Hussein Bin Hamza. Obsédé par les ratures

 Un Poème

Il y a peu j’ai écrit un poème

et comme je suis mineur et avare comme vous le savez

le poème était court

mais je l’ai trouvé trop long

j’en ai effacé quelques lignes

et j’ai dégraissé ça et là

on a dit de moi un jour

que j’étais obsédé par les ratures

et que si je continuais à écrire ainsi

je finirais impuissant et silencieux

certes c’est arrivée

j’ai poursuivi l’amincissement du poème

jusqu’à ce qu’il soit comprimé en une seule phrase, maigre et éteinte

une phrase dont au final

je pouvais me passer aussi

et que ce poème dont je vous ai parlé

demeure une idée morte dans ma tête.

 

contributor_20141113155131_1Hussein Bin Hamza poète Syrien

Source : Voix Vives Anthologie Sète 2016 Editions Bruno Doucey

Voir aussi : Rubrique Lecture, rubrique Festival100 poètes dans la ville, Voix vives 2016 Les yeux brillants d’un monde vrai !Sans frontières les poèmes disent l’essentiel, rubrique MéditerranéeSyrie  rubrique Livre, Poésie, rubrique Rencontre, Hala Mohammad,

Voix Vives 2016. Les yeux brillants d’un monde vrai

Voix Vives en mer face au cimetière de Paul Valéry. Photo dr

Voix Vives en mer face au cimetière de Paul Valéry. Photo dr

La paix comme un souffle qui monte avec Voix Vives et ses invités…

Comment le port de Sète qui a 350 ans cette année  n’aurait-il pas vibré aux ondes de la poésie  portées par les cents poètes invités au festival Voix Vives ? Celui-ci vient de s’achever. Ils sont venus de toutes les rives, pas pour faire des ronds de jambe à l’attention des élites cultivées qu’il leur arrive de fréquenter. Juste pour échanger avec les gens dans la rue, les parcs, les petites places du quartier haut, pour parler avec simplicité, profondeur et apaisement.

En écho paradoxal au monde qui semble se déchaîner autour de cette petite mer que l’on nomme grande bleue. « La Méditerranée, c’est la quiétude face à l’avalanche de l’Atlantique mais actuellement ce n’est pas la mer de la baleine blanche, a souligné  la poétesse madrilène Maria Antonia Ortéga. Les tragédies de la Méditerranée sont les conséquences de l’égoïsme des hommes qui n’ont pas la capacité de surpasser  leurs contradictions. »

Vision de la tragédie, au sens classique des héros abandonnés par leurs dieux qui  ne parviennent plus à affronter leur destin. « La poésie a cette capacité de saisir  la vie  dans ce qu’elle a d’immédiat et d’universel », rappelle la directrice du festival Maïthé Vallès-Bled.

Ainsi est-il toujours possible d’interpréter le présent à travers le prisme de la tragédie grecque. Mais le questionnement permanent qui aiguise l’interrogation du poète comme son désir de dire et d’écrire ne se limite pas à la tragédie. Durant neuf jours, Voix Vives l’a une nouvelle fois démontré.

Le festival  a ouvert grand les vannes, libérant les poèmes par milliers sous toutes les formes, en provenance des horizons proches et lointains de la culture méditerranéenne. Pour la première fois depuis sa création, le festival s’est affublé d’un sous titre : La poésie chemin de paix. A l’évidence, ces chemins ont été pluriels, comme le sont, les douleurs et expériences que peuvent traverser les membres d’une même famille face à un déchirement.

Au-delà de ce sous-titre, qui n’a contraint aucun des poètes invités, le ciel de cette 7e édition sétoise du festival  fut chargé d’implication, de présence, et d’écoute tant de la part des poètes que de celle de l’équipe et du public et même d’une ministre de la Culture. Comme si l’espace du festival s’ouvrait plus que de coutume aux relations directes avec le monde et au bonheur d’une altérité affûtée.

Avant que les mots qui nous ont traversé ne s’égarent aux confins mystérieux de nos pensées ou de nos sens, les éditions Bruno Doucey proposent une anthologie 2016 qui porte traces des mots de chaque poète présent. A nous de  savoir encore les faire danser dans nos bouches. Et de saisir ceux de Maria Antonia Ortéga : « On ne réussit à s’approcher des êtres humains que par le chemin de la liberté et il ne peut y avoir de paix sans liberté. »

JMDH

Source La Marseillaise 03/08/2016

Voir aussi : Rubrique Festival, Voix Vives 2016, 100 poètes dans la ville, Voix vives 2015, site officiel, Sans frontières les poèmes disent l’essentiel, rubrique MéditerranéeLybie, Liban, Tunisie, rubrique Livre, Poésie, rubrique /Méditerranée,

Voix Vives se décentralise en Méditerranée, après Gènes en Italie, les 17 et 18 juin et Sète  du 22 au 30 juillet, l’édition de Tolède en Espagne se tiendra du 2 au 4 septembre. Et le projet d’une édition à Ramallah, Naplouse, et Bethléem , devrait voir le jour au printemps  2017.

