« Panama papers », le récap, épisode 2 : chefs d’Etat, Mossack Fonseca

Les chefs d'Etat et de gouvernement qui ont utilisé des sociétés offshore chez Mossack Fonseca. ICIJ

Les chefs d’Etat et de gouvernement qui ont utilisé des sociétés offshore chez Mossack Fonseca. ICIJ

Si vous avez raté un épisode, Le Monde et un consortium international de 108 médias ont lancé dimanche 3 avril une série de révélations de grande ampleur sur le monde opaque des paradis fiscaux et ceux qui en profitent.

Si vous vous sentez un peu perdus, voilà ce qu’il fallait retenir de la journée de lundi dans les « Panama papers ».

12 chefs d’Etat impliqués

On vous a déjà parlé dimanche des 2 milliards de Vladimir Poutine et de la société offshore du premier ministre islandais. Mais ils ne sont pas les seuls dirigeants de pays impliqués dans les « Panama papers ». Mohammed VI et Salman, rois du Maroc et de l’Arabie saoudite, ont aussi utilisé des sociétés offshore, en leur nom ou au nom de leur entourage proche. Au Royaume-Uni, c’est le feu père du premier ministre David Cameron, qui utilisait des sociétés offshore. En Ukraine, on retrouve le président ukrainien, Porochenko, avec une société offshore aux îles Vierges britanniques.

Les données des « Panama papers » ont aussi permis d’établir qu’Al-Assad avait contourné les sanctions internationales par le biais de Rami Mahklouf, son cousin germain et argentier du régime.

Elles donnent aussi un nouvel éclairage sur le scandale Petrobras, qui éclabousse la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, et son prédécesseur, Lula.

Mossack Fonseca, un cabinet au lourd passé

Il faut prononcer son nom pour voir, dans la seconde, se fermer les visages et s’éteindre les voix. Au Panama, Mossack Fonseca est une de ces firmes toutes-puissantes, dont l’activité est intimement liée à l’histoire du pays. Une histoire gangrenée par la corruption et l’argent sale depuis les années de dictature de Manuel Noriega (1984-1990), dont Mossack Fonseca a pris toute sa part.

Mossack Fonseca est une entreprise florissante. Les centaines d’employés, les dizaines de milliers d’entreprises créées, les dizaines de filiales à l’international, les milliers d’interlocuteurs recensés dans les « Panama papers » sont autant d’indices de l’imposante industrie que représente Mossack Fonseca, rouage fondamental des activités du secteur offshore.

Les réactions aux « Panama papers »

Evidemment, le cabinet Mossack Fonseca ne pouvait pas rester silencieux après les révélations des « Panama papers ». Voilà ce qu’il en dit.

Vladimir Poutine a aussi fustigé la fuite, en dénonçant une opération téléguidée par la CIA ou le département d’Etat américain. En outre, le Kremlin explique que cette fuite ne contient « rien de concret ou de nouveau ».

En Islande, le premier ministre est en grande difficulté à la suite des révélations. Il doit faire face à un début de gronde populaire : de nombreux Islandais étaient dans la rue lundi 4 avril pour demander sa démission alors qu’il avait expliqué ne pas vouloir quitter le pouvoir.

Lionel Messi, l’attaquant star du FC Barcelone, a affirmé que la société panaméenne appartenant à sa famille, citée dans les « Panama papers », n’avait jamais été utilisée à des fins d’évasion fiscale et n’a jamais eu de fonds. Il a réagi avec sa famille dans un communiqué alors que le parquet espagnol annonçait l’ouverture d’une enquête sur les « Panama papers ».

Une enquête préliminaire pour « blanchiment de fraudes fiscales aggravées » a également été lancée par le parquet financier français. Plus tôt dans la journée, le président français, François Hollande, promettait des poursuites judiciaires.

Les « Panama papers » à l’étranger

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Un petit lexique de l’offshore

 

Actionnaire(s)

Ce sont les propriétaires déclarés des sociétés offshore. Certains possèdent réellement le capital de ces sociétés, d’autres ne sont que des prête-noms.

