Dans l’engrenage de la terreur. Cinq conflits entremêlés

Par Pierre Conésa*

L’engouement quasi unanime des responsables politiques pour la « guerre » traduit une grave méconnaissance de la réalité du terrain. Décidé durant l’été 2014, l’engagement militaire occidental ajoute une cinquième strate à une superposition de conflits qui embrasent l’aire arabo-islamique.

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En 1979, la révolution iranienne mettait en place le premier régime politique officiellement « islamique », mais en réalité exclusivement chiite. Elle revivifiait ainsi le conflit ancestral entre sunnites et chiites, qui représente la première strate d’une lente sédimentation. Quand, après sa prise du pouvoir à Téhéran, l’ayatollah Rouhollah Khomeiny demande une gestion collective des lieux saints de l’islam, le défi apparaît insupportable pour l’Arabie saoudite. Un an avant de trouver la mort près de Lyon à la suite des attentats de 1995 en France, le jeune djihadiste Khaled Kelkal déclarait au sociologue allemand qui l’interrogeait : « Le chiisme a été inventé par les juifs pour diviser l’islam » (1). Les wahhabites saoudiens ont la vieille habitude de massacrer des chiites, comme en témoignait dès 1802 la prise de Kerbala (aujourd’hui en Irak), qui se traduisit par la destruction de sanctuaires et de tombeaux, dont celui de l’imam Hussein, et le meurtre de nombreux habitants.

Cette « guerre de religion » déchire aujourd’hui sept pays de la région : Afghanistan, Irak, Syrie, Pakistan, Liban, Yémen et Bahreïn. Elle surgit sporadiquement au Koweït et en Arabie saoudite. En Malaisie, le chiisme est officiellement banni. A l’échelle de la planète, les attentats les plus aveugles, comme ceux commis durant des pèlerinages, tuent dix fois plus de musulmans que de non-musulmans, les trois pays les plus frappés étant l’Afghanistan, l’Irak et le Pakistan. L’oumma, la communauté des croyants, que les salafistes djihadistes prétendent défendre, recouvre aujourd’hui un gigantesque espace d’affrontements religieux. Dans ce contexte, on comprend pourquoi Riyad mobilise beaucoup plus facilement ses avions et ses troupes contre les houthistes du Yémen, assimilés aux chiites, que pour porter secours au régime prochiite de Bagdad. On voit mal pourquoi les Occidentaux devraient prendre position dans cette guerre, et avec quelle légitimité.

La deuxième guerre est celle que mènent les Kurdes pour se rendre maîtres de leur destin, en particulier contre l’Etat turc. Elle est née en 1923, dans les décombres de l’Empire ottoman, avec le traité de Lausanne, qui divisait le Kurdistan entre les quatre pays de la région : Turquie, Syrie, Irak et Iran. Les nombreuses révoltes qui ont secoué le Kurdistan turc entre 1925 et 1939 ont toutes été écrasées par Mustafa Kemal Atatürk. Depuis les années 1960, tous les soulèvements, en Turquie, en Irak ou en Iran, ont été noyés dans le sang, dans l’indifférence de la communauté internationale. Depuis 1984, cette guerre a causé plus de 40 000 morts en Turquie, où 3 000 villages kurdes ont été détruits, pour un coût estimé à quelque 84 milliards de dollars (2).

Nul ne devrait être surpris qu’Ankara ait laissé affluer les candidats djihadistes vers les deux principales forces dans lesquelles ils se reconnaissent, le Front Al-Nosra et l’Organisation de l’Etat islamique (OEI), puisqu’elles combattent les Kurdes d’Irak et surtout de Syrie, très proches de ceux de Turquie. Principale menace pour Ankara, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) reste classé comme groupe terroriste par l’Union européenne et les Etats-Unis, et ne peut recevoir d’aide militaire occidentale. Seul pays de la région à appartenir à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et à avoir la capacité de modifier la situation militaire sur le terrain, la Turquie a fini par rejoindre la coalition. Mais elle concentre ses moyens sur la reprise des affrontements avec le PKK et voit d’un mauvais œil les Kurdes d’Irak et de Syrie gagner une indépendance de fait.

Troisième guerre en cours : celle qui déchire les islamistes entre eux depuis la guerre du Golfe (1990-1991) et plus encore depuis les révoltes arabes. La rivalité la mieux connue oppose les Frères musulmans, soutenus par le Qatar, et les salafistes, soutenus par l’Arabie saoudite, en Egypte, en Libye ou en Tunisie. Plus nouvelle est la concurrence entre, d’une part, Al-Qaida et ses franchisés et, d’autre part, les affidés de M. Abou Bakr Al-Baghdadi, le chef de l’OEI. Au cours des premiers mois de 2014, ces derniers ont pris le pas sur le Front Al-Nosra, filiale locale d’Al-Qaida en Syrie, au prix de plus de 6 000 morts (3). La proclamation du « califat » a suscité de nombreux ralliements. Les combattants étrangers de l’OEI proviennent d’une centaine de pays. En désignant M. Al-Baghdadi comme leur ennemi principal, les pays occidentaux orientent de façon décisive la mobilisation des djihadistes à ses côtés.

Enfin, l’une des guerres les plus meurtrières, qui a fait près de 250 000 morts et des millions de réfugiés, est celle que mène le président syrien Bachar Al-Assad contre tous ses opposants.

