Grande confusion outre-Rhin

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par François Leclerc

Par quel détour le nouvel élan qu’il était tenté de donner à l’Europe pourrait-il maintenant se frayer un chemin ? Les propositions de relance de Jean-Claude Juncker et d’Emmanuel Macron étaient loin de coïncider, mais les élections allemandes devaient au moins permettre d’engager des négociations lors du sommet européen du 15 décembre prochain. C’est raté ! le principal interlocuteur semble dans l’immédiat voué à expédier les affaires courantes.

Les élections ont révélé qu’il existait, au-delà des rangs des conservateurs de la CDU et de la CSU, des forces politiques disposant d’appuis électoraux – le FDP des libéraux et l’extrême-droite de l’AfD – fermement opposées à toute mutualisation financière. Et celles-ci pèseront quelle que soit la suite des évènements. Le long de ses mandats successifs, la chancelière a déplacé son parti vers le centre, amoindrissant le poids électoral du SPD, pendant que le pays se déplaçait vers la droite, éloignant toute reconduction de la grande coalition. La stabilité politique, cette marque de fabrique de l’Allemagne, appartient désormais au passé.

Le principal espoir restant repose aujourd’hui sur une hypothétique reconduction de la grande coalition. Mais, selon le tout dernier sondage, celle-ci pourrait ne pas disposer d’une majorité au Bundestag en cas de nouvelles élections. Toutes les combinaisons possibles sont les unes après les autres inventoriées dans la presse, mais chacune d’entre elle achoppe sur un obstacle ou sur un autre, comme les dernières tractations l’ont éloquemment montré. Dernière hypothèse en date, le SPD soutiendrait un gouvernement Merkel minoritaire et en prendrait la décision lors de sa conférence annuelle des 7 au 9 décembre prochains.

La recomposition du paysage politique allemand n’est pas favorable aux plans de relance, mais elle est par contre propice à l’enlisement. Le Royaume Uni quittant l’Union européenne, l’Allemagne où l’extrême-droite accède au parlement pourrait être le prochain acteur de son démantèlement. D’une manière ou d’autre autre, l’Allemagne fait toujours obstacle à une Europe débarrassée de ses vices de construction et jouant la carte de l’ultra-libéralisme. Sur quelles bases pourrait-elle être reconstruite et avec qui ? Qui pourrait-être tenté par cette aventure ?

Source Blog de Paul Jorion 22/11/2017

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«Les forêts natales», quand l’histoire de l’art s’intéresse enfin à l’Afrique

 Statuette de gardien de reliquaire présentée dans l'exposition «Les forêts natales, arts d'Afrique équatoriale». Pièce en bois (recouvert de cuivre et de laiton), fabriquée au sein de la population Kota au XIXe siècle.  © Musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain


Statuette de gardien de reliquaire présentée dans l’exposition «Les forêts natales, arts d’Afrique équatoriale». Pièce en bois (recouvert de cuivre et de laiton), fabriquée au sein de la population Kota au XIXe siècle. © Musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Claude Germain

«Les très grands sculpteurs sont africains», lit-on à l’entrée de l’exposition « Les forêts natales, arts d’Afrique équatoriale atlantique » au musée du quai Branly à Paris. De fait, on y montre les grands talents des créateurs des statuettes et masques présentés. Ainsi que les nombreux styles artistiques de la région du XVIII au XXe. Rencontre avec le commissaire de l’exposition, Yves Le Fur.

L’Afrique équatoriale atlantique, vaste aire culturelle qui comprend la Guinée équatoriale, le sud du Cameroun, le Gabon et l’ouest de la République du Congo, offre des styles d’une grande variété, qui changent considérablement d’une région à l’autre. Il suffit de comparer les statuettes d«ancêtres, gardiens de reliquaire» Fang et Kota, objets fabriqués à quelques centaines de kilomètres les uns des autres. Les premiers sont de mystérieuses statues en bois sombre, les seconds de très géométriques figures en bois recouvert de métal importé (cuivre et laiton notamment). Ces deux variétés d’objets ont le même usage. Mais ils n’ont stylistiquement  rien à voir.