Actions au porteur

A la différence des actions nominatives, ces actions anonymes permettent aux propriétaires réels des sociétés offshore de dissimuler leur identité. Ce type de titres, qui organise une opacité totale sur l’actionnariat, est en train de disparaître. Le Panama est l’un des derniers pays à les proposer.

Actions nominatives

C’est l’inverse des actions au porteur : l’identité des personnes physiques ou morales qui les détiennent est révélée. C’est ce type d’actions qu’émettent les entreprises des pays transparents.

Administrateurs

Ce sont les personnes qui dirigent les sociétés et peuvent être indifféremment directeurs ou membres du conseil d’administration. Dans les sociétés offshore, cela n’implique pas de gérer une activité, mais d’assumer la responsabilité légale et d’assumer la responsabilité légale.

Agent de domiciliation de sociétés offshore

C’est l’une des activités principales du cabinet d’avocats Mossack Fonseca : l’enregistrement de sociétés dans des paradis fiscaux pour le compte de ses clients, un métier qui implique une solide connaissance du droit. En appui, la firme propose d’autres services : la location de prête-noms, des services bancaires…

Ayant droit ou bénéficiaire économique

Personne qui tire les véritables bénéfices d’une société, même si elle n’apparaît pas officiellement comme actionnaire ou administratrice.

Blanchiment d’argent

Il consiste à dissimuler des fonds de provenance illicite (trafic de drogue, vente d’armes, fraude fiscale…) pour les réinvestir dans des activités légales et donc les recycler. Les sociétés offshore sont parfois utilisées pour blanchir de l’argent.

Certificat d’actions

Document certifiant qu’une personne est actionnaire d’une société ou qu’elle détient un nombre d’actions donné. Si le certificat est émis « au porteur », et non pas à une personne ou à une entité nommément désignée, il s’agit d’un certificat d’action au porteur.

« Compliance »

C’est l’ensemble des procédures de « vérification de conformité » qu’un cabinet comme Mossack Fonseca a l’obligation de mener auprès de ses clients. Il vérifie notamment que ceux-ci n’ont pas d’antécédents judiciaires, qu’ils ne figurent pas sur une liste de sanctions internationales ou ne sont pas des « personnalités politiquement exposées » (présentant un risque).

Échange automatique de données

Cette procédure sera mise en place à compter de 2017 ou 2018 et consistera, pour les Etats, à s’échanger entre eux, de façon systématique, les informations bancaires sur les contribuables (comptes bancaires ouverts à l’étranger, parts de société etc.).
Les pays du G20 ont appelé à la généralisation de l’échange automatique, perçu comme le meilleur outil pour lutter contre la fraude fiscale. Les paradis fiscaux sont invités à mettre en place ce standard pour sortir des listes noires des pays non-coopératifs.

Évasion/optimisation fiscale

Utilisation de moyens légaux pour baisser le montant de son imposition, voire y échapper. Elle suppose une bonne connaissance des lois et de ses failles.

Exilé fiscal

Se dit d’une personne qui, pour échapper à un impôt qu’elle considère trop important, déménage dans un pays à la fiscalité plus légère.

Fondation

Une entité légale qui agit comme une société offshore mais garantit plus d’opacité. Les fondations ne sont soumises à aucune forme d’imposition au Panama. Les noms des bénéficiaires ne sont pas divulgués. Les fondations n’ont pas à produire de rapports financiers.

Fraude fiscale

Utilisation de moyens illégaux pour baisser le montant de son imposition, voire y échapper. Le fait de déplacer des capitaux dans des juridictions étrangères sans en avertir le fisc constitue une forme de fraude fiscale.

Holding

Généralement, une société dont la seule activité est de prendre des participations dans d’autres sociétés. Nombreux sont ceux qui créent des holdings au Luxembourg pour gérer leurs affaires, car l’imposition y est très faible.

