Voix Vives : 100 poètes dans la ville

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Sète. La poésie est une fête globale et lucide sur la réalité du monde.

Poésie, chemin de paix

« Quand la société est en crise le poète ne peut que prendre note dans sa poésie de la crise traversée », constate le poète libanais et président d’honneur du festival Salah Stétié. « Il arrive dans certains cas très rares qu’un souhait bien exprimé par un poète puisse se retrouver mobilisateur », ajoute-il encore.

A l’instar de ce vers du poète Abou Kacem Al Chebbi « Lorsque le peuple un jour veut la vie / Force est au destin de répondre / Aux ténèbres de se dissiper » devenu un élément de l’hymne national tunisien. Mais combien de poètes empêchés, emprisonnés, exilés pour leur amour de la liberté… Le festival Voix Vives qui bat son plein à Sète jusqu’au 30 juillet offre l’immense plaisir et privilège de les rencontrer dans les rues et d’éprouver le souffle de leur poésie et de leurs réflexions.

imagesAshur Etwebi est né à Tripoli, c’est un poète renommé en Libye qui a contribué à faire renaître une culture libre après la chute du président Kadhafi. Il a du quitter son pays en 2015  pour émigrer en Norvège. « Il n’est pas aisé de vivre cet exil… » Si le système intellectuel d’un Clausewitz a fait beaucoup de petits en s’évertuant à penser et à comprendre la nature et l’essence de la guerre, celui des poètes de la Méditerranée qui la subissent, cherchent les chemins de la paix.

« Il n’y a aucun courage dans la guerre. La guerre prend votre air, votre inspiration, la guerre prend votre ombre, la guerre prend ton âme, affirme Ashur Etwebi. Pendant 42 ans nous avons été sous le joug d’un dictateur fou. On attendait juste qu’une fenêtre s’ouvre à nous pour un lendemain. Lorsque le Printemps arabe a éclaté, nous avons vraiment cru que le paradis était juste à un bras de nous. Mais on s’est confronté quelques mois après à la réalité. Ce que nous pensions être un paradis n’était autre qu’un vrai enfer. Après avoir liquidé un gouverneur fou, on s’est retrouvé face à des milliers de fous sanguinaires qui ont mis le feu au pays. »

L’art des poètes est de nous toucher par leur sincérité. A Sète, les artistes témoignent parfois aussi de leur expériences politiques et sociétales apportant d’autres regards.

« La première année après la chute de Kadhafi, la société civile s’est développée. Pendant que nous essayons de la consolider, les islamistes extrémistes, travaillaient en toute intelligence à mettre la main sur le gouvernement. Le résultat du match fut la perte de la société  civile et la réussite des groupes extrémistes islamistes. Ce qui est  à noter, c’est que des pays étrangers, qui  pratiquent la démocratie en paroles et en apparence, ont appuyé et armé ces groupes terroristes extrémistes. C’est pour cela que les Libyens connaissent aujourd’hui une grosse déception. C’est un désastre dans les âmes, dans l’économie et dans tous les domaines de la vie finalement. »

Que font les poètes dans ce contexte ?  « Ils ont  à leur disposition leur inspiration, parfois un organe de presse mais si cet organe déplaît à telle ou telle faction, ou au gouvernement, on a vite fait de l’étrangler et le poète se retrouve muet et souvent jeté dans les caves et les prison du régime jusqu’à ce que mort s’en suive, indique Salah Stétié, C’est arrivé en Europe. Il ne faut pas croire que l’Europe est descendue du ciel avec l’idéal démocratique. Les poètes peuvent ramener un peu de paix, demain un peu plus de paix, et peut être un jour la Paix..

JMDH

Source La Marseillaise 28/07/2016

 

L'ouverture du festival Sètes quartiers hauts

L’ouverture du festival Sètes quartiers hauts dr

 

Poésie
Le festival Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée a débuté hier dans l’île singulière un marathon poétique de neuf jours qui éprouve les sens. L’entraînement n’est pas requis, il suffit de tendre l’oreille, sentir, voir… pour éprouver les embruns de toutes les rives.

