L’Union européenne malade de l’atlantisme

NatoEagle_WallBlood2-wDivisée sur la guerre en Irak, l’Union européenne pourrait toutefois en retirer un « avantage collatéral » : celui d’affirmer une identité propre en prenant ses distances avec un « partenaire » américain qui confond alliance et allégeance. Mais il faudrait, pour cela, donner un contenu politique à l’euro, remettre en cause le tout-marché et promouvoir le savoir-faire européen en matière de droit et de justice.

u moment où ils se retrouvent à Athènes, le 16 avril 2003, pour signer le traité d’adhésion, les représentants des dix nouveaux pays membres de l’Union européenne (UE) et ceux des quinze actuels sont loin d’être tout entiers saisis par l’émotion de cet instant de retrouvailles historiques et géographiques. Si les Etats-Unis ne sont pas physiquement présents, leur ombre portée depuis Washington et Bagdad rend quelque peu surréalistes les proclamations obligées d’unité de chefs d’Etat et de gouvernement prétendant soutenir les efforts des Nations unies « pour garantir la légitimité internationale et la responsabilité mondiale ». Cette « légitimité internationale » n’est-elle pas, brutalement, et au même moment, tournée en dérision en Irak par quelques-uns des participants, M. Anthony Blair et M. José Maria Aznar en tête, soutenus par la majorité des autres réunis pour la « photo de famille » devant l’Acropole ?

Déjà, en décembre 2002 à Copenhague, lors de l’adoption du traité par le Conseil européen, chacun avait bien compris que, paradoxalement, cette Europe à vingt-cinq serait encore moins porteuse d’une volonté européenne autonome qu’auparavant . L’agression anglo-américaine a donné un formidable coup de projecteur sur cette vassalisation – désirée ou résignée, selon les cas -, qui était seulement implicite dans les discours officiels. C’est pourquoi l’effet d’annonce psychologique de l’élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale a été nul, les citoyens étant bien conscients que les choses importantes se passaient ailleurs. Avant même de tenter de régler ses problèmes internes, et ils sont légion, l’Union est ainsi confrontée à sa question existentielle jamais sérieusement posée depuis de Gaulle : celle du « lien transatlantique ».

Pour qu’il y ait « lien », encore faudrait-il qu’existe à chaque extrémité une entité décidée à le valoriser et à ne pas le considérer comme une simple courroie de transmission de la rive ouest de l’Atlantique à l’autre. En fait, il n’y a d’atlantistes que sur (…)

 

Bernard Cassen

 

(1) Sous réserve de ratification du traité, seront membres de l’UE à compter du 1er mai 2004 : Chypre, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Slovénie.

(2) Lire « Une Europe de moins en moins européenne », Le Monde diplomatique, janvier 2003, et Anne-Cécile Robert, « L’étrange politique étrangère de l’Union européenne », Le Monde diplomatique, décembre 2002.

(3) John Vinocur, « European detractors fault Bush, but where are the counterexamples ? », International Herald Tribune, Paris, 9 avril 2003.

(4) Zbigniew Brzezinski, Le Grand Echiquier, Hachette, coll. « Pluriel », Paris, 1997.

(5) Defense Policy Guidance 1992-1994, cité dans Philip Golub, « Métamorphoses d’une politique impériale », Le Monde diplomatique, mars 2003.

(7) William Pfaff, « Which country is next on the list ? », International Herald Tribune, 10 avril 2003.

(8) Lire Frédéric F. Clairmont, « Vivre à crédit ou le credo de la première puissance du monde », Le Monde diplomatique, avril 2003. Lire également, dans Politis du 10 avril 2003, le commentaire du rapport « Fin d’empire » d’un institut de recherche britannique, Independent Strategy, qui met à mal le mythe de la surpuissance économique américaine.

(9) « Logique jusqu’au bout », Le Monde, 12 avril 2003.

