Un aide de camp tranporte la valise contenant les codes nucléaires, à la Maison Blanche, le 17 juin. YURI GRIPAS / REUTERS
Voté par 122 Etats mais aucune puissance atomique.
« Historique » pour ses promoteurs, « symbolique » pour ses détracteurs : un tout premier projet de traité sur l’interdiction des armes nucléaires a été adopté à l’ONU, vendredi 7 juillet, par 122 pays sur 192.
Le texte de dix pages sera ouvert à la ratification le 20 septembre et entrera en vigueur si cinquante pays le signent. Fondé sur un argument moral – l’emploi de l’arme atomique aurait des « conséquences catastrophiques sur le plan humanitaire » –, il espère mettre les armes nucléaires hors la loi internationale comme le sont les armes biologiques depuis 1972, et les armes chimiques depuis 1993.
L’initiative a été portée par un consortium d’ONG rassemblées dans la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN). « Aujourd’hui, la communauté internationale a rejeté les armes nucléaires et a précisé qu’elles sont inacceptables », se félicite l’ICAN. En préambule, les promoteurs du traité se disent « préoccupés par la lenteur du désarmement nucléaire ». Les ONG soulignent par ailleurs que le texte « crée des obligations pour soutenir les victimes de l’utilisation d’armes nucléaires et des essais, et pour réhabiliter les dommages environnementaux causés par ces armes ».
Initiative prise au sérieux
Parmi les Etats ont été en pointe pour le défendre l’Autriche, le Brésil, le Mexique, l’Afrique du Sud, la Suède, l’Irlande et la Nouvelle-Zélande. Mais aucun des neuf pays détenteurs de la bombe, à savoir les six Etats « dotés » au sens des traités internationaux (Etats-Unis, Russie, France, Royaume-Uni, Chine et Inde), auxquels s’ajoutent les Etats non déclarés (Pakistan, Israël et Corée du Nord), n’a participé aux négociations ouvertes le 27 mars. Cette absence vide le nouveau texte de toute portée réelle.
Les Pays-Bas, seul pays parmi les 29 membres de l’OTAN à avoir suivi les discussions, s’étaient abstenus lors de l’adoption de la résolution préparatoire en décembre 2016, se plaçant dans une position difficile au sein de l’Alliance atlantique. Le pays héberge en effet des armes nucléaires américaines. Il a voté contre le traité vendredi. Le Japon, seul pays victime de frappes nucléaires, n’a pas non plus participé aux négociations.
Symbolique, le texte contribue néanmoins à fragiliser la légitimité de l’arme suprême devant l’opinion publique, et l’initiative est prise au sérieux depuis des mois par les Etats dotés. Dans un communiqué commun, la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont rejeté vendredi un texte qui « méprise clairement les réalités de l’environnement sécuritaire international », au premier rang desquelles la menace nord-coréenne. Le vote de l’ONU intervient trois jours après le premier test par Pyongyang d’un missile intercontinental, qui place désormais l’Alaska à portée d’un tir nucléaire.
« Le désarmement ne se décrète pas »
« Il n’y a rien que je souhaite tant pour ma famille qu’un monde sans arme nucléaire, mais nous devons être réalistes », avait déclaré l’ambassadrice américaine à l’ONU, Nikki Haley, lors de l’ouverture des pourparlers à l’ONU. Ajoutant : « Qui peut croire que la Corée du Nord accepterait une interdiction des armes nucléaires ? »
« Le problème nucléaire nord-coréen est un problème très grave. Mais (…) il faut garder son sang-froid, il faut agir de manière pragmatique et très délicate », a pour sa part déclaré le président russe, Vladimir Poutine, vendredi au G20, à Hambourg. Moscou a bloqué jeudi à l’ONU un projet américain de déclaration appelant à prendre des « mesures significatives » contre la Corée du Nord.
Mettant en avant la force dissuasive de l’arme nucléaire encadrée par le traité de non-prolifération, mais aussi ses efforts en matière de désarmement, Paris estime que « le désarmement nucléaire ne se décrète pas ». Selon le communiqué du ministère des affaires étrangères, « un traité d’interdiction des armes nucléaires risque d’affecter la sécurité de la région euro-atlantique et la stabilité internationale », et il est « susceptible de fragiliser le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, pierre angulaire du régime de non-prolifération ».
Depuis des mois, les forces spéciales françaises font appel à des militaires irakiens pour traquer et éliminer des ressortissants français membres de la hiérarchie de Daech, selon des sources irakiennes et des responsables français, dont certains sont encore en activité. Les officiers irakiens qui commandent les opérations à Mossoul affirment que les forces spéciales françaises ont fourni aux unités irakiennes spécialisées dans la lutte antiterroriste les noms et les portraits de près d’une trentaine d’hommes identifiés comme des cibles prioritaires. Un nombre, pour l’heure inconnu, de ressortissants français ont été tués par l’artillerie et les forces terrestres irakiennes, assure-t-on de même source, grâce à des coordonnées et d’autres informations transmises par les Français.
Cette opération secrète a pour objectif de garantir que les ressortissants français ayant fait allégeance à l’État islamique ne reviennent jamais en France pour y perpétrer des attentats, nous ont confié deux sources proches du ministère français des Affaires étrangères. La France a été frappée par plusieurs attentats meurtriers inspirés par Daech ou commandités depuis les fiefs des militants au Moyen-Orient, y compris ceux de novembre 2015.
Pas d’implication directe des forces françaises
Une porte-parole du ministre français de la Défense s’est refusée à tout commentaire sur l’opération. “Les forces françaises travaillent en étroite coopération avec leurs partenaires irakiens et internationaux, a-t-elle déclaré, quelles que soient les origines nationales”, faisant référence aux 1?200 militaires français qui aident les forces irakiennes à reprendre Mossoul.