La saison Voix Vives a débuté. Au bord de la grande bleue, c’est le moment où la ville de Sète s’ouvre à la mer comme un livre ivre.  Celui où les lettres s’émancipent pour tracer tous les sens imaginables de la liberté. Profitant de la léthargie temporaire des cahiers scolaires, les milliers de mots se rebiffent pour célébrer le culte de la poésie vivante. Cent poètes traversent les rives tels des prophètes, pour investir la ville de Sète où ils vont se croiser durant neuf jours dans pas moins de six cent cinquante rendez-vous  !  Les poèmes sont livrés par leur auteur en langue originale, puis traduit par des comédiens. Ils résonnent parfois aux rythmes des  musiciens, du balancement des hamacs, ou du frémissement des feuilles, ou encore de la houle des vagues pendant les lectures en mer…

Quarante pays représentés

Parmi les poètes invités on pourra notamment croiser dans les rues cette année Jacques Ancet (France), Horia Badescu (Roumanie), Mohammed Bennis (Maroc), Jean-Pierre Bobillot (France), Denise Boucher (Francophonie/Québec), Philippe Delaveau (France), Haydar Ergülen (Turquie), Déwé Gorodé (Francophonie/Nelle-Calédonie), Vénus Khouy-Ghata (Liban/France), Paulo Jose Miranda (Portugal), María Antonia Ortega (Espagne), Anthony Phelps (Francophonie/Haïti), Liana Sakelliou (Grèce), Yvan Tetelbom (Algérie) sans oublier son président d’honneur, Salah Stétié (Liban) empêché l’an passé pour des raisons de santé.

Cette liste pourrait se prolonger. Elle révèle l’ouverture du festival sur un monde que les visions éthnocentriques ignorent bien dangereusement. Quarante pays sont représentés  à Voix Vives cette années. On y accède gratuitement,  de l’aube à la nuit par le plus sûr des moyens, la poésie comme regards portés sur le monde et comme chemin vers l’humain.

 JMDH

Concerts du festival au Théâtre de la Mer avec Pierre Perret, Tiken Jah Fakoly et Misa Criolla. Réservation : 04 99 04 72 51

Source : La Marseillaise samedi 23 juillet 2016

Voir aussi : Rubrique Festival, Voix vives 2015, site officiel, Sans frontières les poèmes disent l’essentiel, rubrique MéditerranéeLybie, Liban, Tunisie, rubrique Livre, Poésie, rubrique /Méditerranée,

Quand la ville ouvre la porte au polar pour favoriser la lecture

1- L’auteur de l’affiche 2016 du festival Jorge Aderete expose son oeuvre dans les rues et sur les places de la ville

1- L’auteur de l’affiche 2016 du festival Jorge Aderete expose son oeuvre dans les rues et sur les places de la ville

Ils sont 43 auteurs à venir célébrer le genre sous le signe de l’humour pour cette 19e édition du FIRN qui bat son plein à Frontignan. Les coups de feu vont résonner jusqu’à dimanche très tard dans la nuit…

A la fin du printemps, la ville n’attend qu’une chose : que les manettes du festival ouvrent les vannes de la saison chaude qui démarre depuis dix-neuf ans à Frontignan par un grand bain de liberté  autour du roman noir. L’origine de l’événement en 1997/98 tient à une conjonction de planètes.

« Le contexte local était morose après les fermetures successives des sites industriels sur la commune, se souvient le maire Pierre Bouldoire (PS),  et la société  de cette ville ouvrière nourrie par différents apports migratoires se trouvait  face  à un grand vide. C’est à ce moment que nous avons pris la décision de relancer une dynamique à partir d’une politique culturelle avec deux grands axes. Le cinéma, en s’impliquant  dans le miniplexe Cinémistral, qui programme des films à la fois grand public et Arts et essais; et la lecture publique. Nous nous sommes engagés dans un plan local d’éducation artistique, un fait rarissime pour une commune de notre taille, et nous avons pleinement soutenu le festival. Le genre du roman noir est populaire. C’est aussi une littérature sociale qui évoque parfois un univers assez proche de ce qu’a pu vivre la ville. »

Suite à l’ouverture de la médiathèque l’année dernière, la structure enregistre une fréquentation 30% supérieure aux villes de taille comparable. « Ce qui couronne nos efforts en matière de lecture publique et nous encourage à poursuivre notre engagement dans le festival. »

Voilà un feu vert politique qui s’ouvre au noir avec discernement ! Pour ceux qui n’auraient pas compris le discours, c’est une façon de dire que dans un monde à feu et à sang, on oublie facilement les humains pour une poignée de pognon. Et que faire confiance à des écrivain(e)s comme les auteurs de roman noir qui n’ont pas la mémoire courte et réfléchissent un brin sur ce qui se passe, ça peut faire avancer les choses…

L’humour dans le roman noir

Le FIRN s’est donné pour mission d’apporter un regard neuf sur la littérature noire contemporaine – à l’époque de son lancement, largement sous-estimée -, de donner ses lettres de noblesse à un genre qui n’a rien de mineur et qui a considérablement enrichi la littérature.

