiennent parfois qu’à un fil, à un arbre qui cache la forêt.

20170519_25_1_1_0_0_obj14772308_1_xwh_813x1170_xwhA la question essentiellement  cuisante  : la culture et l’économie peuvent elles faire bon ménage sinon pragmatique alliance, la réponse tombe plus ou moins  radicale : « on ne peut être un bon éditeur culturel sans être inscrit dans le monde économique. »  C’est dit de «la baraque noire» par le biais de «je t’écris au Gévaudan ma Lozère. Les éditions 2eme époque sis à Montpellier et l’Entre temps sont plus dithyrambiques encore : « Pour nous elle est une confrère exemplaire. C’est un choix plutôt heureux et rassurant car elle a les compétences requises dans le domaine. Elle a aussi acté la décentralisation dans un secteur très parisien ». Les éditions au diable Vauvert aussi  fémininement conduites  en font partie.

Les éditions Sansouire soulignent que la culture est un ministère énorme. Il y a le livre mais aussi le cinéma,  grosse industrie, la musique  Aude Courtiel auteure de La femme à la mer  et La folle amarante souligne comme son éditeur qu’il y a toujours des questions et des attentes dans une nomination de cet ordre, qu’il vaut mieux ne pas simplifier.Pour Indigène éditions :  » Françoise Nyssen est taillée pour l’emploi. Elle a un grand sens  du pouvoir. C’est une femme qui met en acte ce vers quoi la destinée l’orientait. Elle était sur les bons rails. Il faudrait qu’elle défende les intérêts de la profession. dans sa nouvelle fonction espérons qu’elle ne donnera pas la voix qu’à des best sellers. Il faut soigner la culture. On va la juger à ces soins là. Elles a rendu visible les nobelisés. Il faut rendre lisibles ceux qui n’ont pas encore eu droit au Chapitre ! »

Robert Lobert à la tête d’une petite maison (les éditions la Margeride)  se réjouit car « elle est ouverte aux art s». André Gardies, auteur  justifie la cohérence du choix, «  l’ouverture sur le monde tout en remettant le livre au coeur de la culture car il est  noyau décisif.

Reste que malgré la bonne augure, le secteur porte dans son coeur les problèmes ainsi que les vit la société. Le livre produit culturel d’une optique toujours plus marchande (cf amazone) est lié à l’univers de l’industrie ce qui plonge l’affaire dans des contraintes poussant hélas jusqu’à la quête de survie

MJ.L

Source : La Marseillaise 22/05/2017

Voir aussi : Rubrique Livre, Essais, rubrique Histoire, rubrique Espagne, Littérature espagnole, rubrique Politique, rubrique International, Méditerranée, Montpellier, rubrique Société, CitoyennetéComédie du livre 2017, On Line Comédie du livre site officiel

La justice enquête sur la vente de sous-marins français au Brésil

La justice française s'intéresse à la vente en 2008 de cinq sous-marins par la France au Brésil (Reuters)

La justice française s’intéresse à la vente en 2008 de cinq sous-marins par la France au Brésil (Reuters)

Le parquet national financier s’intéresse au contrat de 6,7 milliards signé avec le Brésil en 2009 pour la livraison de cinq navires. DCNS assure au JDD avoir « respecté les règles de droit ».

e parquet national financier a très discrètement ouvert une enquête préliminaire sur la vente de sous-marins français au Brésil. Signé en 2009 par DCNS, le géant français des constructions navales, le contrat, d’un montant total de 6,7 milliards d’euros, pourrait avoir donné lieu au versement de commissions occultes à des politiciens locaux via le partenaire brésilien, le groupe de BTP Odebrecht, déjà largement impliqué dans un gigantesque scandale, l’opération « Lava Jato » (« lavage express »). « Des cadres d’Odebrecht mis en cause auraient cité la société française, il s’agit de procéder à des vérifications », confie une source informée.

La chef du PNF, Éliane Houlette, accompagnée de trois magistrats de son parquet ainsi que de Thomas de Ricolfis, directeur de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (Oclciff), se sont rendus au Brésil la semaine dernière. Officiellement dans le but de « renforcer la coopération judiciaire » entre les deux pays, ils ont rencontré le président de la Cour suprême et le procureur général du Brésil. Mais selon nos informations, en marge de ces discussions protocolaires, les enquêteurs français ont également tenu de discrètes réunions de travail avec les investigateurs brésiliens en charge de l’affaire Odebrecht.

