Finance Europe : les quatorze banques à surveiller de près

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Pour le vice-président de la Banque centrale européenne (BCE) Luis de Guindos, une douzaine de banques de la zone euro ne seraient pas suffisamment capables de soutenir une crise d’importance. Elles représentent « une zone de vulnérabilité » et vont faire l’objet d’une surveillance attentive. Il faut y ajouter deux banques britanniques pour obtenir le panorama des établissements européens qui posent problème selon les critères des régulateurs.

S’il y avait une nouvelle crise

Le commentaire de Luis de Guindos fait suite à la publication début novembre par l’Autorité bancaire européenne (EBA) des résultats de ses derniers « stress tests ». Comme n’importe quelle entreprise, les banques en difficulté épongent leurs pertes grâce à leur capital, ce que leur apportent leurs actionnaires.

L’EBA cherche donc à tester si en cas de situation de stress, soit une récession forte accompagnée de turbulences sur les marchés financiers, les banques auraient assez de capital pour faire face.

Or, pour douze établissements de la zone euro, plus deux britanniques, le niveau actuel de leur capital apparaît insuffisant.

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Trois éléments d’inquiétude

Ce résultat est inquiétant à plusieurs titres. Les banques en question sont réparties dans sept pays européens (Allemagne, Autriche, Espagne, France, Irlande, Italie, Royaume-Uni), multipliant ainsi les points de fragilité.

De plus, selon la dernière liste établie mi-novembre par le Conseil de stabilité financière, en charge de la coordination de la régulation financière au niveau mondial, sur les quatorze établissements, quatre sont considérés comme « systémiques », c’est-à-dire dont les déboires individuels sont susceptibles de provoquer une crise nationale ou mondiale, Ainsi, BNP Paribas, Deutsche Bank, Barclays et Société générale, respectivement, deuxième, quatrième, sixième et septième plus grosses banques européennes ne disposent pas, selon les calculs de l’EBA, d’un niveau de capitalisation suffisant pour leur permettre d’absorber les pertes issues d’une crise sévère tout en conservant la confiance des investisseurs. Dans une telle situation, leur niveau de capital actuel ne garantit pas leur survie.

Enfin, on peut s’interroger sur le niveau de risque tel qu’il a été énoncé par Luis de Guindos. Ce dernier pointe en position délicate des établissements qui, du fait d’une crise, se retrouveraient avec un capital inférieur à 9 % des activités de la banque – pondérées par le niveau de risque de chaque activité –, signe que leur niveau de capital initial, avant la crise, était insuffisant. Mais que signifie « insuffisant » ?

Le budget italien tourne à la confrontation

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Déjà-vu. Tout est en place pour que le débat européen sur le budget italien tourne à la confrontation cette semaine. Les principaux responsables européens ont déjà repoussé le projet budgétaire italien, qui prévoit un déficit budgétaire de 2,4 % en 2019. Au nom des traités bien sûr. En réponse, le leader de la Ligue Matteo Salvini se dit prêt à en découdre avec les autorités « illégitimes » européennes.

Comme d’habitude, les marchés financiers se sont invités dans le débat. Moody’s a dégradé vendredi la note de la dette italienne. S&P doit rendre son verdict dans la semaine. La différence entre les taux italiens et les taux allemands, le spread, se creuse. À 400 points, il sera difficile de tenir, a reconnu le gouvernement italien. Nous en sommes à plus de 300. Secrètement, des responsables européens espèrent que les marchés financiers obligeront Rome à rentrer dans le rang. Comme lors de la crise grecque.

Tout cela a un air de déjà-vu, trop vu. Le même engrenage que durant la crise de l’euro semble se mettre en place, avec à nouveau le monde financier en arbitre. Sauf que la période n’est plus la même, que l’Italie n’est pas la Grèce.

Le débat budgétaire italien est la résultante de la gestion calamiteuse de dix ans de crise par les instances européennes. Pendant ces années, l’Italie s’est conformée aux règles européennes (austérité, surplus budgétaire, réformes) pour un résultat accablant : l’économie stagne, le pays se désindustrialise, le chômage est au plus haut.

