CDN hTh Montpellier. Libre saison de feu et de fureur

hThThéâtre
La saison du CDN hTh  sera libre drôle et insoumise  à l’image de son directeur l’auteur et metteur en scène Rodrigo Garcia, mais surtout  dérangeante.

Rodrigo Garcia débute sa troisième année à la tête du CDN dont il  est peu de dire qu’il a bousculé les habitudes. La saison 2016/2017 s’annonce drôle, dérangeante fascinante, bestiale à l’image des créatures mi-homme mi animal d’Erik Sandberg qui illustrent le programme.

« Je poursuis le même chemin depuis mon arrivée ici, tentait d’expliquer hier Rodrigo Garcia face à la presse quelque peu dubitative. Cette nouvelle saison répond toujours à la volonté de proposer une quantité de langages, d’ouvrir la programmation à la scène internationale* – on pourra voir des artistes canadiens, brésiliens, allemands, belges, anglais, japonais, suédois, portugais, français, sud africain…-  et  de favoriser le mélange des genres et des tons entre performance, danse, théâtre,  musique, arts plastique. »

De quoi s’y perdre, surtout quand le directeur assume, depuis son arrivée, la disparition des pièces de répertoire. Ce qui lui a valu une levée de bouclier du monde  enseignant. En province, quelques propositions « expérimentales » bordées par une bonne armature de classiques,  si possible revisités, sont toujours bienvenue aux yeux du public cultivé, mais un tel déverrouillage produit une perte totale des repères des spectateurs habituels, y compris chez les professionnels locaux qui souffrent cruellement de la crise et souhaiteraient trouver une plus large place dans la grille de programmation. Le résultat se traduit par une baisse de la fréquentation assez conséquente bien que la courbe se soit inversée la saison dernière.

Rodrigo Garcia remplit cependant son contrat en assurant son cahier des charges. La prise en compte des publics notamment des jeunes, n’impose aucunement aux CDN de programmer du Molière ou du Marivaux. Dans un théâtre public, il serait intéressant de mesurer le renouveau plutôt que d’évaluer le poids de la valeur numéraire perdue.

Faut-il rappeler que les pièces de Genet ou Pinter ont fait scandale avant d’entrer dans le Panthéon des dramaturges. Le patron d’hTh assume sa démarche qui reste celle d’un artiste.  « Si je devais  me mettre à remplir le théâtre en changeant ma vision de l’art. Je n’aurais qu’à rentrer chez moi. »

Rodrigo Garcia. Photo JMDI Le vent se lève

Rodrigo Garcia. Photo JMDI Le vent se lève

JMDH

* Sont notamment programmés au CDN de Montpellier cette saison : Markus Ohrn, Toshiki Okada, Gisèle Vienne, Tino Sehgal, Jan Lauwers, Marion Aubert, Julien Bouffier, Stethias Deler, Luis Garay, Lola Arias, Jan Martens, Gob Squad, Philippe Quesne, Steven Cohen…

Source : La Marseillaise 15/09/2017

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Lettre de Frida Kahlo à Nickolas Muray

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Guillermo Kahlo (1871-1941)

Mon adorable Nick, mon enfant,

Je t’écris depuis mon lit d’Hôpital américain. […]

En plus de cette maudite maladie, je n’ai vraiment pas eu de chance depuis que je suis ici. D’abord, l’exposition est un sacré bazar. Quand je suis arrivée, les tableaux étaient encore à la douane, parce que ce fils de pute de Breton n’avait pas pris la peine de les en sortir. Il n’a jamais reçu les photos que tu lui as envoyées il y a des lustres, ou du moins c’est ce qu’il prétend ; la galerie à lui. Bref, j’ai dû attendre des jours et des jours comme une idiote, jusqu’à ce que je fasse la connaissance de Marcel Duchamp (un peintre merveilleux), le seul qui ait les pieds sur terre parmi ce tas de fils de pute lunatiques et tarés que sont les surréalistes. Lui, il a tout de suite récupéré mes tableaux et essayé de trouver une galerie. Finalement, une galerie qui s’appelle « Pierre Colle » a accepté cette maudite exposition. Et voilà que maintenant Breton veut exposer, à côté de mes tableaux, quatorze portraits du XIXe siècle (mexicains), ainsi que trente-deux photos d’Alvarez Bravo et plein d’objets populaires qu’il a achetés sur les marchés du Mexique, un bric-à-brac de vieilleries, qu’est-ce que tu dis de ça ? La galerie est censée être prête pour le 15 mars. Sauf qu’il faut restaurer les quatorze huiles du XIXe et cette maudite restauration va prendre tout un mois. J’ai dû prêter à Breton 200 biffetons (dollars) pour la restauration, parce qu’il n’a pas un sou. (J’ai envoyé un télégramme à Diego pour lui décrire la situation et je lui ai annoncé que j’avais prêté cette somme à Breton. Ça l’a mis en rage, mais ce qui est fait est fait et je ne peux pas revenir en arrière.) J’ai encore de quoi rester ici jusqu’à début mars, donc je ne m’inquiète pas trop.

