Maroc: la campagne anti-corruption bute sur «une pandémie» devenue incontrôlable

«Plus question de prétendre à un droit si l'on ne met pas la main à la poche», dénonce un internaute marocain.

«Plus question de prétendre à un droit si l’on ne met pas la main à la poche», dénonce un internaute marocain.

Au Maroc, la corruption monte en flèche. C’est un véritable fléau qui n’épargne aucune couche sociale à travers le royaume. La situation est grave, constate Transparency Maroc. L’ONG appelle les autorités de Rabat à accélérer la mise en œuvre de la stratégie nationale adoptée en 2015 pour endiguer ce phénomène.
Le rapport que vient de publier Transparency Maroc est très alarmant. L’ONG dénonce une corruption devenue «endémique et systémique» à travers tout le royaume. Et ce malgré les initiatives menées par les autorités.

Aucune amélioration significative n’est perceptible depuis plusieurs années. La situation s’est même dégradée depuis 2010, lorsque des Marocains exprimaient la honte qu’ils éprouvent face à ce fléau.

«Au Maroc, la corruption n’est plus une maladie, elle est devenue carrément une pandémie. Plus question de prétendre à un droit, quelle qu’en soit l’évidence, si l’on ne met pas la main à la poche», écrivait Seddouki Foued sur son blog.

Sept ans après, la corruption est plus que jamais présente dans les institutions publiques et privées. Elle se pratique couramment dans certains secteurs comme la police, l’administration et la douane.

Pour combattre cette gangrène, les autorités ont mis à la disposition des citoyens un site internet et un numéro vert pour dénoncer les actes de corruption de façon anonyme. Mais les Marocains ne s’impliquent pas résolument dans ce combat, regrette Transparency Maroc.

«Curieusement, le nombre de réclamations est en baisse, en dépit des campagnes de sensibilisation. La campagne contre la corruption ne peut être efficiente que si elle est accompagnée d’un mouvement de dénonciation de la part des Marocains», observe l’ONG.

«La corruption se banalise et s’assume»
Dans une tribune publiée sur le site Economia, le professeur Kamal El Mesbahi, ancien membre de l’instance centrale de prévention de la corruption explique qu’au Maroc, la tolérance sociale vis-à-vis de la corruption est très forte en raison d’un sentiment diffus d’impunité et une inégalité des citoyens devant la loi.

«La corruption se banalise et s’assume comme comportement normal. Plus la perception du risque encouru est faible, que ce soit en termes de détection ou de sanction, plus la dissuasion perd de ses attributs, et plus elle est admise», peut-on lire dans sa tribune, publiée dans la revue Pouvoirs, N°145, 2013.

Des pots de vin pour l’attribution d’un marché public
Si le mouvement de dénonciation reste plutôt timide dans le pays, quelques affaires de corruption très médiatisées ont marqué les esprits. Le 7 janvier 2018, la presse marocaine a annoncé la condamnation à des peines de prison ferme de treize gendarmes poursuivis pour corruption. Parmi eux, un colonel et son adjoint ont écopé d’une peine de quatre ans.

En décembre 2017, un ancien patron de l’Agence nationale de l’assurance maladie a écopé d’une peine de dix mois de prison ferme après avoir réclamé des pots de vins pour l’attribution d’un marché public.

Sur le banc des accusés se trouvait aussi un ancien journaliste de la télévision publique, reconverti en dirigeant d’agence de communication. Il a écopé de deux ans de prison, dont six mois ferme, dans la même affaire, rapporte l’AFP.

Selon les chiffres fournis par le ministère marocain de la Justice, 31 personnes ont été condamnées après avoir été dénoncées sur le numéro vert anti-corruption entre le 25 juin 2015 et fin septembre 2017.

Des résultats insignifiants au vu de l’ampleur du phénomène, souligne le rapport de Transparency Maroc. L’ONG appelle le gouvernement à déployer davantage d’efforts pour mettre en œuvre sa stratégie de lutte contre la corruption adoptée en 2015.

