Boualem Sansal « L’univers romanesque permet de s’adresser à tous »

Boilal Sansal  à Montpellier Photo JMDI

Boilem Sansal à Montpellier Photo JMDI

Boualem Sansal. En lice pour le Goncourt, l’auteur algérien fait escale à Montpellier pour présenter son roman « 2084 La fin du monde » fenêtre sur le totalitarisme du big brother islamiste.

L’écrivain algérien francophone Boilem Sansal vit à Boumerdès, près d’Alger. Censuré dans son pays d’origine à cause de sa position très critique envers le pouvoir en place et l’obscurantisme islamiste. Il était l’invité de la librairie Sauramps à Montpellier où il a évoqué son dernier roman 2084* La fin du monde.

Dans 2084, vous reprenez la matrice de 1984 d’Orwell pour offrir un panorama de réflexions sur le totalitarisme islamique. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

La réalité. L’islamisme se propage de manière préoccupante. Sur le plan théorique, il a démarré en 1928 avec la création de l’association des Frères Musulmans et d’une idéologie de reconquête des terres d’Islam puis à travers la volonté d’étendre la prédication à l’ensemble de la planète. Au départ la stratégie reposait sur l’armée et sur un rapprochement avec le peuple. Avec l’idée que la force c’est le peuple, celui qui rendra l’islam invincible. Ensuite ils ont évolué en choisissant de travailler de manière pacifique mais aussi plus insidieuse en empruntant toute une série de techniques au marketing et à la politique, pour conquérir des marchés et des territoires.

A partir de l’Afghanistan on a vu l’islamisme basculer. Cet islamisme radical, a été artificiellement créé par la CIA qui a joué le développement de l’islam comme rempart au communisme afin de préserver l’accès au pétrole. Les Etats-Unis ont trouvé dans cette démarche des alliés très intéressés comme l’Arabie Saoudite et le Qatar. Tout cela est arrivé dans mon pays dans les années 80. On a vu que la démarche commençait par la destruction de l’ordre et de notre manière de vivre.

C’est un roman d’anticipation essentiellement politique. Vous ne décrivez pas d’autres évolutions ?

Un système totalitaire fige la situation. Après la prise du pouvoir, il entre dans une logique nouvelle. Celle de conserver le pouvoir. Et pour cela, met en place une dictature qui efface la langue, la culture, l’histoire, et toutes perspectives d’avenir afin de mettre en place un système carcéral. La pensée des prisonniers s’éteint et finalement, ils ne souhaitent plus être libérés.

Pour l’adversaire à l’obscurantisme déterminé que vous êtes, est-ce que le choix de la fiction permet de mettre en place un appareil critique plus éclairant que l’essai ou l’engagement politique ?

Si vous militez, vous devenez partisan. Par exemple de la démocratie, mais cela reste une vision parcellaire, et du coup, vous ne pouvez pas globaliser votre démarche. Je cherchais à trouver l’élément le plus fédérateur. L’univers romanesque permet de s’adresser à tous. Il transcende les visions partisanes et permet de construire une alliance sacrée contre l’islamisme. L’avantage de la fiction permet peut être de concerner les musulmans tandis que les appels partisans les rebutent parce qu’on critique l’islam qui est une partie d’eux-mêmes.

Quel regard portez-vous sur la révolution de Jasmin et ses suites ?

Connaissant toutes les inhibitions, les freins et les contradictions, religieuses, ethniques, qui traversent ces sociétés, je n’ai jamais cru au Printemps arabe. La démocratie ne se réduit pas au vote. A la base cela suppose une révolution philosophique. Cette révolution ne s’est pas faite dans les pays arabes. On adopte les élections comme on l’a fait en Egypte où en Algérie où les gens ont voté pour Bouteflika. On pourrait dire que c’est une démocratie mais on sait que l’on peut faire voter des ânes et faire élire un âne.

Il semble qu’il se passe quelque chose en Tunisie mais je n’y crois pas à long terme. Les questions fondamentales, comme la religion ou le statut des femmes ne sont pas traitées. La symbolique de la violence reste le pilier de l’Etat, ce qui est propre aux sociétés féodales. Il reste un long chemin, on peut considérer que l’on avance, mais comme on fait un pas en avant un pas en arrière, je n’y crois pas.