Les forces spéciales françaises ne s’impliquent pas directement – la France a aboli la peine de mort –, se contentant d’orienter les combattants irakiens vers les Français membres de Daech, laissent entendre nos deux sources en relation avec le gouvernement français.
Un haut responsable de la police irakienne a montré au Wall Street Journal une liste contenant les noms de vingt-sept personnes censées appartenir à l’État islamique et recherchées par Paris, accompagnée de la photo de cinq d’entre elles. Les forces spéciales françaises ont commencé à faire circuler ce document au début de l’offensive sur Mossoul, l’an dernier. Il est mis à jour au fur et à mesure que ces hommes sont éliminés, nous a expliqué ce responsable.
L’un d’entre eux était identifié sous le nom de “Badouch”, et le document précisait qu’il avait été vu, en juillet 2016, au volant d’une Kia blanche dans le nord de Mossoul, vêtu d’une tenue traditionnelle irakienne. Plusieurs des noms sont des alias qui soulignent qu’ils sont venus de France – Abou Ismaël Al-Fransi et Abou Souleïmane Al-Fransi — ou de Belgique, dont étaient originaires certains des auteurs des attentats de Paris. Le ministre belge de la Défense s’est lui aussi refusé à tout commentaire.
Bagdad nie les assassinats
La France n’est pas équipée de drones armés. Par conséquent, Paris a envoyé ses unités d’élite à Mossoul afin de repérer les militants français, précise un spécialiste occidental de la sécurité.
Une quarantaine de membres des forces spéciales françaises auraient déployé des outils de collecte de renseignements ultramodernes, comme des drones de surveillance et des systèmes d’interception des communications, afin d’aider à localiser les militants, nous a-t-on dit de source tant irakienne que française. “Ils se chargent d’eux là-bas parce qu’ils ne veulent pas avoir à le faire chez eux, commente un officier irakien directement impliqué dans la coordination avec les forces spéciales françaises. C’est leur devoir. Et c’est logique. C’est en France qu’ont eu lieu les attentats les plus meurtriers à l’étranger.”
À Bagdad, on indique toutefois que l’armée irakienne ne participe pas aux assassinats clandestins de combattants de Daech, et que si l’information était avérée elle pourrait entraîner l’ouverture d’une enquête.
1 700 Français dans les rangs de l’EI
Un porte-parole du ministère de la Justice irakien a refusé de dire si le gouvernement détenait des combattants de l’État islamique. Selon les militaires irakiens, la plupart des djihadistes se battent jusqu’à la mort. Une source française proche du dossier explique :
« S’ils sont vivants, en prison, après s’être rendus, ils seront exécutés. En Irak c’est la peine de mort pour les membres de l’État islamique. Et la France n’interviendra pas. C’est une solution plutôt pratique.”
Mille sept cents Français auraient rejoint les rangs de l’État islamique en Irak et en Syrie, selon le Soufan Group, une organisation basée à New York et spécialisée dans l’extrémisme. Le gouvernement français estime que des centaines d’entre eux sont morts au combat ou rentrés en France. D’autres pays occidentaux sont en possession des noms de leurs ressortissants ayant prêté allégeance à Daech. Mais seule la France se mobilise pour les traquer à Mossoul, expliquent des officiers irakiens.
“Peu de cadre légal”
La France a débattu de la légalité de s’attaquer à ses propres citoyens au moment de rejoindre la campagne de bombardement américaine en Syrie à l’automne 2015. Lors d’une frappe aérienne en octobre cette année qui aurait tué des djihadistes français près de Raqqa, le gouvernement a coupé court aux critiques en citant un article de la charte des Nations unies qui autorise le recours à la force en cas de “légitime défense”.
Le droit français et la Constitution offrent peu de protection aux citoyens qui prennent les armes contre le gouvernement, explique Michel Verpeaux, professeur de droit constitutionnel à l’université Panthéon-Sorbonne, à Paris. “Les Français ne se battent pas contre un État mais contre un groupe armé, poursuit-il. C’est une situation très floue avec peu de cadre légal.”
La France souhaitait déchoir de leur nationalité les Français partis combattre avec Daech pour les empêcher de remettre les pieds sur le sol français, une mesure déjà mise en place au Royaume-Uni, mais cette proposition n’avait pas fait l’unanimité.
Selon deux officiers irakiens, des dizaines de djihadistes français ont été tués au cours de la bataille de Mossoul. Cette offensive qui dure depuis sept mois, menée par les forces irakiennes et la coalition internationale, est sur le point de déloger les derniers combattants de l’État islamique de la partie ouest de Mossoul, leur dernière place forte en Irak.
Les forces spéciales françaises circulent souvent dans Mossoul sans être accompagnées par des militaires irakiens. Elles fouillent les maisons abandonnées par des combattants étrangers, ainsi que des centres de commandement, pour trouver des preuves matérielles ou des documents qui font le lien entre leurs ressortissants et l’État islamique, selon deux agents irakiens de lutte contre le terrorisme.
En avril, les forces spéciales françaises ont fait une descente dans un centre médical près de l’université de Mossoul, où ils ont contrôlé l’identité des blessés pour la comparer à la liste des Français qui se battent pour l’État islamique. Les forces françaises, qui portent souvent des uniformes irakiens et conduisent des véhicules portant les insignes militaires irakiens, se préoccupent particulièrement des spécialistes des armes chimiques qui travaillent sur le campus, selon un haut responsable de l’armée irakienne qui coopère avec la France.
L’université de Mossoul était un quartier général de l’État islamique jusqu’à ce que les forces irakiennes ne reprennent le site, en janvier, selon ce chef militaire.