Bon il y a quelques jours, une fois que tout était plus ou moins réglé, comme je te l’ai expliqué, j’ai appris par Breton que l’associé de Pierre Colle, un vieux bâtard et fils de pute, avait vu mes tableaux et considéré qu’il ne pourrait en exposer que deux parce que les autres sont trop « choquants » pour le public !! J’aurais voulu tuer ce gars et le bouffer ensuite, mais je suis tellement malade et fatiguée de toute cette affaire que j’ai décidé de toute envoyer au diable et de me tirer de ce foutu Paris avant de perdre la boule. Tu n’as pas idée du genre de salauds que sont ces gens. Ils me donnent envie de vomir. Je ne peux plus supporter ces maudits « intellectuels » de mes deux. C’est vraiment au-dessus de mes forces. Je préférerais m’asseoir par terre pour vendre des tortillas au marché de Toluca plutôt que de devoir m’associer à ces putains d’« artistes » parisiens. Ils passent des heures à réchauffer leurs précieuses fesses aux tables des « cafés », parlent sans discontinuité de la « culture », de l’ « art », de la  « révolution » et ainsi de suite, en se prenant pour les dieux du monde, en rêvant de choses plus absurdes les unes que les autres et en infectant l’atmosphère avec des théories et encore des théories qui ne deviennent jamais réalité.

Le lendemain matin, ils n’ont rien à manger à la maison vu que pas un seul d’entre eux ne travaille. Ils vivent comme des parasites, aux crochets d’un tas de vieilles peaux pleines aux as qui admirent le « génie » de ces « artistes ». De la merde, rien que de la merde, voilà ce qu’ils sont. Je ne vous ai jamais vu, ni Diego ni toi, gaspiller votre temps en commérages idiots et en discussions « intellectuelles » ; voilà pourquoi vous êtes des hommes, des vrais, et pas des « artistes » à la noix. Bordel ! Ça valait le coup de venir, rien que pour voir pourquoi l’Europe est en train de pourrir sur pied et pourquoi ces gens — ces bons à rien sont la cause de tous les Hitler et les Mussolini. Je te parie que je vais haïr cet endroit et ses habitants pendant le restant de mes jours. Il y a quelque chose de tellement faux et irréel chez eux que ça me rend dingue.

Tout ce que j’espère, c’est guérir au plus vite et ficher le camp.

Mon billet est encore valable longtemps, mais j’ai quand même réservé une place sur l’Isle-de-France pour le 8 mars. J’espère pouvoir embarquer sur ce bateau. Quoi qu’il arrive, je ne resterai pas au-delà du 15 mars. Au diable l’exposition et ce pays à la noix. Je veux être avec toi. Tout me manque, chacun des mouvements de ton être, ta voix, tes yeux, ta jolie bouche, ton rire si clair et sincère, TOI. Je t’aime mon Nick. Je suis si heureuse de penser que je t’aime — de penser que tu m’attends — et que tu m’aimes.

Mon chéri, embrasse Mam de ma part. Je ne l’oublie surtout pas. Embrasse aussi Aria et Lea. Et pour toi, mon coeur plein de tendresse et de caresses, un baiser tout spécialement dans ton cou, ta

Xochitl.