Le vice-président irakien va discuter d’un contrat pétrolier avec Total

Le vice-président irakien, Adel Abdel Mahdi, va rencontrer des responsables du groupe pétrolier français Total pour discuter d’un contrat de plusieurs milliards de dollars, a-t-il déclaré , en visite de travail en France.
Lors d’une rencontre avec des journalistes , le vice-président et d’autres responsables irakiens ont déclaré souhaiter attirer des investissements français dans le secteur pétrolier de leur pays, dévasté par la guerre.
« Total a fait montre de sa volonté de travailler en Irak, en particulier dans le développement en amont des champs de gaz et de pétrole », a dit un conseiller gouvernemental et ancien ministre du pétrole, Thamer al-Ghabhdan.
Ce responsable a confirmé que Total, en partenariat avec la major américaine Chevron, avait été sollicité pour être candidat au développement de l’un des gisements les plus prometteurs du sud de l’Irak.
« Total, en partenariat avec Chevron, a été sollicité pour concourir directement pour le gisement de Nahr Bin Umar », a-t-il dit.
Le consortium franco-américain sera en concurrence avec les autres candidats, comme le norvégien StatoilHydro, a-t-il précisé.
Nahr Bin Umar est l’un des deux champs pétroliers dont Total négociait déjà l’attribution avec l’ancien régime irakien de Saddam Hussein, a-t-il dit.
« Total est donc dans une position réellement avantageuse », selon lui.
Abdel Mahdi, un ancien opposant à Saddam Hussein qui a passé 25 ans en exil en France, a ajouté: « Je leur ai parlé à de nombreuses reprises, et ils sont réellement intéressés » par le gisement.
Selon les responsables irakiens, le montant des investissements nécessaires pour ce champ n’a pas été fixé, mais un chiffre de 15 millions de dollars a été discuté.
L’ambassadeur irakien à Paris, Mowaffak Abboud, a estimé que les deux champs pétroliers visés par Total avaient un potentiel de production cumulée de plus d’un million de barils de brut par jour pendant 14 ans.

Paris et Bagdad renouent leurs liens militaires

Les ministres de la Défense français et irakien Hervé Morin et Abdel Qader Obeidi en ont fait l’annonce sur le perron du ministère de la Défense à Paris, 19 ans après l’invasion du Koweït par l’Irak qui avait mis fin à toute coopération militaire bilatérale. Le contrat porte sur l’achat de 24 appareils de transport EC 635 d’Eurocopter, filiale du géant européen de l’aéronautique EADS, pour un montant de 360 millions d’euros. Mais Paris assurera aussi la formation des équipages irakiens en France, sur des hélicoptères Gazelle mis à leur disposition, la maintenance des appareils ainsi qu’un soutien technique.

Lors d’une visite-surprise de Nicolas Sarkozy à Bagdad le 10 février, la première d’un président français depuis la création de l’Irak en 1921, le chef de l’Etat avait proposé une collaboration « sans limites » de la France à la reconstruction du pays, y compris dans le domaine de la défense. « Nous pouvons collaborer, former et équiper aussi l’armée irakienne », avait-il déclaré. Le contrat sur les hélicoptères apparaît ainsi comme une première étape, M. Morin annonçant, après une entrevue avec son homologue irakien, que Paris allait « rouvrir une mission militaire à Bagdad » et y dépêcher un attaché militaire « dès cet été ». « Nous voulons retrouver le niveau des relations que la France avait jusqu’aux années 80 » avec l’Irak, a-t-il souligné, rappelant qu’à l’époque, « une grande partie de l’armée irakienne était formée en France et équipée de matériel militaire français ».