Collecte de preuves
Les forces spéciales françaises ont une équipe médico-légale qui collecte des preuves matérielles – des échantillons de tissus et d’os prélevés sur les morts et les blessés, ainsi que des gobelets et des ustensiles usagés – afin de trouver des traces d’ADN qui correspondent aux hommes recherchés, selon des responsables irakiens et français.
Cette équipe a notamment collecté des échantillons osseux sur un combattant mort pour comparer son ADN à la base de données des Français soupçonnés d’avoir rejoint l’État islamique, selon l’ancien conseiller des affaires étrangères à l’Élysée.
En janvier, quatre membres des forces spéciales ont fait du porte-à-porte dans le quartier. Deux des soldats contrôlaient l’identité des habitants pendant que les deux autres montaient la garde. “Ils ont leurs propres cibles”, a précisé un agent de lutte contre le terrorisme en voyant la scène.
Depuis quelque temps, les forces spéciales françaises concentrent leur énergie sur l’hôpital Al-Jamhuri, un grand complexe situé dans la vieille ville de Mossoul, d’après deux militaires irakiens qui ont travaillé avec elles. La médina, un dédale de rues et d’allées densément peuplées, compte de très nombreux commerces et reste le dernier quartier de Mossoul sous contrôle de l’État islamique.
L’armée française soupçonne que les derniers hauts responsables de l’État islamique, dont plusieurs Français, sont retranchés dans l’hôpital.
RETABLISSEMENT DE LA PEINE DE MORT PAR PROCURATION
Après l’abandon, le 30 mars 2016, du projet de réforme constitutionnelle visant à déchoir les personnes condamnées pour terrorisme de la nationalité française. “Présentée comme un élément clé de la lutte contre le terrorisme, les Français n’ont été informé du pitoyable épilogue de cette histoire confuse : le rétablissement de la peine de mort par procuration !
Crise dans le Golfe. Pourquoi le Qatar est mis au ban par ses voisins
L’Arabie Saoudite et ses alliés, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, l’Égypte et le Yémen, ont annoncé le 5 juin la rupture de leurs relations avec le Qatar, isolant ainsi cette petite monarchie du Golfe, accusée de soutenir des groupes terroristes. Le décryptage de cette crise sans précédent par le quotidien beyrouthin L’Orient-Le Jour.
Le “Sunnistan” [les États arabes sunnites du Golfe] est à nouveau éclaté. L’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, l’Égypte et le Yémen ont rompu le 5 juin leurs relations diplomatiques avec le Qatar. C’est une décision sans précédent qui illustre les nombreuses divisions au sein du “camp sunnite”. Les pays concernés ont annoncé de plus la suspension de toutes les liaisons terrestres, aériennes et maritimes avec l’émirat qui est désormais exclu de la coalition arabe militaire qui intervient au Yémen.
Riyad et ses alliés ont justifié leur décision en accusant le Qatar de soutenir les “groupes terroristes” sunnites, y compris “Al-Qaida, l’organisation État islamique (EI) et la confrérie des Frères musulmans”, mais aussi les “groupes terroristes soutenus par l’Iran dans la province de Qatif”, [région portuaire située à l’est] en Arabie Saoudite. Le Qatar a réagi avec colère en accusant à son tour ses voisins du Golfe de vouloir le mettre “sous tutelle”.
Isoler diplomatiquement l’Iran
La crise sans précédent entre les partenaires du Golfe intervient une semaine après une vive polémique suscitée par des propos attribués à l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani. Ce dernier aurait critiqué la volonté de Riyad d’isoler diplomatiquement l’Iran tout en prenant la défense du Hezbollah et des Frères musulmans. Il aurait également tenu des propos assez négatifs sur les relations entre l’administration de Donald Trump et le Qatar, pourtant un proche allié des États-Unis.
Les autorités qataries ont affirmé avoir été victimes de “hackers” [qui auraient publié fin mai sur l’agence de presse officielle qatarie, QNA, de faux propos attribués à l’émir cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani], mais cela n’a pas empêché Riyad et Abou Dhabi de bloquer, en conséquence, les médias qataris, comme Al-Jazira, sur leurs territoires.
Tensions préexistantes
La récente crise médiatico-politique a rallumé la mèche de la discorde au sein du camp sunnite. Mais elle n’a fait que révéler les tensions préexistantes entre d’une part le Qatar et d’autre part Riyad et ses alliés, dont les stratégies sur la scène régionale sont souvent en compétition.
Riyad a fait du containment iranien son principal objectif dans la région. Plus qu’une politique, c’est une véritable hantise pour le royaume wahhabite qui craint que l’Iran accroisse son influence dans toute la région et déstabilise les régimes du Golfe en encourageant la révolte des populations chiites. Doha n’est clairement pas sur la même longueur d’ondes puisqu’il ne considère pas Téhéran comme un ennemi, encore moins comme un ennemi prioritaire. Doha refuse de couper tous les ponts avec Téhéran et continue d’entretenir des relations diplomatiques avec ce dernier. Le Qatar était par exemple en première ligne ces derniers mois pour négocier l’évacuation des populations civiles syriennes au sein des deux camps avec les milices chiites pro-Téhéran.
Riyad et ses alliés reprochent également à leur voisin de soutenir les groupes islamistes, voire djihadistes, sunnites, dans la région. Doha refuse de placer les Frères musulmans sur la liste des groupes terroristes et continue d’apporter un soutien à plusieurs groupes islamistes, proches de la confrérie, notamment en Libye et en Syrie. Abou Dhabi et Le Caire, qui considèrent pour leur part les Ikhwan [Frères musulmans] comme l’ennemi absolu, entretiennent des relations très tendues avec le Qatar depuis déjà plusieurs années. En chef de file du camp sunnite, le roi Salmane d’Arabie Saoudite, moins hostile que son prédécesseur à la confrérie, arbitrait jusqu’à récemment les conflits entre ces différents États. Mais, conforté dans sa ligne anti-iranienne par les récents discours du président américain Donald Trump, Riyad semble avoir décidé qu’il n’était plus question de tolérer la moindre dissidence au sein du “Sunnistan”.
