Le Pavé de Pierre Rosanvallon

Un pavé dans la campagne. Le livre que publie dans quelques jours Pierre Rosanvallon tombe à point. Déjà parce qu’il permet de mieux saisir les différentes facettes de la crise que traverse la France : l’inégalité des citoyens devant l’impôt, au cœur du débat politique depuis 2007 ; les écarts colossaux de revenus entre les deux bouts du marché du travail ; la fragmentation du corps social, devenu un archipel de classes que plus rien ne relie entre elles et qui se regroupent en ghettos ; les tensions scolaires et la mission impossible assignée à l’école, à quelques jours de la rentrée des profs et des élèves ; la montée aux extrêmes, avec le retour en force d’idéologies nationalistes et populistes. Rosanvallon parvient à tirer une analyse d’ensemble de ce chaos d’événements singuliers : la crise des crises est celle du concept même d’égalité. Ce concept au cœur de la devise de la République, gravé au fronton des bâtiments publics mais attaqué de toutes parts et littéralement vidé de sa substance. Comment s’étonner qu’une démocratie aille mal quand l’un de ses piliers s’effondre ? Et que nous régressions collectivement, dit Rosanvallon, retrouvant en plein XXIe siècle des situations qui caractérisaient… le XIXe ? Face à cette situation, colmater les brèches ou se contenter de limiter les inégalités demeurera utile mais vain. Alors que la France se dirige vers la présidentielle, ce livre rappelle la politique à ses devoirs. Et formule clairement l’enjeu majeur de 2012 : non pas garder le triple A, mais refonder la société.

Nicolas Demorand

 

« Nous sommes dans des sociétés en panne de réciprocité »

Interview Le professeur au Collège de France Pierre Rosanvallon explique le recul progressif de l’idée d’inégalité et propose de réactualiser cette notion dans une «société des égaux».  C’est au Collège de France, où il est professeur et où est installée aussi l’équipe qui travaille autour de lui à la production de l’excellent site La Vie des idées, que l’historien Pierre Rosanvallon nous a reçus, en cette veille de rentrée politique et intellectuelle, pour un long entretien.

 

Vous portez le diagnostic d’une crise de l’égalité, quels en sont les symptômes ?

D’abord l’accroissement spectaculaire des inégalités de revenus et de patrimoines. Depuis la fin du XIXe siècle, les pays industrialisés avaient mis en place à travers des politiques sociales et fiscales tout un ensemble de mécanismes correcteurs des inégalités. La crise prend la double forme d’une décomposition de cet Etat-providence et de régression du prélèvement fiscal progressif. Avant l’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981, le taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu [le niveau de taxation de la tranche d’imposition la plus haute, ndlr] était de 65% ; il est aujourd’hui de 41% ! Ce recul s’observe partout. Il est, par ailleurs, à rapprocher de l’accroissement spectaculaire des rémunérations les plus élevées.

Dans les années 70 toujours, Peter Drucker, le pape du management d’alors, conseillait aux grandes entreprises de ne pas dépasser des écarts de rémunérations allant 1 à 20 – et cela correspondait d’ailleurs aux pratiques de l’époque. Aujourd’hui, on observe des écarts de 1 à 400 dans les entreprises du CAC 40 ! Mais il ne s’agit pourtant là que de l’une des dimensions, arithmétique, de la crise de l’égalité. Il existe aussi une crise sociale de l’égalité, plus profonde encore.

Qu’entendez-vous par là ?

Je veux parler de tous les mécanismes de décomposition du lien social. Cette crise se manifeste par l’ensemble des formes de sécession, de séparatisme, par le déclin de la confiance encore. On voit aussi ressurgir la figure très XIXe siècle du rentier. C’est de nouveau le passé qui tend à gouverner le présent, comme le dénonçait Balzac. Nous nous retrouvons dans une société où ce n’est plus le travail qui fait le niveau de vie, mais l’héritage, le capital accumulé. La crise de l’égalité est donc celle d’un modèle social.

Comme historien, ce retour au XIXe me frappe, il me renvoie, par exemple, au roman de Disraeli, Sybil, dans lequel deux nations hostiles commencent à se former dans l’Angleterre victorienne, les riches et les pauvres vivant sur deux planètes. Toute l’histoire du mouvement ouvrier est liée à la lutte contre ces phénomènes de séparatisme et de sécession. Il devient extrêmement urgent de changer de focale pour réaliser que ce sont bien les conditions de formation du lien social qui sont aujourd’hui en jeu, et que cela ne se réglera pas par de simples ajustements.

