L’écrasante responsabilité de la gauche dans la victoire de Donald Trump

« Il ne reste plus à ceux qui votaient traditionnellement pour [la gauche] qu’à se tourner vers ceux qui s’intéressent (ou font semblant de s’intéresser) à eux et à leurs problèmes » (Photo: les leaders et chefs de gouvernement socialistes européens réunis  à Paris en 1999). JACK GUEZ / AFP

« Il ne reste plus à ceux qui votaient traditionnellement pour [la gauche] qu’à se tourner vers ceux qui s’intéressent (ou font semblant de s’intéresser) à eux et à leurs problèmes » (Photo: les leaders et chefs de gouvernement socialistes européens réunis à Paris en 1999). JACK GUEZ / AFP

Le sociologue Dominique Méda revient à juste titre sur les raisons pour lesquelles la gauche de gouvernement ne devrait pas trop se réjouir du report escompté des voix vers son camp après la victoire de Trump. Il ne s’agit plus de tirer une nouvelle fois les marrons du feux sans rien faire, mais d’assumer et de donner des gages concrets de courage et de responsabilité politique.

Par Dominique Méda, sociologue, professeure des universités

Pourquoi les gauches se font-elles tailler des croupières presque partout dans le monde par des partis qui prétendent mettre au cœur de leurs préoccupations les oubliés, les invisibles, les damnés de la mondialisation, les sans-grade, les déclassés ?

L’énigme semble complète : pourquoi les pauvres et les ouvriers ont-ils voté pour un milliardaire qui ne s’est donné que la peine de naître – un don conséquent de son père lors de son entrée dans la vie adulte lui ayant permis de construire son empire – et non pour la candidate démocrate ?

Pourquoi presque un tiers des Français qui vont voter aux prochaines élections présidentielles, dont de nombreux électeurs issus des classes populaires, s’apprêtent-ils, selon les sondages, à apporter leur suffrage non pas à la gauche, mais à une candidate, Marine le Pen, dont le répertoire idéologique était il y a encore peu aux antipodes de l’anticapitalisme et de la lutte des classes ?

Pourquoi les gauches se font-elles tailler des croupières presque partout dans le monde par des partis qui prétendent mettre au cœur de leurs préoccupations les oubliés, les invisibles, les damnés de la mondialisation, les sans-grade, les déclassés ?

Les droits que nous pensions définitivement acquis

Cela s’explique en grande partie par le fait que la gauche a tout simplement renoncé à mener une politique de gauche et que, dès lors, il ne reste plus à ceux qui votaient traditionnellement pour elle qu’à se tourner vers ceux qui s’intéressent (ou font semblant de s’intéresser) à eux et à leurs problèmes.

Aurions-nous vu le Front national (FN) changer radicalement de fond idéologique, s’intéresser à la classe ouvrière, à la valeur du travail, à la faiblesse des salaires, aux régions ruinées par le départ des usines, à la difficulté de boucler les fins de mois, à la mondialisation, si la gauche avait été fidèle à son héritage idéologique, on n’ose dire à ses valeurs ?

Les victimes de la globalisation, ceux qui ont perdu leur emploi ou se trouvent dans des zones de relégation seraient-ils autant tentés par le discours de Marine Le Pen si la gauche avait continué à défendre l’égalité, l’augmentation des salaires, le développement de l’Etat-providence, la coopération, la réduction du temps de travail, le partage ?

A l’évidence, non. A l’évidence nous n’en serions pas là, à trembler pour la paix et le maintien de droits que nous pensions pourtant définitivement acquis, si, en 1983, au lieu d’accepter de se soumettre à une Europe qui ne parvenait pas à devenir politique, la gauche au pouvoir avait continué à défendre l’intérêt du paradigme keynésien.

Nous n’en serions pas là si, en 1985-1986, la gauche n’avait pas cédé aux sirènes de la libre circulation des capitaux et de l’ouverture des marchés financiers dont même le Fonds monétaire international (FMI) reconnaît aujourd’hui qu’ils sont en train de détruire nos sociétés ; nous n’en serions pas là si la gauche française n’avait pas, année après année, accepté les uns après les autres les renoncements à l’héritage de gauche.