Faire plier Doha
Le projet de Donald Trump de créer un Otan arabe, qui aurait vocation à combattre l’extrémisme sunnite comme chiite, ressemble aujourd’hui plus que jamais à un mythe. Les pays arabes sunnites ne parviennent pas à s’entendre autour d’une stratégie commune et Riyad n’est toujours pas parvenue à imposer totalement son leadership aux autres puissances.
Le Qatar, émirat aux moyens importants, notamment en gaz et en pétrole, mais qui reste un petit pays dans la région, apparaît néanmoins aujourd’hui plus isolé que jamais. Il ne peut même pas vraiment compter sur la Turquie, dont la politique n’est pourtant pas si éloignée, mais dont la priorité est aujourd’hui donnée au combat contre les Kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et leurs satellites dans la région [le président turc Recep Tayyip Erdogan a néanmoins appelé le 6 juin à résoudre la crise par les négociations et le dialogue].
Le rapport de forces est clairement à l’avantage de Riyad et de ses alliés, qui vont faire pression pour faire plier Doha. Par tous les moyens.
Anthony Samrani
Source L’Orient du jour
RIYAD POURRAIT FOMENTER UN COUP D’ETAT AU QUATAR
L’émir du Qatar, Cheikh Tamim bin Hamad Al-Thani, dans le palais royal, le 3 août 2015, à Doha. PHOTO / BRENDAN SMIALOWSKI / REUTERS
Plus le temps passe, plus les Saoudiens seront tentés par le recours à des solutions radicales pour faire plier Doha. L’enjeu pour eux : maintenir leur crédibilité de puissance régionale.
Et ils sont condamnés à ne pas répéter le scénario de 2014, quand ils avaient déjà exigé du Qatar la fermeture de la chaîne de télévision Al-Jazira : Or le Qatar avait refusé d’obtempérer, mettant ainsi en évidence aux yeux de tout le monde les limites de la puissance de ces deux pays.”
Aujourd’hui, à nouveau, “plus le temps passe, plus la situation devient compliquée”, les deux pays risquant de perdre la face après avoir mis la barre très haut.
Ils doivent donc absolument réussir à contraindre le Qatar à mettre genou à terre. En dernier recours, ils pourraient chercher d’autres moyens pour y parvenir, y compris un changement de régime, que ce soit par une invasion ou en fomentant un coup d’État.”
Le ministre des Affaires étrangères émirati a certes déclaré le 6 juin que le but de son pays était d’imposer au Qatar “un changement de politique et non pas un changement de régime”, comme l’a rapporté la presse d’Abou Dhabi. Mais des médias émiratis et saoudiens envoient également d’autres signaux.
Opération médiatique
Aussi bien le journal saoudien Al-Hayatque celui des Émirats The Nationalavaient ainsi, dès le début de la crise, parlé d’un prince de la famille régnante du Qatar, Cheikh Saoud ben Nasser Al Thani, qui aurait l’intention de “retourner dans son pays pour y créer un parti d’opposition”.
De même, le journal saoudien donne la parole à l’ancien chef des services secrets du Qatar, Mahmoud Mansour, visiblement prêt à se mettre au service des Saoudiens. Selon lui, les dirigeants du Qatar devraient comparaître devant la justice internationale pour leur politique “criminelle de soutien à des fauteurs de troubles”.
En effet, non seulement Doha apporterait son soutien aux Frères musulmans, mais, à en croire ses allégations, il pourrait même “avoir donné l’asile à Abou Bakr Al-Baghdadi”, le ‘calife’ de l’organisation État islamique (Daech).
Des déclarations qui sonnent, en effet, comme une opération médiatique destinée à justifier un droit d’ingérence régionale.
La diplomatie française redouble d’efforts pour tenter d’apaiser les tensions entre Riyad et Doha.
Appels au dialogue, rencontres, tentatives de médiation, la France multiplie les gestes en vue de rapprocher les points de vue entre le Qatar d’une part, l’Arabie saoudite et ses alliés de l’autre. Hier encore, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, annonçait qu’il allait s’entretenir par téléconférence avec le président français Emmanuel Macron et l’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani.
Dès le lendemain de la crise, qui a éclaté lundi dernier, la France s’est mise en ligne de front pour appeler au dialogue entre les frères ennemis. Le président français s’est entretenu avec ses homologues turc et qatari une première fois. À la suite de cette conversation téléphonique, le porte-parole du Quai d’Orsay a souligné que la France est « aux côtés des pays de la région dans l’intensification nécessaire de la lutte contre les groupes terroristes, leurs soutiens et leur financement ». Et pas plus tard qu’il y a deux jours, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a reçu son homologue qatari à Paris pendant la tournée européenne de ce dernier. Le ministre des Affaires étrangères de l’émirat, cheikh Mohammad ben Abdel Rahman al-Thani, a pour sa part affirmé que M. Macron a été « très actif dans la communication entre les différentes parties de cette crise (…) et la France parle aux gouvernements en faveur d’une désescalade ». Plus tôt, M. Le Drian avait également rencontré le chef de la diplomatie saoudienne, Adel al-Jubeir.
Ne pas souffler sur les braises
La France est sur tous les fronts diplomatiques de la crise, aux côtés de la Turquie et du Koweït, pour le séisme le plus grave dans la région depuis la création du Conseil de coopération du Golfe (CCG), en 1981 (à l’exception de l’épisode de l’occupation du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein, en 1990, et de la guerre du Golfe qui en a découlé).
