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À chaque élection, les clivages communautaires, culturels et économiques qui caractérisent la société israélienne permettent de donner sens aux résultats. « Si l’on résume, Jérusalem s’est donnée tout entière à Nétanyahou et Tel-Aviv s’est livrée à Yitzhak Herzog [tête de liste travailliste]« , expliquent dans le Yediot Aharonot Yaron Druckman et Ron Notkin.
« Plus intéressant encore, en Samarie [moitié nord de la Cisjordanie occupée], le parti de Nétanyahou, le Likoud, a littéralement ‘pompé’ les voix recueillies en 2013 par Naftali Bennett [Ha-Bayit Ha-Yehudi, ‘Foyer juif’, extrême droite nationaliste-religieuse] auprès des colons. Dans les collectivités rurales, le Camp sioniste a de son côté attiré des voix qui, traditionnellement, allaient au Meretz [Parti progressiste]. En somme, les Israéliens ont voté ‘utile’ et privilégié la coalition dite travailliste-centre le Likoud, ce dernier raflant la mise d’un « électorat désenchanté et angoissé », explique encare le Yediot Aharonot.
Quelles leçons tirer ? L’éditorialiste de Maariv, Doron Cohen, revient sur la stratégie menée par Nétanyahou dans la dernière ligne droite qui a permis ce retour historique d’un Likoud qu’on disait moribond. Pour lui, une seule question se pose : quelle est l’unique leçon que nous devrions tirer des résultats de ces élections et plus encore de la campagne électorale ?
» Et d’appeler chaque Israélien à faire son examen de conscience. « A gauche : comment espériez-vous vendre une politique sociale dans un pays aux inégalités croissantes sans affronter la question des colons et du financement de leur déplacement ? A droite : comment espérez-vous vivre dans un pays où une large partie de la population vit sans droits, qu’il s’agisse des travailleurs étrangers ou, évidemment, des Palestiniens ? Aux haredim [ultra-orthodoxes] : comment imaginez-vous vivre dans un pays renonçant à des valeurs aussi fondamentales que la liberté de conscience et d’expression ? Aux laïcs : comment vous faites-vous les avocats d’un pays juif où il n’y aurait ni rabbins, ni synagogues, ni yeshivot ? Aux Juifs en général : comptez-vous réellement vivre dans un pays qui aurait déporté la plupart de ses citoyens arabes et/ou qui leur interdirait toute représentation au Parlement ? Aux citoyens arabes : pensez-vous réellement pouvoir vivre en Israël tout en prônant un Etat palestinien vidé de ses Juifs ? La réponse est désormais connue et tient en deux mots : haine gratuite.
» Selon Doron Cohen, les menaces existentielles qui pèsent sur Israël ne sont ni l’Iran, ni Daech, ni le Hamas, mais bien « une haine gratuite jamais autant mise en scène qu’en cet hiver 2015 : entre religieux et laïques, entre la droite et la gauche, entre Orientaux et Ashkénazes, entre Juifs et Arabes, entre Tel Aviv et les colons ». C’est, selon lui, « cette haine dévorante qui a gagné les élections ».
Nétanyahou brûle les vaisseaux
Dans Ha’Aretz, le chroniqueur Hemi Shalev attribue la victoire de « Bibi » et du Likoud à « l’une des campagnes les plus nauséabondes de la vie polique israélienne« . « L’expression ‘brûler les vaisseaux’ vient de l’époque des conquêtes de Jules César dont la tactique consistait à incendier les ponts et les bateaux pour ôter toute envie de retraite à ses légionnaires », écrit-il. C’est exactement cette tactique que Nétanyahou a employée. Et, le moindre qu’on puisse dire c’est qu’elle s’est révélée payante. Comment Nétanyahou a-t-il brûlé les vaisseaux ? il a agité le mythe de la cinquième colonne représentée par la Liste commune arabe et lancé une campagne quasi raciste à leur égard, poursuit le quotidien israélien. Il a également décrit le peuple israélien comme « encerclé par une campagne ‘antisémite’ financée de l’étranger et censée ‘acheter’ les ONG israéliennes, le Parti travailliste ». Enfin, « il a brûlé les vaisseaux en semant la peur, la haine et la paranoïa dans une opinion publique angoisée par les conflits qui ravagent le Moyen-Orient, la montée en puissance du Daesc et la menace iranienne. » La question que se posent désormais tous les observateurs, c’est : quelle coalition va-t-il mettre sur pied. « S’associer aux perdants Ha’Bayit ha-Yehudi [extrême droite nationaliste-religieuse], Israël Beiteinou [Israël Notre Foyer, extrême droite laïque russophone] et aux partis ultra-orthodoxes, c’est se rendre infréquentable auprès des chancelleries occidentales, estime Ha’Aretz. « Constituer un gouvernement d’union nationale avec le Camp sioniste, c’est se rendre davantage fréquentable mais s’exposer à des crises gouvernementales à répétition. »
Source : Le Courrier International 18/03/2015
Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Moyen Orient, Israël, On Line, L’aveu de Netanyahou,