Intermédiaire financier

Personne ou institution qui fait le lien entre le bénéficiaire réel d’une société offshore ou un compte et l’agent de domiciliation, comme Mossack Fonseca, qui va effectivement l’ouvrir. Cet intermédiaire peut être un avocat fiscaliste, un gestionnaire de fonds ou une banque.

Paradis fiscal

Pays ou territoire où certains impôts sont très bas voire inexistants, et qui cultive une certaine opacité sur les titulaires des comptes et des sociétés. Leur définition varie selon l’époque et l’organisation qui établit la liste des paradis fiscaux.

Port franc/zone franche

Zone où l’on peut entreposer des biens sans qu’ils soient soumis aux taxes douanières. De nombreuses œuvres d’art sont par exemple stockées dans le port franc de Genève.

Prête-nom(s)

Personne qui agit au nom d’une autre comme actionnaire ou administratrice d’une société. L’utilisation de prête-noms permet de dissimuler l’identité du bénéficiaire réel.

Procuration

Autorisation donnée à une personne, physique ou morale, pour représenter une société offshore. La procuration confère des droits, dont la gestion sans restriction de la société, la signature de contrats, l’achat de produits financiers ou encore la possibilité d’emprunter ou de prêter de l’argent. Chaque autorisation spécifie quels pouvoirs sont donnés à la personne qui agit au nom de la société.

Société coquille

Société déjà créée qui ne détient pas ou peu d’actifs (comme un œuf vide) et qui n’exerce pas d’activité économique réelle. Elle peut servir à détenir discrètement des comptes en banque, des participations ou des investissements.

Société écran

Société fictive créée dans le but d’opacifier les transactions financières d’autres sociétés.

Société offshore

Littéralement, « offshore » signifie « extraterritorial ». Une société offshore est enregistrée dans un pays non pour y exercer une activités mais pour disposer d’une boîte à lettres – souvent pour profiter des avantages fiscaux ou règlementaires du paradis fiscal choisi.

Trust/fiducie/fiduciaire

Une fiduciaire (du latin fiducia, confiance) est la personne physique ou la société qui détient temporairement de l’argent ou des biens pour le compte d’un tiers (le fiduciant). A charge pour la fiduciaire de gérer les fonds ou les mandats qui lui ont été transférés. Le trust, ou fiducie, est le contrat qui lie ces deux parties. Quant aux sociétés fiduciaires, ce sont des structures spécialisées dans ces opérations.

Joan Tilouine Journaliste au Monde

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Chefs d’Etat, sportifs, milliardaires : premières révélations des « Panama Papers » sur le système offshore mondial

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C’est la fuite de données la plus massive de l’histoire du journalisme. C’est aussi la percée la plus spectaculaire jamais effectuée dans le monde obscur de la finance offshore.

Le Monde, associé au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) de Washington et au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, destinataire de la fuite, a eu accès aux 11,5 millions de documents qui révèlent les avoirs cachés, dans des paradis fiscaux opaques, de leaders politiques mondiaux, de réseaux criminels, de stars du football ou de milliardaires.

Parmi eux figurent des proches du président russe Vladimir Poutine, ou le premier ministre islandais, Sigmundur David Gunnlaugsson, mais aussi de nombreux autres noms de chefs d’Etat ou de personnalités politiques. On y retrouve aussi le footballeur argentin Lionel Messi et le président suspendu de l’UEFA, Michel Platini, parmi nombre de personnalités dont nous évoquerons les cas tout au long de la semaine. Ces documents secrets, extrêmement récents, courent jusqu’à fin 2015.

1 500 fois Wikileaks

Au total, ce sont plus de 2 600 giga octets de données secrètes qui ont été découvertes, étudiées et analysées par Le Monde et ses 106 médias partenaires, pendant près d’un an, mobilisant 370 journalistes dans le monde entier : en France, en Inde, en Allemagne, en Suisse, en Russie, aux Etats-Unis, au Brésil, au Japon…

Au cœur de cette nouvelle enquête, ces « Panama Papers », il y a une firme, Mossack Fonseca, un des champions mondiaux de la domiciliation de sociétés écrans dans les juridictions offshores. Ces entités sont conçues pour dissimuler l’identité de leurs propriétaires réels, et verrouillées de l’intérieur. Mossack Fonseca est établi au Panama, l’un des centres financiers les plus opaques de la planète, considéré comme une plaque tournante du blanchiment, où vient se recycler l’argent du crime et de la fraude.