Augmentation insupportable du chômage

Souvenons-nous : la fameuse équité promue en 1994 par le rapport Minc encensé par la gauche ; l’orthodoxie budgétaire pleinement revendiquée par l’actuel Président de la République et qui a conduit à une augmentation insupportable du chômage ; l’abandon dans lequel la gauche a laissé les banlieues depuis trente ans tout en prétendant s’en occuper ; l’obsession de l’équilibre comptable érigé en dogme et objet de la plus grande fierté pendant qu’une partie du pays crève ; le désintérêt complet pour les conditions de travail dont la dégradation saute pourtant tous les jours aux yeux ; le glissement progressif de la gauche vers la condamnation de l’assistanat ; l’incompréhension totale à l’endroit du « Moustachu » (Philippe Martinez), considéré dans les plus hautes sphères de l’Etat comme le Diable ; le refus d’obliger les entreprises mères à assumer la responsabilité des actes de leurs filiales ; la soumission au pouvoir des banques…

Et surtout, la conversion complète – parfaitement mise en évidence dès 1994 dans le livre remarquable de Bruno Jobert et Bruno Théret, Le Tournant néolibéral – des soi-disant élites à l’ensemble du bagage théorique néoclassique, et à ses prêtres, qui nous proposent depuis des années des baisses du smic (alors que le moindre de leur « ménage » leur rapporte un smic en quelques heures), des contrats uniques, des licenciements plus rapides, un démantèlement complet des protections du travail, une baisse des allocations-chômage et des minima sociaux pour que les paresseux reviennent plus vite au travail, et tout cela en des termes trompeurs (qu’on se souvienne de la fameuse « sécurisation »).

Des élites converties au discours que l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) asséné depuis les années 1980 ; des élites de gauche, y compris Obama, qui préfèrent conserver auprès d’eux des économistes champions de la dérégulation (comme Larry Summers) tant la discipline économique semble aujourd’hui dépolitisée.

Soupçon généralisé sur les chômeurs

Souvenons-nous : la trahison de Bill Clinton qui, en 1992, assène qu’il faut « To end welfare as we know it » (« en finir avec l’Etat-providence tel que nous le connaissons ») et met en place, en 1996, une réforme qui pousse les allocataires de minima sociaux à reprendre le travail à n’importe quel prix, plongeant dans la misère ceux qui n’en sont pas capables.

Souvenons-nous : le coup de tonnerre qu’a constitué le Manifeste Blair-Schröder de 1999 dans lequel les deux dirigeants « de gauche » en appellent à en finir avec cette « vieille » gauche, dopée aux dépenses publiques, incapable de croire à l’entreprise et à la compétitivité.

Souvenons-nous des réformes du chancelier allemand Gerhard Schröder, le soupçon généralisé sur les chômeurs qui refuseraient, par pure paresse, de reprendre des emplois (qui n’existent pas), la fusion de l’allocation-chômage et de l’allocation d’assistance, la politique du « bâton » comme si ceux qui avaient perdu leur emploi et ne parvenaient pas en en retrouver un le faisaient exprès. Et, pendant ce temps, l’explosion des inégalités, les fortunes aussi colossales que rapidement acquises, la consommation ostentatoire, la finance folle.

Presque partout, parvenue au pouvoir, la gauche a adopté le paradigme néolibéral, souvent pour montrer qu’elle était capable d’être une aussi bonne gestionnaire que la droite, souvent aussi parce qu’il aurait fallu renverser la table pour mettre en œuvre une autre politique.

Une Europe n’ayant pour seul idéal que le marché

Chaque époque est singulière. Lors du premier septennat de François Mitterrand, peut-être ne savions-nous pas, ne pouvions-nous pas imaginer, qu’une Europe si mal née, une Europe incapable de s’unir sur des accords politiques, une Europe n’ayant pour seul idéal que le marché, ne pourrait pas survivre.

Mais en 2012, les choses étaient bien différentes. Il aurait fallu, au lieu de vouloir à tout prix exercer le pouvoir, sauvegarder au contraire, comme ce qu’il y a de plus précieux, les valeurs de la gauche. Même au risque d’être moqués, au risque d’être considérés comme de mauvais élèves en économie, comme de piètres gestionnaires, il fallait conserver contre vents et marées comme unique boussole la recherche absolue de l’égalité, l’attention pour les ouvriers, les déclassés, les ségrégués, les oubliés, les dominés, les banlieues, les petits salaires, les privés d’emploi et défendre en conséquence le service public, la solidarité, la redistribution.