« La France, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, a des responsabilités particulières au sein du groupe européen », précise Frédéric Charillon, professeur des universités en science politique et spécialiste des relations internationales. Dans ce coin stratégique du globe, elle est « sans doute l’une des puissances les mieux placées parmi les membres du Conseil de sécurité pour aider à renouer le dialogue », estime le chercheur. Par ailleurs, Paris « n’a aucun intérêt à souffler sur les braises », ajoute-t-il.
Et pour cause, au-delà de la sphère géopolitique, le Qatar présente un intérêt économique majeur pour la France. Au-delà de ses acquis fortement médiatisés dans le monde sportif (le PSG), le petit émirat a investi dans de nombreux domaines divers. Luxe, immobilier, commerce ou encore médias, Doha semble être presque partout. À noter que la France est le deuxième bénéficiaire des investissements qataris après le Royaume-Uni. La relation privilégiée avec Doha se renforce durant le mandat de Nicolas Sarkozy, aux dépens de l’Arabie saoudite. Par la suite, si François Hollande mène une politique autrement plus balancée entre Riyad et Doha, les relations entre le richissime Qatar et la France restent bonnes. La vente de 24 Rafale au petit émirat en 2015 menée par Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense à l’époque, souligne « la constance, la fiabilité, la crédibilité de la France », selon M. Hollande. Autant d’éléments avec lesquels le nouveau président français va devoir conjuguer.
Apaiser les tensions
Mais au-delà des sphères économiques, la crise entre le Qatar, l’Arabie saoudite et ses alliés représente une étape majeure pour Emmanuel Macron. Arrivé à la présidence il y a un mois jour pour jour, ses premiers pas sur le devant de la scène diplomatique moyen-orientale sont observés à la loupe, surtout par les pays de la région. Il porte un lourd poids sur ses épaules alors qu’il avait annoncé durant la campagne présidentielle vouloir « mettre fin en France aux accords qui favorisent le Qatar » et avait reproché au quinquennat de Nicolas Sarkozy d’avoir été trop « complaisant » à l’égard de Doha « en particulier ». L’ancien banquier va devoir prouver ses capacités de négociation pour ramener les pays frères autour de la même table. Tâche difficile alors que le chef de la diplomatie koweïtienne, cheikh Sabah al-Khaled al-Sabah, rappelait dimanche « l’inéluctabilité de résoudre la crise dans le cadre du Golfe ».
« Paris ne pourra naturellement pas régler seul un différend qui est d’abord l’affaire de pays arabes », note M. Charillon. « Emmanuel Macron peut réaffirmer la volonté de la France d’aider à apaiser les tensions de la région, et tenter de proposer de nouvelles méthodes. Mais le Moyen-Orient nous a appris à être prudents et humbles », conclut le chercheur.
Entretien. Ferhat Aït Ali, économiste : “Doha a les moyens de résister”
Avec ses ressources économiques, ses relations diplomatiques et ses liens supposés avec les djihadistes, le petit émirat peut tenir tête à l’Arabie Saoudite, affirme l’économiste algérien Ferhat Aït Ali dans les colonnes du Temps d’Algérie.
Le Temps d’Algérie : Plusieurs sanctions économiques ont été prises à l’encontre du Qatar par l’Arabie Saoudite et ses alliés. Selon vous, quelles seront les répercussions économiques immédiates sur le Qatar ?
Ferhat Aït Ali : Le Qatar, émirat gazier par excellence et pays à faible densité démographique, qui n’a pas de besoins en infrastructures de base sur des distances importantes – mais qui n’a pas énormément investi sur son territoire par rapport aux émirats dont la plus grande part des investissements est nationale, et aux Saoudiens, dont les budgets explosent –, n’est pas, dans l’immédiat, dans une posture pire que celle de ses adversaires. Avec des rentrées annuelles à peu près équivalentes à celles de l’Algérie, il peut vivre avec des dépenses bien inférieures à celles de ses voisins, et sur des réserves généralement bien placées et rentables. Il aura certainement des surcoûts dus aux nouvelles distances à franchir pour s’approvisionner, mais il pourra éventuellement compter sur la Turquie, le Koweït, et même Oman, pour servir de relais ou de passages vers des marchés extérieurs?; il pourra aussi se rabattre sur des pays comme le Pakistan ou l’Inde, tout proches par voie maritime, pour contourner l’embargo saoudien qui ne vaut que vers l’ouest.
Le Qatar pourra donc résister économiquement. Mais combien de temps ?
Il pourra résister assez longtemps pour voir ses adversaires soit réguler leurs passions, soit partir vers une aventure militaire qui coûtera cher à toutes les parties. Cet émirat, ne l’oublions pas, a des alliés assez puissants, dont les États-Unis, qui jouent un double jeu dans cette affaire.
Le Qatar peut également jouer la carte de ces fameux terroristes qu’on le soupçonne de soutenir, en en activant toutes les cellules dormantes s’il est directement attaqué. Économiquement, il aura toujours des débouchés pour écouler son gaz, et des fonds pour approvisionner son économie et se défendre le cas échéant?; de ce côté, il a de quoi tenir longtemps encore.
Quel sera le poids de cette crise sur l’Opep ?
Dans l’immédiat, l’impact semble être nul dans les deux sens, vu la perte de poids de l’Opep [Organisation des pays exportateurs de pétrole] et de ses membres sur les marchés pétroliers et les nouvelles technologies qui permettent de les contourner petit à petit. L’émirat est un État gazier par vocation, et cette ressource n’étant pas liée au pétrole sur les marchés,même les cours du gaz ne s’en sont pas ressentis. Par contre, un retrait du Qatar de l’accord actuel [sur les quotas de production], bien que sans incidence majeure sur les quantités de pétrole qu’il pourrait injecter en plus – 30?000 barils/jour –, pourrait représenter une incitation pour les autres pays à se débarrasser d’un accord qui les gêne, car sans grands résultats sur les prix. Cela pourrait alors tourner à la débandade au sein de l’organisation et sur les marchés.