Les spécificités de ce festival consistent en une thématique forte autour de laquelle sont invités des auteurs venus d’horizons différents. Le thème de cette édition : Mort de rire, ouvre cette année sur les différentes facettes de l’humour dans le roman noir. Elles seront déclinées dans de multiples rencontres : Rire, c’est bon pour les rides, le royaume des déjantés, la langue dans tous ses états, à gorge déployée ; l’humour, arme de critique sociale.

Situé dans un environnement populaire, au centre-ville et au coeur de la vie, le festival est aussi l’occasion de faire le plein de lectures pour l’été.  On peut se faire dédicacer les ouvrages et échanger avec les auteurs qui apprécient le contact direct qui s’opère avec le public dans une approche sensible, décomplexée et décomplexante.

Cette année le FIRN accueille deux nouvelles librairies aux côtés de La plume bleue frontignanaise. La librairie toulousaine Série B , spécialisée dans le genre, où le festival est allé présenter son édition à l’ouest de notre grande région, et la Nouvelle librairie sétoise qui accueille régulièrement des  auteurs dans ses murs. A Frontignan, on considère l’ensemble de la chaîne du livre et notamment son dernier maillon souvent oublié, le lecteur !

l Infos pratiques : http://www.firn-frontignan.fr/

Consignes de survie dans le noir absolu

Martine Gonzalez Soleil noir.

Martine Gonzalez Soleil noir.

Note de service
La ville semble désormais sous l’emprise de cette sombre littérature…

FrontiGang

Pour satisfaire à l’ère sécuritaire que nous traversons, nous rappelons en premier lieu aux personnes ayant récemment subi une opération de l’appendicite que la ville de Frontignan leur est rigoureusement interdite durant trois jours sous peine d’entrer une fois pour toutes dans les annales du FIRN sous l’épitaphe « Ci-gît un amateur trop zélé du festival mort de rire ».

Force est de constater qu’il est en effet difficile d’échapper au noir dans cette ville. Le ver est entré dans le fruit, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, après qu’un couple surnommé les Bonnie & Clyde de Frontignan, répondant aux noms civils de Martine Gonzalez et Michel Gueorguieff, ont introduit le virus. Ce dernier décédé en septembre 2013 était un redoutable diplomate dont le passé trotskiste ne l’a pas empêché de pactiser avec un représentant du Vatican, en la personne du curé du village, pour déréglementer la sonnerie des cloches de l’église. Il était aussi en contact avec le premier magistrat de la ville qui a fait citoyens d’honneur de Frontignan, présumons-nous sous son influence, l’activiste italien reconverti dans le roman noir Cesare Battisti. Le maire a également baptisé Gueorguieff un passage vers le Square de la Liberté pour rendre hommage à cet individu. Sa compagne Martine Gonzalez continue de sévir au sein de Soleil noir.

Depuis l’ouverture de cette 29e édition, les  activistes ont infiltré la population, des écoles aux maisons de retraite. Aujourd’hui nos services nous rapportent qu’une cinquantaine d’auteurs venus de France mais aussi des Etats-Unis, de Grande Bretagne, du Portugal, de Suisse et d’Argentine animent des réunions en présence des citoyens auprès de qui ils diffusent leurs livres. Ce soir ils iront boire et manger ensemble sur la plage des Mouettes. Et demain écouter la musique de Despentes et du groupe Zéro.

