La militante espagnole de l’aide aux migrants Helena Maleno jugée au Maroc : “Un moyen d’intimider les défenseurs des droits humains”

Capture d'écran d'un entretien avec Helena Maleno mené par Javier Sánchez Salcedo pour le site d'information Mundo Negro. Visible sur YouTube et sur le site web.

Capture d’écran d’un entretien avec Helena Maleno mené par Javier Sánchez Salcedo pour le site d’information Mundo Negro. Visible sur YouTube et sur le site web.

Le 31 janvier, la militante des droits humains et chercheuse espagnole Helena Maleno devait comparaître en justice au Maroc pour la deuxième fois, accusée de participation à un réseau de  traite des êtres humains du fait de son activité d’aide aux migrants qui se retrouvent à la dérive en Méditerranée.

Helena Maleno fait partie de l’organisation non gouvernementale Caminando Fronteras (Marcher les Frontières), qui défend les groupes de migrants surtout en provenance d’Afrique sub-saharienne. L’accusation portée contre elle est basée sur ses appels téléphoniques aux services de sauvetage maritime pour les alerter sur la présence de canots en perdition.

Les multiples organes de médias qui l’ont interviewée ces derniers jours soulignent souvent que Maleno a toujours son téléphone à la main, et reçoit constamment des appels de personnes en danger en mer. “Mon téléphone leur est accessible. Je ne sais pas qui sont la plupart des gens qui m’appellent. Ils se donnent mon numéro les uns aux autres et m’appellent quand il y a une urgence”, a dit Maleno au quotidien espagnol El País.

Les ennuis judiciaires de Maleno ont commencé en Espagne, où un tribunal a conclu en 2017 qu’ il n’y avait aucun caractère délictuel dans le travail de Maleno. En revanche, les autorités du Maroc, pays où elle a travaillé pendant 16 ans, a rouvert l’affaire en réponse à la plainte d’un service de la police espagnole appelé Unité centrale contre les réseaux d’immigration et de faux papiers (UCRIF, en espagnol), le même qui avait saisi la justice espagnole.

Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi la police espagnole a envoyé au Maroc un dossier où on m’accuse de trafic d’êtres humains, alors qu’un procureur en Espagne a déjà déclaré l’affaire close. Nous ne pouvons pas établir un précédent où l’on poursuit ceux qui font un travail humanitaire.

 

Criminaliser la migration et le travail humanitaire

La même inquiétude est partagée par les divers militants et organisations qui soutiennent le travail de Maleno, comme l’équipe de direction de la Fondation porCausa, un collectif de journalistes et de chercheurs dédié à représentation du phénomène migratoire dans les médias.

[…] la personnalisation d’une offensive politique comme celle qu’exécute le Maroc contre Helena Maleno est une façon d’intimider ceux qui veulent faire quelque chose de semblable. Cela affaiblira encore plus les déjà rares réseaux de protection des migrants utilisant cette route […] La possibilité que le Ministère de l’Intérieur espagnol — ou certains de ses agents — transfère au Maroc l’attaque qui n’a pas abouti ici [en Espagne] revêt une gravité si extraordinaire qu’elle doit être clarifiée au plus tôt.

[…] La frontière sud de l’Espagne est le théâtre de nombreuses illégalités, dont aucune n’est en relation avec l’activité de Maleno : renvois immédiats (sanctionnés par la Cour de Strasbourg), violation d’autres garanties de protection internationale, détentions arbitraires, maltraitance et mépris des droits des enfants, pour ne citer que les violations les plus criantes. S’embarquer dans un harcèlement aussi féroce des défenseurs des droits humains serait franchir un point de non-retour.

Les expulsions collectives, ou renvois imméediats, mentionnés ci-dessus font référence à l’expulsion sous la contrainte de migrants arrivés sur le sol espagnol, une pratique au mépris des protections établies par le droit international.