Riyad envoie une quinzaine d’avions de combat en Irak, contre une centaine au Yémen

 

La bataille que livrent les Occidentaux apparaît, elle, comme un nouvel épisode d’une guerre beaucoup plus ancienne, avec une autojustification historique insupportable pour les populations de la région. Faut-il remonter aux accords Sykes-Picot, ce partage colonial de la région entre la France et le Royaume-Uni sur les ruines de l’Empire ottoman ? Faut-il remonter à Winston Churchill, alors secrétaire à la guerre du Royaume-Uni, faisant raser des villes et des villages kurdes — bombardés au gaz chimique ypérite — et tuer les deux tiers de la population de la ville kurde de Souleimaniyé, ou réprimant violemment les chiites irakiens entre 1921 et 1925 ? Comment oublier la guerre Iran-Irak (1980-1988), dans laquelle Occidentaux et Soviétiques soutinrent l’agresseur (Bagdad) et mirent sous embargo l’agressé (Téhéran) ? M. Barack Obama est le quatrième président américain à envoyer des bombardiers en Irak, pays déjà meurtri par vingt-trois ans de frappes militaires occidentales. Après l’invasion américaine, entre 2003 et 2011, près de 120 000 civils ont été tués (4). En 2006, la revue médicale The Lancet estimait le nombre de décès imputables à cette guerre à 655 000, cette catastrophe démographique s’ajoutant aux 500 000 morts causés par l’embargo international entre 1991 et 2002. Aux dires de l’ancienne secrétaire d’Etat Madeleine Albright, le 12 mai 1996 sur CBS, cela en « valait la peine ».

Aujourd’hui, pourquoi les Occidentaux interviennent-ils contre l’OEI ? Pour défendre des principes humanistes ? Il est permis d’en douter lorsqu’on constate que trois pays de l’alliance continuent à pratiquer la décapitation, la lapidation et à couper les mains des voleurs : le Qatar, les Emirats arabes unis et — très loin devant les deux premiers — l’Arabie saoudite. La liberté religieuse ? Personne n’ose l’exiger de Riyad, où une cour d’appel vient de condamner à mort un poète palestinien pour apostasie (5). S’agit-il alors d’empêcher les massacres ? L’opinion arabe a du mal à le croire quand, deux mois après les 1 900 morts des bombardements israéliens sur Gaza, qui avaient laissé les capitales occidentales étrangement amorphes, la décapitation de trois Occidentaux a suffi pour les décider à bombarder le nord de l’Irak. « Mille morts à Gaza, on ne fait rien ; trois Occidentaux égorgés, on envoie l’armée ! », dénonçait un site salafiste francophone.

Pour le pétrole, alors ? L’essentiel des hydrocarbures de la région s’en va vers les pays d’Asie, totalement absents de la coalition. Pour tarir le flot des réfugiés ? Mais, dans ce cas, comment accepter que les richissimes Etats du Golfe n’en accueillent aucun ? Pour protéger les « droits de l’homme » en défendant l’Arabie saoudite ? Riyad vient d’en démontrer sa conception novatrice en condamnant M. Ali Al-Nimr, un jeune manifestant chiite, à être décapité puis crucifié avant que son corps soit exposé publiquement jusqu’au pourrissement (6).

Sur le plan militaire, les contradictions sont plus évidentes encore. Aujourd’hui, seuls les avions occidentaux bombardent réellement l’OEI. Les Etats-Unis en déploient près de 400, et la France une quarantaine, dans le cadre de l’opération « Chammal », avec l’arrivée du porte-avions Charles- de-Gaulle (7). L’Arabie saoudite dispose d’environ 400 avions de combat, mais elle n’en engage qu’une quinzaine en Irak, soit autant que les Pays-Bas et le Danemark réunis. En revanche, au Yémen, près d’une centaine d’avions saoudiens participent aux bombardements de la coalition des dix pays arabes sunnites contre les houthistes (chiites), menée par Riyad. Dix pays arabes contre les chiites du Yémen, cinq contre l’OEI : étrange déséquilibre ! C’est bien contre les houthistes que Riyad mobilise toutes ses forces, et non contre Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA), dont se revendiquait Chérif Kouachi, auteur des attentats contre Charlie Hebdo à Paris. Cette organisation que l’ancien directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) David Petraeus qualifiait de « branche la plus dangereuse » de la nébuleuse Al-Qaida a pris le contrôle d’Aden, la deuxième ville du Yémen.

Désormais, l’OEI a atteint trois objectifs stratégiques. Tout d’abord, elle apparaît comme le défenseur des sunnites opprimés en Syrie et en Irak. Ses victimes sont à 90 % des musulmans. En Afghanistan, en Irak, en Syrie, au Pakistan, les victimes des attentats sont d’abord des chiites, ensuite de « mauvais musulmans » — en particulier des soufis —, puis des représentants des régimes arabes et, en dernier lieu seulement, des membres de minorités religieuses ou des Occidentaux.

Par ailleurs, l’OEI est parvenue à délégitimer Al-Qaida et sa branche locale en Syrie, le Front Al-Nosra. Les appels du successeur d’Oussama Ben Laden, M. Ayman Al-Zawahiri, mettant en demeure M. Al-Baghdadi de se placer sous son autorité, traduisent une impuissance pathétique. La somme des défections au sein des groupes djihadistes montre la dynamique nouvelle créée par l’OEI.

A terme, le « calife » Al-Baghdadi devra défier l’Arabie saoudite

 

Enfin, l’OEI est devenue l’ennemi numéro un de l’Occident. Celui-ci a déclenché contre elle une « croisade » qui ne dit pas son nom, mais qui peut facilement être présentée comme telle par les propagandistes du djihad. L’opération américaine « Inherent Resolve » (« Détermination absolue ») regroupe principalement douze pays de l’OTAN (plus l’Australie), et l’alliance retrouvée avec la Russie renforcera encore plus le caractère de « front chrétien » que la propagande sur Internet sait si bien utiliser. Selon une pétition en ligne signée par 53 membres du clergé saoudien, les frappes aériennes russes ont visé des « combattants de la guerre sainte en Syrie » qui « défendent la nation musulmane dans son ensemble ». Et, si ces combattants sont vaincus, « les pays de l’islam sunnite tomberont tous, les uns après les autres » (8).