Avec La nuit des durs à cuire, on pourra voir trois films sur la plage. Des dessins bizarres d’un certain Alderete sont partout sur les maisons. Salle Izzo se tient une expo collective en lien avec le dessinateur Goossens connu pour nous ridiculiser. Le mal pénètre le coeur même de nos services. Certains de nos agents lisent des polars en cachette, d’autres voudraient se mettre à écrire. Je crains bien que nous ayons perdu le contrôle. Je dois vous quitter, pour rejoindre une table ronde qui va commencer…

JMDH

Source : La Marseillaise 27/06/2016

Voir aussi : Rubrique Livre, rubrique  Roman noir, FIRN, Les amoureux du noir, Christa Faust,

Chine. Hong Kong indignée après les révélations d’un libraire disparu

 Les gouvernements de Pékin et Hong Kong sont désormais confrontés à “une tempête de condamnations et de protestations dans toute la ville”, souligne encore le South China Morning Post, qui ajoute qu’aucun des deux n’a apporté de réponse. Pékin a banni toute couverture de ces révélations dans les médias chinois, rapporte The Guardian. Le quotidien local Global Times avait publié un éditorial critiquant Lam Wing-kee mais le lien a été rapidement supprimé vendredi 17 juin. Gabriel Hassan

Lam Wing-kee s’adresse aux médias alors que la foule se rassemble pour une manifestation à hong Kong le 18 juin. Isaac Lawrence/ AFP

Lam Wing-kee, l’un des cinq libraires “disparus” de l’ex-colonie britannique, a secoué Hong Kong en accusant les autorités chinoises de l’avoir enlevé, détenu et interrogé durant des mois. La censure chinoise veut étouffer l’affaire.

Plus d’un millier de personnes ont manifesté aujourd’hui pour protester contre les atteintes à la liberté d’expression, rapporte le journal. Le libraire, qui se trouvait lui-même en tête du cortège, a affirmé que la Chine “veut réduire progressivement la liberté du peuple hongkongais”.

Ses révélations posent “toutes sortes de questions sur la légalité du traitement qu’il a subi, les lois qu’il aurait soi-disant enfreintes, son droit à une procédure régulière, et la capacité du gouvernement hongkongais de garantir la sécurité et la protection de ses citoyens”, souligne le South China Morning Post.

  En définitive, la question se pose de savoir si cet épisode a mis à mal voire enterré le principe du ‘un pays, deux systèmes’, par lequel Pékin s’était engagé à assurer à la ville un haut degré d’autonomie, y compris judiciaire.”

 

“Tempête de condamnations”

Libéré sous caution, Lam Wing-kee a évoqué sa détention lors d’une conférence de presse à Hong Kong. “Si je ne parle pas, Hong Kong ne pourra plus rien faire. Ce n’est pas qu’une histoire personnelle”, a-t-il souligné. Il a par ailleurs assuré qu’un autre libraire, Lee Bo, lui avait confié avoir été lui aussi kidnappé à Hong Kong. Ce dernier affirme aider volontairement les autorités chinoises.

Les cinq libraires qui s’étaient volatilisés à l’automne dernier étaient tous liés à la maison d’édition “Mighty Current”, spécialisée dans les ouvrages sur la vie privée des dirigeants chinois et les intrigues politiques au sommet du pouvoir. Leur disparition avait provoqué l’effroi dans la région administrative spéciale. Trois d’entre eux avaient été arrêtés en Chine continentale et un en Thaïlande. Lee Bo était le seul à se trouver à Hong Kong.

Les gouvernements de Pékin et Hong Kong sont désormais confrontés à “une tempête de condamnations et de protestations dans toute la ville”, souligne encore le South China Morning Post, qui ajoute qu’aucun des deux n’a apporté de réponse.

Pékin a banni toute couverture de ces révélations dans les médias chinois, rapporte The Guardian. Le quotidien local Global Times avait publié un éditorial critiquant Lam Wing-kee mais le lien a été rapidement supprimé vendredi 17 juin.

Gabriel Hassan
Source Le Courrier International,18/06/2016
Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Asie, rubrique Chine, rubrique Politique, Société civile,

Ces têtes brûlées qui secouent le journalisme

Gaspard Glanz et Alexis Kraland (© Xavier de Torres pour TéléObs)

Gaspard Glanz et Alexis Kraland (© Xavier de Torres pour TéléObs)

Au cœur de Nuit debout et des manifestations contre la loi Travail, une nouvelle génération de reporters casse-cou filme au plus près de l’action.  Rencontre avec ces acteurs du journalisme de l’instant qui bousculent les médias traditionnels.

u premier rang de la manifestation du 1er Mai, un casque de snowboard surmonté d’une caméra GoPro flotte au-dessus de la foule. Gaspard Glanz progresse au rythme des slogans des manifestants : « Tout le monde déteste la police ! » , « Libérez nos camarades ! » , « Police partout, justice nulle part ». Arrivé place de la Nation, le cortège se disloque. Des projectiles fusent, les CRS dégoupillent des grenades de désencerclement et arrosent la foule de gaz lacrymogènes, les manifestants balancent des chaises et brandissent des barres de fer. A droite, à gauche, au sol et dans les airs, l’objectif du jeune autodidacte ne rate rien de la scène. Lunettes de protection vissées sur le front, Gaspard se poste avec cinq ou six autres journalistes près d’un Abribus. « On reste groupés pour avoir une vision à 360 degrés. Pas pour jouer à “Call of Duty” [l’un des jeux vidéo les plus populaires, NDLR], mais pour se protéger entre nous » , témoigne-t-il.