La réduction de l’autonomie individuelle passe par le vecteur de la peur, notamment du terrorisme qui conduit l’occident depuis le 11 septembre 2001 à une société sécuritaire. De la même façon, l’intégrisme n’est pas seulement islamique. Ne craignez-vous pas que certaines interprétations de votre livre n’entrent en contact avec l’islamophobie ambiante ?

Lorsque j’écrivais, je voyais à chaque ligne, l’exploitation que l’on pourrait faire de mon travail,  dans le bon et le mauvais sens. La société occidentale se radicalise on est dans l’atmosphère des années 30. L’Europe se délite, les contrôles aux frontières sont rétablis.

Cette question est vraiment centrale, est ce que la crainte que sa parole soit exploitée est une raison suffisante pour ne pas dire ? Est-ce qu’on ne fait pas en sorte de nous empêcher de nous exprimer ? Parce que dès qu’on dit un mot, on peut être taxé de raciste, à l’égard des blancs, des noirs, des islamophobes, des anti européens. Les accusations fusent dans tous les sens.

On dit que tel texte est récupéré par l’extrême-droite mais beaucoup de textes sont aussi récupérés par le discours islamiste. Le fait est, que partout dans le monde on ne peut plus parler. Je pense que comme les gens qui prennent les armes pour leur liberté politique, il y a des gens qui doivent se battre pour leur liberté d’expression quelle que soit l’exploitation que l’on peut en faire. Si j’avais tenu compte de ce paramètre, je n’aurais jamais écrit.

Vous dessinez un islam global, sans marquer la différence entre chiites et sunnites qui est actuellement un enjeu géopolitique majeur…

C’est actuel, mais je situe l’action de mon livre dans un siècle. A la différence de l’islamisme qui n’évolue guère, l’islam lui, évolue. Regardez ce qui s’est passé en trente ans. Tout cela est appelé à changer très vite. Dans un siècle, l’islam pourrait très bien se situer entre  le chiisme, le sunnisme et la démocratie.

Rejoignez-vous la pensée d’Orwell qui préférait les mensonges de la démocratie au totalitarisme ?

Absolument, j’ai un compagnonnage politique de longue date avec Orwell qui a écrit beaucoup de textes en dehors de son oeuvre romanesque. On a différé sur un point, malgré le fait que j’ai été très tenté de le suivre. 1984 s’articule autour d’une histoire d’amour. J’avais envie de reprendre cela mais dans l’environnement de l’islam, cela paraissait très difficile sur le plan de la narration. Comment envisager l’amour dans un pays où des amoureux de 17 ans mettent des mois pour parvenir à se toucher la main ?

Vous concluez votre livre sur une note positive ; le passage d’une frontière…

C’était pour le plaisir. Après une année à mariner dans cet univers carcéral, j’étais fatigué donc je me suis dit : sois un peu optimiste. Et puis cette idée de frontière qui est là bas et qu’il suffit de franchir m’est apparue très romantique. J’ai succombé à cette porte de sortie en me disant que cela ferait plaisir aux lecteurs.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

 2084 édition Gallimard 19,50 euros

Source : La Marseillaise 17/10/2015

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Syrie : Obama traite avec Moscou et s’accommode d’Assad

Vladimir-Poutine-Barack-Obama-750x400Lors d’un entretien lundi, Vladimir Poutine et Barack Obama se sont entendus sur des « principes fondamentaux » pour la Syrie, a déclaré mardi le secrétaire d’Etat John Kerry.

Le renforcement de la présence militaire russe a sans doute amené le président américain Barack Obama à tirer deux conclusions désagréables sur la Syrie: il lui faut traiter avec Moscou et s’accommoder, du moins provisoirement, du maintien au pouvoir de Bachar al Assad. Isolé sur le plan international depuis le début de la crise ukrainienne au printemps 2014, Vladimir Poutine s’est replacé au centre du jeu dans le pays en envoyant chars et blindés près de Lattaquié, une manoeuvre qui inquiète Washington et a certainement poussé le président américain à accepter une entrevue en tête à tête lundi avec son homologue russe.

Lors de cet entretien, le premier en plus de deux ans, Vladimir Poutine et Barack Obama se sont entendus sur des « principes fondamentaux » pour la Syrie, a déclaré mardi le secrétaire d’Etat John Kerry, même si le Kremlin voit dans les divergences persistantes sur l’avenir de Bachar al Assad le signe que les relations entre les deux superpuissances ne sont pas encore au beau fixe. Le président syrien est solidement soutenu pas Vladimir Poutine, qui a estimé lundi à la tribune des Nations unies que ne pas collaborer avec Bachar al Assad contre les djihadistes de l’Etat islamique (EI) était une « énorme erreur ».