Le cas de Maleno n’a rien d’exceptionnel. Selon des signalements d’Amnesty International, José Palazón, le président de l’ONG Pro Derechos de la Infancia (Pour les droits de l’enfance), a été attaqué injustement par plusieurs organes de médias dans la ville de Melilla, une enclave espagnole sur la côte nord du Maroc, ainsi que par le Conseiller au Bien-être social. Les attaques verbales prétendaient disqualifier le travail de Palazón en prétendant qu’il ne s’agissait que d’une “bataille personnelle” ne bénéficiant à personne.

Ceci coïncide avec l’attitude générale de rejet des migrants arrivant en Europe qui se banalise à travers l’Union européenne, tandis que les périls demeurent pour ceux qui y cherchent refuge en traversant la Méditerranée : depuis le début de 2014, 14.000 personnes sont mortes en mer.

#DéfendreCeuxQuiDéfendent

Maleno a reçu un soutien résolu du monde entier, et les témoignages de solidarité sont visibles sur les médias sociaux.

Une pétition, créé sur la plate-forme Intermón d’Oxfam et diffusée sous le mot-clé #DefenderAQuienDefiende (#DéfendreCeuxQuiDéfendent), exige que le gouvernement espagnol intervienne pour aider Maleno.

Dans le même temps, en Espagne, les membres de plus de 20 organisations ont manifesté leur soutien dans les rues de Grenade :

Hier, par accionenred Granada [Action sur le net Grenade], avec plus de 20 organisations sociales et partis politiques, nous avons voulu montrer notre solidarité et soutien à Helena Maleno et au travail solidaire qu’elle effectue.

 

Avec leur système d’alerte, Maleno and Caminando Fronteras ont contribué au sauvetage de centaines de personnes qui se sont embarquées dans des conditions précaires pour des traversées incroyablement périlleuses. Maleno aide aussi à donner aux migrants une meilleure qualité de vie et se bat pour la reconnaissance de leurs droits humains de base.

Son activité de militante et sa dénonciation des injustices sociales ont valu à Maleno d’être distinguée par le Conseil général des avocats espagnols en 2015.

Le fondement du travail de Maleno et de Caminando Fronteras est aussi d’humaniser ceux qui s’embarquent pour l’Europe. Une partie de cet effort se voit dans leur travail de sensibilisation pour essayer de faire comprendre aux citoyens européens les circonstances et la résilience des populations qui arrivent à leurs frontières. Elle l’explique dans la vidéo ci-dessous :

https://www.youtube.com/watch?v=5efK7gugYag

« Je ne veux pas qu’il y ait des renvois immédiats. […] Ce n’est pas parce que tu es de Guinée-Bissau, pas parce que tu es noir, mais parce que je veux un monde sans renvois immédiats. […] c’est parce que aujourd’hui c’est toi et demain ça sera nous […] Ça peut changer à tout moment. […] Nous sommes tous dans le même bateau […] s’il coule nous coulerons tous. »

Source : Global Voices 01/02/2017

Voir aussi : Actualité internationale, Rubrique Société citoyenneté, Justice, rubrique Politique, politique de l’immigration,

Maroc: la campagne anti-corruption bute sur «une pandémie» devenue incontrôlable

«Plus question de prétendre à un droit si l'on ne met pas la main à la poche», dénonce un internaute marocain.

«Plus question de prétendre à un droit si l’on ne met pas la main à la poche», dénonce un internaute marocain.

Au Maroc, la corruption monte en flèche. C’est un véritable fléau qui n’épargne aucune couche sociale à travers le royaume. La situation est grave, constate Transparency Maroc. L’ONG appelle les autorités de Rabat à accélérer la mise en œuvre de la stratégie nationale adoptée en 2015 pour endiguer ce phénomène.
Le rapport que vient de publier Transparency Maroc est très alarmant. L’ONG dénonce une corruption devenue «endémique et systémique» à travers tout le royaume. Et ce malgré les initiatives menées par les autorités.