La contre-stratégie militaire des Saoud ne laisse planer aucune ambiguïté : elle est essentiellement axée sur la lutte contre les chiites. Riyad, comme les autres capitales du Conseil de coopération du Golfe, ne peut considérer l’OEI comme la principale menace, sous peine de se trouver contesté par sa propre société. L’intervention militaire saoudienne à Bahreïn en 2012 était destinée à briser le mouvement de contestation républicain, principalement chiite, qui menaçait la monarchie sunnite des Al-Khalifa. Au Yémen, l’opération « Tempête décisive » lancée en mars 2015 vise à rétablir le président Mansour Hadi, renversé par la révolte houthiste. Il n’est évidemment pas question pour Riyad d’envoyer ses fantassins contre l’OEI alors que 150 000 hommes sont déployés sur la frontière yéménite. Pourtant, le prochain objectif de l’OEI devrait être d’asseoir la légitimité religieuse de son « calife », qui s’est nommé lui-même Ibrahim (Abraham) Al-Muminim (« commandeur des croyants », titre de l’époque abbasside) Abou Bakr (nom du premier calife) Al-Baghdadi Al-Husseini Al-Qurashi (nom de la tribu du Prophète). Une véritable compétition est engagée avec l’autre puissance qui prétend prendre la tête de l’oumma et représenter l’islam : l’Arabie saoudite est dorénavant contestée sur le terrain. Pour l’emporter, M. Al-Baghdadi doit défier le « défenseur des lieux saints ». On peut donc penser qu’à terme, une fois réduites les zones chiites, le « calife » visera l’Arabie saoudite.

Quelles conséquences probables pour l’Europe ? Après les réfugiés afghans, irakiens et syriens, elle devrait rapidement voir arriver les réfugiés yéménites. Pays plus peuplé que la Syrie, le Yémen ne peut évacuer ses ressortissants vers les pays frontaliers, tous membres de la coalition qui le bombarde. Depuis 2004, la guerre a fait plus de 340 000 déplacés, dont 15 % vivaient dans des camps, selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies. En outre, le Yémen accueillait 246 000 réfugiés, somaliens à 95 %. Les pays du Conseil de coopération du Golfe montreront le même égoïsme que lors de l’exode syrien, c’est-à-dire : aucune place offerte aux réfugiés. Reste donc l’Europe.

On comprend mieux pourquoi l’alliance mène une guerre pour laquelle elle ne peut fixer un objectif stratégique clair : chacun de ses alliés est en conflit avec un autre. Les interventions en Irak, en Syrie, au Mali ou en Afghanistan s’apparentent au traitement de métastases ; le cancer salafiste a son foyer dans les pays du Golfe, protégés par les forces occidentales. Peut-on détruire l’OEI sans renforcer d’autres mouvements djihadistes, le régime de M. Al-Assad ou Téhéran ? La guerre sera longue et impossible à gagner, car aucun des alliés régionaux n’enverra de troupes au sol, ce qui risquerait de menacer ses propres intérêts.

La stratégie occidentale fondée sur les bombardements et la formation de combattants locaux a échoué en Syrie et en Irak comme en Afghanistan. Européens et Américains poursuivent des objectifs qui ignorent les mécanismes des crises internes au monde arabo-musulman. Plus l’engagement militaire s’accentuera, plus le risque terroriste augmentera, avant l’affrontement prévisible et ravageur qui devrait finir par opposer l’OEI à l’Arabie saoudite. Est-ce « notre » guerre ?

Pierre Conesa

* Maître de conférences à Sciences Po Paris, ancien haut fonctionnaire au ministère de la défense. Auteur du rapport « Quelle politique de contre-radicalisation en France ? », décembre 2014, et du Guide du petit djihadiste, à paraître en janvier 2016 aux éditions Fayard.

(1) Lire Akram Belkaïd, « Une obsession dans le monde arabe », dossier « Vous avez dit “complot” ? », Le Monde diplomatique, juin 2015.

(2) Lire Allan Kaval, « Les Kurdes, combien de divisions ? », Le Monde diplomatique, novembre 2014.

(3) Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, cité par Le Monde, 25 juin 2014.

(4) Décompte établi par le site Iraq Body Count

(5) Selon l’organisation Human Rights Watch, citée par Reuters, 20 novembre 2015.

(6) « Arabie saoudite : un jeune de 21 ans risque la décapitation », Amnesty International France, 24 septembre 2015.

(7) Selon le ministère de la défense, l’opération mobilise 3 500 hommes, 38 avions de combat et divers moyens de logistique et de protection. « “Chammal” : point de situation au 19 novembre », Ministère de la défense.

(8) « Des religieux saoudiens appellent au jihad contre Assad et ses alliés », L’Orient Le Jour, Beyrouth, 6 octobre 2015.

Source : Le Monde Diplomatique Decembre 2015
Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Moyen-Orient, rubrique  UE, Turquie, rubrique Politique  Politique de l’immigration, rubrique Méditerrranée,

La France en première ligne dans la guerre terroriste

Des militaires patrouillent la gare de Lyon à Paris. AFP

Des militaires patrouillent la gare de Lyon à Paris. AFP

La France continue à privilégier la dimension militaire dans sa lutte contre les djihadistes.

 

D’où vient le groupe djihadiste Daech ?

Né en 2006, d’une scission d’Al-Qaida en Mésopotamie, l’irruption de Daech (acronyme arabe de l’organisation armée État islamique) sur la scène du djihadisme international résulte d’une conjonction de facteurs.

En mai 2003, la décision américaine de dissoudre le parti Baas et de démanteler l’armée de Saddam Hussein a eu pour effet de faire basculer une grande partie des soldats et officiers sunnites du côté de différents groupes insurgés, notamment Al-Qaida puis Daech. La politique sectaire du gouvernement central irakien, notamment celui de Nouri Al-Maliki, a joué dans le même sens, poussant une partie de la communauté sunnite dans les rangs des insurgés.

Ces opposants au gouvernement de Bagdad, à dominante chiite, ont été soutenus par l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe, sous forme d’envois de volontaires, d’armes et d’aide financière. Daech a ensuite profité du vide politique né de l’échec du soulèvement contre Bachar Al Assad et de la guerre civile pour se développer en Syrie.

> Lire aussi Daech est en guerre contre l’Europe, affirme le directeur de l’Œuvre d’Orient

La Turquie a laissé les combattants étrangers rejoindre Daech, fermé les yeux sur son approvisionnement en armes et accueilli ses blessés dans ses hôpitaux.