L’arrivée de l’extrême droite italienne au pouvoir est le fruit de cette politique. Et Matteo Salvini a en main une arme de dissuasion massive : son pays est la troisième puissance économique européenne. Le moindre signal de crise, que ce soit sur sa dette ou sur ses banques, toujours malades, aurait des répercussions dans toute la zone euro.

Par habitude, par dogmatisme, les instances européennes sont tentées de réagir comme elles l’ont toujours fait, en essayant de faire plier le gouvernement italien, en mettant les vrais problèmes sous le tapis. Mais, cette fois, c’est différent. Au moindre faux pas face à Rome, tout peut déraper et créer une situation incontrôlable.

Martine Orange

Source : Médiapart 22/10/2018

Voir aussi Rubrique UE, Italie, On Line, L’UE exige que l’Italie revoie son projet de budget,

L’UE et Londres, le risque d’un divorce à l’arrache

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Le temps se réduit drastiquement pour mettre au point la sortie concrète du Royaume-Uni de l’UE, mais un déblocage des négociations à Salzbourg semble très hypothétique.

Le 29 mars 2019 à 23 heures, heure de Londres, le Royaume-Uni sortira de l’Union européenne. Voilà la seule chose certaine que l’on sait à propos du Brexit, puisqu’il figure dans une loi très difficile à modifier. Pour le reste, c’est toujours la confusion du côté britannique, deux ans et demi après le référendum du 23 juin 2016, et un an et demi après le début officiel des négociations.

«Même si les droits des citoyens ou le règlement de la facture du départ ont été décidés, on en est toujours au point de départ pour le reste, explique un diplomate d’un grand pays. Les questions centrales du marché intérieur et de la frontière entre les deux Irlandes ne sont toujours pas réglées et un « no deal » par accident est de plus en plus possible, ce qui serait catastrophique pour le Royaume-Uni et une mauvaise chose pour l’UE», puisque toutes les relations seraient interrompues d’une seconde à l’autre. Et, sauf surprise, aucun progrès n’est attendu au cours du sommet de Salzbourg qui a démarré mercredi.

Règle du jeu

Or l’horloge tourne de plus en plus vite : «S’il n’y a pas d’accord d’ici au 15 novembre, le gouvernement nous a expliqué qu’il ne serait pas prêt dans les temps, vu le nombre de lois qu’il doit faire adopter avant le 29 mars», poursuit le diplomate. Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a déjà prévu un sommet extraordinaire début novembre afin d’essayer de parvenir à un accord à l’arraché. Le problème de fond est que le Royaume-Uni n’a toujours pas compris ou admis que c’est lui qui part.

«Depuis le début de cette affaire, on a l’impression que c’est l’UE qui quitte Londres», s’amuse un diplomate français. Dès le départ, les Vingt-Sept ont pourtant établi la règle du jeu : il n’est pas question que le Royaume-Uni se retrouve dans la même situation qu’avant le Brexit ou qu’il bénéficie des avantages du marché unique et de l’union douanière sans en supporter les contraintes. Or, quand la Première ministre, Theresa May, appelle les Etats membres à «faire un effort», c’est exactement ce qu’elle leur demande : «Depuis deux ans, les Britanniques nous proposent des solutions qui sont incompatibles avec nos règles», s’agace un haut fonctionnaire. Pour l’UE, il est hors de question de saucissonner le marché intérieur en acceptant une libre circulation des marchandises, des services et des capitaux, mais pas des personnes.

Pas de cadeau

De même, il n’est pas envisageable qu’un accès total au marché intérieur des marchandises puisse se faire sans respecter l’ensemble des normes réglementaires de l’UE, ce que souhaite pourtant Londres. Même chose pour l’union douanière puisque le Royaume-Uni propose d’y rester, afin de résoudre le problème de la frontière irlandaise, mais veut négocier librement des accords commerciaux avec les pays tiers. En fait, «les propositions britanniques reviennent toujours à leur donner un avantage par rapport à leur situation actuelle», résume un diplomate.