200 élus auraient touché des pots-de-vin

L’enquête initiale a commencé il y a un peu plus de deux ans par le volet Petrobras, du nom de cette entreprise pétrolière liée à Odebrecht où sont apparus les premiers pots-de-vin. Depuis, plus de 70 cadres de cette gigantesque entreprise du BTP ont été impliqués, dont le PDG, Marcelo Odebrecht, déjà condamné à dix-neuf ans de prison. Avec son père Emílio, lui aussi épinglé, ils « coopèrent avec la justice » en échange de remises de peine. « La corruption est institutionnalisée depuis trente ans », a expliqué Emílio Odebrecht sous serment. Depuis leurs accusations, plus de 200 élus brésiliens sont désormais soupçonnés d’avoir touché des pots-de-vin. C’est apparemment suite à ces aveux internes que la vente des sous-marins français a fait son apparition dans le tentaculaire dossier de corruption. « Par définition, il faut être prudent avec des déclarations de repentis », pondère une source proche du dossier.

La vente remonte à 2008. Depuis plusieurs années, le Brésil, avec ses 8.500 km de côtes, cherchait à se doter d’un sous-marin nucléaire. « Lors de la guerre des Malouines en 1982, un seul sous-marin nucléaire britannique a bloqué toute la flotte argentine… Depuis, en Amérique latine, tout le monde en veut un », confie un expert naval français. Le Brésil aurait d’abord cherché à s’équiper auprès des Américains, mais ces derniers n’exportent pas leur technologie nucléaire. Pas plus que les Russes et les Anglais, liés à des équipements sous embargo US. Restaient les Chinois et les Français…

En 2007, après l’échec de la vente des avions Rafale, la vente de submersibles français se serait conclue dans le bureau du président Lula avec Nicolas Sarkozy. Le contrat global signé en 2009, baptisé Prosub, prévoit la livraison de quatre sous-marins conventionnels de type Scorpène (pour remplacer les quatre sous-marins brésiliens livrés par les Allemands à la fin des années 1990) et d’un sous-marin à propulsion nucléaire. Sur demande des autorités locales, DCNS a monté un partenariat sur place avec Odebrecht. Le géant brésilien du BTP a eu pour mission de construire toute l’infrastructure du site d’Itaguaí, un énorme complexe de près de 5 km2, à 70 km au sud de Rio, prévu pour accueillir le chantier des sous-marins puis, à terme, leur servir de base navale. Mais le  premier submersible conventionnel, qui devait être lancé cette année, ne le sera pas avant 2018. Quant au chantier du sous-marin nucléaire, prévu pour être opérationnel en 2021, il accuse cinq ans de retard.

Un trésor de guerre évalué à 3 milliards d’euros

L’opération de 2009 a-t-elle donné lieu à des versements de commissions occultes? Selon les enquêteurs brésiliens, tous les chantiers d’Odebrecht (la plupart des stades pour la Coupe du monde, le parc olympique de Rio notamment) ont donné lieu à des surfacturations pour abonder un trésor de guerre déjà évalué à 3 milliards d’euros. « Partout où l’on a une présence forte, il y avait des dessous-de-table, c’est clair », a confessé Marcelo Odebrecht. L’entreprise française DCNS a-t-elle ou non été liée à de quelconques surfacturations ou à des versements de fonds ? A-t-elle pu ignorer les pratiques de son partenaire local? Les vérifications lancées par le PNF vont tenter d’y voir clair. « DCNS déclare n’avoir rien à voir avec l’affaire Lava Jato et assure respecter scrupuleusement, partout dans le monde, les règles de droit », a sobrement répondu hier matin au JDD un porte-parole du géant industriel français.

Laurent Valdiguie

Source JDD 21/05/2017

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Persécutés au Brésil, les Indiens appellent l’Europe et la France à l’aide

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 Méprisés par la classe politique, attaqués par la police militaire, assassinés par les fermiers, les peuples autochtones brésiliens ont les pires difficultés à faire valoir leurs droits. Pour alerter sur la gravité de leur situation, le chef indien Ládio Verón arrive en France pour une série de rencontres.

  • São Paulo (Brésil), correspondance

Parti en toute discrétion de São Paulo mi-mars, le chef indigène Ládio Verón a déjà rencontré des députés espagnols et manifesté avec ses soutiens devant l’ambassade du Brésil à Londres. Menacé de mort et torturé par le passé, le représentant de la tribu Taquara, dans le Mato Grosso du Sud, raconte comment les autorités tentent d’empêcher les Indiens de communiquer, d’aller en ville pour rencontrer des journalistes ou de se rendre à l’étranger. Son propre père, le chef Marcos Verón, a lui-même été assassiné en 2003, au retour d’un voyage similaire en Europe. Depuis, son fils a dû être placé sur la liste du Programme fédéral de protection des défenseurs des droits humains.