Source.Des lettres. wikisource.org/wiki/Frida_Kahlo,_Paris,_France_letter_to_Nickolas_Muray,_New_York,_N.Y.,_1939_Feb._16 )
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L’économie comme on ne vous l’a jamais expliquée

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Le 8 septembre arrive en kiosques le « Manuel d’économie critique » du « Monde diplomatique ». En 2014, le premier opus de cette collection était consacré à l’histoire. Il s’agit cette fois d’éclairer les bases et les enjeux d’une discipline de pouvoir, l’économie, dont les principes gouvernent maints aspects de nos vies. Cet ouvrage vise à faire comprendre pour faire agir : la bataille des idées s’ouvre à tous dès lors qu’on s’efforce de conjuguer souci de l’écriture, rigueur du propos, sens des images, pédagogie et recul historique. Telle est la vocation de ce manuel.

es libéraux ne se satisfont pas des êtres humains tels qu’ils sont : trop imprévisibles, mus par des passions obscures. Ils ont donc inventé l’individu néoclassique. Dépourvu de culture et d’affect, celui-ci n’éprouve aucun sentiment : pas d’amour, pas de haine, pas de solidarité, encore moins d’abnégation. Il permet de produire de savants travaux de laboratoire sur le fonctionnement du monde sans avoir à se soucier d’histoire, de géographie ou d’émotions. Petite plongée dans le monde mystérieux de l’économie dominante.

Habitant de cette singulière contrée, Rémi adore les pizzas. A priori, rien de vraiment étrange. Sauf que la faim des individus néoclassiques ne connaît pas plus la satiété qu’eux-mêmes l’embonpoint. Rémi dévorait déjà trois pizzas par jour avant de gagner au Loto ? Qu’à cela ne tienne : en bon néoclassique, il profite de sa soudaine fortune pour s’abandonner un peu plus encore aux plaisirs de la gastronomie italienne.

Dans le monde de l’économie néoclassique, le marché pose les mêmes problèmes qu’ailleurs. Mais il offre également des solutions. La quête de profit conduit à l’extraction effrénée de matières premières, dégradant ainsi l’environnement ? Peu importe. Ici, la transformation de la nature en marchandise constitue la meilleure réponse aux dérives qu’elle a engendrées : plus les ressources s’amenuisent, plus leur prix s’élève et moins il devient intéressant de les exploiter. La pollution comme antidote à la pollution, en somme…

Les règles de base de l’arithmétique basculent également lorsqu’on pénètre en terres néoclassiques. En ces lieux, il arrive que les additions se comportent comme des soustractions. Par exemple, dans le domaine des impôts. D’ordinaire, augmenter le taux des prélèvements obligatoires accroît les recettes de l’État. Sous le climat néoclassique, au contraire, cela revient… à les réduire, puisque toutes sortes de mécanismes d’évasion et de niches fiscales permettent aux contribuables de refuser des impôts qu’ils jugent soudain trop élevés. La sagesse locale milite donc pour la plus grande prudence en la matière.

Des réalités trop « impures » pour se conformer aux théories néoclassiques

D’une logique parfois déroutante, le monde de l’économie néoclassique se distingue en tout point du monde réel. La plupart des dirigeants occidentaux se prévalent pourtant de ses règles pour justifier leurs décisions : dérégulation, privatisations, abandon des politiques publiques aux « forces du marché » — bref, la réalisation du projet néolibéral. Ce fut par exemple le cas en Grèce, quand leurs observations de l’étrange univers néoclassique ont convaincu les membres de la « troïka » (Fonds monétaire international, Commission et Banque centrale européennes) qu’on pouvait espérer ramener à la vie les victimes d’asphyxie en pratiquant la strangulation.

Mais la Grèce appartient au monde réel, et la recette néoclassique a fait bondir la dette. Pouvait-on vraiment s’en étonner, lorsque les mêmes prescriptions avaient conduit aux mêmes afflictions trente ans plus tôt en Amérique latine ? L’échec de la méthode soulève une interrogation : comment expliquer que les dirigeants politiques s’abreuvent exclusivement à la fontaine néoclassique alors que les sources sont si nombreuses alentour ?

La résilience de cette pensée repose en grande partie sur sa prétention à la scientificité. Il en irait de l’économie comme de la physique ou des mathématiques. Mais les physiciens morigènent rarement les atomes qui se refusent à suivre les trajectoires calculées préalablement en laboratoire. À l’image de ces enfants qui s’agacent de voir une boule refuser de s’insérer dans un orifice triangulaire, les néoclassiques s’impatientent souvent d’économies trop « impures » pour se conformer à leurs modèles théoriques.

