Pour les mots qui nous font grandir

La Baignoire, un espace vert qui fait respirer la création. Photo dr

La Baignoire, un espace vert qui fait respirer la création. Photo dr

Theâtre, auteurs, lectures
La Baignoire, le  laboratoire  des écritures contemporaines, livre ses bourgeons aux trois saisons.

Le projet est vaste et chaque année reconduit. Béla Czuppon et la petite équipe de la Baignoire jardinent avec passion et humanité pour le fleurissement des écritures dramatiques. Au 7 rue Brueys à Montpellier, beaucoup passent leur chemin les yeux sur le bitume. C’est à peine si l’on tourne la tête dans cette rue sans commerce. La Baignoire y brasse pourtant un lot d’auteurs, de comédiens, de programmateurs, d’artistes et de publics dans un petit espace, une cinquantaine de places, parfaitement atypique.

Quel serait la place de la recherche,  de la foi dans la création, du goût pour l’essai, si la vertu des textes contemporains était juste de transformer le réel brut ? A peu près celle d’une Baignoire élément essentiel d’un écosystème pour la rareté de son planton dont tout le monde s’empare sans se soucier de préserver la source.

Vingt auteurs programmés

« Bonne nouvelle ! La Baignoire continue contre vent et marées, toujours avec des moyens dérisoires à promouvoir les écritures contemporaines !, écrit le capitaine du lieu sans déconcerter grand monde.

Cette année plus de vingt auteurs feront entendre leur voix portées par des équipes artistiques d’ici. La saison s’ouvre les 7 et 8 octobre avec Sweetie de l’écrivain photographe Philippe Malone qui aborde la question de la fermeture aux mutations du monde et à l’autre, le jeune ou l’étranger pour préserver des certitudes en péril. Lecture du comédien  Alex Selmane sous le regard de Stéphanie Marc.

Les 24 et 25 novembre les spectateurs pourront suivre le dyptique Mémoire et Résistance proposé par la compagnie montpelliéraine Le cri Dévot qui mène une recherche  théâtrale autour de textes documentaires, de témoignages et de récits. 146 298 et En ce temps-là, l’amour… sont des récits introspectifs où s’entremêlent les notions de devoir de mémoire et de transmission. Un jeune ados recompose le passé de sa grand-mère à travers les chiffres de son tatouage. Un père enseigne les valeurs humaines à son fils dans le wagon qui le mène à Auschwitz. Mise en scène Camille Daloz, avec les comédiens Emmanuelle Bertrand et Alexandre Carafelli.

Les 8 et 9 décembre, on pourra retrouver L’Origine du Monde version Nicolas Heredia avec la complicité de Marion Coutarel. Une réflexion sur la valeur des choses, de l’argent, de l’aventure, à partir d’une copie d’assez mauvaise facture du tableau de Courbet.

« Mon grand-père amenait ses maîtresses chez lui et faisait l’amour avec elles en couchant ma mère dans le même lit. Ma grand-mère, dont c’était le deuxième mari, demanda le divorce. Après avoir fait mine de vouloir se tuer avec un couteau de cuisine, il accepta gentiment. Ma grand-mère se remaria avec un gigolo, et mon grand-père épousa sa secrétaire qui avait trente ans de moins que lui.» On touchera aux conditions du vrai témoignage avec Mon Grand Père de Valérie Mréjen mis en scène par Dag Jeanneret du 14 au 16 décembre.

La saison se poursuit jusqu’en  mai, avec notamment les intégrales de la Baignoire, des déjeuners lecture entre midi et 13h, proposés par Hélène de Bissy, où l’on découvre des nouvelles d’auteurs féminins. A souligner également, le travail croisé entre l’Université Montpellier 3 et l’ENSAD autour de la traduction et la découverte d’auteur avec la Maison Antoine Vitez, sous la direction de Béla Czuppon.

Bref, en suivant de prêt la programmation de la Baignoire, on réalise que les écritures contemporaines, ne supposent pas une concentration de connaissances de l’auditeur. Elles ne font pas d’ellipses trop raides, d’associations d’idées trop rapides, et relèvent davantage de l’ouverture curieuse que  d’une culture spécialisée.

L’entreprise Baignoire est un prétexte pour s’interroger sur la littérature contemporaine, son statut, sa place, son influence dans notre vie. Vaste projet aujourd’hui un peu trop à l’étroit !

JMDH


Programme complet : www.labaignoire.fr

Source La Marseillaise 28/09/2017

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Chapiteaux du livre. Un micro climat culturel à Béziers ?