Aucune amélioration significative n’est perceptible depuis plusieurs années. La situation s’est même dégradée depuis 2010, lorsque des Marocains exprimaient la honte qu’ils éprouvent face à ce fléau.

«Au Maroc, la corruption n’est plus une maladie, elle est devenue carrément une pandémie. Plus question de prétendre à un droit, quelle qu’en soit l’évidence, si l’on ne met pas la main à la poche», écrivait Seddouki Foued sur son blog.

Sept ans après, la corruption est plus que jamais présente dans les institutions publiques et privées. Elle se pratique couramment dans certains secteurs comme la police, l’administration et la douane.

Pour combattre cette gangrène, les autorités ont mis à la disposition des citoyens un site internet et un numéro vert pour dénoncer les actes de corruption de façon anonyme. Mais les Marocains ne s’impliquent pas résolument dans ce combat, regrette Transparency Maroc.

«Curieusement, le nombre de réclamations est en baisse, en dépit des campagnes de sensibilisation. La campagne contre la corruption ne peut être efficiente que si elle est accompagnée d’un mouvement de dénonciation de la part des Marocains», observe l’ONG.

«La corruption se banalise et s’assume»
Dans une tribune publiée sur le site Economia, le professeur Kamal El Mesbahi, ancien membre de l’instance centrale de prévention de la corruption explique qu’au Maroc, la tolérance sociale vis-à-vis de la corruption est très forte en raison d’un sentiment diffus d’impunité et une inégalité des citoyens devant la loi.

«La corruption se banalise et s’assume comme comportement normal. Plus la perception du risque encouru est faible, que ce soit en termes de détection ou de sanction, plus la dissuasion perd de ses attributs, et plus elle est admise», peut-on lire dans sa tribune, publiée dans la revue Pouvoirs, N°145, 2013.

Des pots de vin pour l’attribution d’un marché public
Si le mouvement de dénonciation reste plutôt timide dans le pays, quelques affaires de corruption très médiatisées ont marqué les esprits. Le 7 janvier 2018, la presse marocaine a annoncé la condamnation à des peines de prison ferme de treize gendarmes poursuivis pour corruption. Parmi eux, un colonel et son adjoint ont écopé d’une peine de quatre ans.

En décembre 2017, un ancien patron de l’Agence nationale de l’assurance maladie a écopé d’une peine de dix mois de prison ferme après avoir réclamé des pots de vins pour l’attribution d’un marché public.

Sur le banc des accusés se trouvait aussi un ancien journaliste de la télévision publique, reconverti en dirigeant d’agence de communication. Il a écopé de deux ans de prison, dont six mois ferme, dans la même affaire, rapporte l’AFP.

Selon les chiffres fournis par le ministère marocain de la Justice, 31 personnes ont été condamnées après avoir été dénoncées sur le numéro vert anti-corruption entre le 25 juin 2015 et fin septembre 2017.

Des résultats insignifiants au vu de l’ampleur du phénomène, souligne le rapport de Transparency Maroc. L’ONG appelle le gouvernement à déployer davantage d’efforts pour mettre en œuvre sa stratégie de lutte contre la corruption adoptée en 2015.

Les ravages de la corruption sexuelle
La corruption sexuelle, c’est le fait pour une personne, fonctionnaire ou employé du privé, d’exiger des faveurs sexuelles en contrepartie d’une prestation qui fait partie de ses fonctions. Un fléau totalement ignoré par le législateur marocain. Les nombreuses femmes qui en sont victimes souffrent en silence. Le plus souvent, elles n’osent pas porter plainte, rappelle Michèle Zirari, juriste et Secrétaire général adjointe de Transparency Maroc.

«Dans le cadre du Code pénal marocain, les femmes victimes de corruption sexuelle peuvent être considérées comme étant complices, et par conséquent, sanctionnées pour relations sexuelles en dehors du mariage. Le vide juridique est flagrant», déplore-t-elle.

Elle plaide donc l’impérieuse nécessité d’intégrer le combat contre la corruption sexuelle dans les actions de lutte engagées par les autorités marocaines.