Quels sont ses objectifs ? et ses moyens ?

Daech veut mettre en place un État fondé sur la loi islamique et dirigé par le « calife » autoproclamé Abou Bakr Al-Baghdadi.

Le groupe djihadiste contrôle aujourd’hui un territoire de près de 200 000 km2 entre l’Irak et la Syrie et dispose d’une armée de plusieurs dizaines de milliers de combattants, dont un tiers d’origine étrangère, et d’un équipement militaire (chars, humvees et artillerie) laissé sur place par l’armée irakienne lors de la prise de Mossoul en juin 2014.

Ses ressources financières sont également importantes?: avoirs récupérés dans les banques sur son territoire, contrebande de pétrole, trafic des antiquités, racket et financement extérieur. Plusieurs groupes lui ont fait allégeance?en Lybie, en Égypte et au Nigeria.

La France est-elle l’une des cibles privilégiée ?

Revendiqués par l’organisation, les attentats de Paris contre des civils suggèrent une inflexion de la stratégie du groupe terroriste, centrée jusque-là sur la création de ce « califat » sur les ruines de l’ordre établi au Proche-Orient à la fin de la première guerre mondiale avec les accords Sykes-Picot.

Sur la défensive en Syrie et en Irak, Daech se tourne vers l’action terroriste à l’extérieur, particulièrement en Europe, une zone facile d’accès pour ses combattants et lui assurant un maximum de résonance.

La France, avec son passé colonial, sa « laïcité » affichée, son interdiction du voile et son importante communauté musulmane, constitue une cible toute désignée pour l’organisation djihadiste, soucieuse d’affirmer sa capacité de nuisance et son pouvoir d’attraction.

Après l’attentat de Beyrouth et le crash de l’avion russe dans le Sinaï, les attaques de Paris relancent le spectre d’une campagne planifiée et coordonnée par la direction de Daech, qui jusque-là se contentait d’inspirer des actes de violence commis par des « loups solitaires ».

Quelle est la place de la France dans la « guerre contre le terrorisme » ?

Depuis quinze ans, les États-Unis, suivis par leurs alliés européens, mènent une « guerre contre le terrorisme ». De l’Afghanistan, au lendemain du 11 septembre 2001, cette guerre s’est étendue à l’Irak, au Yémen, à la Somalie, aux pays du Sahel, à la Libye et à la Syrie. Sous la présidence de François Hollande, Paris est devenu le premier partenaire militaire de Washington sur de multiples fronts.

> Lire aussi Mali : de l’opération Serval à l’opération Barkhane

L’intervention française au Mali (opération Serval) s’est élargie depuis le 1er  août 2014 à tout le Sahel (opération Barkhane). En Syrie, Paris a milité pour des frappes aériennes contre le régime en 2013, intervention refusée par les États-Unis et le Royaume-Uni.

L’engagement dans la coalition conduite par les États-Unis des forces aériennes françaises (opération Chammal) en Irak (septembre 2014), puis en Syrie (septembre 2015) s’est ajouté aux théâtres d’opérations au Sahel et en Centrafrique. L’engagement français comprend également une centaine de conseillers et forces spéciales déployées en Irak, à Erbil, et à Bagdad.

La contribution française aux vols de reconnaissance et aux bombardements (4 % des frappes en Irak, trois raids réalisés en Syrie) reste modeste mais François Hollande, chef des armées, a délibérément adopté un discours guerrier, multipliant les déclarations publiques à chaque étape de l’engagement français.

> Lire aussi « Les frappes françaises contre Daech ne changeront rien »

Cette communication de guerre, comme la traque assumée des recrues françaises de Daech en Syrie, a fortement contribué à installer la posture d’une France en première ligne.

L’action militaire va-t-elle s’amplifier ?

Le nombre de soldats mobilisés en France dans le cadre de l’opération Sentinelle va passer de 7 000 à 10 000 hommes. Le ministre de la défense, Jean-Yves le Drian, a annoncé la définition prochaine d’une nouvelle doctrine d’emploi des armées sur le territoire national. Les frappes françaises vont s’intensifier en Syrie et en Irak avec la participation des moyens aériens supplémentaires apportés par l’envoi du porte-avions Charles de Gaulle dans le golfe Persique.

Les forces spéciales et l’armée de l’air française ont participé, en soutien, à la reprise de Sinjar, la semaine dernière, par les forces kurdes. Les autorités françaises continuent à exclure l’envoi de troupes au sol en Syrie.

> Lire aussi Les attentats peuvent-ils déclencher un règlement de la crise syrienne ?

L’éradication militaire des « barbares » est-elle possible?? Certains en doutent. Dans une tribune libre publiée dans L’Opinion, le député européen Arnaud Danjean (Les Républicains) évoque « une grave illusion nous condamnant à être les Sisyphe de l’interventionnisme ».

François d’Alançon

Source La Croix 15/11/2015

Voir aussi : Actualité Internationale, Actualité France , Politique, Politique Internationale, rubrique Société Opinion, rubrique Economie Argent de l’Etat Islamique, Rubrique Débat, L’arrogance démocratique de l’Occident, c’est d’ignorer le désenchantement de ses citoyens,

Questions autour d’une libération

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Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) est affaibli par l’opération militaire au Mali, mais la menace terroriste demeure. La libération des quatre otages est intervenue dans des conditions encore mal connues. Le Niger, dont le président a accueilli les ex-otages à Niamey mardi 29 octobre, a joué un rôle clé dans les négociations.

La négociation qui s’est soldée par l’« heureuse nouvelle » annoncée par François Hollande a été un long processus mené dans la discrétion. Ayant réuni de nombreux acteurs, avec pour toile de fond l’intervention militaire française au Mali et la fragilité des États de la région, elle soulève de nombreuses questions.

Comment se sont déroulées les négociations ?