Barack Obama a au contraire répété à Vladimir Poutine que la Syrie ne retrouverait jamais sa stabilité si Bachar al Assad, qu’il venait de qualifier de « tyran » à la tribune de l’Onu, devait conserver sa place de président, selon un responsable américain au fait des discussions. Le point de vue du président américain est partagé par la France ou l’Arabie saoudite, dont le ministre des affaires étrangères Adel al Djoubeïr a jugé « inconcevable » le maintien au pouvoir d’Assad dans le cadre d’un règlement politique.

Multiples échecs diplomatiques

John Kerry a passé l’essentiel de ses journées à l’Assemblée générale des Nations unies à tenter de définir une nouvelle voie politique sur la Syrie et d’assembler un nouveau « groupe de contact » après les multiples échecs diplomatiques passés. Un groupe qui s’il émerge, comprendrait probablement la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et un certain nombre d’acteurs régionaux comme l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, qui soutiennent la rébellion anti-Assad.

A la tribune de l’Onu, Barack Obama a ajouté que les Etats-Unis étaient disposés à coopérer avec la Russie et l’Iran pour résoudre le conflit syrien. La possibilité de reconstituer un groupe P5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, Allemagne, France, Royaume-Uni) comme celui qui a négocié avec Téhéran l’accord sur le nucléaire iranien a également été évoquée. John Kerry reconnaît cependant qu’il sera difficile de rassembler toutes ces parties sans accord sur l’avenir de Bachar al Assad.

« Même si le président Obama voulait jouer le jeu (…), il y a 65 millions d’Arabes sunnites entre Bagdad et les frontières de Turquie, de Syrie et d’Irak qui n’accepteront jamais, jamais plus, Assad comme dirigeant légitime », a dit mardi le chef de la diplomatie américaine dans l’émission « Morning Joe » de MSNBC. « Les Russes doivent comprendre qu’on ne peut avoir la paix sans résoudre la question de l’adhésion de la population sunnite », a-t-il ajouté. Les spécialistes de politique étrangère jugent que la meilleure solution serait donc de laisser la question d’Assad de côté, en attendant.

Ils relèvent d’ailleurs qu’en dépit de sa position officielle en faveur du départ du président syrien, Washington dit ne pas voir de moyen d’y parvenir à un coût acceptable et affiche comme première priorité la lutte contre l’EI. « Si le départ d’Assad, la défaite de l’EI et un avenir pacifique pour la Syrie sont l’objectif ultime, n’essayons pas de tout faire en une seule fois », dit Matthew Rojansky, du Wilson Center, groupe de recherches de Washington. Une phase 1 consisterait par exemple selon lui à voir les Etats-Unis et la Russie travailler ensemble à la lutte contre l’EI, même si cela implique provisoirement de renforcer Assad.

« Il peut y avoir une phase 2. Il peut y avoir une phase 5 », ajoute-t-il.

Phil Gordon, coordonnateur jusqu’en avril dernier de la politique de la Maison blanche au Proche-Orient, prônait vendredi dans le magazine Politico « un nouveau processus diplomatique qui mettra autour de la table tous les principaux acteurs extérieurs et débouchera sur un compromis compliqué en vue d’une désescalade du conflit, même si cela oblige à remettre à plus tard la question d’Assad ».

Andrew Harnik

Source Les Echos.fr 30/09/2015

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Argent de l’État islamique : Comment Daech empoche 3 millions de dollars par jour

isis Sur cette photo, les combattants de l’Etat islamique défilent en Syrie. (Reuters)

Sur cette photo, les combattants de l’Etat islamique défilent en Syrie. (Reuters)

Selon les estimations des services de renseignement américains, rendues publiques la semaine dernière, l’Etat islamique (ou Daech) engrangerait jusqu’à trois millions de dollars quotidiennement, ce qui en fait l’une des organisations terroristes les plus riches de l’Histoire.

Le groupe a désespérément besoin de cet argent, étant donné que « la gestion d’un califat n’est pas donnée », selon les termes d’un fonctionnaire américain à la chaîne NBC. L’EI doit armer et nourrir ses brigades, et leur verser une solde. Il verse également une pension aux familles des militants tués, et doit trouver les moyens d’administrer le territoire qu’il a capturé.