Il aurait mieux valu ne pas exercer le pouvoir et conserver intact l’espoir de changer un jour la situation plutôt que de l’exercer en singeant la droite, en récupérant l’héritage, les manières de faire, les comportements, l’idéologie de la droite, ce qui conduit aujourd’hui nos concitoyens abandonnés à se jeter dans les bras des seuls qu’ils n’ont pas encore essayés.

Tant que la gauche n’aura pas renoué avec ses principes fondamentaux, ses (improbables) succès électoraux seront autant de victoires à la Pyrrhus, faisant le lit de la droite et de l’extrême droite.

Dominique Méda

Soure Le Monde Idée 13/11/2016

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Brexit : Londres compte enclencher la procédure de divorce avec l’UE début 2017

Le ministre des Affaires étrangères britannique Boris Johnson, lors d'un Conseil de sécurité de l'ONU consacré à la Syrie, à New York (Etats-Unis), le 21 septembre 2016. (TIMOTHY A. CLARY / AFP)

Le ministre des Affaires étrangères britannique Boris Johnson, lors d’un Conseil de sécurité de l’ONU consacré à la Syrie, à New York (Etats-Unis), le 21 septembre 2016. (TIMOTHY A. CLARY / AFP)

Le ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson estime que le Royaume-Uni n’aura pas « nécessairement besoin de deux années » pour quitter l’Union européenne.

Le gouvernement britannique compte activer l’article 50, qui enclenchera formellement le divorce avec l’Union européenne, au début 2017. « Nous discutons avec nos amis et partenaires européens dans l’objectif d’envoyer la lettre de l’article 50 au début de l’année prochaine », a déclaré le ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson, le 22 septembre 2015, à la chaîne Sky News (en anglais) depuis New York, où il assistait à l’assemblée générale de l’Onu.

La Première ministre britannique Theresa May avait déclaré jusqu’ici que son pays ne déclencherait pas l’article 50 avant la fin de l’année. Le déclenchement de cet article est un préalable au démarrage des discussions entre Londres et l’UE sur les conditions de sortie du Royaume-Uni de l’UE et sa future relation avec les 27 Etats restants, censées durer deux ans.

L’UE pousse le Royaume-Uni vers la porte

Mais Boris Johnson, qui a été l’un des hérauts du Brexit, estime que deux années ne seront pas forcément nécessaires. « Dans notre lettre, nous exposerons certains paramètres sur la manière dont nous voulons avancer », a-t-il dit, ajoutant : « Je ne pense pas que nous aurons nécessairement besoin de deux année pleines, mais attendons de voir comme cela se passe ».

A Londres, la Première ministre britannique a reçu en fin d’après-midi le président du parlement européen Martin Schulz qui l’appelée à enclencher cet article le plus rapidement possible. « Cette période de préparation est précieuse pour toutes les parties concernées et si nous allons quitter l’Union européenne, nous ne quittons pas l’Europe », a déclaré Theresa May en accueillant Martin Schulz à Downing Street.

De son côté Martin Schulz a également souligné « que les quatre liberté du marché unique (européen) – biens, capitaux, services et personnes – sont d’égale importance ». Mais Boris Johnson a rejeté l’idée que le Royaume-Uni devra continuer à respecter la liberté de circulation des travailleurs européens s’il veut continuer à avoir accès au marché unique. « Ce sont des bobards », a-t-il affirmé. « Les deux choses n’ont rien à voir. Nous devons obtenir un accord de libre échange tout en reprenant le contrôle de notre politique d’immigration », a-t-il ajouté.

Source AFP 22/09/2016

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Royaume-Uni: Theresa May prête à repousser le Brexit à 2019 ?

La Première ministre britannique Theresa May (à gauche) et la chancelière allemande Angela Merkel, le 20 juillet dernier à Berlin. John MACDOUGALL

Un article du Sunday Times explique que le Royaume-Uni pourrait reporter sa sortie de l’Union européenne à 2019. Un retard causé par les difficultés que rencontre l’administration britannique, mais aussi par les prochaines élections en France et en Allemagne.

Avec notre correspondante à Londres,  Marina Daras

La Première ministre britannique Theresa May avait annoncé qu’elle déclencherait l’article 50 du traité de Lisbonne en janvier ou février 2017, ce qui devait marquer le début de la période de négociations de deux ans au terme de laquelle le pays concerné doit quitter l’Union européenne.