La libération des quatre otages d’Arlit est le résultat d’une négociation délicate avec la branche d’Aqmi à l’origine du rapt, en septembre 2010. Celle-ci est à l’époque dirigée par Abou Zeid, responsable de l’assassinat d’un otage britannique en 2009, et tué dans un raid de l’armée française en février.

Pour mener les discussions avec son successeur, la France a placé ses espoirs dans un proche du président nigérien?: Mohamed Akotey, président du conseil d’administration d’Imouraren SA, filiale d’Areva, et ancien ministre de l’environnement. « Homme très sérieux, très droit et très organisé », il a joué un « rôle clé » dans la libération, explique à La Croix une source ayant participé à des négociations.

Originaire de la vallée de Tidene, dans le nord du Niger, Mohamed Akotey appartient à la famille d’une figure emblématique de l’identité touarègue?: Mano Dayak, son oncle, mort en 1995 dans un accident d’avion alors qu’il dirigeait un mouvement de rébellion. C’est cependant « comme Nigérien et non comme Touareg que Mohamed Akotey a mené les négociations », poursuit la même source, démentant l’hypothèse selon laquelle des rebelles touaregs auraient pu jouer un rôle dans l’enlèvement ou la détention des otages.

Mohamed Akotey avait déjà participé aux négociations en vue de la libération, en février 2011, de trois des sept « otages d’Arlit »?: Françoise Larribe, l’épouse de Daniel Larribe, le Malgache Jean-Claude Rakotoarilalao et le Togolais Alex Kodjo Ahonado, tous deux employés du sous-traitant Satom. À l’époque, il avait rencontré Abou Zeid à deux reprises.

En trois ans, des rumeurs de libération ont plusieurs fois couru. Les plus récentes remontent à la semaine dernière, alors que les ultimes négociations se déroulaient dans la ville malienne d’Anéfis, fief touareg, à 100 km de Kidal. En mars 2011, Aqmi avait réclamé 90 millions d’euros pour libérer les quatre otages. Diverses sources ont affirmé hier qu’une rançon de 20 à 25 millions d’euros avait été versée. « La France ne paie pas de rançon », a déclaré l’entourage de François Hollande.

Quel a été le rôle du président nigérien ?

Le Niger est situé au cœur d’une zone « menacée par les trafics en tous genres, et surtout par le terrorisme », résumait il y a une semaine le président nigérien, depuis Dakar. Mardi 29 octobre au soir, Mahamadou Issoufou accueillait à Niamey les quatre ex-otages français que son pays « s’est employé » à libérer, précisait-il. C’était une occasion unique de prouver, via les écrans, à la France et au monde, qu’il contrôlait un peu de son désert. Au cœur du Sahel, l’un des pays les plus pauvres du monde sert de base aux terroristes islamistes, de passage à la drogue et aux armes, de réservoir aux migrants vers l’Europe. 30 000 clandestins Africains ont migré en Libye via le nord du Niger entre mars et août 2013, selon l’ONU.

Le Niger détient aussi des gisements d’uranium qui sont sa richesse unique. Ils sont exploités à Arlit par la compagnie française Areva, pour laquelle travaillaient les quatre Français. Le président nigérien, élu en mars 2011, est un ancien cadre d’Areva. Diplômé de l’école des mines de Saint-Étienne, membre de l’Internationale socialiste, il entend à la fois rassurer les Occidentaux sur la bonne gouvernance de son pays et mieux négocier les conditions d’exploitation de son uranium avec Areva. Mahamadou Issoufou estime que « ce secteur de l’uranium doit nous fournir davantage de revenus ».

En 2008, Areva avait accepté une « augmentation des prix d’environ 50 % » en échange du permis d’exploitation du gisement d’Imouraren, l’un des plus grands du monde. Aujourd’hui, la compagnie française retarde son exploitation et les conditions du marché de l’uranium sont en train de changer. Les cours mondiaux sont passés de 138 dollars (102 €) la livre en juillet 2007 à 35 dollars (30 €) aujourd’hui. Des nouveaux pays de production, comme la Mongolie, proposent aux expatriés des conditions de sécurité meilleures que le Niger. Alors, Mahamadou Issoufou voudrait rassurer Areva avant d’être certain de posséder d’autres richesses alternatives. C’est peut-être pour demain. Les Chinois commencent à exploiter des champs de pétrole dans l’est du Niger.

Quel est l’état des forces d’Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) ?

Au faîte de sa puissance lors du rapt d’Arlit, il y a trois ans, « Aqmi est aujourd’hui très affaibli », estime Mathieu Guidère, professeur d’islamologie et de pensée arabe à l’université Toulouse-II le Mirail. Réunissant environ 1 500 combattants en 2010, le mouvement n’en compterait plus que 500 aujourd’hui. Une division par trois de ses effectifs, qui résulte de défections et de décès, intervenus dès le début de l’opération militaire au Mali, en janvier.

Aqmi a également perdu une partie de son équipement à cette occasion, les militaires français ayant découvert des armes et des véhicules dans des grottes ou parfois sous terre. Le commandement d’Aqmi s’est quant à lui affaibli. Deux de ses trois chefs de brigades ont été tués, dont Abou Zeid. Le troisième, Mokhtar Belmokhtar, a fait sécession avec un groupe de combattants, les « enturbannés ».

 « Cette déstructuration a profité à d’autres », poursuit Mathieu Guidère. En août dernier, Mokhtar Bel­mokh­tar, qui a étoffé son arsenal en Libye, où il s’est un temps réfugié, a annoncé la fusion des « enturbannés » avec le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), lui aussi né de sécessions d’Aqmi. Le mouvement né de cette alliance, baptisé « Al Mourabitounes » (les Almoravides), compte un millier d’hommes et évolue entre le Sud algérien et le Nord mauritanien. « C’est le groupe le plus structuré, le mieux armé et le mieux entraîné », explique Mathieu Guidère. Et d’ajouter?: « Malgré l’affaiblissement d’Aqmi, la menace terroriste reste latente car les groupes sont en recomposition. »

PIERRE COCHEZ et MARIANNE MEUNIER

Source : La Croix 30/10/2013

Voir aussi : Rubrique Afrique, Niger, Mali élections bidon mais profits béton, rubrique Economie, Areva,

Syrie : parions sur la voie du compromis, par Edgar Morin

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Décider c’est parier. Décider l’intervention en Syrie, plus de deux ans après le début d’une protestation pacifique dont la répression a provoqué une horrible guerre civile, est un pari risqué. Une telle intervention dès le début pour soutenir des résistants en majorité démocrates aurait été risquée, mais elle aurait couru des risques moindres qu’aujourd’hui.