Lors d’une interview donnée à des journalistes étrangers à São Paulo, quelques jours avant son départ, les organisateurs de la rencontre mettent en garde ces derniers : « Il est important que vous attendiez que le cacique [chef de tribu] ait quitté le Brésil, avant de publier vos articles, car il est déjà arrivé que des chefs indiens soient bloqués avant de monter dans l’avion. » Une situation intenable pour Ládio Verón, qui s’insurge : « Non seulement nous devons rester dans un périmètre qu’ils nous imposent, sur une terre aride, au bord d’une route, mais en plus ils voudraient que nous gardions le silence. »

Son voyage va le mener à travers une douzaine de pays européens, pour raconter ce que vivent les Indiens de son ethnie, les Guarani Kaiowá, mais aussi les autres peuples du pays, et trouver un maximum de soutiens. Depuis très longtemps victimes de persécutions de la part des producteurs agricoles et d’énergie qui font tout pour mettre la main sur les territoires indigènes, les autochtones rencontrent très peu de soutien de la part des politiciens locaux. À l’échelle fédérale, la situation ne fait qu’empirer. Ni Lula ni Dilma Rousseff n’ont vraiment entrepris de politique protectrice efficace et l’organisme institutionnel de gestion de la question indigène, la Fondation nationale de l’Indien (Funai), est entré en crise depuis l’arrivée à la présidence du pays de Michel Temer [1]. Le nouveau directeur, nommé le 9 mai, est un ancien général de l’armée soutenu par les évangélistes, comme son prédécesseur, limogé au bout de 4 mois d’exercice. Une mauvaise nouvelle pour beaucoup de militants de la cause indigène, qui ne voient pas toujours d’un bon œil l’implication des militaires et des religieux dans ces questions.

« Le seul secours que l’on puisse attendre, c’est celui des autres pays » 

Le village de Ládio et de ses frères est aujourd’hui menacé. Une fois de plus, car l’histoire de sa tribu est marquée depuis des décennies par les expulsions et l’errance. Depuis 2010, 250 familles vivent sur ce bout de territoire proche du Paraguay, reconnu par la Funai, mais pas par le gouvernement, qui n’a pas approuvé la démarcation [2]. Entourés de monocultures et de grands domaines agricoles, les Guarani n’ont plus grand-chose qui leur permet de maintenir un mode de vie traditionnel. « Il n’y a plus de végétation, nos rivières sont mortes et nos enfants ressortent avec des démangeaisons quand il se baignent. Voilà ce qu’ils ont fait de nos terres, celle de nos ancêtres. Là-bas, un plant de maïs, un bœuf vaut plus que la vie d’un être humain, que la vie d’un enfant indigène », déplore Araldo Verón, le frère de Ládio, resté au Brésil.

Quelques jours après le départ du chef indien en mars, des militaires armés ont envahi le village de Taquara et menacé violemment la population d’expulsion. « Notre propre gouvernement nous attaque. Le seul secours que l’on puisse attendre, c’est celui des autres pays », dénoncent les frères Verón. En effet, un changement sensible est en train de se passer au Brésil. La résistance indigène est de plus en plus perçue comme une menace sécuritaire. En témoigne la récente répression policière dont ont été victimes plusieurs milliers de représentants indigènes venus manifester le 25 avril à Brasilia. Les populations autochtones se sentent oubliées par les partis politiques et les grands médias.

Le président Michel Temer a nommé comme ministre de l’Agriculture Blairo Maggi, l’un des grands leaders de l’agro-industrie. Dans un éditorial du journal économique Valor, Daniela Chiaretti, journaliste spécialisée dans l’environnement, dénonçait récemment un gouvernement passif avec un biais « ruraliste », illustré par l’agenda du ministre de la Justice [3], qui en 55 jours de mandat a rencontré une centaine de fois les représentants des lobbys parlementaires agricoles, mais n’a fait aucune rencontre avec des leaders indiens.

Le chef indien Ládio Verón devant l’ambassade du Bresil a? Londres le 19 avril.

Le chef indien Ládio Verón devant l’ambassade du Bresil a? Londres le 19 avril.