Carte-l-exposition

Un détail incroyable: nombre de pièces Fang… suintent au sens littéral du terme! Cette «patine suintante (…) accentue l’effet de brillance», explique un panneau de l’exposition. Le phénomène, qui continue à être étudié par les scientifiques, s’explique par l’application d’une couche de 15 à 50 mm d’huiles végétales imprégnées dans le bois des statues. «C’était le moyen de revivifier les ancêtres, de montrer leur vitalité», commente Yves Le Fur, commissaire de l’exposition et directeur du patrimoine et des collections du musée du quai Branly. Certaines statuent suintent ainsi depuis plusieurs siècles…

A noter aussi que certaines de ces statues sont grattées par endroits, preuve qu’elles ont fait l’objet de prélèvements rituels. Les descendants y prélevaient symboliquement la puissance et l’efficacité des pouvoirs de leurs ancêtres. Le bois prélevé servait ensuite pour la fabrication de médicaments.

Le visiteur admirera aussi la grande variété des masques. Dont certains, d’origine Punu, ressemblent à s’y méprendre à des objets… asiatiques. «A une époque, le bruit a même couru que dans le passé, un bateau, chargé de masques japonais , avait coulé dans l’Atlantique, au large des côtes de l’Afrique équatoriale!», raconte Yves Le Fur. De la naissance d’une légende qui n’a, évidemment, aucun fondement scientifique…

Masque en bois peint de la communauté Punu datant du début du XXe siècle. Origine: le Gabon. Ces masques manifestaient la présence des défunts dans un village à l'occasion de certaines activités religieuses ou juridiques. © Musée du quai Branly - Jacques Chirac; photo Thierry Ollivier-Michel Urtado

Masque en bois peint de la communauté Punu datant du début du XXe siècle. Origine: le Gabon. Ces masques manifestaient la présence des défunts dans un village à l’occasion de certaines activités religieuses ou juridiques. © Musée du quai Branly – Jacques Chirac; photo Thierry Ollivier-Michel Urtado

Entretien avec Yves Le Fur

Pourquoi avoir donné à l’exposition le titre «Les forêts natales»? Il n’y est pas vraiment question de forêts…
L’Afrique équatoriale atlantique couvre majoritairement le Gabon. Mais elle s’étend aussi sur trois autres Etats. Le titre de l’exposition ne pouvait donc pas porter uniquement sur le Gabon. Par ailleurs, cette région a connu des mouvements de populations depuis au moins trois siècles. Dans cet espace-temps, il y a ainsi une histoire, artistique notamment, que l’on ne peut pas résumer simplement. Pour la raconter, il convient d’adopter la démarche de l’histoire de l’art en montrant qu’à l’intérieur de la période, il y a un ensemble de styles différents.

Dans ce contexte, je n’ai pas voulu donner un titre particulier et réducteur. On l’a donc transposé sur Apollinaire et son poème Les fenêtres, publié en 1913:
«Du rouge au vert tout le jaune se meurt
 Quand chantent les aras dans les forêts natales».

Apollinaire est l’un des premiers en Occident à avoir considéré ces objets comme des œuvres d’art.

«Forêts natales», c’est un titre à tiroirs, qui botte un peu en touche. Il fait référence à la forêt équatoriale, d’où viennent les esprits, le surnaturel. Mais aussi au bois des statues et des masques. Un bois qui sert aussi pour la fabrication de médicaments.

 

 Statuette de gardien de reliquaire fabriquée au sein de la communauté Kota, en bois recouvert de cuivre et de laiton. Œuvre datée du XIXe siècle.   © Musée du quai Branly - Jacques Chirac; photo Patrick Gries-Valérie Torre

Statuette de gardien de reliquaire fabriquée au sein de la communauté Kota, en bois recouvert de cuivre et de laiton. Œuvre datée du XIXe siècle. © Musée du quai Branly – Jacques Chirac; photo Patrick Gries-Valérie Torre

Quel est l’objectif de cette exposition ?
Il s’agit de se démarquer d’autres expositions d’art africain qui n’abordent la question que sous un aspect ethnographique et esthétique. Là, j’ai voulu mettre ces objets au même niveau que ce que l’on fait, par exemple, naturellement pour la sculpture romane: cela ne choque personne d’y distinguer des évolutions stylistiques et des styles régionaux. On le fait déjà pour l’art asiatique, la sculpture khmère, par exemple. Mais la démarche est plus rare pour l’art africain. Et pourtant, là aussi, à l’intérieur de chaque groupe, il y a des variations stylistiques. On constate que les sculpteurs ont une certaine liberté pour caractériser leurs créations.