L’utilisation du gaz sarin sur une population civile est avérée. Reste à prouver que ces gaz ont été employés par l’armée régulière, et non par un éventuel groupe rebelle « al-qaïdiste » ou autre. Haute probabilité ne signifie pas certitude. Le mensonge américain sur les armes de destruction massive de Saddam Hussein crée un doute qui pèse sur les esprits.

Même s’il était enfin prouvé que M. Al-Assad a employé ce gaz contre son propre peuple, même si le gaz est une arme prohibée depuis la première guerre mondiale et n’a pas été utilisé même au cours de la seconde, cette arme immonde ne massacre pas plus les civils que les bombardements massifs à gros calibres et bien entendu la plus petite bombe atomique. Toutefois, c’est un pas de plus dans l’horreur d’une guerre. Que cette tuerie déclenche une réaction morale tardive qui se traduit en intervention militaire, cela se comprend. Mais nous sommes devant une contradiction énorme : intervenir, c’est parier dangereusement, mais ne pas intervenir c’est parier non moins dangereusement, et nous payons déjà les conséquences de ce pari passif, comme l’a été le pari passif de la non-intervention pendant la guerre d’Espagne en 1937. Les ennemis de l’intervention ont montré ses dangers. Les ennemis de la non-intervention ont montré ses dangers. Ajoutons que dans l’un et l’autre cas, il est impossible de prédire la chaîne des interactions et rétroactions qui vont suivre.

Le pari d’intervention est un pari limité à des frappes de « punition ». Il n’est prévu aucune intervention au sol, et il semble difficile de penser que ces frappes puissent atteindre des objectifs capables de renverser la situation en Syrie. La guerre civile est déjà en fait une guerre internationale : l‘Iran, la Russie, le Hezbollah y participent du côté du régime ; des aides limitées parviennent aux rebelles de la part de pays arabes et occidentaux, des volontaires islamistes de multiples pays participent aux combats. Une intervention accroît les débordements du conflit hors Syrie, notamment au Liban, ce qui risque de transformer une guerre internationale limitée en un embrasement plus large : elle serait une aventure dont les effets sont inconnus.

EFFETS NÉGATIFS PROBABLES

Toute action en situation incertaine risque d’aller à l’encontre de l’intention qui l’a provoquée. C’est ce qui est arrivé au « printemps arabe » de Tunisie et d’Egypte. En Libye, la conséquence de l’élimination de Kadhafi a été le développement d’Al-Qaida au Sahel. On ne peut donc éliminer l’idée que l’intervention éventuelle ait des effets positifs très limités et des effets négatifs très grands. On ne peut éliminer qu’elle ajoute de l’huile sur un brasier et provoque son extension. On ne peut éliminer l’idée que la « punition » dégénère en punissant les punisseurs. Elle est de plus mal partie : pas de légitimité de l’ONU, pas de soutien affirmé des pays arabes, défection anglaise. Un vote négatif du Congrès américain conduirait à l’inaction, car la France ne saurait intervenir seule.

Mais l’inaction est elle-même un pari très dangereux, car la logique aboutit soit à une victoire implacable et épouvantable de M. Al-Assad, soit, en cas de défaite du président syrien, à une nouvelle guerre civile entre rebelles laïques et démocrates, sunnites, alaouites, kurdes, djihadistes, et à une décomposition de la Syrie en fragments ennemis, ce qui est le chemin que prend l’Irak, stimulé par les conflits interreligieux et interethniques de Syrie.

On ne peut donc échapper à la contradiction qu’en essayant la seule voie qui arrêterait la spirale des pires périls de l’intervention et de la non-intervention. C’est le compromis. Un tel compromis doit commencer par être un compromis entre les puissances. Un accord pourrait se faire sur le compromis entre la Russie, l’Iran, les nations arabes, les nations occidentales, peut-être sous l’égide de l’ONU, et proposé, voire imposé aux combattants. Il peut sembler inconcevable à beaucoup que Bachar Al-Assad ne soit pas éliminé. Mais la démocratie n’a été rétablie au Chili qu’avec un compromis qui a laissé le bourreau Pinochet deux ans à la tête de l’Etat et six ans à la tête de l’armée. L’irrésistible processus pacifique a abouti à la condamnation de Pinochet. Si une paix avait été conclue en Algérie en 1956 sur un compromis temporaire, la France n’aurait pas couru le risque d’une dictature militaire qu’a pu éviter le « coup de judo » de De Gaulle, l’Algérie n’aurait pas sombré dans la dictature du Front de libération nationale (FLN), on aurait évité tant de massacres ultimes provoqués par l’Organisation armée secrète (OAS) et le FLN.

Le compromis devrait se faire sous garantie internationale, voire avec la présence de forces de l’ONU. Il arrêterait les massacres et le processus de décomposition de la Syrie. Il arrêterait – avec la radicalisation actuelle – l’irrésistible progression d’Al-Qaida. Il inhiberait les puissances déchaînées de mort et de folie. Entre des impératifs éthico-politiques contradictoires, il constitue le plus prudent pour la Syrie, le Moyen-Orient, la planète. Ce n’est pas la solution, mais c’est le vrai moindre mal et c’est la possibilité d’une évolution pacifique. C’est donc le troisième pari qu’il faut tenter, incertain et risqué, mais moins que les deux autres, et, lui, humain et humanitaire pour un peuple martyr.