 

Comment expliquer le délitement progressif de l’idée même d’égalité ?

L’idée d’égalité fut le cœur des révolutions démocratiques modernes, aux Etats-Unis comme en France. Il s’agissait de créer une société d’égaux dans laquelle chacun est respecté, dans laquelle les individus sont considérés comme des semblables, dans laquelle chacun se voit donner les moyens d’être indépendant et autonome, dans laquelle chacun participe à égalité au monde commun. Loin d’être secondaire, l’égalité sociale était l’idée matrice de ces révolutions. Son recul progressif s’explique par plusieurs raisons. J’en vois au moins deux de type historique.

La peur fut d’abord l’un des grands vecteurs des réformes du XIXe. Les forces sociales naissantes ont évidemment joué leur rôle, mais elles furent aussi acceptées par la droite pour essayer de contrer la montée en puissance des partis socialistes. Bismarck sera le premier à dire qu’il fallait faire des réformes sociales pour éviter des révolutions politiques. Jusqu’à la chute du mur de Berlin, ce réformisme de la peur a joué un rôle fondamental pour justifier la lutte contre les inégalités. Aujourd’hui, les peurs collectives renvoient à l’insécurité, au terrorisme. Ce sont des peurs négatives qui ne produisent aucun lien social, mais au contraire un Etat autoritaire coupé de la société.

 

Quelle est l’autre explication historique ?

Les épreuves partagées, bien sûr. La Première Guerre mondiale a joué un rôle très important dans ce que les historiens ont appelé la nationalisation des classes ouvrières en Europe. La Seconde, après laquelle a émergé un modèle keynésien-redistributeur. Mais il y a d’autres facteurs proprement sociologiques et culturels, peut-être plus importants encore. Notamment la montée en puissance de ce qu’on appelle de manière très générale le néolibéralisme. Il a justifié le démantèlement de l’Etat-providence (même s’il est encore résilient) et la réduction des impôts. Mais ce néolibéralisme a aussi correspondu à des formes d’attentes sociales. Il a deux visages : destruction d’un monde commun, mais aussi reconnaissance d’un certain nombre de droits. Les individus ont fini par accepter tacitement des formes de destruction du monde commun, regardant surtout la contrepartie de l’accroissement de leur marge de liberté individuelle. Cela s’est lié à la mise en avant de la figure du consommateur. L’Europe s’est d’ailleurs significativement développée à partir des années 1980 comme la grande institution de défense de cette figure du consommateur. Or le consommateur ne se définit pas dans un lien avec autrui, mais par le fait qu’il peut choisir entre trois opérateurs téléphoniques ! C’est un individu diminué, a-social.

 

Cela renvoie aussi à ce que vous proposez d’appeler paradoxe de Bossuet…

«Dieu se rit de ceux qui déplorent les conséquences de faits dont ils chérissent les causes», disait-il. Il y a presqu’une quasi-unanimité sociale pour considérer que les inégalités actuelles sont insupportables, mais en même temps les mécanismes qui produisent ces inégalités sont d’une certaine façon globalement acceptés. Si l’on entend des critiques sur les salaires des PDG qui ne renvoient clairement pas à des éléments de mérite, c’est moins le cas pour les rémunérations des stars du football par exemple, qui semblent davantage «méritées». Au fond, l’idéologie du mérite s’est partout imposée, porteuse d’un consentement silencieux à une partie des mécanismes producteurs des inégalités. Un bon indice : dans le monde intellectuel, depuis vingt ans, toute la réflexion sur les inégalités et la justice a porté sur la bonne distribution des richesses entre les individus. Mais il s’agit aussi d’organisation du monde commun.

Les théories de la justice se contentent de se demander quels sont les écarts acceptables entre individus quand nous devrions aussi nous interroger sur ce qui constitue un monde commun. Voilà pourquoi, dans ce livre, je propose de changer de point de vue, et de parler de société des égaux. C’est d’une forme sociale qu’il faut discuter, pas seulement d’une forme de distribution.

 

Comment est-on passé de la notion d’égalité à celle d’égalité des chances ?