Il s’agit ainsi d’installer l’Afrique dans une histoire longue. On connaît Lucie. Mais après, on dénie au continent les civilisations qui se sont succédé sur son sol. Les Portugais sont arrivés sur les côtes de l’Afrique équatoriale au XVe siècle. Mais c’est seulement au XIXe siècle, du temps de Brazza, que les Européens ont exploré l’intérieur de la région.

Aujourd’hui, on avance petit à petit dans la reconnaissance des arts dits «primitifs». Le mouvement a débuté au début du XXe siècle avec Picasso, Derain, Braque. Il s’est poursuivi dans les années 50. Puis le marché a commencé à reconnaître l’intérêt de ces arts. La prise de conscience a été facilitée par la masse des objets présents dans les collections des missions religieuses et particulières. En Europe et aux Etats-Unis, ces collections abritent ainsi quelque 4000 objets Fang et 6000-7000 pièces Kota. Ce qui constitue un corpus très important pour les étudier.

Masque, originaire du Gabon ou de la République du Congo, daté du XIXe ou début du XXe siècle, sans certitude. Bois et pigments. © Musée Barbier-Mueller 1019-15, photo studio Ferrazzini-Bouchet

Masque, originaire du Gabon ou de la République du Congo, daté du XIXe ou début du XXe siècle, sans certitude. Bois et pigments. © Musée Barbier-Mueller 1019-15, photo studio Ferrazzini-Bouchet

Vous expliquez que les migrations bantoues dans la région depuis les XVIe et XVIIe siècles sont à l’origine de «multiples contacts, emprunts, influences». Comment l’avez-vous montré dans l’exposition?
Les sculpteurs de la région étaient très créatifs et ont produit de très nombreux objets. On ne pouvait pas tout exposer. Alors, pour montrer les variations stylistiques, il était plus intéressant de se concentrer sur les statues et les masques.

Ces statues étaient reliées au culte des ancêtres. Elles avaient pour fonction de garder des reliquaires, où l’on conservait des ossements d’aïeux. Ces reliquaires, gardés dans des lieux secrets, concernaient donc l’intimité des individus.

A l’inverse, les masques, qui exprimaient les nombreux aspects de la vie spirituelle, concernaient les affaires de toute la communauté, son visage. C’est sur les masques que les résultats des échanges culturels sont particulièrement visibles. Alors que l’on ne sait pas comment ces échanges se sont produits. Ces objets étaient fabriqués par des artistes qui étaient davantage considérés comme des artisans. Même s’ils étaient initiés.

Laurent Ribadeau Dumas

 

Les forêts natales, arts d’Afrique équatoriale atlantique jusqu’au 21 janvier 2018  Paris Musée du Quai Branly

Source Géopolis 11/11/2017

Voir aussi :  Rubrique Afrique, rubrique Expo, rubrique Art,

Paris sauve la face de l’Arabie saoudite en exfiltrant Saad Hariri

 Mohammed Ben Salman, aux côtés d’Emmanuel Macron, à Riyad, le 9 novembre. Mohammed Ben Salman, aux côtés d’Emmanuel Macron, à Riyad, le 9 novembre. BANDAR AL-JALOUD / AFP

Mohammed Ben Salman, aux côtés d’Emmanuel Macron, à Riyad, le 9 novembre. BANDAR AL-JALOUD / AFP

La présidence libanaise a annoncé que le premier ministre démissionnaire, arrivé samedi à Paris, sera de retour au Liban mercredi prochain pour la fête de l’indépendance.

L’acte I du feuilleton Hariri est terminé. Le premier ministre démissionnaire libanais Saad Hariri et sa famille sont arrivés samedi matin 18 novembre à Paris, en provenance de Riyad, conformément à l’arrangement conclu mercredi entre Emmanuel Macron et Mohammed Ben Salman, l’homme fort du royaume saoudien. Le président français devait ouvrir, samedi, un nouveau chapitre dans cette saga pleine de mystères, en recevant le dirigeant libanais en tête-à-tête, puis en partageant avec lui et ses proches un déjeuner à l’Elysée.