Le problème pour May est que, si les Vingt-Sept sont divisés sur à peu près tous les sujets, ils sont unis sur le Brexit. Personne ne veut lui faire le moindre cadeau, à la fois pour décourager ceux qui pourraient être tentés par un «exit» finalement pas si catastrophique, mais aussi pour éviter de donner au Royaume-Uni un avantage compétitif. «Il y avait deux solutions simples, écartées d’emblée par le gouvernement britannique, explique un diplomate. Soit le modèle norvégien, c’est-à-dire l’accès total au marché intérieur en respectant l’ensemble de nos règles, soit l’accord de libre-échange classique.»

C’est pour cela que les négociations sont dans une impasse dont on ne voit pas l’issue. La France, prudemment, va demander une loi d’habilitation au Parlement pour promulguer les ordonnances pour limiter les effets d’une rupture brutale en cas de «no deal». De fait, du jour au lendemain, les entreprises britanniques ne pourront plus exercer leur activité au sein de l’UE, les avions britanniques n’auront plus accès au ciel unique européen, les contrôles aux frontières seront rétablis… Un précipice vers lequel le Royaume-Uni fonce tout droit.

Jean Quatremer

Source : Libération 19/09/2018

Iran. L’Europe impuissante face aux sanctions américaines

 Siège de l’EEAS, Bruxelles, 11 janvier 2018. - Conférence de presse des représentants de l’UE-3 : Jean-Yves Le Drian (France), Sigmar Gabriel (Allemagne) et Boris Johnson (Royaume-Uni) après une réunion sur l’Iran. IRNA


Siège de l’EEAS, Bruxelles, 11 janvier 2018. – Conférence de presse des représentants de l’UE-3 : Jean-Yves Le Drian (France), Sigmar Gabriel (Allemagne) et Boris Johnson (Royaume-Uni) après une réunion sur l’Iran.
IRNA

Le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien et l’imposition de sanctions contre Téhéran ont suscité une large condamnation, notamment des signataires européens. Mais les annonces diplomatiques de l’UE-3 (France, Allemagne et Royaume-Uni) n’ont convaincu ni la partie iranienne ni les grandes entreprises européennes.

Après le vote de la résolution 2231 du conseil de sécurité de l’ONU le 20 juillet 2015 entérinant l’accord sur le nucléaire iranien (Joint Comprehensive Plan of Action, JCPOA), l’industrie européenne avait su partiellement profiter de la réouverture du marché iranien. Avec notamment, dans l’aéronautique (vente de 100 avions Airbus pour 20 milliards de dollars — 17 milliards d’euros — et d’avions ATR), le secteur pétrolier (contrat South Pars 11 de Total pour 5 milliards de dollars — 4 milliards d’euros), l’automobile (co-entreprise PSA/Iran Khodro de 400 millions d’euros et co-entreprise Renault/Idro) entre autres secteurs, en 2017, les exportations de la France vers l’Iran s’élevaient à environ 1,5 milliard d’euros. La même année, elle importait d’Iran 2,3 milliards d’euros de produits pétroliers.

Le montant total des transactions commerciales de l’Union européenne (UE) avec l’Iran s’élevait à 20 milliards d’euros d’euros pour 2017. Ce montant s’élevait à 23,8 milliards d’euros pour la Chine, 20,4 pour les Émirats arabes unis et 9,8 pour l’Inde.

Or, l’historique de la mise en œuvre du JCPOA laissait beaucoup à désirer côté américain, même sous la précédente administration. Le malentendu entre le département d’État de John Kerry, défendant l’accord, et le trésor américain de Jacob Lew, partisan d’une ligne dure et ayant le dernier mot sur toutes les questions financières, a alimenté la confusion depuis le début. L’arrivée aux commandes de ces deux ministères de Steve Mnuchin et Mike Pompeo, deux farouches opposants à l’accord, suite à l’élection de Donald Trump en novembre 2016 puis l’annonce du 8 mai 2018 confirment l’adage selon lequel « les contrats ne tiennent pas aux mots, mais aux pensées ».

