C’est le choc des images : celles de Londres en proie aux pires émeutes de mémoire de Londonien, et celles de la Bourse et de ces visages atterrés de traders sous le choc. Qu’est-ce que ces deux scènes sans rapport apparent nous disent sur notre monde ?
La crise financière et la violence urbaine : le rapprochement est hasardeux, et pourtant, inévitable, ne serait-ce que parce que ces deux sujets se disputent la une des journaux sans qu’il soit aisé de les analyser à chaud.
Le rapprochement, pourtant, s’impose, car réduire les émeutes de Londres, comme le font de nombreux politiciens et journalistes britanniques, à de simples actes criminels, sans prendre en considération le contexte économique et social dans lequel elles se produisent, relève de l’aveuglement. Même si les scènes de pillage, la dégradation gratuite, et la violence sans but évident brouillent le sens et facilitent les analyses réductrices, comme en France en 2005, lors de l’explosion des banlieues.
« Observez et pleurez pour notre avenir »
C’est dans le Daily Telegraph, le vieux quotidien conservateur, pourtant, qu’à côté des éditoriaux « law and order », on trouve cette analyse de Mary Riddell, chroniqueuse du journal :
« Ce n’est pas une coïncidence si les pires violences que Londres a connues en plusieurs décennies se déroulent dans un contexte d’économie mondiale en train de s’effondrer.
Bien que l’épicentre de l’actuelle crise soit dans la zone euro, les gouvernements britanniques successifs se sont employés à cultiver la pauvreté, les inégalités, et l’inhumanité qui sont aujourd’hui exacerbées avec la crise financière.
L’absence de croissance de la Grande-Bretagne n’est pas un sujet de discussion ni même un argument pour accabler George Osborne [le chancelier de l’échiquier ou ministre de l’Economie et des Finances britannique, ndlr], pas plus que notre force de non-travail sans formation, démotivée et sous-éduquée, n’est une variable d’ajustement de notre bilan national.
Observez les équipes de casseurs à l’action dans les rues de nos villes, et pleurez pour notre avenir. La génération perdue s’entraîne pour la guerre. »
Excessif ? Réaction trop émotionnelle sous le coup des images des bâtiments en flamme et de l’« anarchie » qui monte, comme le titrent plusieurs quotidiens ? Toujours plus d’austérité ?
La crise sociale a bon dos pour justifier des pillages insensés, répondent les apôtres de la répression et du « Kärcher » pour régler les problèmes. Mais la répression suffirait-elle pour résoudre la question du chômage massif (en Grande-Bretagne comme dans les quartiers défavorisés de France, comme en Espagne ou en Grèce), l’absence de perspective, des budgets sociaux décroissants, de l’insécurité ?
C’est là que la crise financière et la panique actuelle entrent en jeu. La crise financière, centrée sur la question de la dette et des équilibres budgétaires, pousse tous les gouvernements européens à plus d’austérité, à des réductions de dépenses publiques, à rogner et à diluer le modèle de société bâti dans l’après-guerre.
Comme l’ont joliment exprimé les « indignados » de Madrid, « nous ne sommes pas contre le système, c’est le système qui est anti-nous »…
Ces politiques, présentées comme inévitables pour « rassurer les marchés » et mettre fin à l’« esclavage » de la dette et du déficit, sont perçues par une part croissante de la population, en Europe, comme le prix payé par les pauvres pour un système qui est devenu fou, celui de la finance-reine.
En 2008-2009, les citoyens ont assisté au sauvetage des banques qui avaient participé au système et avaient manqué d’y laisser leur peau ; en 2011, c’est à eux qu’on présente l’addition.
Les émeutes de Londres ne sont pas directement liées aux derniers épisodes de la crise financière, qu’il s’agisse des soubresauts de la zone euro ou de la dégradation de la note de la dette américaine… Mais elles font assurément partie du paysage social d’une Europe ultra-libéralisée et paupérisée (c’est en particulier vrai en Grande-Bretagne après les périodes choc de Thatcher et Blair), en train de subir des électrochocs (Irlande, Portugal, Grèce…) peut-être insupportables.
Les dirigeants politiques européens actuels, concentrés sur l’objectif prioritaire de sauver ce qui peut l’être du système monétaire et de leur crédit, comme ceux qui aspirent à diriger leurs pays demain, auraient tort de négliger les signaux qui sont envoyés par les populations. Sous la forme éminemment sympathique des « indignados » de Madrid, ou sous celle, sinistre, des émeutiers de Londres.