Les ravages de la corruption sexuelle
La corruption sexuelle, c’est le fait pour une personne, fonctionnaire ou employé du privé, d’exiger des faveurs sexuelles en contrepartie d’une prestation qui fait partie de ses fonctions. Un fléau totalement ignoré par le législateur marocain. Les nombreuses femmes qui en sont victimes souffrent en silence. Le plus souvent, elles n’osent pas porter plainte, rappelle Michèle Zirari, juriste et Secrétaire général adjointe de Transparency Maroc.

«Dans le cadre du Code pénal marocain, les femmes victimes de corruption sexuelle peuvent être considérées comme étant complices, et par conséquent, sanctionnées pour relations sexuelles en dehors du mariage. Le vide juridique est flagrant», déplore-t-elle.

Elle plaide donc l’impérieuse nécessité d’intégrer le combat contre la corruption sexuelle dans les actions de lutte engagées par les autorités marocaines.

Dans le classement de l’indice de perception de la corruption établi par Transparency International, le Maroc occupe le 90e rang sur 176, avec le score de 37 points sur 100.

 Martin Mateso

Source Géopolis 11/01/2018

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La France, mauvaise élève du lobbying

19_perchoir_de_dosUn tout petit 2,7 sur 10. C’est la note que vient d’obtenir la France dans son premier contrôle en lobbying mené par Transparency international. L’association, qui milite pour plus de transparence et d’intégrité dans la vie publique présente, mardi 21 octobre, un rapport inédit dressant un état des lieux complet sur le lobbying dans le pays, et le résultat n’est pas glorieux. Les « représentants d’intérêts » – terme préféré à « lobbies » – ceux qui, au nom d’entreprises ou d’associations tentent d’influencer en leur faveur les décideurs publics dans le processus législatif, continuent en France d’agir dans l’ombre.

« Il reste beaucoup de chemin à faire », introduit Anne-Marie Ducroux, administratrice en charge des questions de lobbying chez Transparency. Selon l’association, « La France n’est pas à la hauteur de l’enjeu démocratique » et doit « clarifier les relations entre les décideurs publics et les représentants d’intérêts » pour « créer les conditions de la confiance des citoyens dans la décision publique ». Et améliorer cette « note médiocre » de 2,7, obtenue à partir d’une grille de notation de 65 indicateurs portant sur les conditions d’élaboration des lois et des décrets en France, au Parlement et dans toutes les autres instances de prises de décisions (cabinets ministériels, collectivités locales, autorités administratives…). Un examen mené en parallèle et avec la même méthodologie dans 19 pays européens dans le cadre d’un projet financé par la Commission européenne, et dont la synthèse sera rendue publique début 2015.

L’évaluation se fait autour de trois principes, qui restent encore des objectifs à atteindre : l’intégrité des échanges, la traçabilité de la décision publique et l’équité d’accès aux décideurs publics.

INTÉGRITÉ : « PAS DE CONTRÔLE INDÉPENDANT »

Sur les questions d’intégrité (conflits d’intérêts, restrictions d’emploi, codes de bonne conduite…) la France s’en sort à peu près grâce à l’adoption des lois sur la transparence en 2013 mais peut encore progresser, avec seulement 30 % des critères remplis. « Ni l’Assemblée nationale, ni le Sénat n’ont instauré d’organe de contrôle indépendant », écrit l’association qui rappelle que les parlementaires peuvent continuer à exercer des activités de conseil pendant leur mandat s’ils les exerçaient avant, ou devenir avocat d’affaires. Sur ce point, le cadre est plus contraignant pour les autres responsables publics, qui doivent dans certains cas observer des délais avant de passer du public au privé. Les codes de bonne conduite, s’ils existent, ne sont pas forcément respectés et, à titre d’exemple, Transparency rappelle la liste des prestations qui sont offertes par les industries du tabac aux responsables publics (les « programmes d’hospitalité »). Cela va de la soirée cinéma avec avant première d’un coût de 150 euros par personne à une loge à Rolland-Garos, d’un coût moyen de 1 200 euros ou au Stade de France (environ 650 euros par personne).