Reporter free-lance, Gaspard Glanz est régulièrement la cible des forces de l’ordre : « J’ai une dizaine de cicatrices causées par des tirs de FlashBall. Le casque avec la mention “presse” ne les dissuade pas, bien au contraire. » De Paris à Toulouse, de Rennes à Strasbourg, il couvre les mouvements sociaux pour son site d’information, Taranis News, qu’il a fondé fin 2011. Ce Strasbourgeois d’origine explique :

« Un média qui s’intéresse à la foule en général : les festivals, les manifestations, les rassemblements. On fait ce que j’appelle du “street journalism”, un journalisme urbain, pour les jeunes, car 90 % des visiteurs de notre site ont entre 17 et 35 ans » .

 

Nouvelle génération de journalistes casse-cou

Du haut de ses 29 ans, ce titulaire d’une licence en sociologie criminelle à l’université Rennes 2 est l’un des chefs de file de cette nouvelle génération de journalistes casse-cou qui n’hésitent pas à se rendre là où manifestants et policiers s’affrontent, quitte à prendre des beignes. C’est en 2015, lors du mouvement Occupy Francfort, devant la Banque centrale européenne, que Gaspard Glanz rencontre Alexis Kraland, une autre tête brûlée.

Depuis, tous deux travaillent souvent ensemble et s’entraident. Au début du mouvement contre la loi Travail, Alexis est touché par une grenade de désencerclement lors d’une manifestation à Paris. Les vêtements déchirés et ensanglantés, le jeune homme de nationalité franco-hollandaise est traîné au sol par des policiers. Gaspard Glanz se souvient :

« Ce qui est fou, c’est qu’il continuait à filmer. On est devenus copains. On est comme des compagnons d’armes, ensemble “dans les tranchées” de la place de la République. »

Protège-tibias, masques à gaz… On reconnaît les reporters à leur harnachement. Car ces photographes et cameramen sont régulièrement bousculés par les forces de l’ordre qui ne supportent pas de les voir diffuser des images de la répression policière filmée de l’intérieur. Mais ils s’attirent aussi la haine de certains manifestants qui jugent leur traitement de l’information pas assez radical. Gaspard reconnaît avoir peur à chaque manifestation, d’autant qu’il considère que les mobilisations actuelles ont atteint un niveau de violence inédit.

Ancien étudiant à Sciences-Po Grenoble, puis à l’ISCPA (Institut supérieur de la Communication, de la Presse et de l’Audiovisuel), Alexis Kraland a lui aussi cédé à la panique à de nombreuses reprises, comme ce jour où il a aperçu, dans le viseur de sa caméra, un CRS le mettre en joue avec son lanceur de balles de défense (une arme plus précise que le Flash-Ball) :  « Je me suis dit : s’il ne respecte pas la distance de sécurité, je suis mort. »

Sur sa chaîne YouTube, Street Politics, le Parisien de 24 ans, candidat du Parti Pirate d’Ile-de-France aux élections législatives de 2012 et aux européennes de 2014, publie des vidéos chocs tournées à l’aide d’une petite caméra au cœur des manifestations contre la loi El Khomri.

Au fil de plans saccadés, le spectateur est plongé dans l’ambiance du cortège. Une technique de reportage spontanée qui bouleverse les codes du journalisme traditionnel mais que les grands médias intègrent petit à petit. Grégoire Lemarchand, responsable de la cellule réseaux sociaux à la rédaction en chef de l’Agence France-Presse (AFP) explique

« Ces reporters en immersion du côté des manifestants sont des sources d’information complémentaires et importantes pour nous. Ils nous ouvrent d’autres fenêtres sur les mobilisations. Nous ne les considérons pas comme des concurrents, nous leur achetons parfois même des images ».