Bayssan Hogo Da Costa

 par JMDH

Avec la vitalité de sa médiathèque, et son usine à produire de l’imaginaire, baptisé SortieOuest comme pour rappeler qu’il ne faut pas se tromper lorsqu’on sort de l’autoroute, le Domaine départemental d’art et de culture de Bayssan est souvent qualifié de poumon culturel au coeur d’un désert. Une enclave sur le territoire des Tartares. Chaque année les Chapiteaux du livre sonnent le rappel des penseurs qui n’ont pas vendu leur âme au pragmatisme qui les éloigne de l’utilité publique et sociale.

Après Pierre Rabhi,  Benjamin Stora,  Jacques Généreux, Patrick Boucheron et bien d’autres, Raphaël Glucksmann, Frederic Worms, Fatou Diome, Henri Pena-Ruiz sont attendus pour cette dixième édition.

On pourra encore déplorer la misère de ce territoire en regard de son âge d’or, du midi rouge de la coopération viticole, s’imaginer croiser le fantôme grimaçant de Jaurès au détour d’un chemin de vigne entre Cazouls et Maraussan. Mais curieusement, on n’a guère prêté attention au fait que, par un étrange phénomène de vases communicants, ce qui disparaissait d’un côté réapparaissait de l’autre.

Au-delà de la richesse de la programmation de cette édition fourmillante de diversité, et des pactes de lecture que nous conclurons avec les auteurs en présence, Emmanuelle Pagano, Joël Baqué, Jean Cagnard, Natyot, Laura Brignon, Franck Bouysse, Sylvain Pattieu… pour ne citer qu’eux, les aspirations au changement, à la rencontre, à la convivialité insufflée par les équipes issues de culture professionnelles différentes trouvent des réponses très concrètes auprès d’un public qui provient de tout le territoire.

Depuis dix ans les Chapiteaux du livre réinventent la réalité, s’autorisent à créer des histoires en ajoutant au réel l’invérifiable et l’imaginaire. Voilà un souffle bien réjouissant dont s’emparent les gens qui vivent alentour toujours plus nombreux.

La Marseillaise qui s’y associe est heureuse de partager ces temps de réflexion et d’émotion avec les petits et les grands moments, les tristesses en solitaire et les allégresses collectives.

Entretien
En charge de la programmation des Chapiteaux du livre de Béziers, la co-fondatrice de l’événement Hélène Larose  évoque la singularité de cette manifestation,  grande fête du livre pensée dans un esprit participatif.

imagesLa dixième édition des Chapiteaux du livre s’ouvre aujourd’hui. Quelle a été la démarche qui a présidé à leur acte de naissance ?
La médiathèque départementale de l’Hérault dont j’assume la direction existe depuis 1986.  Lorsque SortieOuest s’est implanté il y a onze ans, son directeur Jean Varela est venu me voir.  Il avait dans l’idée d’organiser une fête du livre. Nous avons réfléchi à ce que nous pouvions faire ensemble pour associer nos énergies dans un esprit d’ouverture. C’est ainsi que les Chapiteaux sont nés.

Cette association de la médiathèque et du théâtre avec le livre comme vecteur commun, c’est un peu la rencontre de deux mondes ?
En effet, il y a d’un côté le monde du spectacle vivant et des arts de la scène avec une forme d’impermanence qui lui est spécifique et de l’autre, celui, d’apparence plus sage, des bibliothèques et des médiathèques, lié à l’étude et à la lecture qui sous tend une certaine permanence.

La tenue d’une manifestation de ce type demande beaucoup de travail de la part des bibliothécaires qui sont très impliqués, comme l’est du reste l’équipe de SortieOuest. Les Chapiteaux du livre nous permettent  de nous retrouver. Cela donne du sens et de la valeur ajoutée à notre mission de service public.

L’identité de la manifestation se caractérise par la place qu’elle réserve à l’accueil des publics…
La volonté  d’organiser un événement littéraire de qualité  se conjugue depuis le début avec cette préoccupation du public. Dans mon expérience professionnelle antérieure, j’ai souvent accompagné des scolaires au Salon du livre de Paris. J’en ai gardé une forme d’insatisfaction, avec un peu le sentiment de faire du lèche-vitrine. Ce pourquoi, j’ai souhaité dès le début des Chapiteaux, insuffler un esprit participatif qui se décline dans le parc par une multitude d’ateliers. Cette année nous avons 32 propositions, mais aussi  des découvertes, des expos, des propositions ludiques…

Durant l’événement, le parc rassemble les familles, certaines ne s’intéressent pas aux propositions. Elle viennent juste manger, partager un moment ensemble, et c’est très bien ainsi.