Dans l’instant de chaos et donc de vérité qu’est une crise, il faut remonter aux idées fondatrices. Qu’est-ce que la démocratie ? Un système par lequel le peuple souverain délègue son autorité à ceux qui le représentent et exercent le pouvoir. Pour ces derniers, les échecs se payent cash : les élections sanctionnent les gouvernants et donnent une chance à leurs successeurs. Le coup de tonnerre de la dégradation des Etats-Unis par une agence de notation démontre qu’il y a désormais un pouvoir infiniment supérieur au pouvoir politique.
Un pouvoir capable d’ajouter la défiance à la défiance, de semer la zizanie sur les marchés, de court-circuiter le processus de décision démocratique. Et de contraindre les pays qui passent dans le collimateur à courber l’échine et filer droit. Car, en maîtrisant la chaîne complexe qui permet aux Etats de se procurer de l’argent, les agences de notation disposent ni plus ni moins que d’un pouvoir de vie et de mort. Mais qui les composent ? Comment travaillent-elles ? Quelle idéologie, quelle vision de l’économie sous-tendent leurs décisions ? Au nom de quoi exercent-elles un pouvoir qui est, de fait, politique ? Quelles autorités les sanctionnent quand elles se trompent, comme sur les subprimes, ce poison violent doctement noté AAA mais qui a vérolé l’économie mondiale et précipité la crise ? Comme, encore, sur la dette américaine, dégradée au terme d’une petite erreur d’addition de 2 000 milliards de dollars ! Les agences voudraient être le thermomètre implacable de l’économie. Elles ne sont qu’un pifomètre au pouvoir exorbitant, ayant prospéré depuis trente ans sur le vide, le retrait et l’abandon du terrain par l’autorité publique elle-même. Maintenant que cette dernière est dos au mur, si elle veut éviter que le chaos ne se propage, que les dégradations ne frappent d’autres pays, à coup sûr en Europe – peut-être la France -, la première mesure devrait être de durablement démonétiser ces agences en ne tenant plus compte de leurs oracles. Car ce sont bien les banques centrales qui leur accordent du crédit pour faire fonctionner ce poumon qu’est le circuit du refinancement bancaire : en deçà d’une certaine note, pas d’argent. Depuis la crise de 2008, la BCE, a ponctuellement rompu avec le système : pourquoi ne déclare-t-elle pas qu’elle le fera désormais définitivement ? Quant aux politiques, à défaut d’interdire ces agences ou d’en créer rapidement d’autres capables de briser l’oligopole de Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s, ils doivent prendre conscience que la crise financière débouchera sur la crise démocratique : au moment où les citoyens comprendront que ceux qu’ils ont élus n’ont plus aucun pouvoir sur la réalité.
L’agence d’évaluation financière Standard and Poor’s a justifié l’abaissement de la note attribuée à la dette des Etats-Unis par les «risques politiques» face aux enjeux du déficit budgétaire. Voici les principaux extraits du communiqué publié vendredi soir:
«L’abaissement de la note reflète notre opinion selon laquelle le plan de rééquilibrage du budget sur lequel le Congrès et l’exécutif se sont récemment mis d’accord est insuffisant par rapport à ce qui, de notre point de vue, serait nécessaire pour stabiliser la dynamique à moyen terme de la dette publique.
Plus généralement, l’abaissement de la note reflète notre point de vue selon lequel l’efficacité, la stabilité et le caractère prévisible des politiques publiques et des institutions politiques américaines se sont affaiblies à un moment de défis budgétaires et économiques persistants, à un degré supérieur à ce que nous entrevoyions lorsque nous avons attaché une perspective négative à la note, le 18 avril 2011.
Depuis, nous avons changé notre façon de voir les difficultés à établir un pont entre les partis politiques au sujet de la politique budgétaire, ce qui nous rend pessimistes sur la capacité du Congrès et du gouvernement à transformer leur accord de cette semaine en un plan de rééquilibrage plus large qui stabilise les dynamiques de la dette publique dans un avenir proche.
La perspective sur la note de long terme est négative. Nous pourrions abaisser la note à ’AA’d’ici aux deux prochaines années si nous voyons qu’une réduction des dépenses moindre que convenu, une hausse des taux d’intérêt, ou de nouvelles pressions budgétaires pendant cette période entraînent un relèvement de la trajectoire de la dette publique par rapport à ce que nous supposons actuellement dans notre hypothèse de base.
(…) La controverse durable au sujet du relèvement du plafond légal de la dette et le débat sur la politique budgétaire qui l’ont accompagnée indiquent que de nouveaux progrès à court terme pour contenir la croissance des dépenses publiques, en particulier dans la protection sociale, ou pour obtenir un accord sur une hausse des recettes, sont moins probables que nous ne le supposions auparavant et resteront un processus conflictuel et agité.