L’avenir politique de Saad Hariri et sa capacité ou non à récupérer son siège de premier ministre, inconnue majeure de cette nouvelle phase, devaient figurer au menu des discussions. Vendredi, en marge d’un sommet européen à Göteborg, en Suède, Emmanuel Macron a déclaré que le chef du Courant du futur avait vocation à rentrer dans son pays « dans les jours, les semaines qui viennent ».

Lire aussi :   L’Arabie saoudite prise au piège de sa diplomatie boomerang

Pour la diplomatie française, absente depuis longtemps du Proche-Orient, l’exfiltration de M. Hariri d’Arabie saoudite, où la plupart des Libanais le considéraient « captif », constitue un succès. L’initiative de Paris, qualifiée de « deus ex machina » par le quotidien libanais L’Orient-Le Jour, a permis d’extraire M. Hariri d’une situation délicate, tout en offrant une porte de sortie aux Saoudiens, qui s’étaient placés eux-mêmes dans une situation intenable.

« Retour de la diplomatie française »

Un retour direct à Beyrouth du chef du gouvernement, même pour remettre formellement sa démission au président Michel Aoun, aurait constitué un camouflet pour Riyad. « Macron a très bien joué, il a fait baisser la tension au Liban, tout en protégeant les Saoudiens de l’opprobre international », fait valoir un homme d’affaires occidental installé dans le royaume.

Depuis son élection, le président français, qui ne cesse de mettre en avant sa volonté « de parler à tout le monde », cherche à jouer un rôle de médiateur international. Un rôle que la France a déjà joué dans le monde arabo-musulman, où, contrairement aux Etats-Unis, elle entretient des relations avec tous les acteurs de poids, y compris l’Iran et le Hezbollah, le mouvement chiite libanais pro-Téhéran.

Les deux seules initiatives lancées jusque-là dans cette région par le chef de l’Etat n’avaient guère été couronnées de succès : l’accord en dix points, fruit de sa rencontre, en juillet, avec les deux frères ennemis de la Libye, Faïez Sarraj, le chef du gouvernement « d’union nationale », et le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est, peine à se concrétiser ; et ses efforts pour créer un groupe de contact sur la Syrie sont mort-nés. « L’arrivée de Saad Hariri à Paris marque le retour de la diplomatie française au Proche-Orient », se félicite Ali Mourad, professeur de droit public à l’Université arabe de Beyrouth.

Cette percée est aussi due à la proximité du ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, avec bon nombre de dirigeants de la région, dont l’homme fort des Emirats arabes unis, Mohammed Ben Zayed, surnommé « MBZ », et son alter ego saoudien Mohammed Ben Salman, alias « MBS ». Des relations qu’il a nouées pendant ses cinq années au ministère de la défense, sous la présidence de François Hollande, au prix d’une indifférence quasi complète aux méthodes très répressives que ces deux autocrates emploient en interne.

Dès l’annonce par Saad Hariri de sa démission surprise, le 4 novembre, depuis Riyad, les autorités françaises avaient exprimé leur préoccupation. Imputé à l’Iran et au Hezbollah, accusés de semer la destruction au Proche-Orient, ce geste attisait la tension entre les géants iranien et saoudien. Les inquiétudes de l’Elysée étaient d’autant plus grandes qu’en dépit des dénégations saoudiennes, Saad Hariri, quasiment injoignable, paraissait privé d’une grande partie de sa liberté. Chantage à l’inculpation dans l’opération anticorruption lancée au même moment dans le royaume ? Pressions sur sa famille ? Les spéculations sur ce qui avait pu inciter Saad Hariri à jeter l’éponge allaient bon train, tant à Beyrouth que dans les capitales arabes et occidentales.

Les efforts de l’Elysée pour trouver une solution ont commencé à porter leurs fruits, mercredi 8 novembre au soir, dans la capitale des Emirats arabes unis. Pendant son dîner avec Emmanuel Macron, consécutif à l’inauguration du Louvre Abu Dhabi, MBZ a décroché son téléphone et obtenu pour son hôte un rendez-vous le lendemain avec MBS. « Mohammed Ben Zayed a une vision très fine de ce qui se passe en Arabie saoudite et sa proximité avec le prince héritier [saoudien] n’est un secret pour personne », expliqua le lendemain le président français.