Dans le classement de l’indice de perception de la corruption établi par Transparency International, le Maroc occupe le 90e rang sur 176, avec le score de 37 points sur 100.

 Martin Mateso

Source Géopolis 11/01/2018

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Méditerranée, Maroc, Même sans Zefzafi, le « Hirak » du Rif se poursuit, Hirak: Grande manifestation à Al Hoceima, sit-in dispersés à Casablanca et Rabat rubrique Politique, société civile, rubrique Société, Mouvements sociaux,

Libye : six ans après la chute de Kadhafi

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La Libye est divisée en deux et en proie à l’anarchie. Pour assurer la stabilité du pays, l’ONU voudrait un compromis entre belligérants. Mais chaque camp est lui-même traversé de clivages.

Deux gouvernements, soutenus chacun par plusieurs factions armées, se disputent aujourd’hui la Libye. Alors que le pays avait été abandonné à son sort après la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, le chaos que provoque cette division a poussé la communauté internationale à s’impliquer de nouveau dans le règlement des tensions intralibyennes.

L’implantation de l’Etat islamique dans la ville de Syrte, en juin 2015, a en effet provoqué un électrochoc dans les pays voisins, eux-mêmes soumis à la menace terroriste (Tunisie, Algérie), et dans les pays européens les plus proches. Certes, l’Etat islamique a été par la suite chassé de la ville, mais ses combattants, dont beaucoup sont étrangers, continuent aujourd’hui de semer la terreur dans la région du « croissant pétrolier ».

Confrontés par ailleurs à l’arrivée de migrants subsahariens qui transitent par la Libye, les Etats de l’Union européenne voudraient favoriser le rétablissement dans le pays d’institutions assez fortes pour contenir ces flux, comme le faisait en son temps Kadhafi, lorsque les contreparties que lui offraient des pays telle l’Italie lui semblaient suffisantes.

Ces différents objectifs ont poussé certains Etats membres, comme la France en juillet dernier, à tenter de jouer les médiateurs entre les principaux acteurs politiques libyens. Cependant, c’est surtout l’Organisation des Nations unies (ONU) qui est à la manoeuvre pour mettre en place un processus, constitutionnel et électoral, qui permette au pays de retrouver un minimum de stabilité. Un pari qui se heurte aux priorités respectives des multiples acteurs locaux.

Un pays, deux gouvernements

A Tripoli, dans la partie occidentale du pays, siège aujourd’hui le gouvernement d’union nationale dirigé par Fayez al-Sarraj. Sa nomination est intervenue en mars 2016, à la suite de la conclusion de l’accord signé à Skhirat, au Maroc, en décembre 2015, par différentes forces politiques libyennes, déjà sous les auspices des Nations unies. L’objectif était de mettre un terme à la confrontation entre les deux gouvernements qui contrôlaient chacun une partie du pays depuis mai 2014. Le premier siégeait à Tripoli, le second à Tobrouk, à l’est du pays, et chacun disposait de forces militaires plus ou moins éparses.

Même s’il n’est pas le titulaire officiel du pouvoir à Tobrouk, le véritable homme fort de ce gouvernement de l’est est un militaire, le général Khalifa Haftar. En mai 2014, cet officier avait tenté un coup de force contre les institutions issues des législatives de 2012, promettant « d’éradiquer du pays les Frères musulmans et les islamistes ». La scène politique libyenne issue des urnes était alors divisée entre une faction dite libérale (appuyée sur différentes milices, dont celle de Zintan) et une autre appelée islamiste (soutenue par les milices de Tripoli et de Misrata). Leur affrontement était marqué par des violences croissantes.

Le coup de force de Khalifa Haftar s’est cependant heurté à la résistance des milices de la mouvance islamiste, ce qui a précipité la coupure en deux du pays en deux camps armés à partir de mai 2014. L’accord de Skhirat de décembre 2015 entendait mettre fin à cette coupure, mais il bute sur les réalités politiques et militaires du terrain.