L’égalité des chances est au cœur de la doctrine méritocratique. Et si elle présente une part de validité, elle ne saurait fonder seule une vision sociale. Pour instaurer une véritable égalité des chances, il faudrait d’ailleurs aller extrêmement loin. Une vision radicale de l’égalité des chances présupposerait une véritable désocialisation de l’individu, afin de le soustraire au poids du passé et de l’environnement. Pendant la Révolution française, certains avaient proposé en ce sens d’ériger des maisons de l’égalité dans lesquelles tous les enfants seraient élevés en commun jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de travailler ! Cette philosophie impliquerait aussi logiquement l’interdiction de tout héritage – c’était au XIXe la position des saint-simoniens, champions d’alors de l’égalité des chances. La conséquence logique est en retour de faire accepter toutes les inégalités produites par la suite. Ce qui explique la vision inégalitaire et hiérarchique du monde des saint-simoniens. On ne peut donc pas fonder une vision sociale progressiste sur cette théorie de l’égalité des chances. Elle peut nourrir des politiques sociales ponctuelles, mais ne peut pas être le pilier philosophique d’une vision de la société progressiste.

 

Cette société progressiste, vous la qualifiez de monde des égaux…

Parler de société des égaux, c’est montrer que l’égalité ne se résume pas à sa dimension arithmétique, même si, bien sûr, elle est essentielle. Il y a trois dimensions fondamentales dans l’égalité. C’est d’abord un rapport social, cela concerne les positions des individus les uns par rapport aux autres. Tocqueville parlait de société des semblables : tous les individus sont les mêmes (ce contre quoi les visions racistes chercheront toujours à revenir en arrière). Cette idée est fondamentale, mais aujourd’hui l’individualisme de la similarité n’est pas suffisant car chacun ne veut pas simplement être quelconque. L’individualisme de la similarité consistait à dire : au fond, si les hommes sont vraiment semblables, ils ne se distingueront plus. Or, aujourd’hui, chacun veut au contraire se distinguer des autres. Se singulariser. C’est pourquoi l’un des fondements d’une société des égaux, c’est la reconnaissance de la singularité, que chacun puisse être reconnu et protégé dans sa singularité. Mais il n’existe aujourd’hui que des formes dévoyées de cette singularité démocratique, exprimées sur un mode communautaire, ou participant à l’inverse d’une aversion aristocratique pour les masses. Faute de pouvoir être un véritable individu parce qu’on est méprisé dans la société, on va se réfugier au sein d’un groupe identitaire. L’égalité doit permettre d’être considéré pour soi et non pas assigné à un groupe en étant qualifié de Noir, de banlieusard, d’homosexuel… Une société des égaux doit faire de l’idée des constructions des singularités une sorte d’utopie positive.

Vous distinguez une deuxième dimension de l’égalité…

C’est l’égalité en tant que principe d’interaction entre les individus. Sur ce point, toute la science sociale a oscillé entre deux visions. D’un côté, l’idée du choix rationnel, de l’homo œconomicus, selon laquelle les individus sont gouvernés par leurs intérêts. De l’autre, des théories qui insistent sur la coopération, comme, par exemple, Kropotkine, le fondateur de l’anarchisme. Dans l’Entraide, son livre paru au début du XIXe siècle, il affirmait que la coopération était au fondement du comportement humain. Et l’on voit aujourd’hui de plus en plus de théories de l’altruisme ou de la bonté se développer. Certains déduisent par exemple de la façon dont se comportent les singes bonobos que les individus seraient naturellement altruistes et coopératifs. Je pense en fait que les individus ne sont ni simplement des calculateurs rationnels ni tout bonnement altruistes : ils sont réciproques. Parce que la réciprocité, c’est, comme l’égalité dans le suffrage universel, la règle qui peut mettre tout le monde d’accord. Or nous sommes aujourd’hui dans des sociétés en panne de réciprocité. Parce qu’il n’y a pas de visibilité. Quand on voit que les petites entreprises paient plus d’impôts que les grandes, que les charges fiscales ne sont pas équitablement réparties… Il ne s’agit pas de sociétés réciproques. Pourtant, la construction d’un monde réciproque est une chose fondamentale.

Troisième dimension de l’égalité ?