Certes, les débats existent — d’autant plus enfiévrés qu’ils sont cantonnés à des revues confidentielles et formulés à travers d’énigmatiques équations. Du côté des politiques publiques, les militants néolibéraux ont conquis les cabinets ministériels et le sommet des institutions financières internationales depuis la fin des années 1970 (avant, parfois, de retourner conseiller les multinationales et les banques, comme l’ancien président de la Commission européenne José Manuel Barroso, désormais au service de la banque d’affaires Goldman Sachs). Infalsifiable, leur modèle n’échoue jamais — un privilège qui garantit une confortable légitimité. À charge pour la réalité de s’adapter.

Cette dérive trouve l’une de ses illustrations les plus frappantes dans la « théorie des anticipations rationnelles ». Popularisée dans les années 1980, cette thèse a repris (et radicalisé) la position du monétariste Milton Friedman (1912-2006). Celui-ci avait imposé l’idée que les injections de liquidités décidées par les banques centrales — en vue de relancer l’économie, par exemple — revenaient à se tirer une balle dans le pied. Pourquoi ? Parce que « faire tourner la planche à billets » provoque une inflation bientôt perçue par les entreprises et les ménages, qui, pas dupes, resserreraient les cordons de leur bourse. Renforçant encore la foi de leur maître dans l’efficacité des marchés, les héritiers de Friedman ont postulé que toute politique publique (de régulation, de pilotage de la conjoncture, etc.) serait donc instantanément déjouée par des agents économiques supposés aussi bien informés que les experts qui les étudient. Conclusion stratégique du très optimiste père de cette théorie, Robert Lucas : il fallait déréguler toujours davantage les marchés financiers. En 2003, Lucas considérait que ses appels avaient été entendus et déclarait devant l’American Economic Association que le problème des dépressions était « résolu, et pour de nombreuses années ». Quatre ans après éclatait la plus grave crise financière mondiale depuis 1929…

Au cœur de la tempête, le dogme néolibéral ressemble parfois au roseau de la fable : il plie, et les « experts » aménagent leurs convictions. Quand la foudre a menacé l’euro, la Banque centrale européenne (BCE) a levé le tabou monétariste qui la guidait en rachetant massivement des obligations d’État. Quelques mois auparavant, l’idée aurait fait tressaillir les grands argentiers européens, qui estimaient qu’elle inciterait au laisser-aller et doperait la dépense publique.

Dégager l’horizon en rappelant que rien n’est irréversible

Si la BCE, une institution plus politique que technique, s’est si facilement dépouillée de ses dogmes malcommodes, c’est qu’il s’agissait de sauver l’essentiel : maintenir les affaires économiques à l’abri d’une démocratie jugée trop versatile. Un projet qu’ont porté avec succès, au-delà de leurs nuances, toutes les variantes du néolibéralisme, qu’il s’agisse du monétarisme d’origine américaine ou de l’ordolibéralisme de filiation allemande. Le sabir économique (qui recèle des trésors d’euphémismes) parle de « crédibilité » des politiques menées. Entendre : l’abdication par les élus de leur pouvoir de décision au profit de règles préétablies, comme les traités européens. Les capitaux sont autorisés à déstabiliser un pays en y affluant, avant de le chahuter davantage encore en le désertant. À la liberté dont ils jouissent répond désormais le carcan appliqué à la démocratie : un corpus juridique presque intouchable, et dont les fondements théoriques surprennent parfois par leur désinvolture. Ainsi, un étrange plafond limite les déficits publics à 3 % du produit intérieur brut (PIB) au sein de la zone euro.

Et, lorsque la potion du Fonds monétaire international (FMI) n’a pas donné les résultats escomptés en Grèce, c’est qu’Athènes s’est montré trop timoré, comme le suggère la directrice du FMI Christine Lagarde, sourde aux revirements du département de la recherche de sa propre institution : « Une des raisons pour lesquelles le programme grec a été beaucoup moins réussi [que ceux de la Lettonie ou de l’Irlande], c’est qu’il y a eu une résistance des gouvernements successifs (1).  »

N’en déplaise à Mme Lagarde, nul n’est tenu de se résoudre à la docilité. Faire advenir un autre monde implique toutefois un double effort : réussir à se libérer des lois édictées par les dominants ; parvenir à réinsérer la contrainte économique dans la réflexion stratégique. Notre Manuel d’économie critique n’affiche pas d’autre ambition que de contribuer à cette entreprise.