Cette énergie participative se partage aussi avec les acteurs institutionnels, de la société civile et ceux du livre…
Nous débutons généralement la manifestation avec l’accueil des scolaires, jeudi sera une journée spéciale consacrée à la littérature jeunesse. Ce qui suppose l’implication des enseignants mais les publics nous allons les chercher en bus de Saint Pons à Olonzac. Ce qui nous permet de faire venir près d’un millier de scolaires. En partenariat avec les personnels des services sociaux du département, nous concernons aussi les personnes âgées ou hospitalisées.

Et puis nous maintenons  des relations suivies avec le tissu associatif local, comme les CEMEA avec qui nous proposons des films présentés dans le cadre du Festival du Film d’éducation. Au-delà  des auteurs invités, nous souhaitons faire connaître les acteurs du livre de la région, libraires, éditeurs… Cette année nous ferons un focus autour du livre d’art. Une journée professionnelle sera organisée autour des éditions Albin Michel et plus particulièrement son département jeunesse.

Les livres permettent la réflexion, l’orientation du cycle des conférences vers la tolérance s’impose-t-elle ici plus qu’ailleurs ?
La tolérance est nécessaire partout. L’événement s’est constitué, avant l’élection du maire actuel de Béziers, sur l’éloge de la diversité et le vivre-ensemble qui s’avère de plus en plus nécessaire. On est un peu enclavé mais on a envie de mélanges. On ne veut pas rester dans un village gaulois.

 

Pépites errantes aux côtés des auteurs attendus

Emmanuelle Pagano se penche sur la vie recouverte par le lac du Salagou. Photo dr

Emmanuelle Pagano se penche sur la vie recouverte par le lac du Salagou. Photo dr

Rencontres auteurs

Au-delà du rituel d’autoflagellation bien français qui consiste à mépriser systématiquement la production nationale les Chapiteaux opèrent une chasse furtive et pacifique parmi les auteurs à découvrir.

« Ce sont les paroles les plus silencieuses qui apportent la tempête », disait Nietzsche, celles des auteurs, on pourra les entendre tout le week-end en se rendant à Béziers, aux Chapiteaux du livre. La place manque pour l’exhaustivité. On vous signale quand même la présence d’Emmanuelle Pagano, prix Wepler pour Les mains gamines, un drame de l’enfance paru en 2008.  Elle vient évoquer son dernier roman, Sauf riverains (POL 2017) second volet  d’une trilogie interrogeant la relation de l’eau et de l’homme. Dans ce livre elle aborde l’ennoyage de la vallée du Salagou. Son grand père y possédait deux petites vignes qu’elle n’a jamais vues que sur une photographie. L’œuvre de Pagano s’intéresse à ce qui disparaît ou va disparaître. Un auteur dont il faut découvrir la langue magnifique et implacable qui n’a pas son pareil pour décrire l’enfouissement.

Elle participera à une table ronde samedi à 17h en compagnie de Joël Baqué également publié chez POL. Son dernier livre La mer c’est rien du tout, (2016)  se situe entre la biographie et l’univers romanesque. Il décrit sa découverte de la littérature à partir d’un livre trouvé sur la plage où il travaillait comme maître-nageur-sauveteur des CRS. Ses souvenirs professionnels, parfois durs, souvent insolites, côtoient des constats, tendres et amusés, sur les enfants et sur nombre de situations du quotidien. Dans le registre noir

Franck Bouysse, Prix du polar SNCF 2017, pour Grossir le ciel abordera son roman Glaise (samedi à 18h) qui vient de paraître à La manufacture des livres. Un poignant récit de la France rurale qui prend l’intime pour objet au moment où les hommes partent au front en août 1914.

 

Conférence.  Henri Pena-Ruiz :  Qu’est ce que la solidarité ?