The Lobby of the House of Commons, 1886 by Liborio Prosperi

The Lobby of the House of Commons, 1886 by Liborio Prosperi

TRAÇABILITÉ DE LA LOI : INSUFFISANTE ET DÉSÉQUILIBRÉE

La traçabilité des décisions publiques et l’accès à l’« empreinte législative » d’un texte, malgré des efforts notamment de l’Assemblée nationale (mieux notée que les autres instances publiques) reste elle difficile, voire impossible. La circulation physique des lobbyistes dans les locaux est certes désormais encadrée au Palais-Bourbon, avec la tenue d’un registre, mais ce n’est pas le cas dans les autres instances où les contrôles sont pratiquement inexistants. Surtout, c’est une réponse jugée insuffisante par les associations, comme par les représentants d’intérêts eux-mêmes qui joueraient pourtant parfois davantage le jeu que les instances publiques.

En dehors des instances parlementaires, la plupart des autres lieux de prises de décisions publiques restent oubliés et hors de tout cadre. Sans parler du « pantouflage », qui consiste à passer du privé au public et réciproquement et conduit à un lobbying « déséquilibré », comme l’a montré le débat sur la loi bancaire en 2013. « La stratégie d’influence des banques a été en partie favorisée par leurs liens étroits avec la haute fonction publique, notamment l’administration du trésor », assure l’association qui rappelle, entre autres, que Xavier Musca, ancien secrétaire général de l’Elysée sous Nicolas Sarkozy, a été recruté à l’été 2013 par le Crédit agricole en tant que directeur général délégué ou que l’ancien conseiller de Jean-Marc Ayrault pour le financement de l’économie, Nicolas Namias, a été nommé en juillet 2014 à la tête de la stratégie de Natixis.

EQUITÉ D’ACCÈS : AUCUNE GARANTIE

Enfin, rien de tout cela ne permet de garantir le troisième principe : l’équité d’accès au processus de décision. Dans de nombreux cas, les décideurs publics décident de mettre en place des commissions consultatives ou des consultations publiques pour préparer un texte. Mais elles restent facultatives et sans garantie de transparence ou d’équilibre dans leur composition. Quant au conseil économique, social et environnemental, censé représenter les différentes catégories socioprofessionnelles et conseiller le gouvernement et le parlement sur ces sujets, « ses rapports et avis [ne sont pas] toujours pris en compte. Et quand ils le sont, la manière dont les destinataires les utilisent n’est pas toujours rendue explicite ».

Pour Anne-Marie Ducroux, il reste un important travail de pédagogie à faire. « C’est encore une forme d’impensé du fonctionnement démocratique. En France, nous n’avons pas la culture de rendre compte, il n’y a pas de volonté spontanée de transparence, tout ce qui a été fait l’a été fait après une crise majeure. Or, nous avons changé de civilisation, l’autorité ne s’exerce plus de la même manière, les gens sont plus formés, ont des moyens d’information ».

Enfin, sans encore avoir les résultats des autres antennes européennes de Transparency, Myriam Savy, responsable de l’association, sait déjà que « tous les pays sont en retard et n’ont pas pris la mesure du problème ». Au niveau européen, le Parlement est souvent désigné, à raison, comme le bon élève en matière de transparence mais il reste des coins sombres dans les institutions, notamment dans les « trilogues », ces négociations à huis clos entre représentants de la commission, du conseil et du parlement européen censées aboutir à des textes de compromis. « Ce processus est complètement opaque, aucune information ne sort sur les arbitrages effectués. Le texte final peut être différent du texte voté par le Parlement, sans que l’on puisse connaître le rapport de force qui a conduit à l’arbitrage final », déplore Myriam Savy. Il n’y a pas qu’en France que la marge de progression est importante.

Hélène Bekmezian

Source : Le Monde 21/10/2014

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