Jean-Joubert : « désir du vent de feuille en feuille comme un murmure d’eau féconde. »

12246596_889790424471895_7372876493640612646_n

Tandis que grogne au loin et se disloque

le jeu des anciens mots de poussière et de nuit

voici enfin retournement de la parole

comme une terre noire que la charrue partage,

que le soc fend et verse, et, débourbés,

ce sont de jeunes mots, des oubliés

qui s’arrachent et luisent

dans la grâce du petit jour,

Ils sont semence, ardeur, promesse de moisson.

L’oeil les caresse.

La main déjà les accompagne

et le désir s’ébroue de l’arbre et de sa voix:

désir du vent de feuille en feuille comme un murmure d’eau féconde.

Et c’est encore l’enfant rêvé, l’enfant lointain, si proche désormais

qui surgit et se penche

et boit le vent au creux de ses paumes.

La mère en robe blanche le regarde. Une pivoine rouge éclot près de la grange

et, dans l’allée, le fantôme du chat

s’avance à pas de laine.

Jean Joubert

Eveil III L’alphabet des Ombres, éditions Bruno Doucey 2014

Voir aussi : Rubrique Lecture, rubrique LivresJean Joubert. A la lumière de l’automne, Poésie, rubrique Rencontre, Jean Joubert libre enfance,

Jean Joubert. A la lumière de l’automne

 

Jean-Joubert. Photo Midi Libre

Jean-Joubert. Photo Midi Libre

Livre. « L’alphabet des ombres » de Jean Joubert, un sensible recueil de poésie.

 Paru au printemps, le dernier recueil de Jean Joubert, l’Alphabet des ombres, s’est niché dans la bibliothèque près du lit. Il y est resté tout l’été oublié. Peut-être parce que cette saison n’est pas propice au lyrisme des femmes fougères. La lumière écrasante est inapte à révéler les fraîches nuances de vert que dissimule la forêt, elle aveugle les gris colorés des écailles du poisson calme et sans avenir qui respire dans votre main comme ce livre le bleu nuit rayé de noir.

L’automne qui débute ouvre l’espace d’un patient travail de réparation. Dans cet opus, le poète rugueux et lyrique étouffe le cri du fuyard pour laisser filer une teinte de rouge de sa veine percée. Le liquide coule vers le silence énigmatique d’un organe qui bat au coeur de la roche. Sur cette pierre lourde enfouie dans le sol et le temps, nos doigts frôlent le mystère de la mousse. Les signes de l’auteur donnent acte d’une intériorité dans un rapport de transparence à soi et au monde. Ils offrent un refuge contre la fuite du temps et l’au-delà des songes, propulsent dans un dehors où la sentence reste secrète.

Jean Joubert est un écrivain distingué et courtois aux pensées sauvages, son Alphabet des ombres ne cède rien à l’obscurité pourtant présente, il donne tout à la lumière de l’homme et à la nature broussailleuse.

Jean-Marie Dinh

 L’Alphabet des ombres, éditions Bruno Doucey, 15 euros.

Voir aussi : Rubrique Livre, Poésie, rubrique Rencontre, Jean Joubert libre enfance,