Le fait que le Qatar se rapproche de l’Iran est très mal perçu notamment par l’Arabie Saoudite, mais aussi par les États-Unis évidemment. À quoi doit-on s’attendre ?
À part l’Arabie Saoudite, qui a fait de la guerre contre le chiisme une sorte de nouveau cheval de bataille dans sa tentative de leadership sur le monde musulman, aucun État n’a jamais réellement rompu avec l’Iran, même pas Israël.Et le Qatar ne peut pas se le permettre, en plus d’entrer en conflit, direct ou larvé, avec une puissance qui se trouve juste en face de lui et qui partage sa seule ressource, le gaz, sur des champs limitrophes aux contours indéfinis.
Des relations apaisées avec ce pays, quel que soit son régime ou son dogme religieux, sont une nécessité vitale pour cet émirat, et jamais l’Arabie Saoudite ne lui a demandé de cesser ces relations, jusqu’à l’avènement messianique du roi Salmane. Si le Qatar faisait quoi que ce soit qui déplaise effectivement aux Américains, ces derniers l’auraient déjà rappelé à l’ordre.
Source Le Temps d’Algérie 16/06/2017
AUCUNE ISSUE RAPIDE A L’HORIZON DE LA CRISE SAOUDO-QATARIE
Les Libanais du Qatar, à l’instar des nombreuses autres communautés d’expatriés dans le pays, s’inquiètent de la tournure de la crise qui sévit actuellement entre l’Arabie saoudite et ses alliés, d’une part, et le Qatar, d’autre part. Il faut dire que la communauté libanaise est forte de 35 000 personnes et qu’elle envoie annuellement au Liban un total de 54 millions de dollars.
L’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, a en effet rejeté une invitation du président américain Donald Trump à se rendre à Washington pour prendre part à une réunion de médiation entre l’émirat et l’Arabie saoudite, même si, selon certaines informations, il craindrait également d’être victime d’un coup d’État. Doha continue également de soutenir que toutes les accusations de soutien au terrorisme faites par Riyad et ses alliés sont « infondées », et, de source diplomatique, on estime désormais que la crise s’est installée dans un « tunnel obscur » dont l’issue est à l’heure actuelle très peu claire.
Il faut également ajouter à ce sombre tableau la chute la plus raide du riyal qatari depuis 1999, puisque même si, dans les faits, la monnaie de l’émirat n’est passée que de 3,64 à 3,65 face au dollar, il n’en reste pas moins que c’est là un indice peu prometteur de l’évolution de la situation. Les experts s’attendent à une nouvelle dégringolade dans le cas où la crise s’inscrirait dans la durée.
Sur le plan économique, les pénuries de produits en provenance d’Arabie commencent à se faire ressentir, et c’est désormais l’Iran et la Turquie qui ont proposé de prendre le relais afin que le pays reste à flot en matière de denrées alimentaires et de produits de première nécessité.
Décrypter Emmanuel Macron à travers Tocqueville est un exercice édifiant. On découvre ainsi un authentique idéologue, bien loin du pragmatisme simpliste dans lequel on l’enferme.
Emmanuel Macron est tout sauf un aventurier de la politique. C’est un penseur qui agit avec méthode et semble s’inspirer en toutes choses de Tocqueville. Pour le meilleur et au risque du pire.
Beaucoup voudraient réduire la victoire d’Emmanuel Macron à une simple aventure personnelle et ramener son succès à un étonnant concours de circonstances. Même si la chance, le caractère, l’ambition sont toujours des éléments déterminants dans la réussite, ils ne font en vérité pas tout. Bref, le macronisme n’est pas un simple opportunisme. Inutile également de s’ébahir, comme beaucoup, sur les vertus intellectuelles de cet homme et l’ampleur de sa culture. Elles sont indéniables mais, pour ceux qui ont la mémoire courte, la France a connu dans le passé des présidents, à l’exception sans doute de ses deux prédécesseurs, tout aussi voire plus brillants. Il est donc vain de comparer ses qualités et ses défauts avec celles des hommes qui ont occupé l’Elysée avant lui. Il n’en demeure pas moins qu’Emmanuel Macron a fréquenté tout au long de sa formation, notamment auprès du philosophe Paul Ricoeur, de grands auteurs, en particulier Alexis de Tocqueville, à la fois comme penseur du libéralisme et surtout de la démocratie.
Décrypter Emmanuel Macron à travers Tocqueville est un exercice édifiant. On découvre ainsi un authentique idéologue, bien loin du pragmatisme simpliste dans lequel on l’enferme. Macron a une stratégie fondée sur une analyse politique profonde inspirée de la quatrième partie de l’œuvre phare de Tocqueville » De la démocratie en Amérique » intitulée » Regard sur le destin politique des sociétés démocratiques. «
Les risques du corps social en poussière
Ce texte consacré aux » effets politiques que produit l’égalité des conditions voulue par la démocratie » éclaire la lecture politique que le nouveau chef de l’Etat fait du pays et les conséquences qu’il en a tirées pour conquérir le pouvoir et, désormais, pour l’exercer. Emmanuel Macron a deviné avec brio que notre démocratie entrait dans une phase nouvelle née de l’échec des idéologies de droite et de gauche dans le redressement économique et social du pays. Il a réalisé que la France était proche de ce désordre qui, écrit Tocqueville, » réduit tout à coup le corps social en poussière « . Cette analyse s’est vérifiée dans les résultats du premier tour avec la forte poussée des extrêmes, de l’abstention et du vote blanc ou nul.