A ses côtés, le ministre irakien a précisé qu’au cours de sa visite en France, il avait engagé des discussions sur « d’autres projets » avec « de grandes entreprises françaises ». Ces contrats d’armement, a-t-il jugé, renforceront « l’indépendance » de l’Irak et « faciliteront l’accord conclu avec les Etats-Unis sur le retrait des forces américaines ».
Paris et Bagdad voient déjà plus loin. M. Morin a proposé à son homologue un « accord cadre » portant sur « la formation des officiers irakiens, l’entraînement et l’encadrement de l’armée irakienne ainsi que la coopération industrielle ». La France, a souligné le ministre, est prête à concourir à la « reconstruction d’une aviation de combat » irakienne et à « la remise à niveau de l’armée de terre » en fournissant des blindés.

De 1977 à 1988, Paris était devenu l’un des principaux fournisseurs d’armement de l’Irak dirigé par Saddam Hussein, avec la vente d’une centaine de Mirage F1. La France qui s’est farouchement opposée, avec l’Allemagne et la Russie, à l’intervention américaine en Irak, pourrait aussi y dépêcher prochainement des instructeurs. Interrogé sur cette perspective, M. Morin a répondu que la France était « ouverte à toute forme de coopération » mais qu’il appartenait « au gouvernement irakien de dire ce qu’il souhaite ». Des militaires français seront présents en Irak « dès l’arrivée des équipements français », a enchaîné son homologue irakien, sans préciser le calendrier.

Voir aussi : Rubrique Irak :  Pétrole contre nourriture L’Irak demande des réclamations, Le président Jalal Talabani à Paris,

« La guerre mondiale c’est la guerre contre le monde »

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Entretien  avec Michel Serres. A l’invitation de la Librairie Sauramps, l’académicien philosophe donne une conférence sur la nouvelle guerre salle Pétrarque.

« Je livre ici le livre de mes larmes… », peut-on lire dans votre dernier livre…

J’ai écrit ce livre pour deux raisons. La première que vous évoquez est personnelle, l’autre relève de la théorie philosophique. A mon âge, je suis devant mes enfants, mes collègues, mes étudiants, la mémoire vivante de la guerre. Et je me retrouve en présence de gens qui ne l’ont jamais connue. C’est aussi une situation historique puisque depuis la guerre de Troie, l’Europe occidentale n’a jamais connu 65 ans de paix continue sur son territoire. Aujourd’hui, peu de gens réalisent que nous sommes en paix. Parce que cela s’oublie, tandis que quand on est en guerre on ne peut pas l’oublier.

Vous constatez que les hommes au pouvoir aujourd’hui n’ont pas connu la guerre. Voyez-vous là, un danger ?

Effectivement, messieurs Bush, Obama, Aznar, Blair, Sarkozy, Angela Merkel… sont les premiers dans l’histoire à être des hommes d’Etat sans l’avoir jamais vécue. Quand Aznar, Blair et Bush décident d’intervenir en Irak, ils déclarent la guerre sans savoir ce que c’est. C’est une nouveauté qui pousse à la réflexion. Comment se fait-il que la guerre se soit arrêtée ? Cela m’a amené à approfondir mes idées sur la guerre et le terrorisme, et de passer de mon expérience personnelle à une idée philosophique. Aujourd’hui la guerre n’oppose plus les nations entre elles mais l’humanité au monde. Le sens s’est retourné.

C’est-à-dire…

Ce n’est plus un jeu à deux. On pense toujours en terme d’opposition ; Montpellier contre Bordeaux au foot, ou Obama contre McCain ou Royal contre Aubry, mais on oublie de dire que le jeu à deux est terminé. Qu’il est devenu un jeu à trois, avec le monde. On oublie toujours ce qu’on fait au monde quand on fait la guerre entre soi.

Ce nouvel enjeu à trois, pourrait nous épargner les guerres inutiles ?

Le problème est de connaître le rapport que nous avons au monde. Dans les journaux on parle des pêcheurs qui s’opposent aux décisions du gouvernement mais on oublie de dire qu’il n’y a plus de poisson. De la même façon, quand il y a une voie d’eau dans le bateau, il n’est pas sûr que les matelots poursuivent leurs disputes entre eux.

Vous définissez la guerre comme une institution de droit contrairement au terrorisme ?