Un « registre du commerce » offshore

Les « Panama papers » mettent en lumière un incroyable tableau : plus de 214 000 entités offshore créées ou administrées par Mossack Fonseca, depuis sa fondation en 1977 et jusqu’en 2015, dans 21 paradis fiscaux différents et pour des clients issus de plus de 200 pays et territoires.

Un périple planétaire, donc, qui embrasse les continents et les océans, du Luxembourg au Panama, de la Suisse aux îles Vierges britanniques, des îles Samoa aux Seychelles, de Monaco aux Bahamas.

Il n’est plus ici seulement question des cas particuliers d’une seule banque, comme lors des « Swiss Leaks » de HSBC (2015) ou des « UBS Leaks » (2016), ni du rôle joué par une seule place financière dans un schéma organisé d’optimisation fiscale pour les multinationales, comme dans les « Luxembourg Leaks » (2014). Les « Panama Papers » offrent une cartographie, presque en temps réel, d’un pan entier de la finance mondiale, jusqu’alors à l’abri des regards.

Toutes ces informations seraient restées secrètes sans l’intervention d’une source anonyme, qui a commencé, début 2015, à transmettre cette « mine d’or » aux journalistes de la Süddeutsche Zeitung. Ils avaient alors entrepris d’enquêter sur le rôle de Mossack Fonseca dans les accusations de fraude fiscale visant la Commerzbank, la deuxième plus grosse banque d’Allemagne. Devant l’ampleur des données, le quotidien allemand a décidé de faire appel à l’ICIJ et ses partenaires habituels, afin de partager ses informations, au regard de la précieuse expérience acquise par le Consortium en matière d’investigations financières transnationales.

L’authenticité des documents, qui ne faisait guère de doutes au regard de leur nombre, a pu être vérifiée à deux reprises, par le journal munichois et Le Monde. Elle a été confirmée par plusieurs lettres envoyées en mars par Mossack Fonseca à ses clients et consultées par Le Monde, mentionnant « un accès non-autorisé à [son] serveur de messagerie électronique grâce auquel certaines informations ont été glanées par des tierces personnes ».

Argent gris, noir et sale

Toutes les sociétés offshores des « Panama Papers » ne sont pas illégales ou opaques, certaines ont une activité économique véritable et déclarée ou ont été spécialement créées pour faciliter des investissements internationaux. Mais une grande majorité d’entre elles sont utilisées comme sociétés écrans, pour dissimuler des avoirs grâce au recours à des prête-noms.

C’est ainsi que chez Mossack Fonseca, l’argent propre côtoie l’argent sale, que l’argent « gris » (celui de la fraude fiscale) côtoie l’argent « noir » (celui de la corruption et du crime organisé), que les grandes fortunes et les stars du football côtoient les réseaux criminels et les chefs d’Etat corrompus.

Après plusieurs mois de cette enquête hors norme, l’ICIJ et ses partenaires ont pu établir qu’étaient impliqués dans des sociétés offshores douze chefs d’Etat et de gouvernement (dont six en activité), 128 responsables politiques et hauts fonctionnaires de premier plan du monde entier et 29 membres du classement Forbes des 500 personnalités les plus riches de la planète.

4894814_6_ddec_qui-utilise-les-societes-offshore-des-panama_2cf65ebca90b52e1e4d15babfc975a21Les clients les plus « sensibles », ceux qui désirent se dissimuler et rendre leurs avoirs intraçables, sont protégés par trois ou quatre sociétés successives, créées aux quatre coins de la planète, qui s’emboîtent comme des poupées russes pour compliquer le travail des autorités fiscales et judiciaires, et il est souvent ardu voire impossible de remonter leur piste.