Cette situation est l’expression claire que les citoyens ont perdu confiance dans les forces politiques traditionnelles. Leur faillite aurait pu, au demeurant, précipiter le pays dans l’anarchie. Imaginons un seul instant une victoire de Marine Le Pen ! La France serait, aujourd’hui, plongée dans un effroyable climat de tensions. Emmanuel Macron a préempté ce danger et compris, comme l’explique Tocqueville, que le peuple est lucide et sait résister à cette pente dangereuse dans les sociétés démocratiques. En général, il choisit donc l’autre voie ainsi décrite il y a bientôt deux siècles mais d’une actualité étonnante : » Les hommes de nos jours sont moins divisés qu’on ne l’imagine ; ils se disputent sans cesse pour savoir dans quelles mains la souveraineté sera remise ; mais ils s’entendent aisément sur les droits et les devoirs de la souveraineté. Tous conçoivent le gouvernement sous l’image d’un pouvoir unique, simple, providentiel et créateur. «
Une centralisation du pouvoir qui coupe les ponts entre la base et le sommet
On ne peut mieux décrire le projet qui se développe sous nos yeux. Emmanuel Macron a compris que les échecs répétés des partis dits de gouvernement étaient le terreau d’un désordre qui provoquerait une réaction positive, notamment l’espoir de voir surgir un homme nouveau, imaginatif, inspiré, autoritaire et tenant d’un rapport direct avec le peuple. Bref tout ce qu’il a mis en œuvre tout au long de sa campagne et qu’il installe à présent au sommet de l’Etat.
C’est, en effet, un pouvoir fort que nous découvrons au fil des jours. On réduit trop la méthode Macron à l’art du marketing ou de la communication. Une philosophie du pouvoir l’anime que Tocqueville a parfaitement décrite : » La vie privée est si active dans les temps démocratiques, si agitée, si remplie de désirs, de travaux, qu’il ne reste plus d’énergie ni de loisirs à chacun pour la vie politique[…] L’amour de la tranquillité publique est souvent la seule passion politique que conservent ces peuples, et elle devient chez eux plus active et plus puissante, à mesure que toutes les autres s’affaissent et meurent ; cela dispose naturellement les citoyens à donner sans cesse ou à laisser prendre de nouveaux droits au pouvoir central, qui seul leur semble avoir l’intérêt et les moyens de les défendre de l’anarchie en se défendant lui-même… «
C’est bien ce que nous vivons depuis qu’Emmanuel Macron a déposé ses valises à l’Elysée. Soulagé d’avoir évité le pire, le peuple s’en remet à son nouveau Prince trop heureux de pouvoir développer sa toute puissance. Toutes ses décisions, ses faits, ses gestes témoignent de sa volonté de centralisation du pouvoir. Il se dresse en chef militaire et même en guerrier lorsqu’il transforme le ministère de la Défense en ministère des Armées. Plus qu’un symbole, un acte d’autorité. Il balaie également l’idée de pouvoirs secondaires entre lui et les citoyens. L’ordre donné à ses ministres de renoncer à leurs mandats locaux en est la traduction. Cette idée simple, voire simpliste, naturellement plaît. Elle est conforme à l’esprit de la loi sur le non cumul des mandats. Bref, elle est dans l’air du temps. Pourtant elle consiste à couper les ponts entre la base et le sommet en charge de tout, notamment de l’égalité et d’une législation uniforme pour en respecter le principe.
Dormez braves gens…
Etrange utopie qui réduit la diversité des points de vue pour les placer sous la seule tutelle présidentielle. Le recours aux ordonnances, notamment pour la réforme du droit du travail, traduit également la volonté de court-circuiter les pouvoirs intermédiaires disqualifiés au nom d’un principe d’efficacité séduisant pour le peuple au regard des trente dernières années. Autre symptôme de cette centralisation du pouvoir autour du seul président : le choix par l’Elysée des directeurs de cabinets des ministres sommés en outre de ne jamais sortir du rang. Dernière exemple, cette volonté sans précédent du chef de l’Etat de désigner soi-même ses interlocuteurs dans les médias et les journalistes autorisés à le suivre. L’objectif est évident, si bien décrit par Tocqueville : faire en sorte que les citoyens s’inclinent devant un Etat seul en charge de tous les détails du gouvernement.
La vision qu’a Emmanuel Macron du paysage politique futur est à l’unisson. Il l’a décrite sans détour sur RTL avant le second tour : d’un côté, ce qui est on ne peut plus légitime, une majorité présidentielle soudée, pour éviter les couacs désastreux de la période Hollande ; de l’autre, le Front national. De Gaulle disait en 1965 » Moi ou le chaos « , Macron a été élu sur le slogan » Moi ou l’extrême droite » et entend l’utiliser à présent pour régner et mettre de fait le principe démocratique de l’alternance en pointillés. La tactique » macronienne » rejoint ici l’analyse de Tocqueville : » Lorsque je songe aux petites passions des hommes de nos jours, à la mollesse de leurs mœurs, à l’étendue de leurs lumières, à la pureté de leur religion, à la douceur de leur morale, à leurs habitudes laborieuses et rangées, à la retenue qu’ils conservent presque tous dans le vice comme dans la vertu, je ne crains pas qu’ils rencontrent dans leurs chefs des tyrans, mais plutôt des tuteurs. «
Ce tutorat n’a rien de despotique. Nos contemporains ne sauraient, cependant, en trouver l’image dans leurs souvenirs. L’expérience est inédite et chacun a envie de croire à sa réussite. Elle ressemble certes à la cohabitation que les Français ont toujours apprécié mais sans la tension partisane au sein même du pouvoir exécutif. Après avoir été secoués de droite et de gauche, les électeurs ont envie de calme, certes toujours libres mais appréciant d’être conduits par un pouvoir national rassembleur, tempéré et tutélaire. Dormez braves gens… Exactement ce que leur propose Emmanuel Macron. Ce qui devrait, en bonne logique, les conduire à lui donner les moyens d’exercer pleinement son tutorat à l’issue des élections législatives.