(…) Républicains et démocrates n’ont su s’entendre que sur des économies relativement modestes sur les dépenses tout en déléguant à la Commission bipartite des décisions sur des mesures plus complètes. Il apparaît que pour le moment, de nouvelles recettes ne sont plus à l’ordre du jour des possibilités. De plus, le plan entrevoit seulement des changements mineurs concernant Medicare et peu de changements dans d’autres programmes de protection sociale, dont nous et la plupart des autres observateurs indépendants, considérons qu’il est essentiel de contenir la taille pour la viabilité du budget à long terme.
Notre opinion est que les élus restent conscients de la nécessité de répondre aux questions structurelles qui se posent pour s’attaquer efficacement au problème de la montée du poids de la dette publique des Etats-Unis d’une manière conforme à une note ’AAA’et aux autres Etats notés ’AAA’».
Source AFP
Une autre littérature
Discours de la servitude volontaire
Prodige et précocité : en 1576, un garçon de seize ou dix-huit ans « accouche » d’un texte d’une absolue modernité dans lequel il établit que c’est le consentement des asservis, et non la puissance du tyran, qui fonde la tyrannie !
C’est l’acquiescement des peuples à leur sujétion, qui découle de leur envie, de leur égoïsme, de leur convoitise, qui permet à un seul, relayé par un réseau ténu mais fortement hiérarchisé et solidaire, d’asseoir son pouvoir, avec l’assentiment de tous…
Surgi dans sa galaxie, Montaigne devint aussitôt son ami, il convient de lire sa bouleversante lettre « sur la mort de feu Monsieur La Boétie » écrite peu après qu’il le précède dans la mort… Un spectacle citoyen poétique, tonique, édifiant ; apprécié par nous et que nous vous recommandons chaleureusement, après Avignon 2011.
« Comme vous le savez peut-être, ce texte est à l’origine de la grande amitié qui lia Michel de Montaigne à ce jeune juriste, ce Discours a marqué de manière durable la pensée philosophique et politique, du XVIe siècle à nos jours. Si l’idée m’est venue de travailler sur ce texte, c’est justement parce que je lui ai trouvé une formidable résonance actuelle ; il n’est jamais inutile de re-questionner les concepts de vivre-ensemble, de société, de démocratie, n’est-ce pas ? Dans son Discours, La Boétie interroge avec acuité les notions de liberté, d’égalité et même de fraternité. Et s’il analyse très finement l’image du tyran et les mécanismes de la tyrannie, c’est ce paradoxe de servitude volontaire qui retient le plus l’attention du lecteur, de l’auditeur. Qu’est-ce qui fait qu’un peuple tout entier se laisse asservir ? Et que doit-il faire, ce peuple, pour recouvrer sa liberté ?
Stéphane Verrue
« Le Discours de la servitude volontaire déborde de son cadre de lecture politique traditionnelle. La fascination répétée qu’il exerce vient de ce qu’il jette aussi les bases d’une étude des rapports de domination-servitude dans les relations intimes, interpersonnelles. Le tyran n’est pas seulement une catégorie politique, mais aussi mentale, voire « métaphysique ». Ce rapport domination-servitude ne se noue pas seulement dans la société constituée, mais encore au plus intime de la conscience. L’appel aux « saveurs de la liberté » engage sans doute le peuple et le citoyen, mais aussi et peut-être l’individu, toujours en quête d’un tyran qui le tyrannise, quand ce n’est pas la figure inverse : celle d’un « soumis » à tyranniser. Ce que dit La Boétie de la peur, de la bassesse, de la complaisance, de la flagornerie, de l’humiliation de soi-même, de l’indignité, de l’aliénation des intermédiaires (courtisans, lieutenants et porte-voix divers), par sa vérité crainte – et combien actuelle ! – donne, sainement, froid dans le dos. La tyrannie est toujours prête à se renouer dans un rapport d’emprise partiellement consenti. Nous ne tirons pas du Discours de la servitude volontaire une simple leçon politique, mais encore une leçon éthique, morale, comme l’appel à rejeter de nous-mêmes la figure menaçante, et cruelle, et adorée, du tyran.
La Boétie se garde bien d’offrir aux problèmes qu’il pose une quelconque « solution miracle », restant sur une position critique qui lui évite tout enlisement dans la pâte des réalités constituées. Cette lucidité critique n’implique aucun pessimisme, mais une constante invite à la vigilance, tant collective que personnelle. »
Séverine Auffret in La Boétie, Discours de la servitude volontaire,
Éditions Mille et une nuits, Paris, 1995
Bad Trip
Ce matin je sens comme une incohérence, oui… doublée de battements et d’un léger sentiment d’oppression. Mais je ne sais pas trop d’où ça vient...