Ces reportages d’un nouveau genre, au montage minimal, voire inexistant, séduisent le grand public. En témoigne l’engouement pour les films de Rémy Buisine réalisés sur Periscope, l’application de vidéo en direct de Twitter.

5 heures 14 en direct de Nuit debout : un record

Le jeune community manager de 25 ans, ancien autoentrepreneur à la tête d’une boîte de gestion de la communication de footballeurs professionnels, couvre Nuit debout avec cet outil depuis le début du mouvement. C’est devenu un rituel : après sa journée de travail aux radios Ado, Voltage et Latina, il empoigne son iPhone 6, emporte une batterie rechargeable et part à la rencontre des noctambules de la place de la République. Il assure :

« Les chaînes d’info en continu ont tendance à montrer les débordements qui occultent le reste de la mobilisation. Moi, je veux tout montrer ». 

Des débats thématiques aux feux de joie allumés sur les pavés. Du simple badaud au membre actif au sein d’une commission. Le 3 avril, le live de Rémy Buisine place de la République a recueilli simultanément 80 000 vues ; 5 heures 14 en direct de Nuit debout : un record.

Le site de Gaspard Glanz enregistre, lui, plus de 500 000 vues chaque semaine. La vidéo de la manifestation du 24 mars a été visionnée plus de 143 500 fois. Pour Nathalie Pignard-Cheynel, chercheuse à l’université de Lorraine et coresponsable de l’Observatoire du Webjournalisme, la couverture de l’actualité via les réseaux sociaux répond à une double attente du public :

« Un besoin de vivre l’événement comme si on y était – ce mythe que l’on va vivre l’événement en même temps qu’il est en train de se passer – et un désir d’interactivité. »

Ceux qui suivent les live de Rémy lui suggèrent des questions à poser, des gens à interviewer : « J’apprécie la relation particulière qui se noue avec les internautes, lesquels me reconnaissent ensuite sur le terrain », explique-t-il. Si Periscope a d’abord séduit les 15-25 ans, le public se diversifie de plus en plus, ce qui ravit le reporter :

« Récemment, place de la Nation, j’ai vu un couple de retraités sortir sur leur balcon et m’interpeller en brandissant leur tablette : “On est en train de suivre votre live !” Ça m’a fait plaisir. »

Le jeune homme, originaire du nord de la France, n’est pas journaliste mais considère que son « approche est journalistique » : il prépare la plupart de ses directs, se documente avant d’aborder des sujets complexes et identifie des interlocuteurs potentiels. « Ma sensibilité n’est pas celle d’un militant mais celle d’un observateur, d’un commentateur », assure le Periscopeur.

Les nouveaux reporters 2. 0 

De leur côté, Gaspard Glanz et Alexis Kraland assument un traitement plus engagé de l’information, même s’ils se défendent également de tout militantisme. Alexis plaide :

« Je souhaite montrer les violences policières car elles sont peu traitées par les médias traditionnels, mais je tâche de rester objectif ».

Gaspard Glanz se dit, lui, agacé par le mépris de certains journalistes à l’égard de son travail : « Les médias disent que nous faisons du journalisme militant, mais il faudra m’expliquer ce que mes images ont de militant quand elles présentent les faits en ordre chronologique, sans montage, sans voix off. On est indépendants mais pas militants », assène-t-il.

Ces reporters 2.0 conduisent les grands médias à se poser des questions sur leurs angles de traitement de l’information et sur leur manière de filmer. Pour la chercheuse Nathalie Pignard-Cheynel,

« on ne peut plus faire du journalisme comme on en faisait il y a vingt ans. Plus que jamais, un journaliste ne doit pas être déconnecté de son terrain sinon les gens se disent : “Il parle de choses qu’il ne connaît pas” ». 

Rémy Buisine peut se targuer de bien connaître les participants à Nuit debout au fil des nombreuses veillées passées à discuter avec eux. Il a lui-même eu affaire aux forces de l’ordre, comme ce soir où il s’est retrouvé pris dans une nasse de CRS pendant cinq heures, exposé aux projectiles et aux gaz lacrymogènes. Mais, malgré le temps investi et les risques encourus, le vidéaste ne tire pas un centime de ses live. Il espère pouvoir un jour devenir journaliste et mettre son expérience de Periscope au service d’une rédaction.