201501232489-fullHenri Pena-Ruiz était déjà venu aux Chapiteaux du livre en 2014 pour évoquer la laïcité à l’occasion de la sortie de son Dictionnaire amoureux de la laïcité. Il revient cette année mettre en évidence les fondements de la solidarité comme principe éthique de portée politique et sociale. Une question abordée dans son ouvrage Qu’est ce que la solidarité ? Le cœur qui pense (2011) où l’auteur fait le point sur toutes les formes de solidarité et les met en perspective dans la marche vers un monde meilleur. L’enjeu de ce rappel est d’autant plus important que dans le cadre de la mondialisation et de l’idéologie ultralibérale qui l’accompagne, l’orientation solidariste est reléguée au rang d’un supplément d’âme plus ou moins résiduel, abandonné à la contingence de la charité. Il prend aux mots les références à l’initiative individuelle, au goût du risque et de l’entreprise, pour montrer que pour assumer ces valeurs il n’est pas nécessaire de disqualifier le souci de justice sociale, ou de le considérer comme une logique d’assistanat comme trop souvent on peut l’entendre.

 Henri Pena-Ruiz est philosophe, écrivain, Docteur en philosophie, maître de conférences à l’IEP de Paris.

 

Conférence
Raphaël Glucksmann une certaine fraîcheur
6gSnHws__400x400Dans le cycle de conférences proposé par la manifestation, la forme que prennent les interventions varie selon la reconnaissance plus ou moins établie des intervenants mais aussi de leur caractère. L’intervention de Henri Peña-Ruiz qui fait suite au désistement de Badiou devrait en être un exemple. Après celle de Raphaël Glucksmann venu nous parler de son dernier essai Notre France : dire et aimer ce que nous sommes (Allary éditions) on peine un peu à qualifier le poids des mots dans le propos séduisant et très incarné du militant des droits de l’homme, partisan d’une gauche moderne et ouverte.

La démarche vise à démontrer l’incapacité du politique à produire un futur collectif et le danger que chacun mesure, surtout à Béziers laisse entendre l’intervenant, du repli identitaire et souverainiste. Pourtant lorsque l’on regarde dans le rétroviseur tout démontre une longue tradition de mélange et de tolérance qui fondent les valeurs démocratiques universelles de la nation.

Cette vérité sert de prétexte à une promenade subjective dans l’Histoire de France dans laquelle nous entraîne l’auteur. Du Roman de Renart aux résistants de la Seconde Guerre mondiale en passant par les grandes figures rebelles et émancipatrices qui marquent l’histoire littéraire, Rabelais, Montaigne, Voltaire… auxquels s’ajoutent quelques figures héroïques : Figaro, Camille Desmoulins, ou Fanfan la Tulipe…

L’idée est belle et le constat flatteur, il vise à rallier le plus de monde possible pour faire toucher du doigt la vraie France dont nous serions tous fiers, même ceux qui votent FN. En réalité « la France ressemble à la figure d’Andromaque ». Et l’ordre social dirigé par l’ordre amoureux, c’est pour quand ?

Raphaël Glucksmann explore les figures ou les œuvres qui ont forgé l’identité française

Voir aussi : Actualité Locale, Rubrique Livre, Essais, Edition, rubrique Lecture, Rubrique Rencontre, F Worms : « La démocratie fait émerger des problèmes à résoudre »  rubrique Philosophie,

Frédéric Worms : « La démocratie fait émerger des problèmes à résoudre »

Frédéric Worms : « L’esprit a besoin de confiance pour pénétrer la démocratie et la faire vivre »

Frédéric Worms : « L’esprit a besoin de confiance pour pénétrer la démocratie et la faire vivre »

Invité des Chapiteaux du livre de Béziers, le philosophe Frédéric Worms donne ce soir au Théâtre sortieOuest, une conférence sur le thème « Les maladies chroniques de la démocratie ».

Frédéric Worms est philosophe, professeur de philosophie contemporaine, membre du Comité consultatif national d’éthique et depuis septembre 2015, directeur-adjoint de l’École normale supérieure. Frédéric Worms s’intéresse à l’histoire de la philosophie. Il est considéré comme un spécialiste de l’œuvre de Bergson.

Dans votre dernier ouvrage*, vous vous portez au chevet de la démocratie en crise pour poser un diagnostic. Pourquoi avoir user des termes de maladie chronique à propos de la démocratie ?
Pour deux raisons : la thèse de maladie chronique permet de la distinguer de la maladie aiguë. Elle soutient  que les problèmes de la démocratie sont structurels à la démocratie elle-même. La crise correspond à une inflation de problèmes structurels qui  doivent être contenus. Il nous incombe de les conjurer, de les affronter pour qu’ils ne débordent pas du cadre. Par ailleurs, l’usage du mot maladie, implique que la démocratie peut être plus ou moins en bonne santé et qu’elle fait partie de la vie.