J’insiste sur le fait que la guerre est une institution juridique. Elle répond en effet au droit, à travers un ensemble de règles comme la déclaration de guerre, le cessez le feu, le respect des hommes, l’armistice… La guerre est recouverte par un réseau juridique. Alors que le terrorisme est une affaire de non droit.

Que penser alors, de la guerre totale, préventive et sans fin contre le terrorisme, déclarée à la suite du 11 septembre ?

L’erreur de Monsieur Bush a été de déclarer la guerre à une institution qui n’existe pas. Si vous déclarez la guerre, c’est une guerre mais une guerre contre qui ? On ne peut lutter contre le terrorisme que par des opérations de police. Il n’y a pas de rapport possible entre guerre et terrorisme hormis le terrorisme d’Etat que pratiquaient Hitler et Staline. Bush a commis une erreur colossale qui démontre à quel point il n’avait pas les concepts dans la tête.

Est-ce vraiment une erreur si l’on considère la puissance de feu américaine et le lobby militaro-industriel qui règne à Washington en dictant la politique étrangère américaine ?

Il est probable que des contrats de vente d’armes ont été désignés à ce moment là. La preuve se constitue avec tous les mensonges autour des armes de destruction massive. Mais cela n’entrait pas tout à fait dans le cadre de mon livre qui se dirige surtout vers la nouvelle forme de guerre. La vraie guerre mondiale est celle que nous menons contre le monde.

En tant qu’ancien marin j’étais invité il y a quelques mois à donner une conférence inaugurale pour l’anniversaire de l’école navale. Et j’avais dit dans mon introduction : votre ancienne mission était de défendre la nation en mer. Votre nouvelle mission est tout simplement de défendre la mer.

Comment cela a-t-il été reçu ?

La rupture de génération s’est révélée assez nettement. Les vieux amiraux bien chenus se sont moqués de moi. Mais tous les jeunes était enthousiastes. Ils ont tout à fait compris ce que je voulais leur faire passer.

Les systèmes politiques ne tiennent pas compte de l’évolution des sociétés pour le moment. Ils restent encore dans le jeu à deux, celui du spectacle.

Quand on commente un match entre Montpellier et Bordeaux on ne pense jamais à celui qui vend les places. Et pourtant celui qui gagne, c’est celui qui ramasse la mise au guichet. »

recueilli par Jean-Marie Dinh

Michel Serres. La guerre mondiale. Ecologie philosophique

Face au déluge

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éditions Le Pommier

Imprégné des sciences et de la société, mais aussi de récits antiques, Michel Serres pratique une philosophie à large spectre. Son dernier livre aborde la question de différentes formes de violences. Celle de la guerre qui a bercé son enfance et l’a poursuivi une bonne partie de sa vie. Le vécu subjectif de la première partie s’adresse à ses contemporains qui n’ont pas connu la guerre. A tous, du matelot aux grands de ce monde, l’auteur tente de démontrer la folle expansion de la violence dans laquelle nous sommes engagés. Et les tenants ne sont pas forcément ceux qui apparaissent. Michel Serres convoque Aristote sur le terrain des opérations « Pour guérir de la violence, il faut participer au spectacle ». Tite Live et Corneille sont aussi du voyage. Depuis Troie, Rome, et la Révolution française, la guerre a suivi des règles, qui aujourd’hui ont été déconstruites. La sphère du non droit est définie par l’auteur comme celle du terrorisme. Michel Serres rappelle au passage à ceux qui prêchent qu’on importe le terrorisme sur notre sol, que celui-ci est né en France pendant la Révolution. Sur le plan de l’idée philosophique l’auteur fait référence à la remonté du temps d’Horace qui fuit la guerre. Il faut laisser aller le film à l’envers pour sortir de l’impasse, suggère Michel Serres. La partie ne se joue pas à deux mais à trois. Commençons par suspendre la guerre que les hommes mènent contre le monde.

JMDH