Quant à Gaspard et Alexis, ils vivent grâce au soutien financier de leurs proches et ne sont pas titulaires de la carte de presse. Ils sont rémunérés quelques centaines d’euros par mois, en fonction du nombre de vues de leurs vidéos sur YouTube et des images qu’ils parviennent à vendre aux médias mainstream. Gaspard Glanz décrète :

« Je gagne moins que le RSA socle. Donc si je ne travaillais pas, je gagnerais davantage d’argent. Mais je préfère vivre du journalisme sans avoir de comptes à rendre. C’est une liberté qui vaut beaucoup d’argent ».

La miniaturisation des appareils et le développement d’applications performantes ont permis de renouveler l’exercice journalistique. Rémy Buisine apprécie de pouvoir couvrir les manifestations avec du matériel léger sans dépendre d’un car-régie, d’une connexion satellite et de l’assistance de deux ou trois techniciens, comme c’est le cas pour les chaînes de télévision. « J’ai l’impression qu’avec un téléphone portable, il est plus facile d’engager la discussion avec ses interlocuteurs qui sont aussi plus naturels, font moins attention à la manière dont ils s’expriment et ne se recoiffent pas systématiquement avant d’être filmés », témoigne le reporter.

Bousculés par ce journalisme de l’instant, les grands médias réfléchissent à de nouveaux formats. Mais ces avancées sont timides. A l’AFP, « on en parle tous les jours », confie Grégoire Lemarchand, dont l’agence a déjà acheté des images à Gaspard Glanz :

« On pense à de nouveaux contenus qui peuvent multiplier les points d’entrée sur des événements et enrichir des papiers, poursuit-il. Cela va pousser tous les journalistes à se démultiplier et à développer un don d’ubiquité. Ils vont devoir être partout, sur le terrain réel et sur le terrain virtuel des réseaux sociaux. »

Rémy Buisine prédit que tous les médias seront tôt ou tard sur Periscope. Même si la route à parcourir reste longue. Pour Grégoire Lemarchand,  « internet a posé les fondations de la révolution de l’information. Maintenant, nous sommes en train de construire les murs ».

Maïté Hellio

Source TeleObs 28/05/2016

Voir aussi : Actualité France, Rubrique Médias, L’éditocratie unanime haro sur les grèves ! , rubrique Politique, G Agamben : De l’Etat de droit à l’Etat de sécurité , Police, l’objectif est maintenant de frapper les corps, rubrique Société, Mouvement sociaux,

Radicalisation et « prise d’otage » : un lexique partagé par gouvernement, opposition, médias et patronat

Stephane Mahe / Reuters

Stephane Mahe / Reuters

L’épreuve de force entre le gouvernement et la CGT, qui appelle à la poursuite des blocages de raffineries et de dépôts de carburants puis à une grève illimitée à la RATP à partir du 2 juin, se joue à la fois sur le terrain et dans l’opinion.

A regarder les différents sondages… on ne peut pas tirer le moindre enseignement. Les Français sont majoritairement opposés à la réforme du code du travail et soutiennent majoritairement les manifestants dans leurs actions (préblocage des entrepôts de carburant). Ils sont aussi majoritairement pour la fin des manifestations, et pensent majoritairement que, si jamais l’Euro de football est en péril, c’est la faute du gouvernement.

Personne ne sait qui veut quoi, ce qui rend l’autre bataille, médiatique, d’autant plus importante. Elle se joue tous les matins à la radio et sur les plateaux télévisés, dans les citations d’hommes politiques qui apparaissent dans la presse pour tenter de convaincre ceux qui tomberaient dessus.

En temps de grève, un certain champ lexical réapparaît sans faute. Acrimed a recensé les occurrences les plus régulières dans un lexique assez complet. On y retrouve certains termes qu’on connaît bien, et qu’on a beaucoup entendus ces derniers jours. D’autres, novateurs par leur extrémisme, ont fait leur apparition.

On se rend aussi compte que certaines expressions sont désormais partagées par le gouvernement, des leaders de l’opposition, le patronat et des médias, comme autant d’éléments de langage qui n’auraient plus de frontières politiques.