Mais d’après le Sunday Times, certains ministres de son gouvernement auraient d’ores et déjà prévenu en privé de hauts responsables de la City de Londres que les négociations pourraient être repoussées jusqu’à fin 2017, ce qui reporterait le Brexit à fin 2019.

Les raisons de ce retard seraient d’ordre administratif, puisque les équipes ministérielles chargées du commerce international et de la sortie du royaume de l’UE ne sont tout simplement pas prêtes à entamer les négociations.

Au lendemain de sa nomination, Theresa May avait créé un ministère consacré entièrement au Brexit. Mais le ministre en charge, David Davis, n’aurait pour l’instant recruté que la moitié du personnel requis. Liam Fox, le ministre du Commerce international, est lui aussi en manque d’effectifs.

Le Sunday Times ajoute que l’élection présidentielle en France, qui aura lieu au printemps 2017, ainsi que les élections fédérales en Allemagne, prévues pour septembre de la même année, sont également susceptibles de pousser Mme May à retarder le processus.

Prudence du côté de Bruxelles

« Ce ne serait pas la bonne méthode d’imposer un ultimatum au Royaume-Uni », affirme, à Bruxelles, un porte-parole de la Commission européenne. Au lendemain du référendum britannique, les responsables des institutions européennes avaient pourtant été très clairs : le Brexit doit se faire le plus vite possible.

« Nous préférons un déclenchement accéléré, déclare un représentant de la Commission européenne à la correspondante de RFI dans la capitale belge, Laxmi Lota. Déclencher le processus est important car cela permet de clarifier les choses ». Mais, ajoute-t-il, « il n’y a pas de date imposée dans l’article 50, c’est au Royaume-Uni de décider ».

Martin Schulz, le président du Parlement européen, a à nouveau demandé le mois dernier à toutes les parties d’« agir avec une très grande responsabilité ». Le Brexit sera le dossier-clé de la rentrée, confirme la commission. « Nous ne sommes pas uniquement dans une position d’attente, confirme son porte-parole. Nous avons nommé Michel Barnier (commissaire européen au marché intérieur et ancien ministre français de l’Agriculture) comme négociateur et nous préparons les discussions ».

John MACDOUGALL

Source AFP et rfI 14/08/2016

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Les remords de Blair face aux accusations de la commission d’enquête sur la guerre en Irak

4964937_6_6c99_devant-le-centre-de-conferences-ou-devait_14dfa6a3b6a525056cdefca568d7666eLe Royaume-Uni est intervenu en Irak en mars 2003 aux côtés des Etats-Unis alors que Saddam Hussein « ne présentait pas de menace imminente » et que « toutes les alternatives pacifiques (…) n’avaient pas été épuisées ». John Chilcot, le haut fonctionnaire qui préside la commission d’enquête sur les conditions de l’engagement britannique, en a dressé, mercredi 6 juillet, un bilan accablant, en particulier pour le premier ministre travailliste de l’époque, Tony Blair. « Pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, a souligné le rapporteur, le Royaume-Uni a participé à l’invasion et à l’occupation complète d’un Etat souverain. »

Peu après la publication du document, M. Blair s’est exprimé lors d’une conférence de presse : « C’était la décision la plus difficile que j’ai jamais prise, a déclaré Tony Blair. Je l’ai prise de bonne foi. J’en endosse l’entière responsabilité. J’éprouve plus de peine, de regrets et d’excuses que vous pouvez l’imaginer. »

Fort de douze volumes et de 2,6 millions de mots, le rapport Chilcot, rendu public mercredi établit que M. Blair s’est appuyé sur son propre jugement alors que les services de renseignement « n’avaient pas établi de façon incontestable » que Saddam Hussein, le dictateur qu’il s’agissait de renverser, continuait de produire des armes chimiques et biologiques. En particulier, devant la Chambre des communes, le 24 septembre 2002, Tony Blair a présenté « avec une certitude qui n’était pas justifiée [la] sévérité de la menace » posée par ces armes de destruction massive.