 Edgar Morin

Source : Le Monde 04/09/2013

Voir aussi : Rubrique Politique Internationale, rubrique Syrie,

La mort de Ben Laden

Dans la nuit de dimanche à lundi 2 mai, une unité des forces spéciales américaines a abattu Oussama Ben Laden dans la ville pakistanaise d’Abbottabad.

La deuxième mort du fondateur d’Al-Qaida

Le hasard fait, parfois, bien les choses. L’homme qui a incarné le djihadisme international meurt au moment où le « printemps arabe » vient de porter un coup à ce fantasme totalitaire. Dès lors que les peuples arabes se révoltent au nom de la démocratie et non de l’islamisme ou du retour au califat prônés par Al-Qaida, Oussama Ben Laden était un moribond politique.

C’est presque la deuxième mort du fondateur d’Al-Qaida qu’a annoncée dimanche soir 1er mai le président Barack Obama, en indiquant qu’un commando américain avait tué Ben Laden au Pakistan.

Le premier avis de décès, politique celui-ci, du dissident saoudien, on pouvait le lire dans les slogans des manifestants de Tunis et du Caire. Y transparaissaient non pas la haine de l’Occident, « des croisés et des juifs », la haine de l’Amérique, cris de ralliement habituels de Ben Laden, mais un désir de liberté et de démocratie, deux « valeurs » abhorrées par le chef djihadiste. Dans le monde arabe, au moins, Ben Laden avait perdu la bataille : la révolte en cours ne célèbre pas l’islamisme, cette illusion mortelle que portait le chef d’Al-Qaida selon laquelle le retour au califat et à l’islam des origines est la réponse à tous les problèmes des pays musulmans – voire à ceux du monde entier.

Ben Laden meurt au moment où la capacité de mobilisation et d’entraînement de l’islamisme est sur le déclin. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus d’attentats. Ni même qu’Al-Qaida et ses filiales maghrébine et sahélienne ne séviront plus. Il y aura toujours des groupes se réclamant de la marque pour tuer et enlever, ici et là. Le Maroc vient d’en faire l’expérience. Ce culte de la violence la plus aveugle n’est pas le seul héritage laissé par Ben Laden. L’homme qui disparaît a profondément marqué – pour le pire – ce début de XXIe siècle. Oussama Ben Laden, ce fils d’une riche famille saoudienne qui fit ses premières armes dans la lutte contre les Soviétiques en Afghanistan, a façonné le paysage stratégique qui est le nôtre.

Parce qu’ils ont cru devoir répondre par la guerre aux attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis sont toujours empêtrés dans deux conflits : en Irak et, surtout, en Afghanistan. Ces aventures les ont épuisés militairement, budgétairement ; elles ont durablement terni leur image dans le monde arabo-musulman. M.Obama va pouvoir tirer profit aux Etats-Unis de l’élimination de Ben Laden; il n’en reste pas moins enlisé dans l’imbroglio afghan.

L’héritage encore : Al-Qaida a prouvé qu’un petit groupe pouvait perpétrer un crime de masse. Si Ben Laden, doté d’une arme chimique ou biologique, avait pu tuer non pas 3 000 mais 3 millions de personnes à New York, il l’aurait fait. Cette perspective a posé la lutte contre le terrorisme en priorité absolue. Et, au nom de celle-ci, en Amérique, en Europe et ailleurs, l’obsession sécuritaire a conduit à limiter les libertés publiques. On n’en a pas tout à fait fini avec Ben Laden.

Le Monde (02/05/11)

 

Une intéressante réflexion du journal La Croix

« sans baisser la garde face au danger terroriste, les pays qu’il menace doivent se porter aux côtés des jeunes forces, dans les pays du monde arabo-musulman, qui cherchent des voies nouvelles pour développer leur pays et y instaurer la démocratie. (…) Soutenir ces mouvements avec la même détermination, conclut La Croix, la même persévérance qui furent mises en œuvre pour traquer le chef d’Al-Qaïda, c’est – plus efficacement encore – combattre le terrorisme. »


Chine : une étape importante dans la lutte antiterroriste internationale

La Chine a déclaré lundi soir que la mort d’Oussama Ben Laden constituait une étape importante et un développement positif dans la lutte internationale contre le terrorisme. La porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Jiang Yu, s’est ainsi exprimé, commentant la mort du leader du mouvement terroriste Al-Qaïda.

Le président américain, Barack Obama, a annoncé dimanche soir que Ben Laden avait été tué lors d’une opération américaine au Pakistan. « La Chine a pris note de cet annonce », a affirmé Mme Jiang. « Le terrorisme est l’ennemi commun de la communauté internationale. La Chine est également une victime du terrorisme », a-t-elle indiqué.

Elle a souligné que la Chine s’était toujours opposée à toutes les formes de terrorisme et participait activement aux efforts anti-terroristes internationaux. « La Chine soutient que la communauté internationale devra établir une coopération afin de lutter ensemble contre le terrorisme », a réitéré Mme Jiang. « La Chine considère qu’il est nécessaire de trouver une solution temporaire et un règlement permanent dans la lutte contre le terrorisme et de faire de grands efforts pour éliminer le sol sur lequel repose le terrorisme pour se développer, » a ajouté la porte-parole chinoise.

Xinhua (3/05/11)

ONU : La mort de ben Laden est un tournant dans la lutte contre le terrorisme

Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a estimé lundi que la mort du chef d’Al-Qaïda, Oussama ben Laden, annoncée par le président américain Barack Obama, constituait un tournant dans la lutte contre le terrorisme à travers le monde et a appelé à se souvenir des victimes.

« La mort d’Oussama ben Laden annoncée par le président Obama la nuit dernière constitue un tournant dans notre lutte commune et globale contre le terrorisme », a dit Ban Ki-moon dans une déclaration à la presse. « Les crimes d’Al-Qaïda ont touché la plupart des continents, causant des tragédies et la mort de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. Les Nations Unies condamnent dans les termes les plus forts possibles le terrorisme dans toutes ses formes quels que soient ses objectifs et les lieux où il frappe », a-t-il ajouté.