Depuis plusieurs semaines déjà, le cabinet de M. Macron s’activait pour organiser une rencontre avec le très puissant fils du roi Salman, âgé de 32 ans. Dans l’esprit du chef de l’Etat, celle-ci devait intervenir avant le déplacement qu’il souhaite effectuer à Téhéran, pour tenter de sauver l’accord sur le nucléaire de juillet 2015, menacé par l’administration Trump. Un voyage qui ne peut qu’irriter Riyad, ravi des coups de boutoir du président américain. Il était donc indispensable de conforter au préalable le lien stratégique franco-saoudien.

« Tentation hégémonique » de l’Iran

L’entretien de trois heures entre les deux trentenaires, à l’aéroport de Riyad, porta principalement sur le Liban et le sort de Saad Hariri. Quelques heures plus tôt, ce dernier avait reçu l’ambassadeur de France, François Gouyette, dans sa villa de Riyad. Dans les jours suivants, le président Macron eut deux autres conversations avec MBS, par téléphone. Lundi 13 novembre, au lendemain de l’interview de M. Hariri à la télévision libanaise, au cours de laquelle il s’était dit « libre » tout en faisant montre d’une grande fébrilité, la présidence française évoqua un possible recours devant l’ONU.

Un message destiné évidemment à faire pression sur Riyad. « Au Conseil de sécurité des Nations unies, c’est la France qui tient la plume lorsqu’il s’agit du Liban », rappelle une source élyséenne. Message reçu : mercredi en fin d’après midi, depuis Bonn, Emmanuel Macron annonçait avoir invité le premier ministre libanais à Paris. Jeudi, lors d’une rencontre avec MBS à Riyad, Jean-Yves Le Drian peaufinait le compromis. En échange du geste saoudien, le ministre français des affaires étrangères a renoncé, dans l’immédiat, à la visite qu’il devait effectuer à Téhéran la semaine prochaine pour préparer celle du chef de l’État.

Lors de sa conférence de presse à Riyad, le chef de la diplomatie française a haussé le ton contre Téhéran, dont il a dénoncé « la tentation hégémonique ». En réaction, le ministère iranien des affaires étrangères a dénoncé « le regard partial » de la France, qui « volontairement ou involontairement, aide à transformer des crises potentielles en crises réelles ».

Et après ? Emmanuel Macron a insisté sur le fait que M. Hariri n’entame pas un exil à Paris. Selon le chef de la diplomatie libanaise, Gebran Bassil, il pourrait revenir à Beyrouth dès vendredi prochain. Maintenant que sa liberté est garantie, les responsables politiques locaux sont pressés de l’entendre s’exprimer sur sa démission, que le président Michel Aoun a refusée jusque-là.

Samedi matin, la présidence libanaise a annoncé que M. Hariri sera de retour au Liban mercredi 22 novembre pour la fête de l’indépendance. « Le président [Michel] Aoun a reçu ce matin un appel téléphonique de M. Hariri l’informant qu’il se rendra au Liban pour participer à la célébration de la Fête de l’indépendance », a fait savoir la présidence, précisant également que M. Hariri participerait « notamment au défilé militaire » traditionnel.

Comme il l’a esquissé dans son interview du 12 novembre, M. Hariri pourrait revenir sur son retrait du pouvoir mais exiger en retour un geste du Hezbollah, son encombrant partenaire de gouvernement. Il pourrait également confirmer sa démission, en réitérant le discours anti-iranien qu’il avait initialement tenu, et s’éclipser, pour un temps au moins, de la scène politique libanaise. Dans les deux cas, les questions de fond, éclipsées par les manigances saoudiennes, risquent de revenir sur le devant de la scène. Et de ranimer la discorde entre partis libanais, mise en sourdine depuis deux semaines.