C’est d’ailleurs dans le but de les pénaliser financièrement que les Etats-Unis ont intensifié leurs frappes mercredi 24 septembre en Syrie, visant notamment des raffineries contrôlées par Daesh.

Voici d’où le groupe jihadiste tire ses ressources :

1. LES RICHES DONATEURS

Comme tous les autres groupes militants qui combattent en Syrie, l’Etat islamique a d’abord pu compter sur l’argent de riches sympathisants déterminés à soutenir les Sunnites dans leur guerre contre Bachar el-Assad.

La plupart de ces fonds proviennent des pays du Golfe, où des donateurs acheminent des millions vers la frontière turco-syrienne, à destination des combattants islamistes. Les gouvernements de l’Arabie saoudite, du Qatar et du Koweït ont également financé en secret les groupes radicaux sunnites qui combattent el-Assad.

Michael Stephens, directeur du Royal United Services Institute, au Qatar, a récemment déclaré à la BBC qu’à la différence des donateurs qui financent directement l’Etat islamique, les Etats du Golfe soutiennent d’autres groupes, comme le front al-Nosra, Liwa al-Tawhid, Ahrar al-Sham et Jaish al-Isla. Cependant, des militants de ces groupes armés se sont alliés à l’Etat islamique ces derniers mois, et certains ont même rejoint l’organisation — ce qui signifie que l’argent des pays du Golfe parvient indirectement à l’Etat islamique. Pourtant, Stephens a ajouté que ces donations ne représentaient plus qu’un pourcentage infime du financement de l’organisation terroriste. Les fonds proviennent en priorité des impôts auxquels sont soumises les populations des territoires sous contrôle de l’Etat islamique.

2. LES PILLAGES

Depuis le début de son offensive massive en Irak, au mois de juin, l’Etat islamique a réussi à s’emparer d’un territoire à peu près aussi vaste que le Royaume-Uni, à cheval sur l’Irak et la Syrie. Les militants ont pu voler des millions de dollars en liquide et des équipements dans les banques et les installations militaires désertées pendant la campagne, selon l’Associated Press.

« Le travail de collecte de fonds s’apparente à celui des organisations mafieuses », expliquait un officier des renseignements américains à l’AP la semaine dernière. « Il est bien organisé, méthodique et repose sur l’intimidation et la violence. »

3 LA CONTREBANDE ET LES IMPOTS

L’Etat islamique a aussi mis en place un système de taxes dans les territoires qu’il occupe. Le Council on Foreign Relations estime que les entreprises, petites et grandes, y contribuaient déjà à hauteur de plus de huit millions de dollars par mois, avant même que la deuxième plus grande ville du pays, Mossoul, ne tombe dans les mains de l’EI en juin.

On pense par ailleurs que le groupe a récolté des millions of dollars grâce au commerce illégal d’antiquités. Le Guardian a écrit en juin que l’Etat islamique avait empoché au moins trente-six millions de dollars dans une seule province syrienne en vendant des objets vieux de parfois huit mille ans. Dans un édito pour le New York Times, Amr al-Azm, Salam al-Kuntar et Brian Daniels ont écrit que les militants profitaient principalement de cette manne en autorisant les habitants du coin à creuser sur les sites archéologiques avant de prélever une taxe sur les sommes récoltées.

4. LE PETROLE

Le pétrole semble être la principale source de revenus de l’Etat islamique à l’heure actuelle. Les militants extraient du brut dans une douzaine de champs de pétrole dont ils se sont emparés en Syrie et en Irak. Ils l’exportent directement ou l’envoient dans de petites raffineries, avant de l’acheminer par d’anciens chemins de contrebande dans les pays voisins, où il est vendu à bas prix au marché noir en Turquie et, en plus petites quantités, au régime syrien.

Luay al-Khatteeb, professeur adjoint au Doha Center du Brookings Institution, au Qatar, a indiqué au New York Times que les territoires sous le contrôle de l’Etat islamique produisaient actuellement entre 25 000 et 40 000 barils par jour, ce qui pouvait lui rapporter environ 1,2 million de dollars au marché noir.

5. LES KIDNAPPINGS ET LE TRAFIC D’ÊTRES HUMAINS

On estime enfin que l’Etat islamique a récolté des millions grâce au trafic d’être humains et aux rançons. Al-Khatteeb a expliqué à l’Associated Press que l’organisation revendait des femmes et des enfants kidnappés à des marchands d’esclaves.