L’idée que l’égalité est construction d’un mode commun. C’est ce que j’appelle le principe de communalité. Déjà Sieyès expliquait au moment de la Révolution française que multiplier les fêtes publiques et les espaces publics, c’était produire de l’égalité. Parce que l’égalité, c’est un monde dans lequel chacun rencontre les autres. Ce n’est pas simplement un rapport individuel, mais un type de société. J’ai été frappé, comme beaucoup, de lire dans Hommage à la Catalogne les pages dans lesquelles George Orwell décrit ce qu’il ressentait alors dans la ville de Barcelone : un type de rapport social dans lequel personne ne cirait les bottes des autres, où il y avait une forme d’égalité dans l’échange, où l’on avait à faire des choses en commun.

 

Singularité, réciprocité et communalité, sont donc selon vous les trois facettes de l’égalité ?

Ces trois principes sont aussi pour moi les fondements d’une société des égaux. Ils peuvent servir de base à un projet social très largement accepté. Nous sommes à un moment où il nous faut impérativement réactualiser les révolutions démocratiques d’origine, qui ont été mises à mal par le développement du capitalisme, par les épreuves des grandes guerres mondiales, les affrontements idéologiques Est-Ouest… C’est urgent, car nous sommes en train de renouer avec les pathologies les plus terribles du lien social. Les formes d’inégalités croissantes, mais aussi la xénophobie, le nationalisme renaissant. Comme historien, je suis frappé de voir le discours des années 1890 revenir en force à travers les mouvements d’extrême droite et néopopulistes en Europe. Des journaux avaient pour titre «La défense du travail national» au milieu des années 1890 ; lorsque Barrès publie son premier livre pour les élections, en 1893, il le titre Contre les étrangers… Faute de penser l’égalité comme lien social démocratique, elle se dégrade dans ses pires falsifications, confondues avec l’homogénéité et l’identité.

 

La gauche a-t-elle, de ce point de vue, une responsabilité particulière ?

Aujourd’hui, la gauche a pour mission de ne pas se réduire à être celle qui corrige à la marge, ou même de façon plus importante, les inégalités de revenus. Elle ne doit pas se fixer simplement pour objectif d’agir au niveau européen pour l’adoption de régulations économiques et financières plus fortes. Elle doit viser à reconstruire la culture démocratique moderne. Voilà le véritable objectif du moment 2012.

 

Le Parti socialiste parle d’égalité «réelle», qu’en pensez-vous ?

Préciser égalité «réelle», c’est reconnaître qu’il y a effectivement quelque chose d’épuisé dans la langue de caoutchouc habituelle. Mais il ne suffit pas d’un épithète flatteur. Le vrai langage politique doit donner un sens à ce que vivent les gens, un sens imagé. Or le terme d’égalité réelle reste abstrait. Quand on regarde le document du Parti socialiste, on n’y voit pas de ligne directrice, mais un catalogue de mesures diverses, dont un certain nombre sont certainement très bonnes, des mesures fiscales, sur le rôle de l’école, etc. On peut éventuellement gagner les élections avec un catalogue – si l’on a en face un adversaire médiocre -, mais on ne change pas la société sans une philosophie sociale et politique. Et le but de la gauche doit bien être de changer la société. Et pas seulement, contrairement à ce que certains pourraient considérer comme un objectif suffisant, de nous débarrasser du régime actuel.

Recueilli par Sylvain Bourmeau (Libération)

 

Voir aussi : Rubrique Politique, rubrique Livre, Essai,

L’immigration, un bienfait !

L’hostilité aux immigrés atteint un niveau inquiétant dans presque tous les pays riches. C’est une maladie à laquelle ces pays doivent résister s’ils veulent continuer à prospérer. Une telle attitude aidera en outre les pays en développement à combattre la pauvreté et à parvenir à une croissance durable.

Une immigration plus importante est souhaitable au niveau mondial pour quatre raisons : elle est source d’innovation et de dynamisme, c’est une solution au manque de main d’œuvre, elle répond au problème du vieillissement de la population dans les pays développés et elle permet aux immigrés d’échapper à la pauvreté et aux persécutions. Par contre sa limitation freine la croissance économique et mine la compétitivité à long terme des pays qui choisissent cette voie ; creusant les inégalités et accentuant les clivages sur la planète, elle constitue un obstacle à la prospérité.