Votre approche s’applique-t-elle  à la crise de manière globale ?  Relève-t-on par exemple, les mêmes symptômes de Rangoun à Damas ou de la Floride à la Meuse ?
Non, on distingue des seuils. Aucun pays n’est une démocratie parfaite. La France remplit un certain nombre de critères qui restent inexistants dans d’autres pays.

Vous soulignez l’état d’une partie grandissante de l’opinion qui pense que la démocratie est terminée, pour avoir gagné un statut incontournable ou parce qu’elle est perdue. Ce qui dans les deux cas revient à éluder les questions…
Exactement, ce sont deux erreurs qui se nourrissent l’une l’autre, la démocratie ce n’est justement pas tout ou rien. Ce raisonnement peut conduire à faire la guerre au nom de la démocratie. Je me prononce plutôt en faveur des tribunaux internationaux,  que pour les interventions militaires. Parce que la guerre contribue à renverser tous les principes moraux et politiques de la démocratie. Aucune démocratie n’est complète, elle doit toujours être pensée, programmée. La démocratie fait émerger des problèmes à résoudre, elle n’a pas vocation à les faire disparaître.

Votre démarche ne se limite pas au mode de gouvernance cependant, peut-on considérer que le régime politique français est tempéré d’une part de monarchie voire d’aristocratie  ?
Je ne le pense pas. Ceux qui évoquent une monarchie constitutionnelle, liée au présidentialisme font planer l’idée que nous ne serions plus dans une République, hors, c’est faux ! Cette posture présente le risque de leurrer les citoyens. C’est une forme rhétorique permettant d’exporter les principes pour finalement abandonner la défense de ces principes. Cela n’empêche pas pour autant de critiquer la 5e République mais il faut formuler des critiques avec des exigences précises. Le  système français n’est pas parfait mais il permet de peser sur le gouvernement.

Dans votre interprétation de la crise, vous soulevez la convergence de trois dangers que sont le soupçon, le racisme et l’ultralibéralisme. En quoi le cynisme contemporain repose-t il sur un déni de démocratie ?
L’esprit a besoin d’une confiance pour pénétrer la démocratie et la faire vivre. Lorsqu’on vous dit : on vous ment  ou tous pourris, on sape cette confiance.  Si certains médecins acceptent les cadeaux des laboratoires, cela ne signifie pas  que tous les médecins sont corrompus. On a le droit de critiquer mais on ne doit pas saper la démocratie au nom de la démocratie. Tout citoyen se conforme à des principes, le peuple n’a pas tous les droits. La démocratie appelle aussi à une auto-limitation.

Le racisme vous apparaît comme une maladie de la représentation de soi-même ?
Le racisme, c’est l’illusion de penser qu’il y a eux et nous. Le racisme, c’est une idée de l’autre mais aussi de soi-même qui sous-tend que nous n’avons pas de problème. C’est un piège. Un peuple fort et démocratique assume cette discussion. Il se reconnaît par ses institutions et reconnaît les différences.

Bergson définit les principes moraux comme une nécessité pour la société de régler la liberté humaine. N’est-ce pas tout le contraire que prône aujourd’hui l’Occident ultra libéral sous couvert d’assurer notre sécurité  ?
Même les libertés peuvent devenir des idéologies si on ne voit pas qu’il faut les construire à travers les institutions. L’erreur du libéralisme est d’avoir opposé la liberté à la loi. La liberté c’est bien, mais il faut apprendre que l’on a besoin des autres. Pour les bébés ou les vieillards, c’est une évidence. Les catastrophes qui sont terribles nous le rappellent parfois.

Face à la convergence des dangers, vous prônez la résistance, sous quelle forme de lutte ?
Dans un pays comme la France, des luttes peuvent s’organiser dans le cadre des institutions, de l’université, de la presse …  Nous vivons dans une démocratie mûre, épanouie et solide qui dispose de cadre pour sa propre critique. Nous avons les moyens de lutter sans se cacher, sans avoir peur.

Pour reprendre la question d’Adorno : peut-on mener une vie bonne dans une société mauvaise ?
C’est la vraie question philosophique. J’espère que oui. Cette vie bonne peut être heureuse, mais il faut être critique. Les gens qui critiquent la démocratie sont des gens heureux. Et ce sont souvent  ceux qui sont heureux qui font progresser les choses.