« C’est un jour pour se souvenir des victimes et des familles des victimes ici aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde », a encore dit le secrétaire général. Il a indiqué qu’il se souvenait personnellement très bien du 11 septembre 2001, alors qu’il se trouvait à New York ce jour-là.« Les Nations Unies continueront à combattre le terrorisme et prendront la tête de cette campagne contre le terrorisme », a insisté Ban Ki-moon.

L’opposition indienne accuse le Pakistan de fournir refuge aux terroristes

Le principal parti de l’opposition indienne, le Bharatiy Janata Party (BJP) a annoncé lundi que la mort d’Oussama Ben Laden au Pakistan avait montré que « le Pakistan fournit de refuge aux terroristes ».

« Il a été tué au Pakistan, tout près de sa capitale Islamabad, cela confirme le fait que le Pakistan reste l’épicentre du terrorisme », a indiqué le porte-parole du BJP Ravi Shankar Prasad. « Les terroristes sont encouragés par le Pakistan qui les fournissent de refuge, et la mort de ben Laden au Pakistan est le plus grand exemple », a-t-il ajouté.

 

Dans la presse européenne

El País – Espagne
Un revers important pour Al-Qaida

Si la mort d’Oussama Ben Laden affaiblit le réseau terroriste Al-Qaida, elle ne le détruira pas, estime le quotidien de centre-gauche El País : « La perte de Ben Laden est un revers cinglant pour Al-Qaida. Il sera difficile de remplacer la force symbolique de son leader. Mais Al-Qaida poursuivra son existence et disposera d’un nouvel émir, probablement de l’Egyptien Aiman Al-Zawahiri. Celui se présente depuis des années comme le stratège du terrorisme mondial, même s’il n’est peut-être pas soutenu par tous les acteurs de ce réseau multiforme. Ces dernières semaines ont été arrêtées en Allemagne trois personnes qui étaient en relation avec la cellule dirigeante d’Al-Qaida et qui se préparaient à commettre des attentats-suicides dans le pays. On continuera à recevoir des nouvelles de ce type dans les années à venir. » (03.05.2011)

România Liber? – Roumanie
La jeunesse musulmane a besoin de perspective

La mort du chef d’Al-Qaida Oussama Ben Laden ne signifie pas la fin du terrorisme, ce dont l’Occident est lui-même coupable, estime le quotidien România Liber? : « Ce combat n’existerait pas si la jeunesse appauvrie du monde islamique disposait d’une véritable alternative aux sociétés archaïques et à la violence qui les entoure. … Mais les données statistiques compilées par les organisations internationales ces dernières années montrent combien la situation de l’éducation est décourageante dans les pays musulmans. … La lutte contre les mouvements comme celui d’Oussama Ben Laden devrait être menée avec des livres plutôt qu’avec des bombes, et c’est l’élite politique, culturelle et aussi économique des Etats musulmans qui devrait la mener, plutôt que les généraux des armées occidentales. L’Occident pourrait jouer un rôle important qu’il n’a jusque là pas assumé avec suffisamment de détermination. C’est une obligation ! Si ce n’est par empathie, du moins pour préserver ses citoyens de nouveaux actes terroristes. » (03.05.2011)

De Morgen – Belgique
La fin du choc des civilisations

Avec la disparition d’Oussama Ben Laden, l’indicible « choc des civilisations » peut aussi prendre fin, espère le quotidien De Morgen : « On peut voir dans la mort de Ben Laden la fin presque symbolique du terrorisme fondamentaliste, mais aussi celle de l’exploitation qui en a été faite pour amplifier et problématiser la contradiction entre monde occidental et monde musulman. … Il n’y a dans l’histoire ni table rase ni rupture soudaine d’un jour à l’autre. … Mais la mort de Ben Laden, associée aux évolutions dans les pays arabes, contribuera à ce que l’on ne puisse plus parler de la politique mondiale en des termes manichéens, ‘noir et blanc’, ‘vous et nous’. Elle ne contribuera pas à ce que l’on abandonne la politique hégémonique, ni à ce que tout devienne rose. Mais la mort d’Oussama Ben Laden et le printemps arabe pourraient augurer une ère où les deux ‘cultures’ ne seront plus hermétiques l’une à l’autre. » (03.05.2011)

Le Monde – France
Les révolutions arabes ont tué le djihad

Oussama Ben Laden est mort politiquement depuis déjà longtemps, écrit le quotidien de centre-gauche Le Monde : « La mort physique d’Oussama Ben Laden fait suite à la mort politique du chef d’Al-Qaida, liquidé par les révolutions démocratiques arabes dont les slogans étaient aux antipodes de son idéologie islamiste radicale. Eût-il été éliminé par George W. Bush durant la guerre contre la terreur, Ben Laden aurait pu servir de martyr à la cause jihadiste, voire d’icône aux mouvements anti-occidentaux divers du monde musulman. Sa mort vient clore une sombre décennie dans les relations entre le monde arabe et musulman et l’Occident, ouverte par les attentats du 11-Septembre et refermée par la révolution du jasmin tunisienne, par la place Tahrir au Caire et par les aspirations des peuples arabes à la démocratie et aux droits de l’homme. » (03.05.2011)
Gilles Kepel

The Times – Royaume-Uni
Le Pakistan mis en cause

Le fait qu’Oussama Ben Laden ait pu se cacher aussi près de la capitale pakistanaise préoccupe le quotidien libéral-conservateur The Times : « Un problème certain de Washington est désormais de savoir comment traiter le Pakistan. Il est difficile de croire que personne ne savait ce qui se trouvait dans ce camp largement fortifié – à quelques centaines de mètres d’une école militaire d’élite. Dans le meilleur des cas, Islamabad est coupable de négligence, dans le pire des cas, de complicité. Les Etats-Unis ont désormais besoin du Pakistan à leurs côtés, notamment pour les prochaines décisions sur l’Afghanistan, et traiteront Islamabad avec un certain tact diplomatique. Il serait toutefois imprudent de se fier à ce gouvernement dysfonctionnel. » (03.05.2011)