En effet, si Fayez al-Sarraj bénéficie de la légitimité internationale et du soutien des pays occidentaux depuis son installation à Tripoli, en mars 2016, il ne dispose ni d’une véritable armée ni d’une vraie police pour gérer la partie orientale du pays. Il est donc totalement dépendant de milices comme la Force Rada, les Brigades révolutionnaires de Tripoli, les Brigades Ghewa et, surtout, la Troisième Force de Misrata, qui, en décembre 2016, a libéré Syrte de l’Etat islamique au terme de six mois de combats et de nombreuses pertes.

Des forces opposées

En revanche, d’autres milices également présentes à l’ouest et proches des Frères musulmans ont refusé de se soumettre à l’autorité du Premier ministre, reconnu par la communauté internationale. En février-mars 2017, des combats entre factions pro et anti-Sarraj ont abouti à l’éviction des secondes de Tripoli. Une victoire trompeuse cependant, tant le Premier ministre, qui est accusé d’abandonner la Libye « aux mains des puissances étrangères », bénéfice d’un faible soutien politique au niveau local. Et cela d’autant plus que son gouvernement dispose de peu de moyens financiers pour répondre aux problèmes économiques et sociaux du pays.

Certes, en dépit de l’anarchie qui règne en Libye, la banque centrale a continué à verser leurs salaires à tous les employés de l’Etat. Et elle a été en mesure de compenser l’effondrement de la production et du prix de pétrole entre 2014 et 2016 grâce à ses réserves et ses avoirs en dollars. Mais ces réserves s’amenuisent et le prix du baril ne remonte pas ; seule la production de pétrole est repartie à la hausse en 2017, retrouvant un niveau équivalent à celui de 2013. Il faut noter que, à l’exception de l’Etat islamique, qui a perpétré des attaques contre les infrastructures pétrolières en janvier 2016, les parties belligérantes se sont, dans une large mesure, abstenues d’endommager les installations ; elles « ont systématiquement confié à la NOC [la compagnie pétrolière nationale] la gestion des terminaux pétroliers, alors même que la région a changé de mains à plusieurs reprises »1.

De son côté, l’homme fort de l’est du pays, le général Haftar, a renforcé ses positions au cours des derniers mois, grâce à ce qu’il qualifie d’ »armée nationale », c’est-à-dire des troupes composées d’anciens militaires de carrière du régime Kadhafi et de miliciens, notamment salafistes. Leur guerre d’usure contre des milices jihadistes, qu’elles affrontaient à Benghazi depuis trois ans, a fini par porter ses fruits. La grande ville de l’Est a été proclamée libérée en juillet 2017. Soutenue par l’Egypte, les Emirats arabes unis et des mercenaires soudanais, l’armée du général Haftar s’est aussi emparée de gisements pétroliers, elle a reconquis Derna, Ben Jawad et s’est assurée du contrôle de la région militaire de Sebha, au sud.

Trafic d’êtres humains

Les gains territoriaux de Khalifa Haftar lui permettent de peser sur les négociations en cours, qui se déroulent sous l’égide des Nations unies. Le représentant spécial de l’ONU, Ghassan Salamé, souhaiterait obtenir l’accord des deux gouvernements libyens pour organiser une conférence nationale, préalable à l’adoption d’une Constitution et à l’organisation d’élections législatives et présidentielle. Il est néanmoins à craindre que les belligérants, après avoir assuré leur autorité sur leurs régions respectives, décident non pas de trouver un compromis mais d’en découdre militairement.