Ce travail intérieur aux relations humaines vous situe dans un esprit rousseauiste, comme votre présence au sein du Comité national d’éthique. Quels sont les dossiers importants qui arrivent sur la table ?
Le dossier de la PMA, et ceux liés aux nouveaux progrès scientifiques dans le domaine  de la biomédecine, du génome, ou encore de l’intelligence artificielle, de la nouvelle médecine connectée. Dans dix ans la médecine sera transformée. Nous serons soignés à distance avec nos téléphones. Comment cela restera-t-il éthique  ? Comment cela restera-t-il  un soin  ? Comment avoir le sentiment d’être soigné par quelqu’un  dans ce cadre ? Que fera-t-on des données médicales fournies ?  Tout cela pose des problèmes relatifs à la démocratie…

« La convergence n’est pas à inventer puisqu’elle nous fait déjà vivre et avancer », votre conclusion porte à l’espérance. Est-ce un appel à l’introspection  ?
C’est un appel à l’endurance lucide, regarder ce qui nous fait vivre, nous permet de comprendre…

Réalisé par Jean-Marie Dinh

*Les maladies chroniques de la Démocratie, éditions Desclée de Brouwer, 18,90 euros.

Source La Marseillaise.23/09/2017

Voir aussi : Rubrique RencontreJean- Claude Milner, rubrique Philosophie, rubrique Livre, Essais,

 

 

 

Le chômage tue plus que les accidents de la route en France

Une étude de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) estime qu’entre 10000 et 14000 décès par an sont imputables au chômage. Un chiffre alarmant, véritable enjeu de santé publique, qu’il convient d’analyser.

« C’est un problème de santé publique » déclarait en Mai 2016, Pierre Meneton, chercheur à l’Inserm, dans le journal Libération. Une cause de mortalité majeure dont le chiffre nous fait osciller entre la nausée et le vertige : 10000 à 14000 décès par an. À titre de comparaison, les accidents de la route emportent 3500 personnes chaque année. On aurait presque tendance à l’oublier, tant elle est analysée et commentée, mais derrière la courbe du chômage se cache une réalité, celle de millions de personnes en détresse.

Des maladies cardiovasculaires.

Les raisons de ce taux de mortalité élevé sont multifactorielles et concernent autant la santé mentale que la santé physique. En effet, le rapport souligne que le non-emploi accentue certaines habitudes de vie et de consommation : depuis le tabagisme à l’alcool, une mauvaise alimentation (par manque de moyens), la sédentarité, le tout accroissant le risque de contraction de maladies cardiovasculaires. Les chercheurs ont également constaté un risque important de rechute de cancer en situation de chômage et invitent les médecins généralistes à considérer les patients en situation de non-emploi comme une population à risque. « Pour les personnes en situation de chômage, le risque d’accident vasculaire cérébral et d’infarctus est augmenté de 80% au regard des actifs, pour les hommes comme pour les femmes » déclare les chercheurs d’une étude du CESE (Conseil économique social et environnementale).

Le suicide et le chômage, un rapport de cause à effet méconnu

Longtemps perçu, sous le prisme du romantisme, comme l’acte individuel par excellence, le suicide entre dans le champ du fait social à la suite de l’étude sociologique d’Emile Durkheim, en 1897. Au terme de ses recherches, Durkheim constate en effet que : « Le taux de suicide varie en raison inverse du degré d’intégration des groupes sociaux dont fait partie l’individu ».

Un siècle plus tard, la crise économique de 2008 entraîne un grand nombre de licenciements, dans un même temps, on constate également une augmentation du taux de suicide. Une autre étude de l’Inserm est, à ce propos, très parlante et permet de se faire une idée précise de cette triste corrélation. Dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire du 6 janvier 2015, les chercheurs en arrivent à cette conclusion : quand le taux de chômage grimpe de 10 %, celui du suicide, lui, augmente de 1,5 %. L’Inserm estime donc que la hausse du chômage, relative à la crise qui a frappé la France de 2008 à 2010, a entraîné au moins 500 suicides. L’institut de recherche explique que : « Par ailleurs, le contexte plus global de crise économique, caractérisé entre autre par une morosité et des perspectives à la baisse sur le marché du travail peut aussi être à l’origine de craintes de pertes d’emploi et donc de crises psychiques à l’origine de suicides ».

La stigmatisation, au cœur de ce fléau

C’est un leitmotiv aussi récurrent que délétère, « le chômeur serait un assisté qui profite de la providence de la France », cet État candidement magnanime. Résultat de cette désinformation politique, le chômeur est montré du doigt, considéré comme seul responsable de sa situation en dépit d’un chômage avant tout structurel. Pour Gilles de Labarre, président de Solidarités nouvelles, cette stigmatisation des chômeurs est « une double peine » infligée à ces personnes souffrant déjà d’une situation économique difficile, mais qui, non content de devoir compter leurs sous au centime près, se voient juger sans concessions sur la place publique.