Certes, suivant les lieux l’augmentation de l’immigration peut entraîner des problèmes à court terme qu’il faut résoudre de manière à en tirer les bénéfices à long terme – des bénéfices qui surpassent largement ces inconvénients momentanés. Malgré l’opposition des pays de destination des migrants, leur nombre a doublé depuis 25 ans et va encore doubler jusqu’à 2030. Le changement économique et politique rapide – et de plus en plus le changement environnemental – entraîne des déplacements de population et incite beaucoup de personnes à rechercher la sécurité et à tenter leur chance ailleurs.

Dans le contexte d’une mondialisation rapide, les risques et les coûts liés à l’immigration vont continuer à baisser. La combinaison de la croissance de la population mondiale, de la diminution des coûts de transport, de la facilité des communiquer et du développement des réseaux sociaux et économiques transnationaux pourrait et devrait conduire à une augmentation des déplacements. Si ce processus se met en œuvre, cela va stimuler la croissance mondiale et diminuer la pauvreté.

Néanmoins, si la réduction progressive des obstacles aux mouvements de capitaux, de biens et de services constitue une avancé majeure des décennies récentes, les migrations internationales n’ont jamais été autant contrôlées. Des économistes classiques comme John Stuart Mill considéraient que c’est illogique sur le plan économique et inacceptable sur le plan éthique. Adam Smith s’opposait à tout ce qui entravait « la libre circulation de la main d’œuvre d’un emploi à un autre ».

Au 19 siècle, avec le développement de la machine à vapeur et d’autres modes de transport, le tiers de la population de Scandinavie, d‘Irlande et de certaines parties de l’Italie ont émigré. La migration de masse a constitué pour des millions d’Européens le moyen d’échapper à la pauvreté et aux persécutions. Elle a participé au dynamisme et au développement de pays comme les USA, le Royaume-Uni et d’un certain nombre de colonies.

La montée du nationalisme avant la Première Guerre mondiale a conduit à l’introduction à grande échelle des passeports et à un contrôle plus strict des déplacements internationaux. Un siècle plus tard, malgré d’énormes progrès en matière de circulation des biens, des capitaux et de l’information, les entraves à la circulation des êtres humains n’ont jamais été aussi grandes.

Prés de 200 millions de personnes, soit environ 3% de la population mondiale, vivent hors de leur pays de naissance. Ce sont les orphelins du système international. Dans notre livre, Exceptional People, nous montrons que les pays qui accueillent les étrangers en tirent bénéfice. Ils constituent non seulement une source de main d’œuvre tant qualifiée que non qualifiée utile au pays d’accueil, mais leur contribution relative à l’innovation et à la création de richesses est plus élevée que celle des habitants du pays hôte. Ainsi les immigrants établis aux USA contribuent à plus de la moitié des brevets des start-up de la Silicon Valley. Leur contribution fiscale dépasse également les sommes qu’ils perçoivent au titre de la protection sociale.

Dans les pays développés, l’espérance de vie de la population augmente grâce aux progrès médicaux, alors que la population active est appelée à baisser en raison de la baisse de la natalité qui a suivi le baby boom de l’après-guerre.

Dans les pays développés, la baisse de la population en age de travailler va encore être aggravée par l’élévation du niveau d’éducation, car de moins en moins de gens voudront occuper un emploi peu qualifié, un emploi manuel ou travailler dans le bâtiment. Entre 2005 et 2025, dans les pays de l’OCDE la proportion de la population active ayant fait des études supérieures devrait augmenter de 35%. Or quand le niveau d’éducation augmente, il en est de même des attentes en matière d’emploi.

Même s’ils constituent une fuite des cerveaux pour leur pays d’origine, les migrants sont très utiles à ce dernier. Les expatriés taiwanais et israéliens sont des exemples du rôle vital joué par les immigrés en terme de soutien politique, d’investissements et de transfert technologique.

Par ailleurs la migration est historiquement le meilleur moyen d’échapper à la pauvreté. Les envois d’argents des travailleurs immigrés vers leur pays d’origine ont dépassé 440 milliards de dollars en 2010, les deux tiers de cette somme étant à destination de pays en développement. Pour les pays pauvres de petite taille, ces sommes représentent souvent plus du tiers de leur PIB et pour ceux de taille plus importante, elles dépassent fréquemment 50 milliards de dollars par an. En Amérique latine et dans les Antilles, plus de 50 millions de personnes vivent grâce à ces envois d’argent, et ce nombre est encore plus élevé en Afrique et en Asie.