Les milliers d’échanges internes entre les employés de Mossack Fonseca passés au crible par Le Monde et ses partenaires confirment que les artisans de l’offshore parviennent toujours à conserver un coup d’avance sur les tentatives de régulation mondiales.

Ainsi quand, en 2011, les îles Vierges britanniques sont contraintes, sous la pression internationale, d’abandonner le système des « actions au porteur » anonymes, un mouvement de balancier s’opère au profit du Panama ou des Seychelles, où de telles pratiques sont encore autorisées.

C’est par ces rebonds d’un paradis fiscal à l’autre, et en exploitant les failles de la régulation par des montages toujours plus complexes, que Mossack Fonseca et ses intermédiaires tiennent en respect les autorités de contrôle.

« Une usine de voitures est-elle responsable du comportement des conducteurs ? »

Interrogé sur son rôle et ses responsabilités, Mossack Fonseca se défend d’avoir offert directement ces services à ces clients, et renvoie la responsabilité vers les quelque 14 000 intermédiaires (grandes banques mondiales, cabinets d’avocats, fiduciaires et autres sociétés de gestion de fortune) qui assurent l’interface avec les bénéficiaires finaux.

Dans un récent entretien accordé à la télévision panaméenne, le co-fondateur du cabinet, Ramon Fonseca, l’a comparé à une « usine de voitures », qui n’est pas responsable des forfaits commis par des voleurs à l’aide des véhicules qu’elle a produits. Dans la plupart des juridictions, la firme a pourtant l’obligation de se renseigner sur les ayant-droit des sociétés qu’elle administre et, si elle faillit parfois à cette obligation, ses correspondances internes montrent qu’elle a souvent connaissance de leur identité.

Quelles solutions ?

Le Panama, centre financier « toxique », refuse de coopérer avec les Etats étrangers dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, et a engagé un bras de fer avec l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’OCDE), qui coordonne la lutte. Considérant que le problème devenait hautement politique et risquait de compromettre l’efficacité de la lutte anti-blanchiment, l’OCDE a alerté les ministres des finances du G20 (le groupe des vingt pays les plus riches), réunis le 27 février à Shanghaï, en Chine.

Ce que prouvent les « Panama Papers », c’est avant tout qu’à l’heure de la mondialisation financière, et malgré les révélations successives et la volonté affichée des Etats à réguler les paradis fiscaux, il demeure toujours aisé pour les banques et leurs clients de se jouer des réglementations nationales. Ce ne sont pas les lois anti-blanchiment qui manquent, mais le contrôle de leur application qui doit être renforcé, partout dans le monde. Le système financier dans son ensemble se doit de réguler le grand meccano de l’offshore. Il a tout à y gagner.

Par Joan Tilouine, Simon Piel, Maxime Vaudano, Jérémie Baruch et Anne Michel

Source : Le Monde 03/04/2016

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L’empire industriel des Hariri vacille en Arabie saoudite

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Le géant du BTP, qui ne paie plus les salaires, pâtit de la crise pétrolière et du refroidissement entre Beyrouth et Riyad

La coïncidence n’est sûrement pas fortuite. Au moment où l’Arabie saoudite et ses alliés du Golfe prennent leurs distances avec le Liban, en signe de protestation contre l’emprise du Hezbollah pro-iranien sur ses institutions, l’empire politico-économique de l’ancien premier ministre Saad Hariri, un protégé de Riyad, tremble sur ses bases.

Dimanche, un article de RFI révélait que la maison mère du groupe, l’entreprise Saudi Oger, fondée en Arabie saoudite à la fin des années 1970 par Rafic Hariri, le père de Saad assassiné en 2005, se trouve en cessation de paiement de fait depuis la fin de l’été. Les 39?000 employés de ce géant du BTP, bâtisseur quasi attitré des palais de la famille royale, ont passé tout l’automne et le mois de janvier sans salaire. Ce n’est qu’à la mi-février qu’ils ont touché leur paye de septembre  2015, avec une promesse de régularisation à partir de mars.