On y apprendra ce qu’est une crise financière, comment fonctionne le chantage à la dette, comment les banques créent la monnaie ou pourquoi le Brésil a récemment été chahuté par les investisseurs. Mais on découvrira également comment fut inventée la carte de crédit, qu’on a hier échangé autre chose que de l’argent, que les revues scientifiques s’intéressent parfois davantage aux sièges des toilettes qu’au rapport entre financiarisation et chômage, que l’économiste libéral Friedrich Hayek avait peut-être lu Lénine et les patrons, Karl Marx…

La bataille idéologique débute dans le système éducatif, où les « sciences économiques et sociales » sont enseignées à partir de la seconde en France. À la différence de ce qui se passe dans les cursus universitaires, au lycée l’économie continue de dialoguer avec sa grande sœur, la sociologie. Cette singularité française subit de nombreuses attaques depuis quelques années. Sur fond de militantisme patronal, le cadre néoclassique et la célébration du libre-échange ont pris une place confortable dans les programmes, alors que la notion de « classe sociale » a été escamotée en 2011. Lorsque, en juin 2016, le ministère de l’éducation nationale a décidé de rendre facultatif l’enseignement de la sacro-sainte « loi de l’offre et de la demande » en seconde, le Mouvement des entreprises de France (Medef) a condamné un « projet d’appauvrissement du programme » qui « contredit totalement le discours louable de la ministre en faveur d’un rapprochement de l’école et de l’entreprise ». Recommandation du vice-président de l’organisation, M. Thibault Lanxade : « Tout doit être fait au contraire pour insuffler l’esprit et le goût d’entreprendre le plus tôt possible, par un enseignement en phase avec la réalité quotidienne des entreprises (2). »

Si, dans cette matière, les professeurs s’illustrent par leur propension à résister aux mots d’ordre patronaux, ils ne rédigent pas les programmes. Certes, ces derniers ne sont pas des scripts dessinant, tels les rails d’une voie ferrée, un passage obligé. Fort heureusement, les enseignants demeurent libres d’apporter un éclairage spécifique sur les questions abordées. Mais l’ambition d’émanciper les esprits qui anime la plupart d’entre eux peut-elle se satisfaire de simples marges de manœuvre ? La perspective enthousiasme d’autant moins que celles-ci rétrécissent : alors que le gouvernement s’était engagé auprès de l’Association française d’économie politique (AFEP), fin décembre 2014, à créer une section « Institutions, économie, territoire et société » susceptible d’accueillir les universitaires hétérodoxes, il s’est rétracté à la suite d’une offensive des néolibéraux, dont Jean Tirole. Pour le « Prix Nobel » français, la mesure — une « catastrophe » — aurait promu « le relativisme des connaissances, antichambre de l’obscurantisme ».

Nous avons réuni certains des meilleurs spécialistes en économie — chercheurs, professeurs d’université et du secondaire, journalistes — pour revisiter les programmes de première et de terminale et en donner notre propre traitement. Avec quatre objectifs : déconstruire les idées reçues qui instillent dans les esprits la fatalité néoclassique ; apporter un éclairage historique et international souvent absent des programmes ; introduire les analyses d’écoles de pensée chassées des universités et privées d’accès aux médias ; dégager l’horizon en rappelant que rien n’est irréversible.

Se libérer des contraintes édictées par les néoclassiques n’implique pas d’ignorer celles liées au fonctionnement du monde. Entre les dogmes et l’ignorance, le manuel que nous proposons invite à replacer l’économie au service de la société. Car il ne suffit pas de souhaiter que le monde change pour parvenir à le changer : si l’économie néoclassique prétend réinventer les lois de l’arithmétique, celles-ci s’imposent néanmoins au pouvoir politique. Y compris quand il entend « changer la vie ». Comment comprendre le chaos économique vénézuélien sans évoquer le phénomène de la « maladie hollandaise » ? Comment tirer le bilan de l’échec de la relance opérée par François Mitterrand en 1981 sans s’intéresser à la concurrence étrangère ? Suffit-il vraiment de dénoncer la dette comme un héritage néolibéral pour en gérer le fardeau ? De même, tenter de se libérer du marché grâce à la planification conduit parfois à d’embarrassantes bévues, comme la production de chaussures exclusivement pour les pieds gauches.

L’intellectuel britannique Ralph Miliband soulignait en 1979 que « les gouvernements de gauche (…) viennent généralement au pouvoir dans des circonstances de crise économique et financière grave (3) ». Dans un tel contexte, l’opiniâtreté des soutiens du nouveau pouvoir s’avère décisive. Une meilleure compréhension de la nature politique et sociale de l’économie n’y nuirait pas. Nous avons donc l’espoir que nos manuels circuleront également en dehors des salles de classe.

par Renaud Lambert & Hélène Richard

 

Source : Le Monde Diplomatique Septembre 2016

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Pèse-nerfs

14717695-le-greffier-du-fou-l-homme-qui-notait-tout-ce-que-faisait-artaud

Toute l’écriture est de la cochonnerie.