Tant les pays riches que les pays pauvres bénéficieraient d’une hausse des flux migratoires et ce sont les pays en développement qui en bénéficieraient le plus. On estime qu’une augmentation de seulement 3% de la main d’œuvre immigrée dans les pays développés générerait des gains à hauteur de 356 milliards de dollars, dont plus des deux tiers reviendraient aux pays en développement. L’ouverture totale des frontières générerait une somme imposante : 39 000 milliards de dollars pour l’économie mondiale sur une période de 25 ans.

On a beaucoup discuté de la nécessité de conclure le cycle de négociation de Doha sur le commerce mondial et d’augmenter l’aide aux pays pauvres. Ce sont des choses importantes, mais la réforme de l’immigration est au moins aussi importante. Une petite augmentation de l’immigration serait encore plus bénéfique à l’économie mondiale et aux pays en développement que l’accroissement de l’aide et une réforme du commerce mondial.

Aujourd’hui, les pays les plus puissants ne veulent ni d’une réforme des flux migratoires, ni d’une organisation internationale qui serait chargée de sa régulation, alors que la hausse de ces flux serait dans l’intérêt de tous. Le débat public est trop important pour l’abandonner aux politiciens, une réflexion en profondeur doit être suivie par une action audacieuse.

Ian Goldin et Geoffrey Cameron

 

Voir aussi :  Rubrique Politique de l’immigration, rubrique Economie, rubrique Débat Claudio Magtis sur les dangereuses frontières intérieures de l’Europe, rubrique Méditerranée, Jusqu’à quand la politique migratoire de l’UE va-t-elle s’appuyer sur les dictatures ?, rubrique Livre, Atlas des migrants d’Europe, La nature humaine contrevient aux lois du marché, Amin Maalouf : L’Occident est peu fidèle à ses propres valeurs,

Montpellier : à la Paillade, Mélenchon s’engage en faveur des Assises nationales des quartiers populaires

 

Le candidat à la présidentielle du Front de Gauche FG, Jean-Luc Mélenchon était hier dans le quartier de La Paillade à Montpellier où il a tenu une réunion avec les habitants dans un café du quartier. Entouré de René Revol, candidat  F.G aux dernières élections régionales, et de Mohamed Bouklit, le candidat (FG) qui s’est incliné au second tour des cantonales, avec 34,5 % des suffrages, contre le Président (PS) du Conseil général André Vézinhet, Mélenchon bouscule : « Avec Frêche, on me parlait de l’Hérault comme d’un territoire où la pratique politique est caricaturale. Mais le post-frêchisme, c’est encore le frêchisme. J’ai la conviction que ce qui s’est passé ici aux dernières cantonales concerne tout le pays.« 

En franc tireur, le candidat à la présidentielle fonde sa campagne sur le réveil citoyen qui voit jour avec la décomposition des appareils politique qu’il pousse à sortir de leur routine. Après le lancement de sa campagne place des martyrs de la bataille de Stalingrad, il s’est rendu près de Marseille auprès des salariés de l’usine Thé Elephant menacés de délocalisation. L’étape montpelliéraine apporte une pierre supplémentaire à l’édifice du F.G pour défendre l’expression citoyenne des quartiers populaires.

« Ce matin nous avons passé un accord morale avec le Front de Gauche des Quartiers Populaires (FGQP), explique le candidat à la présidentielle, sans rien demander à personne, ils ont pris l’initiative de s’organiser dans le quartier pour proposer une autre politique. Tout repose la dessus. Nous l’avons rêvé, ils l’on fait et ils pensent pouvoir le développer au niveau national. Moi je leur fais confiance parce que se sont des gens raisonnables et sensés.  Je les accompagnerais dans cette démarche. »

En attendant les Assises nationales des quartiers populaires qui devraient se tenir en octobre à Montpellier Mohamed Bouklit et son équipe s’engagent à diffuser le mouvement dans l’hexagone. « Le FGQP souhaite répondre au malaise et à l’angoisse sociale que vivent durement nos concitoyens dans les quartiers populaires. Localement on a tenté d’ethniciser cette lutte sociale avec des rhétoriques fallacieuses alors  que nous participons pleinement au rassemblement et à la construction du Front de Gauche. »

 

Trois questions à Mélenchon

Ne présagez-vous pas un peu vite de la validation de cet accord avec le FGQP par les différentes composantes du Front de Gauche ?