Les plus pénalisés sont les ouvriers d’Asie du Sud-Est – Philippins, Indiens, Népalais ou Pakistanais, incontournables dans les chantiers de construction du Golfe. Le retard de paiement affecte aussi le personnel encadrant, dont quelque 200 expatriés français. Leurs difficultés financières ont incité l’ambassadeur de France en Arabie saoudite à écrire à deux reprises à Saad Hariri, le président du conseil d’administration de Saudi Oger.

Mais la crise se fait sentir bien au-delà des frontières saoudiennes. Elle fragilise l’ensemble du camp Hariri au Liban: non seulement le Parti du futur, locomotive de l’Alliance du 14-Mars, pro-occidentale et adversaire de la Coalition du 8-Mars emmenée par le Hezbollah; mais aussi la myriade d’entités – médias, fondations, dispensaires… – financées par Saudi Oger. «Toutes les branches du groupe sont touchées», maugrée un journaliste de Future TV qui dit recevoir son salaire «irrégulièrement». «Ça fait quelque temps que ça ne tourne pas rond», euphémise un employé du parti, privé de rémunération depuis près de six mois.

Excès de masse salariale

Officiellement, il ne s’agit que d’une mauvaise passe. Un responsable du groupe familial, contacté par Le Monde, l’impute à la «situation régionale» et au «ralentissement économique» généré par l’effondrement des prix du pétrole, la principale source de recettes de l’Etat saoudien, qui a enregistré en 2015 un déficit record (87  milliards d’euros), équivalent à 16% de son PIB. «Il y a une baisse des commandes publiques, dont le groupe Ben Laden, le principal rival de Saudi Oger, souffre également», affirme un homme d’affaires français installé à Riyad.

Selon un cadre de la société, joint par Le Monde, celle-ci pâtit aussi d’une masse salariale excessive. C’est le produit du récent achèvement de deux chantiers pharaoniques, dont celui de l’université Princesse Noura à Riyad, qui avait nécessité l’embauche de milliers d’ouvriers supplémentaires. «La restructuration est en cours, mais ça prend du temps», explique ce cadre.

Mais au sein de l’entreprise comme en dehors, d’autres facteurs sont évoqués. Certaines sources parlent d’erreurs de gestion et de malversations, ce que dément formellement la direction. «Il y a trop de fuites, de fausses factures, de budgets gérés à tort et à travers», accuse un sous-traitant contacté à Riyad.

Un bon connaisseur des milieux économiques saoudiens, qui a collaboré avec Saudi Oger, impute sa dérive au mélange des genres institué par Rafic Hariri: «Il est notoire que l’argent des contrats lui servait autant à régler ses fournisseurs qu’à payer ses campagnes électorales. C’est le Moyen-Orient, ici.»

Etoile déclinante

Les déboires de Saudi Oger sont aussi emblématiques de l’étoile déclinante de la maison Hariri en Arabie saoudite. Saad l’héritier n’a ni l’aura ni le crédit illimité dont jouissait son père à Riyad. En témoignent les mesures de désengagement du Liban, récemment prises par le palais royal. Après avoir suspendu il y a dix jours son programme d’aide à l’armée libanaise, le pouvoir saoudien a demandé mardi 23  février à ses ressortissants de quitter le pays du cèdre.

Pour Riyad et les partisans du 14-Mars, il s’agit de représailles après le refus du ministre libanais des Affaires étrangères, allié au mouvement chiite Hezbollah, de condamner le saccage de l’ambassade saoudienne en Iran, au début de l’année. Pour les tenants du 8-Mars, l’argument n’est qu’un prétexte pour déguiser la crise budgétaire saoudienne. Dans tous les cas, Saad Hariri n’a pu s’opposer à ces mesures, qui le pénalisent pourtant au premier chef.