Les militants ont également obtenu des millions grâce aux rançons payées par les familles et les gouvernements de certains otages. Si les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont annoncé publiquement qu’ils ne paieraient pas les rançons exigées pour libérer leurs ressortissants, plusieurs pays européens ont versé des millions aux ravisseurs. Selon les déclarations récentes de fonctionnaires américains sur NBC, certains gouvernements ont versé des rançons à sept chiffres.

Eline Gordts  |
Source : The Huffington Post 25/09/2014

Lybie. Un pays bientôt coupé du monde

2807-libyeLes Etats-Unis ont évacué le 26 juillet leur ambassade à Tripoli et plusieurs autres pays, dont le Royaume-Uni et la France, ont appelé leurs ressortissants à quitter le pays. Alors que la guerre de l’aéroport fait rage, les tentatives d’apaisement peinent à aboutir.

Les plus durs parmi les miliciens islamistes de Misrata [ville côtière située à 200 km à l’est de Tripoli], conduits par l’ex-membre du Congrès général national (CGN, Parlement) Salah Badi, refusent toutes les tentatives de cessez-le-feu, en prétextant l’attachement aux principes de la révolution du 17 février 2011. « Pourtant, ce Badi n’est pas le saint des saints. Il a été exclu du Parlement pour connivence avérée avec le régime de Kadhafi et il défend aujourd’hui les intérêts du Qatar », rappelle Fatma Ghandour, rédactrice en chef d’Al-Mayadine [journal créé à Benghazi pendant la révolution].En quinze jours de combats, la quasi-majorité de la flotte rattachée à l’aéroport international de Tripoli a été détruite, et les quartiers riverains vivent pratiquement en permanence sous des bombardements intenses [l’offensive Libya Dawn (Aube de la Libye) a été lancée le 13 juillet par la Force de stabilité et de sécurité libyenne, une coalition d’islamistes et de milices de Misrata].Plusieurs dizaines d’habitations et de commerces du quartier de Ben Ghachir [à proximité de l’aéroport] ont été démolis par des tirs d’obus. Deux missiles Grad sont tombés non loin de l’ambassade américaine. La direction de l’aéroport de Tripoli évalue à plus de 90 % le niveau de démolition de l’infrastructure. Les pertes sont évaluées par le gouvernement libyen à plus de 2 milliards de dollars.

« Le complot international se poursuit en Libye
 »

Le pire, c’est qu’en opposition avec les précédents pics de tension les missions de réconciliation ne sont pas parvenues à des solutions viables. Mme Ghandour déplore que « l’unique accord de cessez-le-feu, signé le 17 juillet à la mairie de Tripoli par les anciens chefs de guerre de Zintan [ville de l’ouest de la Libye dont les milices contrôlent l’aéroport depuis 2011] et de Misrata, ceux-là mêmes qui ont libéré Tripoli en août 2011, n’ait jamais été respecté parce que les nouveaux chefs de guerre de Misrata, notamment Salah Badi, ont peur pour leur avenir politique après la défaite des islamistes aux élections du 25 juin 2014 ». « Badi et sa bande veulent outrepasser les résultats des élections. »

Entre-temps, une dernière mission de réconciliation, conduite par le président du Conseil national de transition, Moustapha Abdel Jalil, essaie de rapprocher les belligérants, en exploitant la chute des tensions pendant l’Aïd [fête qui marque la fin du ramadan]. A l’échelle internationale, on ne cesse d’appeler à un cessez-le-feu, que ce soit au niveau des pays arabes ou de l’Union européenne et des Etats-Unis. « Mais personne ne demande fermement au Qatar de freiner ses pions en Libye. Le complot international se poursuit en Libye », regrette Mme Ghandour.

En rapport avec les conséquences de cette gabegie, le chef du gouvernement intérimaire, Abdallah Al-Theni, a été interdit le 25 juillet de partir de l’aéroport de Maitigua [situé dans la banlieue est de la capitale]. Il devait se rendre aux Etats-Unis pour assister au sommet afro-américain [prévu du 4 au 6 août à Washington]. Mais les milices islamistes d’Abdelhakim Belhaj, qui contrôlent l’aéroport et la base aérienne adjacente, ont interdit à la délégation gouvernementale d’embarquer.