Jean-Joubert : « désir du vent de feuille en feuille comme un murmure d’eau féconde. »

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Tandis que grogne au loin et se disloque

le jeu des anciens mots de poussière et de nuit

voici enfin retournement de la parole

comme une terre noire que la charrue partage,

que le soc fend et verse, et, débourbés,

ce sont de jeunes mots, des oubliés

qui s’arrachent et luisent

dans la grâce du petit jour,

Ils sont semence, ardeur, promesse de moisson.

L’oeil les caresse.

La main déjà les accompagne

et le désir s’ébroue de l’arbre et de sa voix:

désir du vent de feuille en feuille comme un murmure d’eau féconde.

Et c’est encore l’enfant rêvé, l’enfant lointain, si proche désormais

qui surgit et se penche

et boit le vent au creux de ses paumes.

La mère en robe blanche le regarde. Une pivoine rouge éclot près de la grange

et, dans l’allée, le fantôme du chat

s’avance à pas de laine.

Jean Joubert

Eveil III L’alphabet des Ombres, éditions Bruno Doucey 2014

Voir aussi : Rubrique Lecture, rubrique LivresJean Joubert. A la lumière de l’automne, Poésie, rubrique Rencontre, Jean Joubert libre enfance,

Roja Chamankar. « Je suis comme un prisme qui réfracte les lumières »

roja-chamankar_0Invitée au Festival Voix Vives à Sète, la poétesse iranienne Roja Chamankar est une des voix émergentes de la littérature persane. Roja Chamankar est née en 1981 à Borazjân, au sud de l’Iran, après des études de cinéma et de littérature à Téhéran, elle prépare un doctorat de littérature persane à Strasbourg. Oscillant entre littérature et cinéma, elle est la réalisatrice du film Souvenir, bisous, poignards et l’auteur de plusieurs recueils de poésie publiés en Iran. Je ressemble à une chambre noire, son second recueil de poésies traduit en français par Farideh Rava, paraîtra le 1er octobre dans la collection « Soleil noir », aux Éditions Bruno Doucey diffusion Harmonia Mundi.

Comment s’est opérée votre rencontre avec la poésie ?

J’ai grandi dans la poésie, mes parents m’ont baignée dans la littérature dès mon plus jeune âge, tant et si bien qu’il m’arrive encore de penser que les histoires que l’on trouve dans les livres sont plus réelles que celles du monde tangible. J’avais onze ans quand mon premier poème a été publié dans un journal local.

L’écart entre la réalité et la fiction retentit souvent au sortir de l’enfance, et peut-être davantage, lorsque le contexte du réel est tendu…

Il m’arrive de céder au monde de la littérature lorsque je suis fatiguée et déçue de la vie. Parfois c’est l’inverse. C’est paradoxal, je fais des aller-retours entre les deux mondes. Je suis née juste après la révolution, dans un contexte complexe. Après avoir soulevé une vague d’enthousiasme, cette révolution s’est convertie en désastre avec le conflit Iran/Irak. La guerre a eu beaucoup d’influence sur la conception de la vie de ma génération. C’est pour cela que nous espérons la fin de toutes les guerres dans le monde.

Ce que vous dites concerne-t-il vraiment toute votre génération qui semble avide de liberté et de consumérisme, ou une intelligentsia éprise de culture ?

C’est un sentiment générationnel partagé qui n’a rien à voir avec l’intelligentsia. Je pense que le désir de consommation tient plutôt à une forme d’échappatoire et à la disette que nous avons connue pendant la guerre et durant l’embargo. Nos parents ont vécu avant nous dans une société de l’opulence, alors que les gens de mon âge ont connu les rations alimentaires.

La question de l’identité s’inscrit de manière sous-jacente dans vos poèmes. La poésie s’offre-t-elle pour vous, comme un moyen de l’affirmer ?

Quand j’écris, je me libère. Je pense être rebelle dans mes poèmes. Je suis comme un prisme qui réfracte les lumières, tout passe à travers moi, rien n’est direct. Toutes les polarisations intègrent ma personnalité. Il y a plusieurs couches. Mon identité est une affirmation qui révèle les problèmes. Lorsque j’écris sur moi-même, le moi qui écrit ne vit pas dans le vide. Je suis parcourue par ce qui m’entoure. Mon moi est plus ou moins transpercé.

A cette question de l’être tout court s’ajoute celle de l’identité féminine, comment l’approchez-vous ?

J’ai abordé, plus jeune, les problèmes des femmes dans mon livre, Les pierres de neuf mois. Maintenant je pense que c’est une question qui doit être partagée avec les hommes. Ce qui ne veut pas dire que les problèmes des femmes ne sont pas importants pour moi. Mon regard sur le monde est celui d’une poète, pas d’une femme politique ou militante.