Ca ne paie pas de mine comme çà. On est quelques uns dans un bistrot et on lance des idées qui changent fondamentalement le cours des choses. Mais on va au bout, et c’est bien souvent de cette manière que les bouleversements voient le jour. Je vais demander à Pierre Laurent d’inviter Mohamed Bouklit et ses amis à participer au Conseil national du F.G pour que nous puissions travailler ensemble. Les initiatives de terrain sont inscrites dans le code génétique du Front de Gauche.

Comment adapter une stratégie de campagne sur le modèle du non au référendum sur le TCE à une élection présidentielle où la personnalisation joue à plein ?

C’est une vraie difficulté mais on ne parviendra pas à une révolution citoyenne pacifique et démocratique sans le peuple. Il faut partir du terrain. Si quelqu’un est capable de me dire comment il faut régler le problème des quartiers. Alors qu’il vienne l’expliquer aux gens qui sont ici. On ne sort pas l’œuf. On a déjà trois campagnes derrière nous. On sait comment cela se passe et on a confiance dans la force qui se dégage.

Quel est l’état de votre budget de campagne ?

La campagne de l’UMP c’est 23 M, celle du PS, 21 M, nous, nous sommes en train de le boucler. Si on arrive à 2 M ou 3 M ce sera le bout du monde. C’est un prêt gagé sur le parti et le parti est gagé sur le candidat. Nous partageons avec le PCF. On ne s’inscrit pas  dans la compétition de l’argent et c’est tant mieux. Tout part de la base.

Jean-Marie Dinh

 

Voir aussi : Rubrique Politique, Les engagements de Mélenchon, rubrique politique locale, Cantonales : Le parti présidentiel submergé par le FN, Rubrique Société Médias banlieue et représentations,

Des centaines de boat people meurent en Méditerranée

Le Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés) va déposer plainte contre l’OTAN, l’Union européenne et les pays de la coalition en opération en Libye

Face aux centaines de naufrages mortels en Méditerranée, peut-on se contenter de dénoncer le silence assourdissant dans lequel des vies disparaissent à nos portes ? Doit-on se résoudre à l’impuissance devant des politiques migratoires auxquelles on ne pourrait rien changer ? Ces noyé·e·s ne sont pas les victimes de catastrophes naturelles, mais de décisions politiques mises en œuvre par des exécutants dont les responsabilités doivent être pointées. Devant ces atteintes au droit le plus fondamental – le droit à la vie – il faut que des procédures soient engagées et que justice soit rendue. Il faut mettre fin à cette hécatombe.

Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a dénombré à la fin de mai quelque 1 500 victimes de noyade parmi les boat people qui, depuis février dernier, s’efforcent de gagner l’Europe à partir des côtes du Maghreb et du Machrek.

Ces drames ne font que s’ajouter à tous ceux qui se déroulent, dans l’indifférence, depuis plus de vingt ans ; Fortress Europe enregistre 17 317 décès documentés depuis 1988. Mais combien d’autres victimes invisibles de la politique européenne de lutte contre l’immigration qu’elle appelle illégale ?

De ces naufrages, des épaves transformées en cercueils flottants d’hommes, de femmes et d’enfants morts d’épuisement, de faim et de soif après de longues dérives en mer, l’opinion a pris l’habitude. Elle a pu croire à leur caractère inéluctable. Elle a pu ignorer que les équipements anti-migratoires de l’agence européenne Frontex étaient forcément les témoins de nombre de ces drames, en Méditerranée comme ailleurs…

Mais la donne a changé depuis qu’une coalition internationale et les forces de l’OTAN interviennent en Libye. Aujourd’hui, awacs, drones, avions, hélicoptères, radars et bâtiments de guerre surveillent tout ce qui bouge en Méditerranée. Ils ne peuvent pas ne pas voir les bateaux des exilés originaires d’Afrique subsaharienne qui cherchent à fuir la Libye. Ils ne peuvent pas ne pas voir lorsque, de Tunisie, du Maroc ou d’Algérie, des jeunes sans espoir s’entassent dans une embarcation fragile pour gagner l’Italie ou l’Espagne.

En n’intervenant pas, ils se rendent coupables de non-assistance à personne en danger. Ceci ne peut rester impuni.

