Livre. Fabrication de la guerre civile

Roman. Fabrication de la guerre civile

Charles Robinson

9782021145861Grand plongeon  dans  le Pigeonniers, « Disneyland après la bombe » quelque part en région parisienne, 322 appartements pour 1 200 habitants.  On y rêve, on s’y amuse, et on regarde le monde d’à coté sans illusion aucune. Quand l’office HLM et la mairie décident de raser les barres de béton pour « améliorer l’habitat »  ceux qui y vivent refusent. C’est le début de la révolte. Fabrication de la guerre civile (Seuil) est le  troisième roman de Charles Robinson. 600 pages au milieu d’un grand carrefour où les destins fiévreux se croisent dans tous les sens et se conjuguent sans calcul. « Les jeunes maintenant, ils ont la conscience politique d’un poulet rincé à la Javel. » L’auteur écrit dans une langue au phrasé qui fait mouche et dessine avec précision le monde décentré de la banlieue celui de la périphérie dont le coeur bat si fort qu’il va faire boum.  Si la question est de savoir quand exactement, on peut répondre que cela a déjà commencé… Un roman majeur pour naviguer et comprendre les cités sans juger.

JMDH

Fabrication de la guerre civile Charles Robinson Seuil 24 euros

Essai « Nous ne sommes plus seuls au monde » 

Bertrand Badie  
9782707190475Dans cet essai tranchant, Bertrand Badie rompt avec les explications paresseuses ou consensuelles. Il nous rappelle que nous ne sommes plus seuls au monde, qu’il est temps de se départir des catégories mentales de la Guerre froide et de cesser de traiter tous ceux qui contestent notre vision de l’ordre international comme des « déviants » ou des « barbares ». Il interpelle la diplomatie des États occidentaux, qui veulent continuer à régenter le monde à contresens de l’histoire, et en particulier celle d’une France qui trop souvent oscille entre arrogance, indécision et ambiguïté.
Le jeu de la puissance est grippé. L’ordre international ne peut plus être régulé par un petit club d’oligarques qui excluent les plus faibles, méconnaissent les exigences de sociétés et ignorent les demandes de justice qui émergent d’un monde nouveau où les acteurs sont plus nombreux, plus divers et plus rétifs aux disciplines arbitraires.

Nous ne sommes plus seuls au monde « Un autre regard sur l’« ordre international » La Découverte 9,99 euros

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Festival Actoral. La révolution par l’écriture

Grinshorn & Wespenmaler

Grinshorn & Wespenmaler. Photo Mezli Vega Osorno

Actoral. Le festival des écritures contemporaines se clôture ce soir. Les blessures intimes deviennent des langues à hTh.

L’escale montpelliéraine du Festival Marseillais Actoral dédié aux écritures contemporaines se conclut ce soir à hTh avec le poète sonore Anne-James Chaton et l’artiste de musique électronique Alva Noto dans le cadre de Analogie / digital. Flaubert, Jules Verne, mais aussi Descartes, Napoléon, Freud… sont convoqués à prendre un sacré coup de jeune.

Cette soirée clôture un festival captivant que l’on doit à la passion tenace d’Hubert Colas pour les écritures contemporaines. Depuis le 14 janvier le CDN est une terre d’aventure où se croisent des artistes d’horizons différents qui ont pour point commun d’être en prise avec de nouvelles formes de langage. « Ce ne sont pas des artistes doucereux qui viennent à Actoral », avait prévenu Hubert Colas. Il n’a pas menti.

A l’instar du drame patriotique international Grinshorn & Wespenmaler de l’autrichienne Margret Kreidl mis en espace par Marlène Saldana et Jonathan Drillet qui rend un vibrant et décalé hommage à l’Autriche d’Haider, le leader bronzé de l’extrême droite autrichienne, qui trouva la mort en sortant d’un club gay, ivre au volant de sa Volkswagen Phaeton.Le public qui est venu pour découvrir, perçoit et participe au rapport délicat entre la création et le monde insensé dans lequel il vit. En pleine dérive extrémiste, l’absurde reprend du poil de la bête.

L’inhumanité ordinaire

La société hyper sécurisée et tellement insécurisante inspire les artistes d’aujourd’hui qui baignent dans cette inhumanité ordinaire. Tous les domaines artistiques, sont concernés et notamment la littérature contemporaine. On a goûté au rationalisme irrationnel de Thomas Clec qui met trois ans à parcourir les 50 m2 de son appart parisien pour faire de l’autofiction un inventaire politique (Intérieur ed. L’arbalète/Gallimard).

On a zoomé avec Camera (ed, Pol) d’Edith Azam et sa véhémence nerveuse qui se rend à l’évidence du désespoir et n’existe que par la résistance du langage. On a entendu par les yeux et l’émotion le manifeste physique et tragique du jeune danseur chorégraphe croate Matija Ferlin. Ces rencontres surprenantes entre auteurs, metteurs en scène, chorégraphes, et publics se sont croisés dans l’espace de manière inédite, inspirant d’innombrables prises de positions.

Elles sont ce qui émerge. L’exceptionnelle tension et la passion qui en découlent demeurent le champ des appropriations de la langue. Cette approche des écritures semble découler de l’exploration de cet univers polémique dans lequel chacun se sent investi d’une mission, celle du CDN semble en tout cas bien ravivée.