« Ce que mangent les Européens — la viande, le maïs — est mélangé avec du sang indien » 

La communauté internationale commence à s’alarmer face au traitement de la question indigène brésilienne. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a notamment souligné que le Brésil échouait à protéger les droits des Indiens durant l’examen périodique universel passé par le pays, à Genève, ce mois-ci. Au même moment, l’attaque violente d’une dizaine d’Indiens de l’ethnie Gamela, frappés et mutilés par des hommes payés par des fazendeiros, suscitait de nouveau l’indignation générale chez les défenseurs des peuples indigènes.

Pour les Guarani, l’Europe a sa part de responsabilité, car une grande partie du soja, du maïs ou de la canne à sucre destinés au marché européen est produit au Brésil (principalement dans le Mato Grosso) sur des terres desquelles des Indiens ont été expulsés. Ládio Verón va donc se rendre également au Parlement européen : « Nous allons demander de cesser d’acheter du soja brésilien, parce que ce que mangent les Européens — la viande, le maïs — est mélangé avec du sang indien, explique-t-il. Si nous ne recevons pas d’aide de l’extérieur, nous allons commencer à brûler les cultures, les usines d’éthanol, à entrer en action. Nous sommes fatigués de parler calmement, nous sommes maintenant prêts à aller au-delà, car c’est notre survie qui est en jeu. Que les Européens viennent voir comment on détruit nos forêts, comment on pollue notre eau et comment on nous assassine. »

Mathilde Dorcadie

Source Reporterre 19 mai 2017

 


L’AGENDA DE LA VISITE EN FRANCE DE LÁDIO VERÓN

Ládio Verón, le chef Guarani Kaiowá, sera en France du 20 au 29 mai 2017.

  • Paris
    Samedi 20 mai, à 18 heures : rassemblement de soutien sur le parvis des droits de l’homme.
    Lundi 22 mai, à 13 h 15 : interview sur RFI et rencontre avec des journalistes.
    Mardi 23 mai, à 9 h 30 : rencontre au Sénat à l’initiative de la sénatrice Laurence Cohen, présidente du groupe d’amitié France-Brésil.
  • Il sera  à Montpellier, le 24 mai et le lendemain à Marseille

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Comédie du livre. Des mots pour défendre les minoritaires

Débat sur le thème des voix invisibles  avec Alfons Cervera, Isabel Alba et Sophie G.Lucas.

Débat sur le thème des voix invisibles avec Alfons Cervera, Isabel Alba et Sophie G.Lucas.

Alfons Cervera, Isabel Alba et Sophie G. Lucas, trois auteurs publiés par Les Editions La Contre Allée, évoquent le goût et la nécessité d’écrire sur ceux que l’on oublie, les vaincus et les pauvres.

La forme peut être poétique, politique, ou romanesque, elle a pour point commun une volonté chevillée, celle de restituer la parole cachée. Comme si les trois auteurs présents vendredi sur le plateau de Espace Rencontre Comédie convenaient que la littérature transmet le plus souvent un récit hégémonique. Pour la romancière et scénariste Isabelle Alba qui met en scène dans Baby Spot Madrid, ses quartiers périphériques et ses vies déréglées : « il faut mettre en lumière d’autres récits comme outils de transformation

Alfons Cervera raconte tous les dégâts de la guerre d’Espagne à partir du village peuplé de 200 âmes où il vit. Il évoque les pays ayant traversé une période dramatique. « Après-guerre, la France s’est inventée un récit. S’il y avait eu tant de résistants, il n’y aurait pas eu d’occupation. En Espagne, ce sont les bons qui ont perdu. Le récit est celui des méchants. Il y a beaucoup de manières d’écrire sur la mémoire, on peut parler de la guerre d’un point de vue sentimental, on peut mettre en relief la partie humaine de l’horreur, moi je revendique une écriture politique et idéologique de la mémoire. »

Sophie G. Lucas s’emploie  à travailler sur l’humain. Avec Moujik Moujik elle s’intéressait à la figure des sans abris. Dans Témoin, son dernier roman, elle porte la voix de ceux qui n’en ont pas après avoir suivi plusieurs années les audiences du Tribunal correctionnel. « L’écriture est un moyen de lutter contre le silence. Rendre la voix aux gens est une manière de lutter contre le cynisme. »

La défaite n’a pas de récit pas plus que les pauvres n’ont de place dans le récit des riches. Le constat est là. Il est partagé par ses trois auteurs venus de différents horizons. « Ecrire sur ces  thèmes est non seulement une nécessité mais une façon de survivre » pense Isabelle Alba.
JMDH

Source La Marseillaise 20/05/2017

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