Comment percevez-vous, le rapport entre les hommes et les femmes en Iran ?

Les hommes de ma génération sont très différents que leurs aînés. Nous vivons dans un monde de communication qui a favorisé une autre conception de l’égalité éducative.

L’Iran demeure cependant une société marquée par le patriarcat…

Ce paradoxe a permis aux femmes de toutes les couches de la société d’accéder à l’éducation. Plus de la moitié des étudiants à l’Université sont des femmes. Elle ont accès au travail, à l’espace public et refusent la soumission.

Du silence à la retenue, vos poèmes passent à l’attente puis à la souffrance et au tourment de l’amour, de l’être aimé ou de l’autre, comme une porte qui s’ouvre…

Tout le monde me parle de politique mais pour moi l’amour est le pouls qui bat dans mes poèmes. J’ai écrit sur l’amour à différentes périodes, sur l’amour terrestre et sur l’amour charnel. L’amour est la problématique qui sous tend  ma poésie. La poésie contient et célèbre l’amour comme un questionnement, et comme une inquiétude. Quand commence l’amour et quand se termine-t-il ? L’amour est la plus grande blessure, la plus grande douleur de la vie et il est en même temps la plus belle partie de la vie.

Vous êtes aussi réalisatrice. La poésie offre-t-elle plus de liberté d’expression que le cinéma ?

J’ai fait des études de cinéma. On ne peut pas nier qu’il existe des problèmes en matière de liberté d’expression mais le travail de l’artiste est de transgresser les interdits par son expression. L’Iran dispose d’un cinéma très riche… Je ne pratique pas l’autocensure, parfois il arrive que mes livres soient relus. Si on me demande de changer un mot, je préfère retirer tout le poème.

Un de vos poèmes s’intitule Créer un dieu autre, un autre, Enfer, sans que cela n’éveille de force défensive…

Mes poèmes n’ont rien à voir avec la religion. Ces mentions sont purement esthétiques. C’est tout à fait courant et cela s’inscrit naturellement dans la tradition de la poésie persane, le dieu évoqué est spirituel.

Comment se porte la poésie contemporaine en Iran ?

Il y a beaucoup d’événements heureux dans la vie poétique en Iran. Beaucoup de poétesses font des propositions nouvelles, des découvertes dans la forme et le contenu. Il existe un grand nombre d’éditeurs spécialisés. Nous sommes des amoureux de la poésie.

L’accord de Vienne qui vient d’être conclu sur le nucléaire entre l’Iran et les grandes puissances offre-t-il de nouvelles perspectives pour la culture iranienne ?

En Iran, tout le monde est content. J’espère que cela aboutira à des événements plus heureux. Le peuple iranien n’est pas belliqueux, l’histoire le démontre. Cet accord devrait avoir des incidences favorables sur la vie culturelle et économique grâce à une intensification des échanges.

Quelle idée vous évoque le titre de votre livre « Je ressemble à une chambre noire ? »

C’est une phrase d’un de mes poèmes. Dans la chambre noire du photographe, il y a une petite lumière rouge et avec elle on peut développer le monde entier.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 03/08/2015

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Jean Joubert. A la lumière de l’automne

 

Jean-Joubert. Photo Midi Libre

Jean-Joubert. Photo Midi Libre

Livre. « L’alphabet des ombres » de Jean Joubert, un sensible recueil de poésie.

 Paru au printemps, le dernier recueil de Jean Joubert, l’Alphabet des ombres, s’est niché dans la bibliothèque près du lit. Il y est resté tout l’été oublié. Peut-être parce que cette saison n’est pas propice au lyrisme des femmes fougères. La lumière écrasante est inapte à révéler les fraîches nuances de vert que dissimule la forêt, elle aveugle les gris colorés des écailles du poisson calme et sans avenir qui respire dans votre main comme ce livre le bleu nuit rayé de noir.

L’automne qui débute ouvre l’espace d’un patient travail de réparation. Dans cet opus, le poète rugueux et lyrique étouffe le cri du fuyard pour laisser filer une teinte de rouge de sa veine percée. Le liquide coule vers le silence énigmatique d’un organe qui bat au coeur de la roche. Sur cette pierre lourde enfouie dans le sol et le temps, nos doigts frôlent le mystère de la mousse. Les signes de l’auteur donnent acte d’une intériorité dans un rapport de transparence à soi et au monde. Ils offrent un refuge contre la fuite du temps et l’au-delà des songes, propulsent dans un dehors où la sentence reste secrète.

Jean Joubert est un écrivain distingué et courtois aux pensées sauvages, son Alphabet des ombres ne cède rien à l’obscurité pourtant présente, il donne tout à la lumière de l’homme et à la nature broussailleuse.

Jean-Marie Dinh

 L’Alphabet des ombres, éditions Bruno Doucey, 15 euros.

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