Marc Semo et Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)

Source Le Monde 18/11/2017

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Liban : Saad Hariri ouvre la voie à une possible désescalade

 Diffusion de l’interview de Saad Hariri, à Beyrouth, le 12 novembre. Diffusion de l’interview de Saad Hariri, à Beyrouth, le 12 novembre. ANWAR AMRO / AFP

Diffusion de l’interview de Saad Hariri, à Beyrouth, le 12 novembre. ANWAR AMRO / AFP

En laissant son poste le 4 novembre, le premier ministre avait dénoncé publiquement la « mainmise » de l’Iran et du mouvement chiite libanais du Hezbollah, membre de son gouvernement, sur les affaires intérieures de son pays. Une semaine après cette démission, Saad Hariri n’avait toujours pas donné signe de vie

Saad Hariri a rompu le silence écrasant dans lequel il s’était enfermé après sa démission surprise, annoncée le 4 novembre depuis Riyad. Cette décision, que le premier ministre libanais avait imputée à l’Iran, la bête noire de l’Arabie saoudite, accusée de « vouloir détruire la nation arabe », a fait brutalement monter la tension au Proche-Orient.

Dans une interview diffusée dimanche 12 novembre sur la télévision libanaise, où il est apparu les traits tirés, M. Hariri a réfuté la thèse dominante qui le présente comme l’otage des autorités saoudiennes. Il a affirmé à plusieurs reprises que ses hôtes ne l’ont pas forcé à démissionner, et qu’il rentrera « bientôt » à Beyrouth, répétant que son absence est due aux dangers qui pèsent sur sa vie, sans donner plus de précisions.

Parallèlement à ces dénégations, qui n’ont pas véritablement convaincu les observateurs, le chef de file de la communauté sunnite libanaise s’est efforcé d’apaiser la situation. Il a usé, à l’encontre de l’Iran et du Hezbollah, le mouvement chiite libanais pro-Téhéran, de formules moins belliqueuses que dans sa précédente intervention, et il a laissé entendre qu’il pourrait revenir sur sa démission. « Sur le fond, c’est une désescalade, réagit Karim Emile-Bitar, professeur de relations internationales à l’université Saint-Joseph de Beyrouth. On a retrouvé le tempérament conciliateur de Saad Hariri. On peut supputer que les Saoudiens ont voulu mettre en sourdine leur ligne maximaliste. »

L’interview du premier ministre démissionnaire a été diffusée en direct, en début de soirée, sur Future TV, la chaîne de son parti politique, baptisé du même nom. Cinq autres chaînes libanaises ont refusé de retransmettre l’émission, conformément aux consignes du président Michel Aoun, qui avait estimé que les déclarations de M. Hariri seraient automatiquement sujettes à caution, compte tenu des « conditions mystérieuses entourant sa situation en Arabie saoudite ».

« Je suis libre ici »

L’entretien, conduit par Paula Yacoubian, une célèbre animatrice de talk-show, a été réalisé dans la villa que M. Hariri, détenteur de la nationalité saoudienne, possède à Riyad. « Je suis libre ici, si je veux voyager demain, je voyage », a déclaré d’entrée le leader libanais. Le visage pâle, les yeux cernés, s’interrompant parfois pour boire de l’eau ou se racler la gorge, il a assuré qu’il pourrait atterrir à Beyrouth « dans deux ou trois jours », pour « entamer les procédures constitutionnelles nécessaires » à sa démission, que le chef de l’Etat a refusé d’accepter en l’état.

« J’ai écrit ma démission de ma main, et j’ai voulu provoquer un choc positif (…) pour faire comprendre aux Libanais la situation dangereuse dans laquelle nous nous trouvons », a ajouté le chef du gouvernement. Il a démenti tout lien entre son retrait du pouvoir et la purge anti-corruption, entamée le même jour, sur ordre du prince héritier saoudien, Mohamed Ben Salman, dit MBS, qui a abouti à l’arrestation de centaines de VIP, dont des princes et des entrepreneurs. Un coup de filet sans précédent, qui, dans l’esprit des Libanais et de nombreux observateurs étrangers, a pu servir aux autorités de Riyad pour faire pression sur M. Hariri, propriétaire dans le royaume d’une entreprise de construction, Saudi Oger. « C’est une coïncidence », a-t-il prétendu, louant sa relation avec MBS, qu’il a qualifié de « frère ».

out au long de l’interview, le fils de l’ancien premier ministre libanais Rafik Hariri, assassiné en 2005, a semblé épuisé nerveusement. Au bord des larmes à un moment, il a demandé à Paula Yacoubian, à la fin de l’interview, d’abréger ce qui paraissait être une épreuve pour lui. Cette fébrilité, très commentée sur les réseaux sociaux, a nui à ses efforts pour dissiper les soupçons pesant sur son séjour saoudien. « Hariri ressemble à un homme brisé, il n’y a aucune conviction dans ce qu’il dit », a souligné Karl Sharro, un commentateur politique libanais, très actif sur Twitter.