Ginette Herman, psychologue spécialisée dans la psychologie sociale, analyse dans son ouvrage Travail, chômage et stigmatisation, les conséquences de ce procès d’intention. Elle y affirme que le non-emploi entraîne de l’anxiété, une baisse de l’estime de soi et de la satisfaction. Elle met également en lien ces troubles psychiques avec le regard d’autrui. La psychologue belge estime ainsi que la stigmatisation du groupe sur l’individu se répercute sur l’image que l’individu se constitue de lui-même, faisant naître alors un sentiment d’auto-stigmatisation. De plus, l’accès à un travail confère un certain statut social à l’individu. Un statut donc est privé le demandeur d’emploi.

Un effet pervers

On reproche régulièrement aux personnes sans emploi de ne pas faire les efforts nécessaires pour améliorer leurs situations, mais le problème réside justement dans cette situation de non-emploi. Avec tous les troubles psychologiques qu’elle entraîne, la situation de non-emploi prolongée diminue les possibilités pour l’individu de retrouver un travail. En effet, différentes études soulignent que le chômage, en longue durée, ébranle la motivation et l’envie d’entreprendre. Le chercheur d’emploi rencontrera de plus en plus des difficultés à adopter l’attitude adéquate face à un employeur. En résumé, plus une personne est au chômage, plus elle souffre psychologiquement (consciemment ou non) et plus cette souffrance psychologique est vive, plus les chances de retrouver un emploi s’amoindrissent. Pour certains d’entre eux, au bout de ce labyrinthe sans issue, il y a le suicide.

A la lumière de ces éléments, il sera important de suivre avec attention la future réforme du chômage prévu par le gouvernement pour le mois de septembre. Le chômage n’est pas qu’un sujet de plus visant à alimenter les débats de coin de table, il est un fait de société causant souffrance, divorces, destruction familiale, précarité et parfois la mort. Espérons que cette réalité, aussi sordide soit-elle, vienne influencer les technocrates du gouvernement lorsque l’heure viendra pour eux d’apposer leurs seings au bas d’une loi qui déterminera le sors de six millions de personnes car nous pouvons l’affirmer sans trembler des jambes : là où il passe, le chômage tue.

T.B.

Source Mr Mondialisation 07/09/2017

Jean- Claude Milner « La démocratie est jugée parfaite du coup on n’y réfléchit pas »

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A propos de son dernier livre et de la leçon inaugurale donnée à Montpellier dans le cadre des Rencontres Pétrarque, le philosophe et linguiste Jean-Claude Milner évoque la notion de révolution et son évolution.

L’invitation à la relecture que vous faites de la Révolution française, et à travers elle les autres, s’inscrit dans un présent politique atone. Vous dites vous même n’avoir pas songé un instant à la Révolution, devant votre écran le 11 septembre 2001…

A l’échelle internationale, je ne crois pas qu’on puisse parler d’atonie. La question des formes politiques est posée presque partout. La grande exception, ce sont les pays où la question est supposée résolue. Je pense au lac Atlantique Nord et à l’Europe occidentale. La démocratie élective y est jugée parfaite et même naturelle. Mais du coup on n’y réfléchit pas. Précisément parce qu’elle fait des droits naturels une solution, la Révolution française
doit commencer par les poser en problème. Elle contribue du même coup à revivifier la politique.

Pourquoi la Révolution française a-t-elle été considérée comme la mère des révolutions ?

On peut considérer que la monarchie française avait construit l’une des plus grandes puissances du monde, sinon la plus grande. En tant que forme politique, elle passait pour la plus solidement établie. Que ce soit justement là que la révolution se soit produite, et notamment l’abolition de la monarchie, ce fut la preuve que la révolution était possible au centre même du pouvoir et non pas aux marges, comme dans le cas des Etats-Unis ou, au XXe siècle, de la Russie et de la Chine.

En quoi les droits de l’homme et du citoyen qui fondent la singularité de la Révolution française sont-ils novateurs ?

Je me concentrerai sur un point. L’idée que les hommes naissent libres va contre l’un des dogmes majeurs du christianisme : les hommes naissent esclaves du péché. Rompre principiellement avec le christianisme, c’est aller plus loin encore que n’avait fait Luther, rompant avec le catholicisme. Tout le tissu de la réalité sociale se révèle, en un instant, contraire au droit. Mais aujourd’hui, la rupture n’est pas moindre.