« les rapports de production capitalistes ont ceci d’inédit qu’avec eux s’achève en même temps que s’occulte l’unité du despotisme qui s’exerce dans toute l’épaisseur de la société.«
Peut être que je devrais prendre un médicament et me reposer un peu aujourd’hui. Mais je dois quand même faire les soldes pour voir si je trouve quelque chose.
« Il y a nécessité de faire en sorte que l’acquiescement à l’acte de dépossession passe pour avoir été librement consenti (…)
Détenir le pouvoir politique, c’est détenir le moyen de travestir tel intérêt particulier en intérêt général, d’imposer une expression d’ensemble de l’intérêt social. »
Pour venir à bout des déficits publics par exemple, en se serrant toujours plus la ceinture pour satisfaire le monde politico- financier…
Confrontés à la dure réalité des salaires impayés, des entreprises en faillite et du chômage de masse, les Grecs ont de plus en plus recours à la désobéissance civile. Va-t-on vers une reconfiguration du paysage politique grec ? se demande The Guardian.
A Thessalonique, parmi les bars élégants qui s’alignent sur le front de mer historique, un restaurant attire les regards. « Rendez-nous notre argent ! », clame une banderole accrochée à la devanture de cette franchise d’Applebee’s [chaîne américaine de restaurants-grills]. A l’intérieur, 12 salariés ont changé les serrures. Ils servent des canettes de bière de supermarché et dorment à tour de rôle sur le sol du restaurant pour protester contre des retards de salaires qui durent depuis plusieurs mois et la fermeture soudaine du restaurant. On a là un nouveau symbole de la crise financière grecque : une grève de serveurs avec occupation des locaux.
Margarita Koutalaki, une serveuse de 37 ans à la voix douce, divorcée et mère d’une fille de 11 ans, a travaillé ici à temps partiel pendant huit ans. Elle gagnait environ 6,50 euros de l’heure. Aujourd’hui, elle a installé son matelas gonflable dans une pièce à l’étage, occupant les locaux tandis que ses parents gardent sa fille.
« On me doit environ 3 000 euros de salaires impayés », explique-t-elle, rappelant qu’elle partage le sort d’une multitude de salariés dans toute la Grèce, qui ont plusieurs mois de salaire en retard, leurs entreprises étant en difficulté.
« On nous a d’abord dit qu’on nous paierait le mois suivant, puis la paie s’est arrêtée complètement et on nous a appris par téléphone que le restaurant fermait. Nous travaillons toujours, nous faisons tourner l’entreprise, nous fournissons de la nourriture et des boissons à ceux qui nous soutiennent. Nous avons davantage de clients qu’autrefois. C’est la seule action que nous puissions faire, cela s’est imposé comme une évidence. »
Les serveurs proposent des boissons bon marché et des dîners à prix réduits à ces « indignés », dont le mouvement est apparu il y a quatre mois. Auparavant, cette nouvelle clientèle, souvent gauchiste, n’aurait jamais mis les pieds dans ce bastion de l’impérialisme. Une banderole en anglais appâte les touristes en proposant des souvlakis et des boulettes de viande bon marché « pour soutenir les travailleurs ».
Voilà un mois que la Grèce est paralysée par une grève générale anti-austérité. Ainsi, la place Syntagma, à Athènes, a été le théâtre d’importantes mobilisations, avec des batailles rangées entre la police et les manifestants.
Le mouvement n’a pas faibli pendant les vacances d’été
Les Grecs se méfient plus que jamais de la classe politique et doutent de sa capacité à les sortir de cette crise financière sans précédent. Les sondages font apparaître un mépris grandissant envers tous les partis, ainsi qu’un discrédit du système politique. Le chômage touche 16 % de la population active, atteignant des sommets parmi les jeunes. Ceux qui ont la chance d’avoir encore un emploi ont subi de fortes baisses de salaire, ce à quoi vient s’ajouter l’augmentation des impôts.
Récemment, les médecins et les infirmières se sont mis en grève pour protester contre les coupes budgétaires dans les hôpitaux. Ces deux dernières semaines, les chauffeurs de taxi en grève ont perturbé la circulation dans toute la Grèce, protestant contre l’ouverture de leur secteur à davantage de concurrence. Ils ont notamment bloqué les accès aux ports et occupé le bureau de délivrance des billets pour l’Acropole, laissant passer les touristes gratuitement.