Les États puissants de la planète se sont mobilisés militairement pour, disent-ils, empêcher le massacre de populations civiles et mettre en œuvre « la responsabilité de protéger » dont l’ONU est garante. Mais la responsabilité de protéger ne passe-t-elle pas aussi par le respect du droit maritime, des conventions internationales en matière de sauvetage en mer et des textes sur la protection des réfugiés ?

Nous ne pouvons plus contempler les images de corps ramenés à terre après des naufrages, ou apprendre par des survivants combien de personnes étaient à bord d’un bateau disparu en mer. Nous voulons savoir qui sont les responsables de ces morts : l’Union européenne ? l’agence Frontex ? l’OTAN ? les États de la coalition formée en Libye ?

C’est pourquoi le Gisti s’apprête à lancer – avec ceux qui voudront s’associer à cette démarche – une campagne de plaintes, sur la base d’éléments recueillis auprès de victimes et de témoins de ces drames. À l’heure des révolutions arabes, les États européens ne peuvent plus continuer à considérer les boat people comme des vies sans valeur. La Méditerranée doit cesser d’être le champ de bataille de la guerre aux migrants pour redevenir un espace de droits et de solidarités.

Gisti

 

Voir aussi : Rubrique Politique de l’immigration, rubrique UE

David Cameron veut limiter l’arrivée d’étrangers

Le premier ministre britannique accuse les travaillistes d’avoir laissé entrer un trop grand nombre d’immigrants depuis 1997.

David Cameron a prononcé jeudi un discours très ferme sur la nécessité de réduire le nombre d’immigrants autorisés à entrer en Grande-Bretagne, accusant les précédents gouvernements travaillistes d’avoir laissé entrer un trop grand nombre d’étrangers dans le pays. Ces propos, tenus devant des électeurs conservateurs à quelques semaines d’élections locales en Angleterre et au pays de Galles, ont provoqué de violentes réactions dans l’opposition, et même chez les libéraux démocrates, partenaires de Cameron dans la coalition. Le ministre du Commerce, Vince Cable, numéro deux des libdems au gouvernement après Nick Clegg, a déclaré que le premier ministre avait été «très imprudent», estimant que l’utilisation du terme «immigration de masse risquait d’attiser l’extrémisme». Les travaillistes accusent Cameron de «tromper les gens», expliquant que ses quotas sur les visas de travail ne concernent que 20 % des immigrants hors Union européenne.

Le contrôle de l’immigration avait été un des thèmes importants des dernières législatives, et l’un des sujets les plus épineux lors des négociations sur l’accord de coalition entre les centristes et les tories.

David Cameron a pourtant été très prudent dans sa manière d’aborder le sujet. «Notre pays a immensément profité de l’immigration», a-t-il insisté en rappelant les nombreuses contributions des étrangers à la vie économique du pays, des hôpitaux jusqu’aux commerces de proximité. «Je veux une bonne immigration, pas une immigration de masse», a-t-il poursuivi, rappelant que sous Tony Blair et Gordon Brown, de 1997 à 2009, 2,2 millions d’immigrants étaient venus s’installer en Grande-Bretagne et que ces grands nombres avaient provoqué de «fortes pressions sur de nombreuses communautés dans le pays». Pour réduire l’arrivée d’étrangers de pays hors de l’UE, le premier ministre promet des mesures drastiques, à la fois contre l’immigration illégale et légale.

Sur les douze prochains mois, le nombre de visas décernés à des travailleurs qualifiés sera limité à 20.700, alors que l’année dernière, pas moins de 198.000 non-Européens sont arrivés dans le pays. David Cameron promet aussi une réforme de l’attribution des visas étudiants, «un système devenu hors de contrôle», à cause des nombreuses fraudes et «des fausses universités qui proposent des diplômes bidons». Le nombre de visas étudiants devrait diminuer de 80.000 sur un total de 303.000 décernés l’année dernière.

Le choix de l’immigration par Cameron pour lancer une campagne des élections locales loin de passionner les foules a en tout cas été une surprise totale. «En optant pour ce thème un peu décalé, alors que tout le monde ne parle que d’économie, de chômage et de coupes budgétaires, Cameron a surtout voulu attaquer les travaillistes sur un dossier sur lequel ils sont très mal à l’aise», estime Tony Travers, professeur de sciences politiques à la London School of Economics.

Cyrille Vanlerberghe (Le Figaro)

 

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