La proposition était jusqu’alors portée par Nicolas Sarkozy. Le candidat de la droite à la présidentielle, François Fillon, a annoncé mercredi vouloir abaisser la majorité pénale à 16 ans, les mineurs profitant selon lui «de la clémence du système» judiciaire. «Quand on a 16 ou 17 ans, qu’on attaque un policier, on doit savoir qu’on finira en prison», a-t-il déclaré en déplacement à Compiègne, aux côtés du député ultra-sécuritaire Eric Ciotti, en allusion aux heurts survenus ces derniers jours en Seine-Saint-Denis dans le sillage de l’affaire Théo. Cette proposition, qui ne figurait pas dans le programme de François Fillon, est régulièrement avancée par la droite comme solution pour lutter contre la délinquance des mineurs, souvent dans la foulée de fait divers impliquant un jeune – par exemple en 2011 pendant l’affaire de Florensac.
Juger les jeunes de 16 à 18 ans comme des adultes impliquerait de revenir sur l’ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs, prise après la Libération et modifiée une cinquantaine de fois, notamment sous Nicolas Sarkozy. Ce texte, qui pose les fondements de la justice des mineurs française, ne permettrait pas, selon le candidat de la droite, «d’apporter une réponse proportionnée aux actes de délinquance commis par des individus de 16 ou 17 ans». Décryptage sur la réalité de la situation actuelle et les conséquences des changements envisagés.
La fin des tribunaux pour enfants
Premier point : contrairement à ce que laisse entendre François Fillon, les mineurs ne sont pas irresponsables pénalement, loin de là. «Tout mineur de 13 à 18 ans risque de se voir imposer une véritable sanction pénale, notamment de l’emprisonnement. Il est donc inexact de prétendre que les mineurs bénéficieraient d’une sorte d’impunité de principe», explique Michel Huyette, ancien juge des enfants, sur son blog. En France, il n’existe en effet pas de limite d’âge pour être déclaré coupable d’une infraction, l’article 122-8 du code pénal disposant que la responsabilité pénale est reconnue si le mineur est «capable de discernement». L’âge de la responsabilité pénale, c’est-à-dire l’âge à partir duquel un mineur peut être considéré comme pénalement responsable de ses actes et donc susceptible d’être condamné, n’est pas précisément fixé. Le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, l’a d’ailleurs rappelé ce jeudi. Le mineur encourt des poursuites pénales dès 13 ans : amende, placement dans un centre éducatif fermé, et incarcération. Avant cet âge, des mesures éducatives (pour les mineurs de moins de 10 ans) et des sanctions éducatives (à partir de 10 ans) peuvent être prononcées, comme l’interdiction de fréquenter certaines personnes, la confiscation d’objets ou un suivi obligatoire d’un stage de formation civique, comme le détaille le site Service-public.fr.
Les mineurs relèvent en revanche d’une justice spécialisée. Les enfants et les adolescents ne sont pas déférés aux juridictions pénales de droit commun, mais relèvent du juge des enfants ou d’un tribunal pour mineur : le tribunal pour enfants ou la cour d’assises pour mineurs (qui juge les crimes commis par les 16-18 ans). Les assesseurs n’y sont pas des magistrats professionnels, mais des citoyens recrutés pour l’intérêt qu’ils portent aux questions de l’enfance. Si la majorité pénale était, comme le souhaite François Fillon, abaissée à 16 ans, les justiciables de 16 ou 17 ans comparaîtraient donc devant un tribunal correctionnel ou une cour d’assises ordinaire. «Un mineur serait jugé comme un majeur, sans aucune prise en compte de l’aspect éducatif», explique à Libération Ludivine Leroi, avocate, coprésidente du groupe de défense des mineurs au barreau de Rennes. Adieu donc, si l’on suit le raisonnement de François Fillon, les mesures éducatives qui accompagnent actuellement toujours les peines d’emprisonnement des mineurs.