Fait essentiel, le mouvement de désobéissance civile n’a pas faibli pendant les vacances d’été : des citoyens lambda refusent toujours de payer les péages, les tickets, les hausses des honoraires médicaux, etc. Le mouvement « Nous ne paierons pas » se veut l’expression par excellence du « pouvoir du peuple ». Ses organisateurs annoncent que l’offensive pourrait reprendre de plus belle en septembre, lorsque le gouvernement va lancer une nouvelle série de mesures d’austérité.
Sur la route principale Athènes-Thessalonique, tandis que les automobilistes regagnent Thessalonique après un dimanche à la plage, une foule de manifestants en gilets de sécurité orange montent la garde au poste de péage principal menant à la deuxième ville de Grèce. Leurs gilets sont frappés du slogan : « Désobéissance totale ». Ils soulèvent les barrières rouges et blanches et invitent les conducteurs à passer sans payer les 2,80 euros de péage. Sur leurs banderoles, on peut lire : « Nous ne paierons pas », ou encore : « Nous ne donnerons pas notre argent aux banquiers étrangers ». Les automobilistes passent, reconnaissants, certains adressant un signe d’encouragement aux manifestants.
Les partis de gauche ont adhéré
« Nous allons assister à un résurgence de la désobéissance civile à l’automne », nous déclare Nikos Noulas, un ingénieur civil de Thessalonique, dans un café du centre, tout en déroulant une série d’affiches appelant au refus de payer.
Dès le début de l’année, le mouvement battait son plein : les voyageurs étaient invités à resquiller dans le métro à Athènes, les manifestants ayant recouvert les distributeurs de tickets sous des sacs plastiques, et à Thessalonique, les usagers ont pendant longtemps refusé de payer le bus après la hausse du ticket imposée par des sociétés privées subventionnées par l’Etat. D’autres refusent de payer leur redevance de télévision.
Les partis de gauche ont adhéré au mouvement, lui donnant une plus grande visibilité. En mars, plus de la moitié de la population était favorable au principe du refus de payer. Le gouvernement a pourfendu ce qu’il qualifiait de « parasitisme » irresponsable, affirmant que les resquilleurs nuisaient à la réputation du pays et privaient l’Etat de sources de revenus indispensables. De nouvelles lois contre le resquillage ont été adoptées et la police a sévi.
« C’est le début d’un divorce entre les Grecs et leurs responsables politiques, affirme l’écrivain Nikos Dimou. Dans tous ces mouvements, on retrouve un même ras-le-bol de la classe politique ». A Thessalonique, les esprits sont particulièrement échauffés. Fin juillet, les « indignés » ont dû replier les tentes qu’ils avaient déployées sur la place Syntagma, mais la Tour blanche de Thessalonique, située sur le front de mer, est toujours entourée de tentes et tendue de banderoles affichant « A vendre » et « Pas à vendre ».
« La Grèce vit un tournant de son histoire politique »
Il faut dire que le nord de la Grèce a été particulièrement frappé par la crise. Des entreprises ont commencé à mettre la clé sous la porte avant même le début de la débâcle financière. Résultat, l’activité économique est au point mort, et la mairie de Thessalonique a même pu afficher une nette amélioration de la qualité de l’air dans cette ville jusqu’alors congestionnée. Le 10 septembre, quand le Premier ministre grec Georges Papandréou se rendra à la célèbre foire internationale de Thessalonique pour présenter ses nouvelles mesures économiques, il sera accueilli par des manifestations.
Les indignés de Thessalonique pratiquent le flash-mobbing (mobilisations éclair), notamment devant des banques ou des bâtiments publics. Leur dernière cible a été le consulat d’Allemagne, devant lequel des dizaines de manifestants ont scandé des slogans et peint les trottoirs à la bombe, exigeant de l’Union européenne un plus gros effort, tandis que des policiers en civils se contentaient de regarder.
Antonis Gazakis, professeur de langue et d’histoire, affirme qu’il est frappé de voir qu’aujourd’hui le mouvement fait de nouvelles recrues, issues de toutes les tendances politiques, certains manifestants [de la Tour blanche] n’étant liés à aucun parti et ne s’étant jamais mobilisés auparavant. Ils veulent tous participer pleinement à ce débat sur les moyens de renouveler un système politique et parlementaire qu’ils jugent corrompu. « La Grèce vit un tournant de son histoire politique, assure Gazakis. C’est pourquoi je compte bien rester ici cet été. La dernière fois que le peuple est descendu dans la rue pour exiger un changement de constitution d’un telle importance, c’était en 1909. C’est une occasion idéale, un changement de modèle. La Grèce s’est réveillée. »
La participation des créanciers privés confirmée en France, en débat dans le reste en Europe
Alors que Nicolas Sarkozy a annoncé que des créanciers privés prendraient part à un nouveau plan de soutien français en faveur de la Grèce, banquiers et responsables gouvernementaux européens se sont réunis sur le sujet, sans pour autant décider.