«Les gens du 14-Mars se sentent abandonnés, au moment où leurs adversaires du 8-Mars donnent l’impression d’être de plus en plus sûrs d’eux, s’inquiète un journaliste de Future TV. On sait que l’Iran est loin d’être sorti de sa crise économique et que les médias pro-Hezbollah ont traversé eux aussi des difficultés financières. Mais l’élément psychologique est important.»

En interne, les employés de l’empire Hariri s’efforcent de relativiser. «C’est déjà arrivé il y a quelques années que l’on se retrouve sans salaire pendant huit mois, soupire un membre du parti. La plupart des gens restent loyaux, ils savent que cela finit toujours par s’arranger.»

Benjamin Barthe, Beyrouth

Source Le Temps 29/02/2016

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Groupe d’édition Wolters Kluwer: la justice reconnaît une restructuration « frauduleuse »

La cour d'appel de Versailles sous bonne garde policière, le 4 juin 2014 afp.com/THOMAS SAMSO

Versailles – La cour d’appel de Versailles a condamné la branche française du géant de l’édition professionnelle Wolters Kluwer pour avoir mené en 2007 une restructuration « frauduleuse » à l’aide d’un montage financier sur fond d’optimisation fiscale.

Cette restructuration a eu des conséquences « importantes« : les salariés sont depuis privés de participation annuelle.

A l’origine de cette décision rendue mardi, un litige qui remonte à 2007: cette année-là, la branche hexagonale du groupe de presse et d’édition néerlandais Wolters Kluwer, présent dans 170 pays, décide de fusionner plusieurs sociétés – dont le Groupe Liaisons, Lamy – qu’elle possède déjà.

Dans le cadre de cette restructuration, la filiale Wolters Kluwer France (WKF) contracte un emprunt de 445 millions d’euros sur quinze ans auprès de la maison-mère Holding Wolters Kluwer France (HWKF), à des taux peu compétitifs. L’opération baptisée « Cosmos » n’est pas sans douleur: l’endettement plombe les comptes de WKF et de fait, réduit à néant la participation des salariés, qui avoisinait 5 millions d’euros par an.

In fine, l’opération « Cosmos » avait permis de générer 555 millions d’euros de dividendes, orientés vers la maison-mère Wolters Kluwer N.V., aux Pays-Bas, où le régime fiscal est plus avantageux qu’en France.

Plus de sept ans après le début de leur combat judiciaire, la cour d’appel de Versailles a donné gain de cause aux syndicats – CGT, CFDT, Confédération nationale du travail et Syndicat national des journalistes (SNJ) – qui demandaient que la restructuration soit déclarée « inopposable » aux salariés de WKF. En janvier 2015, le tribunal de grande instance de Nanterre les avait déboutés.

Dans son arrêt consulté par l’AFP, la cour d’appel a constaté pour sa part que les sociétés WKF et HWKF avaient « sciemment dissimulé » les conséquences négatives de l’opération « Cosmos » « par des manoeuvres frauduleuses » tenant à la fois à l’absence de communication au comité d’entreprise de la documentation comptable et à « un discours trompeur« .

La cour d’appel a désigné un expert chargé d’évaluer avant décembre le montant de la participation que les salariés pouvaient escompter entre 2007 à 2015. En revanche, les magistrats, soulignant un préjudice d’avenir incertain, ont rejeté la demande des syndicats qui réclamaient une réserve pour la période 2016-2022.

Les sociétés WKF et HWKF devront payer 10.000 euros de dommages et intérêts à la CGT et, WKF, la même somme aux trois autres syndicats. Le syndicat SNJ a salué une « victoire du pot de terre contre le pot de fer« .

« Au-delà des salariés de WKF, cette décision de justice, inédite, fait date dans un contexte où les stratégies d’évitement fiscal des multinationales heurtent de plus en plus les citoyens« , a réagi la CGT dans un communiqué.

Contactée par l’AFP, la direction de Wolters Kluwer France s’est refusée à tout commentaire et n’a pas précisé si elle entendait déposer un recours.

Source AFP 03/02/2016

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