Le classique « prise d’otage » a été relancé par le premier ministre, Manuel Valls, pour dénoncer les actions d’un syndicat qui prend « en otage » l’économie de la France avec des actions « pas démocratiques ». François Hollande n’a pas utilisé le terme – il a choisi « un blocage » par « une minorité » – mais Myriam El Khomri, la ministre du travail, oui.
Presque mot pour mot :

« Il n’est pas question que l’économie de notre pays soit prise en otage à trois semaines de l’Euro. »

« Il est totalement insupportable et incompréhensible qu’on laisse une infime minorité tenter d’enrayer l’activité économique », a reformulé le patron du Medef, Pierre Gattaz. Il est revenu sur une variante plus classique dans le même communiqué, paraphrasant le premier ministre :

« Nous ne pouvons plus tolérer qu’une poignée de militants irresponsables prennent la France en otage. »

Courageux, ou juste allergique aux éléments de langage, le secrétaire d’Etat au budget, Christian Eckert, a refusé de cautionner « ce vocabulaire » fait de « mots qui blessent, de mots qui vexent », comme « prise en otage ». Il était assez seul à le faire.

La star lexicale de ces derniers jours a été le mot « radicalisation », un terme qu’on a peu l’habitude de voir associé à des manifestants. Tout le monde a voulu se l’accaparer, montrer qu’il était le plus habile à le manier.

Manuel Valls l’a répété et répété : en Israël, où il était en visite officielle lorsque les occupations illégales des raffineries ont commencé – « La radicalisation de la CGT pose incontestablement un problème » – mais aussi à l’Assemblée nationale, le 25 mai, en réaffirmant que le gouvernement ne rediscutera pas la réforme – « La CGT est dans un processus de radicalisation. »

L’argument est repris, presque mot pour mot, par Myriam El Khomri – « Il y a une forme de radicalisation du mouvement » –, ainsi que par le secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen – « Il y a une petite minorité qui essaie de radicaliser les choses » – et par des responsables de l’opposition.

Chacun a son analyse un peu personnalisée, mais chacun arrive au même constat en utilisant « les termes qu’on emploie aujourd’hui à tout bout de champ », comme le dit si bien Eric Woerth sur iTélé, juste après les avoir utilisés en accusant « une CGT de plus en plus radicalisée ».

« C’est le résultat d’une radicalisation de la CGT qui est profondément inquiétante », analyse Bruno Le Maire sur LCI. C’est « l’extrémisme violent d’une minorité qui veut bloquer le pays », complète le député LR Eric Ciotti. Laurent Berger, de la CFDT, élargit un peu pour y mettre « toutes les intoxications et tous les radicalismes, de la CGT à l’extrême gauche ».

Stephane Mahe / Reuters

Stephane Mahe / Reuters

Sur RTL, Jean-Marie Le Guen oublie un peu le script et improvise. C’est « une inflammation gauchisante qui déborde des cadres traditionnels de la CGT ». La presse n’est pas loin derrière. Le chef du service économie de TF1 utilise le terme « course à la radicalisation ». Le Figaro parle d’« inexorable fuite en avant de la CGT, sous forme de radicalisation et parfois de violence ». Le Monde aussi, en évoquant le congrès du syndicat à la mi-avril, qui « servira d’étendard à cette radicalité ».

Un cran au-dessus, on trouve le JT de France 2 du 23 mai, avec David Pujadas et l’éditorialiste Nathalie Saint-Cricq qui jouent au jeu du questions-réponses-préparé-à-l’avance pour caser le nouveau mot à la mode plusieurs fois de suite.

  • David Pujadas : « Est-ce qu’on assiste là à une radicalisation de la CGT ? »
  • Nathalie Saint-Cric : « Clairement oui. Une radicalisation tous azimuts et une technique révolutionnaire bien orchestrée. »

Puis, comme le raconte Télérama, on glisse de « cette radicalisation » qui ne va peut-être pas « dans le sens de l’histoire » au risque d’« explosion sociale », celui de « prendre la responsabilité qu’il y ait un accident, un blessé ou un mort ».

Le climat social étant à la fuite en avant, on retrouve la même dynamique dans la presse qui le couvre. Un peu extrême, un peu anxiogène. Comme Atlantico, qui diffuse un sondage de l’IFOP pour que tout le monde sache « qu’une majorité claire et indiscutable, puisqu’il s’agit de presque trois Français sur quatre, de la population estime notre société soumise au risque d’une explosion sociale imminente ». Ou comme Le Figaro, qui explique que personne ne devrait jamais faire confiance à la CGT, et encore moins maintenant qu’elle est embarquée « vers une forme de terrorisme social ».

Luc Vinogradoff

Source : Le Monde 25/05/2016

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