C’est au moment où l’on apprenait que l’Institut de la finance internationale (IIF), principal lobby des banques, devait se réunir lundi matin à Rome avec les responsables gouvernementaux européens, que Nicolas Sarkozy a confirmé la proposition d’un nouveau plan français en faveur de la Grèce, auquel prendraient part des créanciers privés.
Banquiers, responsables gouvernementaux européens, et représentants du secteur public et du secteur privé, dont Vittorio Grilli, le président du Comité Economique et Financier européen et Charles Dallara, directeur général de l’IIF, ont participé à cette réunion. La nouvelle proposition élaborée par le Trésor français et des banques françaises a été étudiée.
Le plan mis au point ce week-end prévoit que les banques et assurances françaises créancières de la Grèce réinvestissent, sur la base du volontariat, 70% des sommes qu’elles perçoivent lorsque Athènes leur rembourse des obligations arrivées à échéance. Sur ces 70%, 50% doivent allouées à des nouveaux emprunts publics grecs à 30 ans, et 20% doivent être placés sur une sorte de garantie qui sécurise cette nouvelle dette grecque.
A l’issue de la réunion, aucune décision n’a cependant été prise à l’échelle européenne. « Cette réunion était un échange de vues à un niveau technique entre le monde financier et les responsables européens », a indiqué une source gouvernementale à l’AFP à l’issue de cette réunion.
Des négociations entamées avec les assureurs depuis mercredi
Les autorités des pays de la zone euro avaient entamé dès mercredi des négociations avec les créanciers privés de la Grèce, principalement des banques et des assureurs, pour obtenir d’eux une participation volontaire au nouveau plan de soutien à l’Etat grec. Selon un porte-parole de l’IIF, M. Dallara a rencontré ces derniers jours des « responsables publics et des créanciers privés afin de fournir un soutien informel à la poursuite du programme grec ».
L’enjeu de ce consensus consiste à éviter que la formule adoptée ne soit interprétée comme un défaut de paiement par les agences de notation, ce qui pourrait déclencher une réaction en chaîne et menacer le système financier tout entier. Malheureusement, cette réunion qui aura lieu au siège du Trésor italien à huis clos ne sera pas suivie d’une conférence de presse.
New Assurance Pro avec AFP
« Nous voilà endettés pour trente ans ! »
Le quotidien de gauche Eleftherotypia ne partage le soulagement du reste de la presse grecque après l’adoption du second plan européen pour le sauvetage du pays.
Le plan accordé hier à la Grèce nous plonge dans un tunnel d’emprunt de trente ans. Le futur est incertain quant à la sortie du pays de la tutelle économique internationale, d’autant que la dette grecque sera désormais qualifiée de « défaut sélectif » par les agences de notation. Tout les dirigeants européens ont mis de l’eau dans leur vin et ont reculé sur les objectifs ; surtout le gouvernement grec. D’ailleurs, peut-on vraiment parler de plan de sauvetage ? Devant nous, une seule issue se dessine : « Un nouveau plan de sauvetage pour le pays, avec le FMI et une participation volontaire des banques » comme l’indique le texte rédigé par les Vingt-sept.
La participation du secteur privé n’a pas été précisée avec exactitude et la possibilité d’une mise en faillite n’a pas été écartée ; l’éventualité d’une contagion aux autres pays en difficulté non plus. Cela signifie que ce programme pourrait s’accompagner d’un taux d’intérêt supérieur à ceux pratiqués habituellement (2,8 % pour l’Allemagne, 3,5 % pour le reste de l’Europe en moyenne). D’autres détails sont tout aussi inquiétants.
La participation volontaire de 50 milliards serait, si on en croit les données de l’Institute of International Finance, un simple programme de « roll-over », c’est à dire un simple roulement sans résoudre le problème de la dette. Ce roulement réduit la marge de manœuvre des banques. Et les agences de notation pourront toujours taper sur le défaut sélectif de la Grèce.
L’apport de liquidités aux banques grecques est inutile. Il s’agit de de 35 milliards pour couvrir leurs besoins en cas de difficulté. Au total, les banques greques ont reçu quelque 100 milliards. Mais l’UE veut que ce financement assure le développement, c’est à dire fournir des liquidités aux marchés pour encourager les entreprises. C’est l’essence du nouveau « plan Marshall ». Or pour l’instant elles ne le font pas.
On ne sait toujours pas quelles mesures d’austérité accompagneront ce nouveau plan.