Une excuse de minorité systématiquement levée
Si les mineurs peuvent être condamnés à une peine de prison dès 13 ans, ils ne peuvent être, sauf rares exceptions, sanctionnés aussi durement qu’un majeur pour les mêmes faits. De 13 à 15 ans, la peine ne peut en effet excéder la moitié de la peine maximum prévue pour un majeur coupable des mêmes faits. Cette atténuation de la peine, prévue par l’ordonnance de 1945, est nommée «excuse de minorité». A partir de 16 ans en revanche, le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs peut décider de lever ce principe de la diminution de peine de moitié, par exemple dans les cas de délinquants multirécidivistes. Le mineur peut être, dès lors, condamné comme un majeur. Un adolescent de 16 ou 17 ans qui brûle une voiture peut, dans ce cas, se voir infliger une peine allant jusqu’à dix ans de prison ferme (contre cinq ans de prison aujourd’hui si l’excuse de minorité est maintenue). L’objectif de François Fillon serait donc de faire de cette exception une règle générale : le bénéfice de la réduction de moitié de la peine encourue n’existerait plus à partir de 16 ans.
Pour Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny, cela irait à l’encontre la spécificité de la justice des mineurs, à savoir «la prise en charge de la personne», qui vise à accompagner le mineur pour éviter qu’il récidive : «La justice ordinaire considère que chaque acte mérite une sanction, une réponse, alors que ce que l’on demande au juge des enfants, c’est de faire qu’une personne ne soit pas délinquant toujours, explique-t-il. La justice des majeurs vise à sanctionner le passé, justice des mineurs vise à préparer l’avenir.» Comme le souligne ce spécialiste du droit des enfants sur son blog, la délinquance juvénile n’est pas en augmentation, et l’emprisonnement des mineurs est loin d’être anecdotique : les peines de prison représentaient près d’un tiers des peines prononcées à l’encontre des mineurs en 2015, soit la peine la plus prononcée (et près de 10% pour l’emprisonnement ferme), selon le ministère de la Justice. 769 mineurs étaient écroués au 1er janvier 2017. La peine maximale était la réclusion criminelle à perpétuité jusqu’à la loi Modernisation de la justice du XXIe siècle de décembre 2016. Elle est désormais de trente ans. Matthieu Moulinas, 15 ans au moment des faits, a été condamné à la réclusion à perpétuité en appel en 2014 pour le meurtre d’Agnès Marin au Chambon-sur-Lignon.
Des obstacles juridiques
La mise en place de l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans se heurterait aussi à plusieurs obstacles juridiques : la France a en effet ratifié la Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, qui prévoit la nécessité d’une justice spécifique pour les mineurs. En 2002, le Conseil constitutionnel a aussi jugé que la majorité pénale fixée à 18 ans, fixée par la loi du 12 avril 1906, était un principe constitutionnel.
D’autant que la justice des mineurs française est déjà l’une des plus répressives en Europe, souligne Dominique Attias, ex-responsable de l’antenne des mineurs du barreau de Paris (et signataire d’une tribune parue en 2011 dans Libération contre la création de tribunaux correctionnels pour mineurs). «Un enfant peut avoir un casier judiciaire à l’âge de 10 ans. On prend les empreintes génétiques des jeunes à partir de 13 ans, même s’ils sont relâchés ou s’ils sont reconnus innocents», rappelle-t-elle à Libération. Juger systématiquement les mineurs de 16 ou 17 ans comme des adultes serait, selon l’avocate, «totalement contre-productif pour la société et pour le jeune, et même dangereux». L’inscription d’une peine sur le casier judiciaire d’un adolescent pourrait notamment avoir des conséquences en termes d’insertion professionnelle. «La société est là pour remettre sur le droit chemin, pas pour stigmatiser, insiste Dominique Attias. La majorité des jeunes, qui ont affaire à la justice des mineurs, s’en sortent, parce qu’ils sont pris en main par des éducateurs qualifiés, des magistrats et des procureurs spécialisés. Même les plus irréductibles.»