Les gens qui sortent du vague pour essayer de préciser quoi que ce soit de ce

qui se passe dans leur pensée, sont des cochons.

Toute la gent littéraire est cochonne, et spécialement celle de ce temps-ci.

Tous ceux qui ont des points de repère dans l’esprit, je veux dire d’un certain

côté de la tête, sur des emplacements bien localisés de leur cerveau, tous ceux

qui sont maîtres de leur langue, tous ceux pour qui les mots ont un sens, tous

ceux pour qui il existe des altitudes dans l’âme, et des courants dans la

pensée, ceux qui sont esprit de l’époque, et qui ont nommé ces courants de

pensée, je pense à leurs besognes précises, et à ce grincement d’automate que

rend à tous vents leur esprit,

– sont des cochons.

Ceux pour qui certaines mots ont un sens, et certaines manières d’être, ceux qui

font si bien des façons, ceux pour qui les sentiments ont des classes et qui

discutent sur un degré quelconque de leurs hilarantes classifications, ceux qui

croient encore à des « termes », ceux qui remuent des idéologies ayant pris rang

dans l’époque, ceux dont les femmes parlent si bien et ces femmes aussi qui

parlent si bien et qui parlent des courants de l’époque, ceux qui croient encore

à une orientation de l’esprit, ceux qui suivent des voies, qui agitent des noms,

qui font crier les pages des livres,

– ceux-là sont les pires cochons.

Vous êtes bien gratuit, jeune homme !

Non, je pense à des critiques barbus.

Et je vous l’ai dit : pas d’oeuvres, pas de langue, pas de parole, pas d’esprit,

rien.

Rien, sinon un beau Pèse-Nerfs.

Une sorte de station incompréhensible et toute droite au milieu de tout dans

l’esprit.

Et n’espérez pas que je vous nomme ce tout, en combien de parties il se divise,

que je vous dise son poids, que je marche, que je me mette à discuter sur ce

tout, et que, disuctant, je me perde et que je me mette ainsi sans le savoir à

PENSER, – et qu’il s’éclaire, qu’il vive, qu’il se pare d’une multitude de mots,

tous bien frottés de sens, tous divers, et capables de bien mettre au jour

toutes les attitudes, toutes le nuances d’une très sensible et pénétrante

pensée.

Ah ces états qu’on ne nomme jamais, ces situations éminentes d’âme, ah ces

intervalles d’esprit, ah ces minuscules ratées qui sont le pain quotidien de mes

heures, ah ce peuple fourmillant de données, – ce sont toujours les même mots

qui me servent et vraiment je n’ai pas l’air de beaucoup bouger dans ma pensée,

mais j’y bouge plus que vous en réalité, barbes d’ânes, cochons pertinents,

maîtres du faux verbe, trousseurs de portraits, feuilletonistes, rez-de-

chaussée, herbagistes, entomologistes, plaie de ma langue.

Je vous l’ai dit, que je n’ai plus ma langue, ce n’est pas une raison pour que

vous persistiez, pour que vous vous obstiniez dans la langue.

Allons, je serai compris dans dix ans par les gens qui feront aujourd’hui ce que

vous faites. Alors on connaîtra mes geysers, on verra mes glaces, on aura appris

à dénaturer mes poisons, on décèlera mes jeux d’âmes.

Alors tous mes cheveux seront coulés dans la chaux, toutes mes veines mentales,

alors on percevra mon bestiaire, et ma mystique sera devenue un chapeau. Alors

on verra fumer les jointures des pierres, et d’arborescents bouquets d’yeux

mentaux se cristalliseront en glossaires, alors on vera choir des aérolithes de

pierre, alors on verra des cordes, alors on comprendra la géométrie sans

espaces, et on apprendra ce que c’est que la configuration de l’esprit, et on

comprendra comment j’ai perdu l’esprit.