Est-ce que le sauvetage des banques comprend aussi les caisses d’assurances ? Elle aussi possèdent, pourtant, des obligations… Que de questions en suspens sur des mesures qui seront au final, peut-être, testées sur la Grèce pour mieux être appliquées ailleurs… La seule chose de sûre est que les technocrates américains et européens se préparent à s’installer en Grèce pour au moins 30 ans afin d’exercer un contrôle international sur les comptes du pays.
Eleni Kostarelou (Eleftherotypia)
La Grèce, esclave de l’Europe
Privés du contrôle de la dette de leur pays, les Grecs sont châtiés et pressurés par la BCE et le FMI. Le point de vue d’un économiste américain.
Imaginez que, au cours de l’année la plus noire de notre récente récession, le gouvernement des Etats-Unis ait décidé de réduire le déficit budgétaire de plus de 800 milliards de dollars en taillant dans les dépenses publiques et en augmentant les impôts. Imaginez que, conséquence de ces mesures, la situation économique se soit détériorée, que le chômage ait crevé le plafond, pour dépasser 16 %. Imaginez maintenant que le président promette de récupérer 400 milliards de dollars de plus cette année, en économies et en hausses d’impôt supplémentaires. Comment croyez-vous que réagirait l’opinion publique ?
Probablement comme elle le fait en Grèce aujourd’hui, manifestations de masse et émeutes comprises. Car c’est exactement ce qu’a fait le gouvernement grec. Les chiffres ci-dessus sont simplement proportionnels aux dimensions respectives des deux économies. Certes, le gouvernement américain ne se risquerait jamais à ce qu’a entrepris son homologue hellène : n’oubliez pas que la bataille du budget d’avril dernier, qui a vu les républicains de la Chambre menacer de faire tomber le gouvernement, a abouti à des coupes budgétaires de 38 milliards de dollars seulement.
Les Grecs sont d’autant plus en colère que le châtiment collectif dont ils sont victimes leur est infligé par des puissances étrangères – la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI). Cela met en lumière ce qui est peut-être le problème le plus aigu, celui qu’incarnent des institutions supranationales, orientées à droite et échappant à tout contrôle. La Grèce n’en serait pas là si elle n’était pas membre d’une union monétaire. Si ses propres dirigeants étaient assez idiots pour, de leur propre chef, pratiquer des coupes claires dans les dépenses publiques et augmenter les impôts en pleine récession, ils seraient remplacés. Puis un nouveau gouvernement ferait ce que la grande majorité des gouvernements de la planète a fait lors de la récession de 2009 : exactement le contraire. Ils mettraient en œuvre un plan de relance, ou ce que les économistes définissent comme une politique contracyclique.
Et si cela devait passer par une renégociation de la dette publique, alors c’est ce que ferait le pays. De toute façon, c’est ce qui se produira, même sous la férule des autorités européennes, mais au préalable celles-ci soumettent la Grèce à des années de souffrances inutiles. Et elles profitent de la situation pour privatiser des actifs publics pour une bouchée de pain et restructurer l’économie et l’Etat grecs à leur convenance.
Châtiment collectif
Un gouvernement grec démocratiquement responsable adopterait une ligne beaucoup plus dure face aux autorités européennes. Par exemple, il pourrait commencer par un moratoire sur le paiement des intérêts, qui se montent actuellement à 6,6 % du PIB. (C’est un fardeau terrible, et selon les prévisions du FMI il devrait représenter 8,6 % du PIB d’ici à 2014. En comparaison, en dépit de tout le tintamarre qui se fait à propos de la dette américaine, le taux d’intérêt net sur la dette publique étasunienne représente aujourd’hui 1,4 % de son PIB.) Cela dégagerait assez de fonds pour un programme sérieux de relance, tandis que le gouvernement négocierait une inévitable révision de la dette à la baisse. Bien sûr, cela exaspérerait les autorités européennes – qui considèrent la situation du point de vue de leurs grandes banques et des créanciers –, mais le gouvernement grec se trouverait au moins dans une position raisonnable avant d’ouvrir les négociations.
A en juger par la toute dernière révision de l’accord entre le FMI et Athènes, il semblerait que l’euro soit encore surévalué de 20 à 34 % pour l’économie grecque. Ce qui écarte encore un peu plus la possibilité d’une reprise engendrée par une “dévaluation interne” – qui consiste à rendre l’économie plus compétitive en maintenant le chômage à un niveau extrêmement élevé pour faire baisser les salaires. Mais le plus gros problème, c’est que la politique budgétaire du pays ne va pas dans le bon sens. Et, évidemment, Athènes ne peut pas faire jouer la politique monétaire, puisqu’elle est sous le contrôle de la BCE.