L’Arabie Saoudite et ses alliés, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, l’Égypte et le Yémen, ont annoncé le 5 juin la rupture de leurs relations avec le Qatar, isolant ainsi cette petite monarchie du Golfe, accusée de soutenir des groupes terroristes. Le décryptage de cette crise sans précédent par le quotidien beyrouthin L’Orient-Le Jour.
Le “Sunnistan” [les États arabes sunnites du Golfe] est à nouveau éclaté. L’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, l’Égypte et le Yémen ont rompu le 5 juin leurs relations diplomatiques avec le Qatar. C’est une décision sans précédent qui illustre les nombreuses divisions au sein du “camp sunnite”. Les pays concernés ont annoncé de plus la suspension de toutes les liaisons terrestres, aériennes et maritimes avec l’émirat qui est désormais exclu de la coalition arabe militaire qui intervient au Yémen.
Riyad et ses alliés ont justifié leur décision en accusant le Qatar de soutenir les “groupes terroristes” sunnites, y compris “Al-Qaida, l’organisation État islamique (EI) et la confrérie des Frères musulmans”, mais aussi les “groupes terroristes soutenus par l’Iran dans la province de Qatif”, [région portuaire située à l’est] en Arabie Saoudite. Le Qatar a réagi avec colère en accusant à son tour ses voisins du Golfe de vouloir le mettre “sous tutelle”.
Isoler diplomatiquement l’Iran
La crise sans précédent entre les partenaires du Golfe intervient une semaine après une vive polémique suscitée par des propos attribués à l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani. Ce dernier aurait critiqué la volonté de Riyad d’isoler diplomatiquement l’Iran tout en prenant la défense du Hezbollah et des Frères musulmans. Il aurait également tenu des propos assez négatifs sur les relations entre l’administration de Donald Trump et le Qatar, pourtant un proche allié des États-Unis.
Les autorités qataries ont affirmé avoir été victimes de “hackers” [qui auraient publié fin mai sur l’agence de presse officielle qatarie, QNA, de faux propos attribués à l’émir cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani], mais cela n’a pas empêché Riyad et Abou Dhabi de bloquer, en conséquence, les médias qataris, comme Al-Jazira, sur leurs territoires.
Tensions préexistantes
La récente crise médiatico-politique a rallumé la mèche de la discorde au sein du camp sunnite. Mais elle n’a fait que révéler les tensions préexistantes entre d’une part le Qatar et d’autre part Riyad et ses alliés, dont les stratégies sur la scène régionale sont souvent en compétition.
Riyad a fait du containment iranien son principal objectif dans la région. Plus qu’une politique, c’est une véritable hantise pour le royaume wahhabite qui craint que l’Iran accroisse son influence dans toute la région et déstabilise les régimes du Golfe en encourageant la révolte des populations chiites. Doha n’est clairement pas sur la même longueur d’ondes puisqu’il ne considère pas Téhéran comme un ennemi, encore moins comme un ennemi prioritaire. Doha refuse de couper tous les ponts avec Téhéran et continue d’entretenir des relations diplomatiques avec ce dernier. Le Qatar était par exemple en première ligne ces derniers mois pour négocier l’évacuation des populations civiles syriennes au sein des deux camps avec les milices chiites pro-Téhéran.
Riyad et ses alliés reprochent également à leur voisin de soutenir les groupes islamistes, voire djihadistes, sunnites, dans la région. Doha refuse de placer les Frères musulmans sur la liste des groupes terroristes et continue d’apporter un soutien à plusieurs groupes islamistes, proches de la confrérie, notamment en Libye et en Syrie. Abou Dhabi et Le Caire, qui considèrent pour leur part les Ikhwan [Frères musulmans] comme l’ennemi absolu, entretiennent des relations très tendues avec le Qatar depuis déjà plusieurs années. En chef de file du camp sunnite, le roi Salmane d’Arabie Saoudite, moins hostile que son prédécesseur à la confrérie, arbitrait jusqu’à récemment les conflits entre ces différents États. Mais, conforté dans sa ligne anti-iranienne par les récents discours du président américain Donald Trump, Riyad semble avoir décidé qu’il n’était plus question de tolérer la moindre dissidence au sein du “Sunnistan”.
Faire plier Doha
Le projet de Donald Trump de créer un Otan arabe, qui aurait vocation à combattre l’extrémisme sunnite comme chiite, ressemble aujourd’hui plus que jamais à un mythe. Les pays arabes sunnites ne parviennent pas à s’entendre autour d’une stratégie commune et Riyad n’est toujours pas parvenue à imposer totalement son leadership aux autres puissances.
Le Qatar, émirat aux moyens importants, notamment en gaz et en pétrole, mais qui reste un petit pays dans la région, apparaît néanmoins aujourd’hui plus isolé que jamais. Il ne peut même pas vraiment compter sur la Turquie, dont la politique n’est pourtant pas si éloignée, mais dont la priorité est aujourd’hui donnée au combat contre les Kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et leurs satellites dans la région [le président turc Recep Tayyip Erdogan a néanmoins appelé le 6 juin à résoudre la crise par les négociations et le dialogue].
Le rapport de forces est clairement à l’avantage de Riyad et de ses alliés, qui vont faire pression pour faire plier Doha. Par tous les moyens.