Main tendue au Hezbollah

A plusieurs reprises durant l’échange, l’intervieweuse a fait mention d’événements se déroulant simultanément, comme le tremblement de terre au Kurdistan irakien, de façon à démontrer que l’émission se déroulait bel et bien en direct et n’avait pas fait l’objet d’un montage préalable. Signe de la défiance du public, beaucoup de téléspectateurs ont pointé du doigt un bref moment, où M. Hariri jette un regard semble-t-il courroucé à un homme apparaissant dans le champ de la caméra, muni d’un bout de papier.

Sur les réseaux sociaux, ces quelques secondes équivoques sont devenues la preuve que le premier ministre libanais a reçu des instructions de ses hôtes saoudiens pendant l’interview. Faux, selon Paula Yacoubian, qui a assuré à l’issue de l’entretien que l’homme en question était un membre de l’entourage de M. Hariri, ajoutant n’avoir rencontré aucun responsable saoudien avant de prendre l’antenne.

A rebours de son discours de démission, durant lequel il avait promis de « couper les mains » de l’Iran dans la région, le chef du Courant du futur a tendu la main au Hezbollah. Il a suggéré qu’il pourrait renoncer à quitter le pouvoir si le mouvement chiite s’engageait à respecter le principe de « distanciation », c’est-à-dire de non-ingérence dans les crises régionales, élaboré par son prédécesseur Najib Mikati, premier ministre au démarrage du soulèvement syrien.

Sursaut pro-Hariri

Outre le rôle du Hezbollah dans ce pays, où il combat au côté des forces pro-Assad, le premier ministre a insisté sur son implication supposée au Yémen. Ces derniers jours, les autorités saoudiennes ont accusé des membres de la milice chiite libanaise d’avoir contribué à l’assemblage du missile balistique tiré par les rebelles Houthis, le 4 novembre, sur Riyad. « Je ne suis pas contre le Hezbollah en tant que parti politique, mais je suis contre le fait que le Hezbollah joue un rôle externe et mette le Liban en danger », a martelé Saad Hariri.

Dans cette inflexion, les observateurs libanais voient le résultat du sursaut pro-Hariri, qui s’est manifesté ces derniers jours à travers le pays. La plupart des partis politiques, choqués par le traitement réservé au premier ministre, ont réclamé son retour immédiat à Beyrouth.

A part la frange la plus extrême du Courant du futur, la plus grande partie de la communauté sunnite a préféré se solidariser avec son leader plutôt qu’obéir aux injonctions anti-Hezbollah des Saoudiens. « MBS a été trop impulsif, estime Karim-Emile Bitar. Maintenant qu’il a compris que son coup d’éclat a renforcé la popularité d’Hariri, il fait machine arrière. » « La rue sunnite a mis en échec le plan saoudien, renchérit Walid Charara, membre du centre de recherche du Hezbollah. MBS doit maintenant trouver une porte de sortie. »

Benjamin Barthe

Le Monde.fr avec AFP | 12.11.2017

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On line : Le président libanais demande à Riyad d’« éclaircir » la situation,

Simon Starling et Maxime Rossi contre les fantômes au MRAC

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Simon Starling et Maxime Rossi à découvrir au MRAC.  Un reflet des temps nouveaux qui tisse des liens alternatifs avec le monde d’hier pour que le courant passe entre les cultures.

Plus qu’un simple reflet du passé, les deux artistes présents au Musée Régional d’Art Contemporain (MRAC) de Sérignan proposent un flirt poussé avec la machine. Ils usent tous deux d’un parcours musical, comme si la meilleure façon de conserver un moment qui semble révolu était de la placer dans l’actualité, dans un temps habité de son et de silence.

« Le travail de Maxime Rossi se plait à convoquer des icônes musicales qui peuplent notre imaginaire collectif « , souligne  Sandra Patron, la directrice du MRAC qui assure le commissariat des deux expositions. Né en 1980 l’artiste parisien dont le travail a été présenté au Palais de Tokyo, au Museo Madre de Naples  ainsi qu’à la Biennale de Sydney en 2014, a conçu Chrismas on Earth Continued spécifiquement pour le MRAC. L’installation s’inscrit dans la lignée du travail que développe l’artiste autour du rapport émotionnel que la musique engage avec le spectateur, des procédés scéniques, et des techniques de sample.