Le rapport souligne la docilité du premier ministre à l’égard du président américain Georges W. Bush, et même ses pressions en faveur d’une invasion. Le 28 juillet 2002, dix mois après le 11-Septembre, le premier ministre britannique assurait par écrit le président américain : « Je serai avec vous quoiqu’il arrive. »

Cent soixante-dix-neuf soldats tués en Irak

Or, selon le rapport Chilcot, non seulement Saddam Hussein ne posait pas de menace imminente, non seulement « la stratégie de confinement [poursuivie par les Nations unies] pouvait continuer pendant un certain temps », non seulement « le Royaume-Uni a sapé l’autorité du Conseil de sécurité de l’ONU », mais en plus « les conséquences de l’invasion ont été sous-estimées ». Selon M. Chilcot, le gouvernement britannique « a échoué à prendre en compte l’ampleur de la tâche nécessaire pour stabiliser, administrer et reconstruire l’Irak et les responsabilités qui allaient incomber au Royaume-Uni ». A propos des relations anglo-américaines, le rapport estime qu’« un soutien inconditionnel n’est pas nécessaire lorsque nos intérêts ou notre appréciation diffèrent ».

C’est peu dire que les conclusions du rapport, commandé le 15 juin 2009 par Gordon Brown, successeur de M. Blair à Downing Street, étaient attendues. Les familles des 179 soldats britanniques morts en Irak menaçaient même de poursuites judiciaires en cas de nouveau report. En 2009, au moment du retour des derniers combattants, M. Brown, avait annoncé que les investigations dureraient un an.

Sept ans plus tard, l’enquête était devenue un mauvais feuilleton et son indépendance mise en doute, tant les services du premier ministre ont tenté – finalement en vain – d’empêcher la déclassification de documents, notamment la correspondance entre Tony Blair et George Bush, et tant M. Blair lui-même a multiplié les embûches et les « droits de réponse ». Dans l’intervalle, 120 personnes, dont MM. Blair et Brown ont été entendues, pour un coût de 10 millions de livres (11,7 millions d’euros), l’un des membres de la commission est mort et M. Chilcot lui-même a fêté ses 77 ans.

La publication officielle du rapport a été organisée dans un centre de conférences en face du Parlement de Westminster, en présence de familles des militaires décédés. Certaines envisagent de s’appuyer sur ses conclusions pour lancer des poursuites à l’encontre de Tony Blair. « Il a détruit nos familles. On devrait lui retirer tout ce qu’il possède, témoignait ainsi le père d’un soldat mort au front. Cette guerre était illégale. Mon fils est mort pour rien. »

Devant le centre de conférences où devait être présenté le rapport Chilcot sur l’engagement britannique dans la guerre contre le régime de Saddam Hussein, à Londres, le 6 juillet 2016. Matt Dunham / AP

Devant le centre de conférences où devait être présenté le rapport Chilcot sur l’engagement britannique dans la guerre contre le régime de Saddam Hussein, à Londres, le 6 juillet 2016. Matt Dunham / AP

« Pas d’opinion sur la légalité de l’intervention »

Alors que les Verts et l’aile gauche du Parti travailliste – dont son chef actuel Jeremy Corbyn – militent afin que M. Blair soit poursuivi pour « complicité de crimes de guerre », le rapport « n’exprime pas d’opinion sur la légalité de l’intervention militaire », renvoyant la question à la compétence d’une cour internationale.

Devant le centre de conférence, sur un podium dressé par la coalition « Stop the war », très active en 2003 et dont M. Corbyn a longtemps été le président, un personnage portant un masque de Tony Blair avait pris place entre deux faux juges perruqués. « Blair a menti. Des milliers de gens sont morts », claquait la banderole. « Blair est un criminel de guerre », a lancé Caroline Lucas, la dirigeante des Verts.

Aux Communes, un débat de deux jours sur le rapport Chilcot sera organisé mi-juillet. Mais dès mercredi après-midi, moment traditionnel des questions au gouvernement, le premier ministre démissionnaire David Cameron et le chef contesté du Labour, Jeremy Corbyn, se sont exprimés.

M. Cameron a appelé à « retenir les leçons du rapport » Chilcot. « Il serait faux d’en conclure que la Grande-Bretagne ne doit pas soutenir les Etats-Unis, a-t-il tempéré. Il serait faux d’en conclure qu’une intervention armée ne peut être couronnée de succès. » Le locataire en fin de bail de Downing Street avait reporté la publication du rapport Chilcot au-delà du référendum du 23 juin, pour ne pas perturber le Labour dans la campagne contre le Brexit, mais aussi pour l’affaiblir une fois la victoire passée. Le scénario s’est révélé différent : il a perdu le référendum et le Labour est depuis lors en état de guerre civile.