Or, pour les Libyens, le temps presse. Dans son rapport d’août 2017, l’ONU s’est déclarée « préoccupée par l’anarchie qui règne dans le pays. Les enlèvements et les prises d’otages, y compris d’enfants, la torture et d’autres types de mauvais traitements, les exécutions sommaires et les homicides illégaux, les disparitions forcées, notamment celles de personnes impliquées dans le trafic d’essence avec les pays voisins, constituent une menace directe contre l’Etat de droit et font obstacle aux efforts visant à rétablir la stabilité. » L’anarchie a également favorisé l’implantation de milices mafieuses, qui, du littoral aux confins du Sahara, font du trafic d’êtres humains, notamment de migrants, mais aussi d’armes, de drogue et d’essence. Une dégradation continue que les négociations entre acteurs politiques semblent, pour l’heure, incapables d’endiguer.

Luis MARTINEZ

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  • Population : 6 millions
    PIB : 90 milliards de dollars
    Taux de croissance : – 2,8 %
    Taux de chômage : 19 %
    Espérance de vie : 72 ans

    Source : Banque mondiale, « African Economic Outlook »

     

     

     

  • 1. Rapport final du groupe d’experts sur la Libye créé par la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée le 17 mars 2011, 1er juin 2017, page 3 (https://lc.cx/x9i5).

Source : Alternatives Economiques Hors-série n°113 – 01/2018

Mort de Rémi Fraisse : non-lieu en faveur du gendarme

Rémi Fraisse a été tué par une grenade offensive lancée par un gendarme lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens. DR

Rémi Fraisse a été tué par une grenade offensive lancée par un gendarme lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens. DR

Le militant écologiste avait été tué en 2014 lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens. Son père dénonce une « justice aux ordres ».

Les juges ont délivré ce mardi une ordonnance de non-lieu en faveur du gendarme après la mort de Rémi Fraisse en octobre 2014 lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens. Cette décision est conforme à la réquisition du procureur de Toulouse.

Le jeune militant de 21 ans, passionné de botanique, a été tué par une grenade offensive. «L’ordonnance de non-lieu était inévitable car personne n’avait été mis en examen (dans cette affaire), donc ce n’est pas réellement une surprise», a indiqué l’avocat du gendarme, Me Jean Tamalet. Le maréchal des logis J., qui avait tiré la grenade présumée mortelle, avait été entendu en tant que témoin assisté le 18 mars 2016 et n’avait pas été poursuivi.

«La raison d’Etat a prévalu»

«Par ailleurs, le réquisitoire définitif réclamait un non-lieu en insistant sur les fruits de l’instruction qui concluaient à un épouvantable accident», a ajouté son avocat. Selon le réquisitoire définitif du parquet, cité par l’avocat, le gendarme n’a commis aucune faute et à aucun moment il n’a «visé qui que ce soit». «Mon client est soulagé, même s’il continue à vivre avec ce drame», a souligné Me Tamalet. Avec cette décision «il va pouvoir continuer à se reconstruire».

 

«Un jeune homme pacifique»

Mais après l’annonce du non-lieu, le père de Rémi Fraisse a dénoncé une «justice aux ordres». «La raison d’Etat de deux gouvernements successifs a prévalu alors qu’il n’y avait aucune raison puisqu’il y a mort d’homme», a réagi Jean-Pierre Fraisse.

Le parquet de Toulouse était revenu dans ses réquisitions sur la personnalité de Rémi Fraisse : «Un jeune homme totalement intégré, calme, pondéré et pacifique». «Rien dans son parcours, bien au contraire, ne met en exergue une quelconque agressivité ou acte de violence à l’encontre des institutions ou représentants des forces de l’ordre», avait-il souligné.

L’usage des grenades désormais interdit

La mort du militant écologiste a donné lieu à plusieurs passes d’armes entre politiques. Lors de sa campagne des législatives, Jean-Luc Mélenchon avait notamment visé Bernard Cazeneuve en disant «le gars qui s’est occupé de l’assassinat de Rémi Fraisse». Ce dernier était ministre de l’Intérieur lors du drame.