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Chrismas on Earth Continued

Thriller psychédélique
Chrismas on Earth (1963) est l’unique film achevé de la figure légendaire de l’underground américain, Barbara Rubin, inspirée du recueil de poèmes Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud. Une ode à la jeunesse et à ses tourments, au sexe et au Rock’n roll… Dans son installation, Maxime Rossi évoque cet événement qu’il  juxtapose avec le festival Chrismas on Earth continued qui eut lieu en 1967, au cours duquel Pink Floyd reprit le fameux morceau Louie Louie.

« J’ai cherché à faire des connexions entre ces deux événements au coeur de la contre culture des années 60, explique Maxime Rossi, si le festival resta dans les mémoires comme un naufrage commercial, financier, et artistique avec la déchéance physique de Syd Barret et d’Hendrix, il fut aussi l’objet de manipulations politiques. Dans un moment d’intense paranoïa aux Etats-unis, lié au contexte de la guerre froide,  les paroles de la chanson Louie Louie étaient vécues par le FBI comme un vecteur de pornographie. Ce qui n’était pas le cas, mais les agents du FBI ont passé des mois à chercher et retourner le texte de la chanson dans tous les sens pour y trouver un sens obscène. Tant et si bien que face à leur insuccès ils ont fini par inventer des paroles violentes

L’installation invite à une immersion corporelle dans un vaste espace sombre, où se mêlent faits réels, rumeurs colportées et faits alternatifs. Le visiteur pénètre dans un monde hallucinatoire qui reste cependant très référencé. La musique et les images sont mixées dans un système de rotation aléatoire sans fin et sans répétition. L’artiste ayant confié l’écriture spatiale et de sa partition à un ingénieur chargé de la finaliser avec la création d’un algorithme. « Quand on évoque l’époque psychédéliques, on pense souvent à des personnes défoncées mais c’est aussi une esthétique, une présence vague, une chose qui module sans cesse…»

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Simon Starling Photo Jmdi

Ghost stories
L’artiste anglais Simon Starling centre depuis vingt ans son oeuvre sur l’histoire dont il revisite les formes et la façon dont elles mutent à travers les époques et les cultures. Le MRAC propose quatre de ses derniers projets sous le titre A l’ombre du pin tordu.

Au XVIII e siècle l’inventeur Joseph Marie met au point les premières cartes perforées pour les métiers à tisser technique reprise au milieu du XIX par Charles Babbage pour la conception des premiers ordinateurs. Simon Starling qui a du nez, découvre à Turin dans une fabrique de textile un piano et une partition en hommage au son produit par les machines à tisser. De là naîtra  Red Green Blue, Loom music en 2015 à découvrir au 1er étage du MRAC.

Le deuxième projet présenté réinvestit la pièce At the Hawk’s Well montée par le poète dramaturge irlandais W.B Yeat au coeur des horreurs de la Grande guerre. Dans cette pièce se croisent le folklore Irlandais, le mouvement moderniste occidental et le Théâtre Nô. Cette fusion, issue de multiples collaborations inspire At Twilight (au crépuscule). Simon Starling rejoue la vive dramatisation du théâtre Nô en offrant une représentation saisissante des êtres présents qui infusent nos actes et nos pensées.

Avec El Eco, l’artiste nous entraîne au musée de Mexico City où une fresque murale réalisée en 1953 rend hommage à la fête des morts. Une réflexion sur le temps qui passe à travers un saisissant aller-retour entre passé et présent.

Le parcours se conclue en musique avec The Liminal Trio Plays the Golden Door, une installation qui imagine la rencontre possible entre trois musiciens migrants qui ont débarqué d’Europe à Elis Island aux Etats-Unis au début du XXe siècle. Un travail d’une grande force et d’une absolue poésie.

 Jean-Marie Dinh

Au MRAC Occitanie à Sérigan jusqu’au 18 mars 2018.
Rens : 04 67 32 33 05

Source : La Marseillaise 07/11/2017

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