Une « catastrophe » selon le chef du Labour

Son chef, Jeremy Corbyn, a mis en cause les dirigeants de l’époque pour « tromperie dans l’engagement de la guerre ». « Tous ceux qui ont pris les décisions mises en évidence dans le rapport Chilcot doivent subir les conséquences de leurs actes quelles qu’elles soient », a-t-il ajouté, visant implicitement Tony Blair. « L’invasion et l’occupation de l’Irak ont été une catastrophe, a poursuivi M. Corbyn. Elles ont conduit à casser la confiance dans la politique et dans les institutions. »

Rappelant l’énorme manifestation anti-guerre organisée en février 2003 au Royaume-Uni et dans d’autres pays, le chef du Labour a ajouté : « Pendant que la classe gouvernante se trompait si cruellement, une large partie de notre peuple a eu raison. » Une remarque qui renvoie directement à sa situation actuelle. Jeremy Corbyn, appelé à la démission par 80 % des députés travaillistes en raison de son faible engagement pro-européen dans la campagne contre le Brexit, se maintient en poste en se prévalant du mandat (59,5 %) qu’il a reçu de la base du parti.

Philippe Bernard

Source Le Monde 06/07/2016

 

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George Orwell : « Au niveau international le sport est ouvertement un simulacre de guerre »

92d2bab0-7303-4507-928b-d5449a0c78e0-1020x598 Le Comptoir prend régulièrement la défense du football comme pratique populaire, tout en dénonçant l’influence néfaste du capitalisme sur ce sport. Albert Camus, Antonio Gramsci, Pier Paolo Pasolini ou Jean-Claude Michéa sont de ceux qui nous permettent d’étayer cette position. Pour une fois, nous avons décidé de faire entendre un son de cloche différent, en reproduisant cet article où, en 1945, George Orwell dénonce avec vigueur l’“esprit sportif” et les supporters de foot. Une critique d’une actualité criante en ce début d’Euro 2016 marqué par des actes de violence et de vandalisme.

Maintenant que l’équipe de football du Dynamo est rentrée dans son pays, il est enfin possible de déclarer publiquement ce que beaucoup de gens raisonnables déclaraient en privé avant même son arrivée[i]. A savoir que le sport est une source inépuisable d’animosité et que si une telle visite avait eu un effet quelconque sur les relations anglo-soviétiques, ce ne pouvait être que de les rendre un peu plus mauvaises.

« Je suis toujours stupéfait d’entendre des gens déclarer que le sport favorise l’amitié entre les peuples. »

La presse elle-même n’a pu dissimuler le fait qu’au moins deux des quatre matchs disputés avaient suscité beaucoup d’animosité. Au cours du match contre Arsenal, d’après ce que m’a dit un spectateur, deux joueurs, un Britannique et un Russe, en sont venus aux mains et la foule a hué l’arbitre. On m’a également rapporté que le match de Glasgow n’avait été, du début à la fin qu’une mêlée. Et il y a eu aussi cette controverse typique de notre époque de nationalisme, sur la composition de l’équipe d’Arsenal. Était-ce vraiment une équipe nationale comme l’affirmaient les Russes, ou simplement un club de championnat, comme le soutenaient les Britanniques ? Et est-il vrai que l’équipe du Dynamo a brusquement interrompu sa tournée pour éviter de rencontrer une véritable formation nationale ? Comme d’habitude, chacun répond à ces questions en fonction de ses préférences politiques. Il y a cependant des exceptions. J’ai remarqué avec intérêt, comme une parfaite illustration des passions malsaines suscitées par le football, que le correspondant sportif du russophile News Chronicle avait adopté une ligne antirusse et soutenu qu’Arsenal n’était pas une formation nationale. Il est certain que cette controverse se prolongera des années durant dans les notes en bas de pages des livres d’histoire. En attendant, le résultat de la tournée du Dynamo, si l’on peut parler de résultat, aura été de créer de part et d’autre un regain d’animosité.