Croyez-vous que de nos jours, on admette vraiment la liberté innée de chacun ?

Je pourrais commenter de la même manière les propositions « les hommes demeurent libres », « les hommes naissent égaux en droits » etc. Quant aux droits du citoyen, ils peuvent se ramener à un pouvoir : est citoyen celui qui a le droit d’opposer les droits de l’homme à toute décision d’un pouvoir légitime. Que les droits de l’homme existent, c’est une nouveauté, mais qu’ils soient reconnus comme opposables, c’en est une autre, non moins importante.

La violence qui succède à 1787 en Amérique, n’est pas de même portée, ni de même nature, expliquez-vous, que celle engendrée par la Révolution de 1789. Qu’est-il important de distinguer ici ?

Les événements succédant à 1787, n’ont de sens que par le siècle qui a suivi et qui a vu l’extension desdits États à un sous-continent. Cette histoire est faite de guerres et de massacres. Elle est surtout faite de conquêtes. L’histoire de la Révolution française est plus courte ; certains l’arrêtent en 1815, d’autres en 1799. Les violences dites révolutionnaires ne naissent pas de la conquête et de l’expansion ; au contraire, elles naissent de la défense du territoire. Qui plus est, elles ne relèvent pas de l’action militaire, mais de l’action politique.

La Grande Terreur, en particulier, dépend de la conviction que l’ennemi principal est intérieur à la politique révolutionnaire elle-même.

Concernant les systèmes politiques vous remontez aux théories de Polybe. Quel regard porterait ce penseur grec sur l’avènement du président Macron, auto-proclamé « antisystème » ?

Je pense qu’il relirait l’une de ses sources, l’historien Thucydide, et méditerait sur l’analyse que ce dernier fait du système de Périclès. Athènes était une démocratie, où le pouvoir, par rotation annuelle et tirage au sort, revenait à chaque citoyen ; une magistrature faisait exception : on pouvait être stratège sur la longue durée. Cela permit à Périclès d’établir son régime : une démocratie tempérée par la supériorité intellectuelle, morale, etc. , d’un seul. Polybe ajouterait que la Constitution de 1958 instaure un régime mixte ; elle contient, comme celle des États-Unis, un élément monarchique, tempéré par l’élection et la limitation chronologique du mandat présidentiel. Elle contient aussi un élément aristocratique : le gouvernement-des-meilleurs.

Or, qui sont ces meilleurs ? Longtemps, on les a trouvés chez les notables locaux et dans la haute fonction publique. Apparemment, Macron les cherche ailleurs, dans ce qu’il appelle la société civile. Mais on perçoit un déplacement : il n’y a plus de critère objectif du
meilleur, mais plutôt un critère circonstanciel : est meilleur celui ou celle que le Président définit comme tel, dans une circonstance donnée.

A Montpellier, lors de votre Leçon inaugurale des Rencontres Pétrarque, vous
compariez l’émergence de la société civile au Tiers-Etats, comment les tenants de ce vaste ensemble peuvent-ils construire leur légitimité, et être associés à la gouvernance ?

La grande découverte que fit la Révolution française, c’est que le Tiers-État n’existait pas. C’était une construction imaginaire. Elle avait joué un rôle essentiel pour accéder à la gouvernance, mais dès que le but fut atteint, les divisions réelles se firent jour. Après tout
l’opposition entre Montagnards et Girondins est interne au Tiers-État.

De même, la société civile est une entité imaginaire. Dès que la question de la gouvernance sera posée, des groupes et des individus apparaîtront. Cela commence.

Vous avez aussi évoqué cette possibilité (apanage du XXIe siècle) de parler de révolution sans contrôle. La révolution numérique, ou la révolution macroniste, telles qu’on les qualifie aujourd’hui, vous paraissent-elles ouvrir des perspectives émancipatrices révolutionnaires ?

L’émancipation résulte de décisions. La révolution numérique modifie les conditions matérielles de la décision, mais elle ne détermine pas la décision. La révolution macroniste, selon moi, repose sur la fluidification des rapports sociaux. Selon le macronisme, cette fluidification constitue par elle-même une émancipation ; je ne le crois pas. Condition nécessaire peut-être, mais sûrement pas suffisante.

Réalisé par Jean-Marie Dinh

«Relire la Révolution ». Éditions Verdier 16 euros

Source : La Marseillaise 29/07/2017

 

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