Depuis mai 2017, l’usage des grenades offensives de type F1 est définitivement interdit. C’est le Défenseur des droits Jacques Toubon qui avait demandé le retrait de ces grenades. Il avait également dédouané le gendarme dans la mort de Rémi Fraisse. Le projet de barrage a depuis été abandonné, mais un autre, réduit de moitié, est à l’étude. Les zadistes qui occupaient le site en ont été délogés le 6 mars 2015.

La famille du militant va faire appel du non-lieu

«La décision des juges est susceptible d’appel. Nous allons faire appel !», a affirmé Me Claire Dujardin, soulignant qu’elle était décidée à aller «au bout» de la procédure en France mais qu’elle ne se «fait pas d’illusion».

«On sait déjà comment ça va se passer», a-t-elle ajouté, rappelant dans un communiqué que ses «demandes d’acte ont toutes été refusées: absence de reconstitution, d’appel à témoins, d’auditions du préfet du Tarn»…

«Toute personne qui sait lire verra dans le dossier les incohérences, les zones à exploiter, les manquements dans les responsabilités de l’autorité civile. Toute personne découvrira aussi, les contradictions dans les auditions des gendarmes… Les juges ne s’en sont pas saisi !», a-t-elle déploré.

L’avocate est prête à porter «les faits devant la Cour européenne des Droits de l’Homme» et à demander «à ce que la responsabilité de l’Etat soit engagée».

Source AFP Le Parisien 09/01/2018

Voir aussi : Actualité France, Rubrique Société, Citoyenneté, Justice, Les policiers tentent la défense du viol… par accident, « Quelque chose de – vraiment – pourri dans le royaume de France », Politique, Société civile, La doctrine de maintien de l’ordre a changé. L’objectif est maintenant de frapper les corps, Utilisation de gaz poivre contre les migrants à Calais,

En France, les hommes gagnent 50 % de plus que les femmes. Vrai ou faux ?

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Réponse : c’est parfaitement vrai, mais il faut expliquer car ce chiffre est plus élevé que ceux qui circulent (en général à l’occasion de la journée mondiale du 8 mars, avant de tomber dans l’oubli les autres jours de l’année…).

Je débute l’année 2018 avec ce billet dont l’idée m’est venue en lisant le formidable rapport mondial sur les inégalités (malheureusement en anglais), dont la presse a abondamment parlé… pendant quelques jours. On trouve le rapport complet sur le site http://wir2018.wid.world/ , mais aussi un résumé en français (20 pages), ainsi que de nombreux fichiers de données sur la page « methodology ».

Dans ce rapport figure une section (n° 2.5) consacrée aux inégalités de revenu en France, dont, à la fin, une brève analyse du « gender pay gap » (écart de revenu du travail entre les femmes et les hommes) dans un paragraphe intitulé « Gender pay gaps may be falling, but men are still paid approximately 50% more than women ». Soit : l’écart des rémunérations selon le sexe se réduit, mais les hommes gagnent encore environ 50 % de plus que les femmes.

Les preuves statistiques se trouvent dans l’un des fichiers liés au rapport lui-même, mais elles sont plus complètes dans un article de fond que je vais utiliser et dont le lien est ici : http://piketty.pse.ens.fr/files/GGP2017DINAAppendix_WIDWP201705.pdf

Commençons par le graphique choc qui justifie ce chiffre de « environ 50% » (de plus pour les hommes en moyenne). C’est un graphique par âge. Pour chaque âge entre 25 ans et 65 ans, on a le rapport entre les rémunérations du travail des hommes et celles des femmes en 2012. Par exemple, à 25 ans, les hommes gagnent environ 25% de plus que les femmes du même âge (coefficient 1,25 sur l’axe vertical), à 35 ans, c’est 41% de plus, à 40 ans c’est 51% de plus, et à partir de 55 ans, on dépasse 60 % de plus pour les hommes. Encore faut-il préciser ce que l’on calcule alors comme « rémunération du travail » des femmes et des hommes pour chaque âge.