Et comment pouvait-il en être autrement ? Je suis toujours stupéfait d’entendre des gens déclarer que le sport favorise l’amitié entre les peuples, et que si seulement les gens ordinaires du monde entier pouvaient se rencontrer sur les terrains de football ou du cricket, ils perdraient toute envie de s’affronter sur les champs de bataille. Même si plusieurs exemples concrets (tels que les jeux olympiques de 1936) ne démontraient pas que les rencontres sportives internationales sont l’occasion d’orgies de haine, cette conclusion pourrait être aisément déduite de quelques principes généraux.

Sport moderne et compétition

« Dès lors que l’on suscite un violent sentiment de rivalité, l’idée même de jouer selon les règles devient caduque. »

Presque tous les sports pratiqués à notre époque sont des sports de compétition. On joue pour gagner, et le jeu n’a guère de sens si l’on ne fait pas tout son possible pour l’emporter. Sur la pelouse du village, où l’on forme les équipes et où aucun sentiment de patriotisme local n’entre en jeu, il est possible de jouer simplement pour s’amuser et prendre de l’exercice : mais dès que le prestige est en jeu, dès qu’on commence à craindre de se couvrir de honte soi-même, son équipe, et tout ce qu’elle représente si l’on est perdant, l’agressivité la plus primitive prend le dessus. Quiconque a participé ne serait-ce qu’à un match de football à l’école le sait bien. Au niveau international le sport est ouvertement un simulacre de guerre. Cependant ce qui est très révélateur, ce n’est pas tant le comportement des joueurs que celui des spectateurs ; et, derrière ceux-ci, des peuples qui se mettent en furie à l’occasion de ces absurdes affrontements et croient sérieusement – du moins l’espace d’un moment – que courir, sauter et taper dans un ballon sont des activités où s’illustrent les vertus nationales.

Même un jeu exigeant peu d’efforts comme le cricket, qui demande plus d’habileté que de force, peut engendrer une grande hostilité, comme on l’a vu à l’occasion de la polémique sur le body-line bowling[ii] et sur le jeu brutal de l’équipe d’Australie lors de sa tournée en Angleterre, en 1921. Mais c’est bien pire encore lorsqu’il s’agit de football : dans ce sport, chacun prend des coups et chaque nation possède un style de jeu qui lui est propre et qui parait toujours déloyal aux étrangers. Le pire de tous les sports est la boxe : un combat entre un boxeur blanc et son adversaire noir devant un public mixte est un des spectacles les plus répugnants qui soient au monde. Mais le public de matchs de boxe est toujours répugnant, et le comportement de femmes, en particulier, est tel qu’à ma connaissance l’armée ne leur permet pas d’assister aux rencontres qu’elle organise. En tout cas, il y a deux ou trois ans, à l’occasion d’un tournoi de boxe auquel participaient la Home Guard et l’armée régulière on m’avait posté à la porte de la salle avec la consigne de ne pas laisser entrer les femmes.

En Angleterre, l’obsession du sport fait des ravages, mais des passions plus féroces encore se déchaînent dans des pays plus jeunes où le sport et le nationalisme sont eux-mêmes des phénomènes récents. Dans des pays comme l’Inde ou la Birmanie de solides cordons de police doivent être mis en place, lors des matchs de football, pour empêcher la foule d’envahir le terrain. En Birmanie, j’ai vu les supporters d’une des équipes déborder la police et mettre le gardien de but de l’équipe adverse hors de combat à un moment critique. Le premier grand match de football disputé en Espagne il y a une quinzaine d’années a été l’occasion d’une émeute impossible à maîtriser. Dès lors que l’on suscite un violent sentiment de rivalité, l’idée même de jouer selon les règles devient caduque. Les gens veulent voir un des adversaires porté en triomphe et l’autre humilié, et ils oublient qu’une victoire obtenue en trichant ou parce que la foule est intervenue n’a aucun sens. Même lorsque les spectateurs n’interviennent pas physiquement, ils tentent au moins d’influencer le jeu en acclamant leur camp et en déstabilisant les joueurs adverses par des huées et des insultes. A un certain niveau, le sport n’a plus rien à voir avec le fair-play. Il met en jeu la haine, la jalousie, la forfanterie, le mépris de toutes les règles et le plaisir sadique que procure le spectacle de la violence : en d’autres termes, ce n’est plus qu’une guerre sans coups de feu.