Les autorités européennes disposent de tout l’argent nécessaire pour financer un programme de relance en Grèce, tout en renflouant leurs banques si elles ne veulent pas les voir essuyer les pertes inévitables liées à leurs prêts. Rien ne justifie que l’on continue ainsi à infliger un châtiment sans fin au peuple grec.
Mark Weisbrot (The Guardian)
Note : * Economiste et codirecteur du Center for Economy and Policy Research, un centre de recherche de Washington, il publie régulièrement des chroniques pour The Guardian.
Au terme d’une âpre bataille entre démocrates et républicains, le relèvement du plafond de la dette américaine à été voté mardi 2 août par le Sénat. Le président Barack Obama a promulgué le texte dès son adoption par les deux chambres du Congrès. L’accord autorise le Trésor à relever de 2 100 milliards de dollars le plafond de la dette, repoussant ainsi le risque d’un défaut de paiement. Le plan de réduction des dépenses publiques de 2 500 milliards d’euros, approuvé par le Congrès, n’a pourtant pas rassuré les marchés.
Henri Sterdyniak est directeur du département « Economie de la mondialisation » à l’OFCE et professeur à l’université Paris-IX Dauphine. Il dénonce un texte qui « fait supporter l’ajustement aux plus pauvres ».
Le compromis trouvé entre républicains et démocrates est-il de nature à rassurer les marchés et les agences de notation ?
Il y a peu de risques pour que les agences de notation baissent la note (AAA, la plus élevée) attribuée aux Etats-Unis. Ces agences savent que le risque de défaut de paiement et de faillite est purement théorique : en cas de menace de faillite, la Fed (réserve fédérale) a les moyens d’intervenir pour financer la dette. En outre, le pays peut créer de la monnaie.
En réalité, le danger pourrait être politique : on peut imaginer qu’à l’avenir le mouvement conservateur du Tea Party paralyse le système en refusant tout compromis. Une agence pourrait prendre cette possibilité en compte pour dégrader la note américaine. Mais il y a peu de chances que cela arrive. Normalement, un pays qui crée sa propre monnaie a les moyens de rembourser sa dette.
Toutefois, une autre conclusion de ces quelques semaines de crise est que les Etats-Unis ont révélé leur fragilité à la face du monde : ils sont désormais moins fiables pour les investisseurs et auront du mal à encaisser un nouveau choc. Cet épisode a mis certains risques en évidence, accentués lorsque le Parlement et le président ne sont pas de la même couleur politique.
Sur le fond, l’accord vous paraît-il bon ?
Non, car il enferme la politique budgétaire américaine dans un carcan. Le texte ne prévoit pas de hausse d’impôt, ce qui enlève toute marge de manœuvre aux gouvernants pour soutenir l’économie, développer l’assurance maladie, lutter contre le chômage. Au final, ce sont les plus pauvres qui vont supporter l’ajustement, alors même que l’une des causes de la crise aux Etats-Unis, c’est la trop faible consommation, ou plutôt la trop forte consommation à crédit.
La tendance est même plus à la baisse de la protection sociale qu’à l’augmentation des impôts visant les plus riches. A court terme, il n’y a aucune chance pour que les impôts augmentent. C’est le point sur lequel la majorité des républicains ne céderont pas.
L’existence des aides sociales comme le programme Medicare peut-elle être menacée ?
La sécurité sociale américaine est fragile car elle ne suscite pas d’adhésion populaire massive. La crise a montré que ce système était protecteur et facteur de cohésion sociale, mais son poids sur les finances publiques l’affaiblit dans l’opinion.
Aux Etats-Unis, le système des aides sociales est remis en cause lors de chaque élection. Le pays n’est donc pas protégé contre un accident politique qui verrait la droite républicaine les supprimer. Les démocrates sont des défenseurs timides du système, ce qui rend l’équilibre fragile.
La solution de long terme face aux difficultés budgétaires serait une reprise de la croissance. En prend-on de le chemin ?
Les Etats-Unis sont dans une impasse. On l’a dit, l’économie américaine a besoin d’une plus grande consommation des plus pauvres, ce que ne va pas favoriser l’accord conclu sur la politique budgétaire.
Ils ont aussi besoin d’une croissance impulsée de l’extérieur, ce qui passe par une demande plus forte de la part de la Chine et des pays asiatiques. La seule marge de manœuvre des Etats-Unis pour être plus compétitifs en Asie est de faire baisser le dollar, de chercher un rééquilibrage des taux de change à l’échelle mondiale. Ils n’ont pas toutes les cartes en main.