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 22/01/2016

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Jean-Joubert : « désir du vent de feuille en feuille comme un murmure d’eau féconde. »

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Tandis que grogne au loin et se disloque

le jeu des anciens mots de poussière et de nuit

voici enfin retournement de la parole

comme une terre noire que la charrue partage,

que le soc fend et verse, et, débourbés,

ce sont de jeunes mots, des oubliés

qui s’arrachent et luisent

dans la grâce du petit jour,

Ils sont semence, ardeur, promesse de moisson.

L’oeil les caresse.

La main déjà les accompagne

et le désir s’ébroue de l’arbre et de sa voix:

désir du vent de feuille en feuille comme un murmure d’eau féconde.

Et c’est encore l’enfant rêvé, l’enfant lointain, si proche désormais

qui surgit et se penche

et boit le vent au creux de ses paumes.

La mère en robe blanche le regarde. Une pivoine rouge éclot près de la grange

et, dans l’allée, le fantôme du chat

s’avance à pas de laine.

Jean Joubert

Eveil III L’alphabet des Ombres, éditions Bruno Doucey 2014

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Etat de siège, finis tes carottes.

– C’est la guerre !

Mon père a claqué la porte d’entrée. Il a crié ces mots sans enlever son manteau. Il a répété  » la guerre  » sur le seuil de chaque pièce. Le salon, la salle à manger. Nous étions dans la cuisine, ma mère et moi.

– C’est la guerre.

Mon père, immense, occupant tout le chambranle. J’épluchais trois carottes, ma mère préparait un poireau.

-Qu’est-ce que tu racontes ?

Il l’a regardée, sourcils froncés. Ma mère et ses légumes. Il était mécontent. Il annonçait la guerre, et nous n’avions qu’une pauvre soupe à dire.

– Ce que je raconte ?

Geste brusque. Le journal est tombé sur la table, au milieu des épluchures.

 » Coup de force militaire à Alger  » titrait France Soir, publiant les photos de trois soldats.     » Les militaires rebelles proclament l’état de siège. »

J’ai regardé le titre à l’encre noire, mon père, ma mère.

– C’est la guerre, maman ?

Ma mère a plié le journal et l’a posé sur l’évier.

– Finis tes carottes.

– C’est ça, finis tes carottes, s’est moqué mon père.

Elle grattait la terre du poireau, coupait ses racines à petits gestes secs, découpait le blanc en fine rondelles. Moi je râpais les légumes avec un économe. Et lui nous observait.

– C’est tout ce que tu apprends à ton fils ? La cuisine ?

Ce dimanche 23 avril 1961, j’étais un enfant. Né douze ans, un mois et six jours plus tôt. Je préparais la soupe de la semaine avec ma mère et baissais la tête devant mon père.

Sorj Chalandon

Sorj Chalandon

Extrait de Profession du père, son dernier roman paru aux Editions Grasset.

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Didier Castino. L’usine qui m’a choisi…

Un premier roman intense qui brosse la chronique de la France ouvrière des années 60-70

Un premier roman intense qui brosse la chronique de la France ouvrière des années 60-70

Auteur. Didier Castino a présenté son premier roman « Après le silence », une révélation, à la Librairie Le Grain des mots.

Didier Castino vit à Marseille, il est professeur de lettres dans un lycée du centre-ville depuis presque dix ans. Auparavant, il enseignait dans les quartiers Nord et s’y sentait bien. Il vient de publier son premier roman, Après le silence aux éditions Liana Levi. Invité par la librairie Le Grain des mots, il est venu parler à Montpellier de ce récit intime sur la vie d’ouvrier.

Sur la couverture de son roman il y a l’usine, dans le sud de la France, qui a toujours fait partie de la vie de Louis Castella. Elle était là dès sa petite enfance et l’on comprend que Louis, c’est un peu comme s’il venait d’elle. L’usine, elle lui colle à la peau comme une tache de naissance. Il y est entré à 13 ans. Elle lui a permis de devenir un homme.

« En apprenant à travailler, j’apprends aussi, je comprends plutôt, que le travail me choisit et non le contraire, je peux très vite devenir en trop dans une usine, je le comprends je t’assure, dès cette époque, j’ai conscience qu’il faut accepter les règles. C’est le travail. »

Aux Fonderies et Aciéries du Midi, les journées sont longues, interminables. Louis se révèle syndicaliste, un peu par la force des choses. Le temps en famille en est d’autant plus compté. A la maison, on ne gaspille rien, surtout pas le peu de disponibilité qui nous reste pour ceux qu’on aime. On gueule quand tout fout le camp mais on y croit, on économise pour les vacances et pour acheter une maison, un jour.

Le 16 juillet 1974, Louis Castella meurt à 43 ans, écrasé par un moule de plusieurs tonnes, mal accroché. C’est à un accident du travail qu’il doit sa libération. Le travail tue. L’usine a tout pris. Sa femme Rose et ses trois fils poursuivent sans le père.

Le plus jeune des enfants  décide de donner la parole au père, en lui offrant des mots. Le cadet dialogue avec lui, sans pouvoir oublier, qu’il est le fils de l’ouvrier écrasé. On ne va pas refaire la vie, hein, même si on est devenu petit propriétaire.

JMDH

Source: La Marseillaise 21/10/2015

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