Aux origines du sport moderne

« Il y a déjà bien assez de causes réelles de conflits sans qu’il soit nécessaire d’en créer de nouvelles en encourageant des jeunes gens à se flanquer des coups de pied dans les tibias sous les clameurs de spectateurs en furie. »

Au lieu de disserter sur la rivalité saine et loyale des terrains de football et sur la contribution remarquable des Jeux olympiques à l’amitié entre les peuples, il faudrait plutôt se demander comment et pourquoi ce culte moderne du sport est apparu. La plupart des sports que nous pratiquons aujourd’hui sont d’origine ancienne, mais il ne semble pas que le sport ait été pris très au sérieux entre l’époque romaine et le XIXe siècle. Même dans les public school britanniques, le culte du sport ne s’est implanté qu’a la fin du siècle dernier. Le Dr Arnold, généralement considéré comme le fondateur de la public school moderne, tenait le sport pour une perte de temps pure et simple. Par la suite, le sport est devenu, notamment en Angleterre et aux États-Unis, une activité drainant d’importants capitaux, pouvant attirer des foules immenses et éveiller des passions brutales, et le virus s’est propagé d’un pays à l’autre. Ce sont les sports les plus violemment combatifs, le football et la boxe, qui se sont le plus largement répandus. Il ne fait aucun doute que ce phénomène est lié à la montée du nationalisme – c’est-à-dire à cette folie moderne qui consiste à s’identifier à de vastes entités de pouvoir et à considérer toutes choses en termes de prestige compétitif. En outre, le sport organisé a plus de chances de prospérer dans les communautés urbaines où l’individu moyen mène une existence sédentaire, ou du moins confinée, et a peu d’occasions de s’accomplir dans son activité. Dans une communauté rurale, un garçon ou un jeune homme dépense son surplus d’énergie en marchant, en nageant, en lançant des boules de neige, en grimpant aux arbres, en montant à cheval et en pratiquant des sports où c’est envers les animaux qu’on se montre cruel, tels que la pêche, les combats de coqs et la chasse des rats au furet. Dans une grande ville, il faut participer à des activités de groupe si l’on recherche un exutoire à sa force physique ou à ses instincts sadiques. L’importance qu’on attache au sport à Londres et à New York évoque celle qu’on lui accordait à Rome et à Byzance, au Moyen Age en revanche, sa pratique, qui s’accompagnait sans doute d’une grande brutalité physique, n’avait rien à voir avec la politique et ne déclenchait pas de haines collectives. Si l’on souhaitait enrichir le vaste fonds d’animosité qui existe aujourd’hui dans le monde, on pourrait difficilement faire mieux que d’organiser une série de matchs de football entre juifs et Arabes, Allemands et Tchèques, Indiens et Britanniques, Russes et Polonais, Italiens et Yougoslaves, en réunissant chaque fois un public de cent mille spectateurs, composé de supporters des deux camps. Bien entendu, je ne veux pas dire par là que le sport soit l’une des causes principales des rivalités internationales ; je pense que le sport à grande échelle n’est lui-même qu’un effet parmi d’autres des causes qui ont engendré le nationalisme. Cependant il est certain qu’on n’arrange rien en envoyant une équipe de onze hommes, étiquetés comme champions nationaux, combattre une équipe rivale, et en accréditant l’idée que la nation vaincue, quelle qu’elle soit, « perdra la face ».

 

J’espère donc que nous ne donnerons pas suite à cette visite du Dynamo et que nous n’enverrons pas d’équipe britannique en URSS. Si l’on ne peut faire autrement, envoyons une équipe de second ordre qui ait toutes les chances d’être battue et qui ne puisse prétendre représenter toute la Grande-Bretagne. Il y a déjà bien assez de causes réelles de conflits sans qu’il soit nécessaire d’en créer de nouvelles en encourageant des jeunes gens à se flanquer des coups de pied dans les tibias sous les clameurs de spectateurs en furie.

George Orwell, « L’esprit sportif », La Tribune, 14 décembre 1945

Notes :

[i] Le Dynamo de Moscou, équipe de football russe, a effectué en 1945 une tournée en Grande-Bretagne et rencontré les principaux clubs de football britanniques.

[ii] Pratique (aujourd’hui interdite) consistant à lancer la balle d’une manière dangereuse pour le gardien de guichet.

Source  : le

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