Il y a deux points essentiels pour comprendre ces données. Le premier est que les revenus du travail (ou associés au travail) pour chaque âge incluent non seulement les salaires ou une fraction du « revenu mixte » des entrepreneurs et indépendants (ce que l’on peut assimiler à une rémunération d’activité personnelle), mais également l’assurance chômage éventuelle, et les éventuelles pensions de retraite des 65 ans et moins. Cette extension est une convention, discutable comme toutes les conventions, mais elle me semble bienvenue pour évaluer ce que les uns et les autres perçoivent vraiment comme revenus liés à l’activité professionnelle entre 25 et 65 ans.

En d’autres termes, si on se limite aux personnes en emploi, les hommes ne gagnent pas en moyenne 50 % de plus que les femmes. C’est plutôt de l’ordre de + 34 à 35 % selon une étude à laquelle j’ai contribué et dont j’ai parlé sur ce blog (lien : https://blogs.alternatives-economiques.fr/gadrey/2017/10/31/les-couts-gigantesques-des-inegalites-professionnelles-entre-les-femmes-et-les-hommes ). Mais si l’on tient compte de l’inégalité des taux d’activité ou d’emploi selon le sexe, alors oui, le graphique précédent est impeccable et le chiffre moyen de 50% est exact.

Cet écart est énorme, mais vous pouvez si besoin vous rassurer en vous disant que, en 1970, le rapport moyen des rémunérations H/F, au sens donné dans cette étude, n’était pas de 1,5 comme aujourd’hui, mais d’environ 3,5. Cela s’explique par le fait qu’en 1970, le taux d’emploi des femmes était encore très bas : pour les femmes de 25 à 59 ans, il était de 46 % (93% pour les hommes), contre 79 % aujourd’hui (88% pour les hommes).

« PLAFOND DE VERRE » ET « PLANCHER COLLANT »

Inversement, au cas où l’argument précédent vous aurait un peu trop rassuré, au point de vous faire croire que la bataille de l’égalité était sur le point d’être gagnée, voici de derniers chiffres pour tempérer votre optimisme. Certes, les choses ont globalement bien changé au cours des dernières décennies, mais le taux d’accès des femmes aux emplois les mieux payés reste misérable. En 2012, la proportion de femmes parmi les 1% les mieux rémunéré.e.s n’était que de 16%, et de 12% seulement parmi les 0,1% « du haut ». Pis encore : ces proportions « en haut » n’augmentent que très lentement, au point que, au rythme actuel de ce rattrapage, il faudrait attendre l’an 2102 pour atteindre l’égalité au sein des 1%, et 2144 pour les 0,1%…

Mais ce n’est pas tout. Il n’y a pas qu’en haut de la hiérarchie des professions et des revenus que les femmes restent très inégalement traitées. Ce « plafond de verre » est une injustice, mais le « plancher collant » en est une autre, qui concerne encore plus de monde. On rappelle, ce qui n’est pas dans le rapport mondial (mais ce n’est pas son objet), que les femmes représentent environ 75 % du sous-emploi (temps partiel subi et chômage technique), 80 % des emplois salariés à temps partiel, mais aussi 80% des employé.e.s considéré.e.s comme « non qualifié.e.s », c’est-à-dire en réalité sous-payé.e.s en dépit de compétences et de responsabilités réelles mais non reconnues, comme dans le cas des auxiliaires de vie des personnes âgées.

Le second point est plus important encore : ces calculs concernent toute la population de chaque âge, pas seulement celle qui occupe un emploi rémunéré (ou qui est au chômage ou à la retraite). C’est une perspective également très intéressante pour évaluer la répartition des revenus d’activité entre les sexes en intégrant dans l’analyse le fait que les femmes et les hommes (de 25 à 65 ans) accèdent inégalement à l’activité et à l’emploi, ce qui se répercute sur les revenus liés à l’activité de chaque sexe.

Jean Gadrey

Source Blog de Jean Gadrey hébergé par Alternative Economique 08/01/2018

Voir aussi : Actualité France, Rubrique SociétéDroit des femmesEmploi, rubrique Economie,