Par ailleurs, l’Organisation internationale de l’aviation civile a décrété des interdictions de vol pour les aéroports de Maitigua, Misrata et Syrte à partir du 28 juillet pour des raisons de sécurité. Seuls les aéroports de Labraq (à Al-Baïda) et de Tobrouk [deux villes situées dans l’est du pays] resteront ouverts aux mouvements aériens. Mais au rythme où vont les choses, c’est toute la Libye qui risque d’être mise en quarantaine.

Source El Watan 28/07/14
Voir aussi : Rubrique Actualité Internationale rubrique  Lybie, Quatar,

Gilles Kepel : « La politique française arabe est difficile à décrypter. »

gilles_kepel_photo.1233692599GILLES KEPEL. Le Politologue spécialiste de l’Islam et du monde arabe est à
l’Agora des Savoirs ce soir à 20h30 pour évoquer les révolutions arabes.

 

Gilles Kepel est politologue, spécialiste monde arabe contemporain est professeur des université à Sciences Po Paris

Par quel bout allez-vous aborder la question des révolutions arabes dont la perception des enjeux est pour le moins brouillée pour les citoyens français ?

Face à cette situation complexe il est difficile de comprendre. Je suis allé sur le terrain, entre 2011 et 2013, où j’ai rencontré tous les intervenants politiques de la région dont les dirigeants du Qatar, principaux rivaux de l’Arabie Saoudite pour l’hégémonie du monde arabe sunnite, qui se sont retrouvés fragilisés après la destitution du président égyptien Mohamed Morsi. J’ai rendu compte de cette expérience sous la forme d’un journal* dans lequel je croise ma vision de myope issue de ce parcours, avec mon regard de presbyte, celui du recul sur ce monde que je connais bien.

Ce soir, je vais tenter de présenter la diversité des choses et de mettre un peu d’ordre. En plusieurs partie : la chute des régimes anciens, Irak, Libye, Tunisie, Egypte, et leurs maintient comme au Yemen, au Qatar, ou en Syrie. Je parlerai des guerres civiles de plus en plus islamisées et des guerres abandonnées.

Comment analyser l’appel au dialogue lancé par les Frères musulmans en Egypte ?

Leur position s’est considérablement affaiblie avec la montée en puissance du général Al-Sissi, maître du jeu en Egypte,  qui a bénéficié du soutien de l’Arabie Saoudite. Ils ne peuvent plus compter sur l’aide du Qatar et de la chaîne Al Jezeera qui a perdu, elle aussi, de son influence. Cet appel au dialogue est lié à une perte de popularité. Leur seule ressource est d’apparaître comme une force démocratique même si leur expérience du pouvoir s’avère désastreuse.

De l’aventurisme de Sarkozy en Libye aux déconvenues de Hollande en Syrie, on a le sentiment que  la politique arabe française ne sait pas sur quel pied danser…

Elle est très difficile à décrypter. J’ai le sentiment qu’elle est devenue la propriété d’énarques omniscients et d’idéologues qui souhaitent faire parler d’eux. Cette politique nous vaut peu de considération dans le monde arabe où la voix de la France était respectée

Quels sont les éléments qui permettraient de construire un état de droit dans les pays arabes ?

Un modèle de ce type ne peut se constituer qu’à partir d’une classe moyenne porteuse d’un projet démocratique. Malgré ses turpitudes actuelles, la Tunisie est le pays qui en semble le plus proche.

L’occident qui prêche la démocratie n’est pourtant pas très légitime quand il abandonne les peuples et se discrédite moralement et symboliquement ?

Notre culture dispose d’assez peu de fondement démocratique. Nous sommes face à un processus où les forces souhaitent retrouver la liberté d’expression et s’inscrire dans la citoyenneté. Le monde arabe a beaucoup changé. Il est hétérogène, composé de démocrates et de salafistes, la réalité est entre les deux. Le parachutage d’un modèle démocratique n’a pas de sens sans l’implication des populations.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

* Passion arabe. Journal, 2011-2013, éd Gallimard.

Gilles Kepel à 20h30 centre Rabelais, entrée libre.

Source : L’Hérault du Jour 20/12/2013

Voir aussi :  rubrique  Méditerranée,  rubrique Moyen Orient, Syrie, rubrique  Rencontre, rubrique Livre, Essais On Line : L’Agora des Savoirs