Alors on comprendra pourquoi mon esprit n’est pas là, alors on verra toutes les

langues tarir, tous les esprits se dessécher, toutes les langues se racornir,

les figures humaines s’aplatiront, se dégonfleront, comme aspirées par des

ventouses desséchantes, et cette lubrifiante membrane continuera à flotter dans

l’air, cette membrane à deux épaisseurs, à multiples degrés, à un infini de

lézardes, cette mélancolique et vitreuse membrane, mais si sensible, si

pertinente elle aussi, si capable de se multiplier, de se dédoubler, de se

retourner avec son miroitement de lézardes, de sens, de stupéfiants,

d’irrigations pénétrantes et vireuses,

alors tout ceci sera trouvé bien,

et je n’aurai plus besoin de parler.

 

Antonin Artaud.

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Voix Vives 2016. Les yeux brillants d’un monde vrai

Voix Vives en mer face au cimetière de Paul Valéry. Photo dr

Voix Vives en mer face au cimetière de Paul Valéry. Photo dr

La paix comme un souffle qui monte avec Voix Vives et ses invités…

Comment le port de Sète qui a 350 ans cette année  n’aurait-il pas vibré aux ondes de la poésie  portées par les cents poètes invités au festival Voix Vives ? Celui-ci vient de s’achever. Ils sont venus de toutes les rives, pas pour faire des ronds de jambe à l’attention des élites cultivées qu’il leur arrive de fréquenter. Juste pour échanger avec les gens dans la rue, les parcs, les petites places du quartier haut, pour parler avec simplicité, profondeur et apaisement.

En écho paradoxal au monde qui semble se déchaîner autour de cette petite mer que l’on nomme grande bleue. « La Méditerranée, c’est la quiétude face à l’avalanche de l’Atlantique mais actuellement ce n’est pas la mer de la baleine blanche, a souligné  la poétesse madrilène Maria Antonia Ortéga. Les tragédies de la Méditerranée sont les conséquences de l’égoïsme des hommes qui n’ont pas la capacité de surpasser  leurs contradictions. »

Vision de la tragédie, au sens classique des héros abandonnés par leurs dieux qui  ne parviennent plus à affronter leur destin. « La poésie a cette capacité de saisir  la vie  dans ce qu’elle a d’immédiat et d’universel », rappelle la directrice du festival Maïthé Vallès-Bled.

Ainsi est-il toujours possible d’interpréter le présent à travers le prisme de la tragédie grecque. Mais le questionnement permanent qui aiguise l’interrogation du poète comme son désir de dire et d’écrire ne se limite pas à la tragédie. Durant neuf jours, Voix Vives l’a une nouvelle fois démontré.

Le festival  a ouvert grand les vannes, libérant les poèmes par milliers sous toutes les formes, en provenance des horizons proches et lointains de la culture méditerranéenne. Pour la première fois depuis sa création, le festival s’est affublé d’un sous titre : La poésie chemin de paix. A l’évidence, ces chemins ont été pluriels, comme le sont, les douleurs et expériences que peuvent traverser les membres d’une même famille face à un déchirement.

Au-delà de ce sous-titre, qui n’a contraint aucun des poètes invités, le ciel de cette 7e édition sétoise du festival  fut chargé d’implication, de présence, et d’écoute tant de la part des poètes que de celle de l’équipe et du public et même d’une ministre de la Culture. Comme si l’espace du festival s’ouvrait plus que de coutume aux relations directes avec le monde et au bonheur d’une altérité affûtée.

Avant que les mots qui nous ont traversé ne s’égarent aux confins mystérieux de nos pensées ou de nos sens, les éditions Bruno Doucey proposent une anthologie 2016 qui porte traces des mots de chaque poète présent. A nous de  savoir encore les faire danser dans nos bouches. Et de saisir ceux de Maria Antonia Ortéga : « On ne réussit à s’approcher des êtres humains que par le chemin de la liberté et il ne peut y avoir de paix sans liberté. »

JMDH

Source La Marseillaise 03/08/2016

Voir aussi : Rubrique Festival, Voix Vives 2016, 100 poètes dans la ville, Voix vives 2015, site officiel, Sans frontières les poèmes disent l’essentiel, rubrique MéditerranéeLybie, Liban, Tunisie, rubrique Livre, Poésie, rubrique /Méditerranée,

Voix Vives se décentralise en Méditerranée, après Gènes en Italie, les 17 et 18 juin et Sète  du 22 au 30 juillet, l’édition de Tolède en Espagne se tiendra du 2 au 4 septembre. Et le projet d’une édition à Ramallah, Naplouse, et Bethléem , devrait voir le jour au printemps  2017.