Pour l’Europe, un retrait de l’accord ne signifierait pas uniquement l’abandon d’un gros marché, mais également prendre acte d’un aspect discutable de la stratégie commerciale américaine : l’extraterritorialité de la loi américaine. Derrière la diplomatie agressive du dollar pratiquée par le trésor, c’est la souveraineté d’autres pays qui est visée (lire encadré).

 

Viser les entreprises non américaines

Pour trouver un partenaire iranien, même avant l’annonce de mai 2018, les entreprises devaient effectuer des audits tatillons de leurs clients pressentis — appelés « due diligence », « know your customer » (KYC) — et se confronter à la prudence minutieuse des assureurs, secteur très lié au marché américain. Autant de précautions juridiques qui faisaient bondir le coût du ticket d’entrée sur le marché iranien. Les entreprises iraniennes restaient empêchées d’intégrer les circuits de financement européens, tels le crédit bancaire ou la cotation en bourse de Londres par exemple. Le refus des banques européennes de s’impliquer en Iran après l’accord de Vienne malgré les injonctions de leur autorité de tutelle avait déjà fait grand bruit.

Les sanctions primaires concernent les particuliers et les entreprises américains, citoyens ou résidents, et rendent nécessaire une dérogation spéciale de l’Office of Foreign Assets Control (OFAC)1 pour commercer avec l’Iran : c’est le cas de Boeing par exemple.

Depuis le 8 mai 2018, il est de nouveau interdit aux entreprises non américaines de négocier de nouveaux contrats et il leur a été fait obligation de résilier ceux conclus après le 16 janvier 2016 dans un délai de 90 jours (août 2018) à 180 jours (novembre 2018) selon les cas. Les risques encourus par les récalcitrants sont très élevés : pénalités financières2, saisie de biens mobiliers ou immobiliers, interdiction d’accès au système bancaire américain, retrait aux banques de leur licence d’exploitation, radiation de la liste des fournisseurs du gouvernement fédéral, sanctions personnelles à l’encontre de chefs d’entreprises européennes (gel ou saisie de biens sur le sol américain, interdiction d’entrée, etc.). Ces procédures peuvent être d’origine judiciaire (procureur fédéral de New York) ou administrative (le trésor américain).

Depuis lors, les grosses entreprises européennes comme Total, Peugeot ou Airbus se retrouvent prises en étau. Structurellement exportatrices, généralement impliquées sur le marché américain et exposées aux circuits de financement dollarisés, elles subissent une situation plus critique que celle des PME-PMI plus eurocentrées et moins vulnérables. Aussi ont-elles très tôt pris acte de la nouvelle donne en annonçant l’une après l’autre leur retrait du marché iranien, gérant au cas par cas leur sortie contractuelle.

La décision est prise au plus haut niveau de leurs instances dirigeantes, après consultation des autorités de tutelle et de leurs actionnaires, incluant souvent la présence significative d’un actionnariat américain via divers fonds d’investissement (Karlyle, TPG, Kohlberg-Kravis-Roberts, Blackstone…). L’annonce reflète toujours le même argument : « Nous nous conformerons aux sanctions, à moins qu’une dérogation soit obtenue expressément des autorités américaines par les gouvernements de l’Union européenne ». Et ces demandes de dérogation par les gouvernements français, britannique et allemand ont essuyé une fin de non-recevoir de la part de Washington.

 

Total et PSA obtempèrent

Le caractère éminemment dissuasif du dispositif américain a donc agi rapidement. Dès le 16 mai, Total exposait dans un communiqué son intention de se retirer du projet gazier iranien de South Pars 11 « à moins qu’une dérogation propre au projet ne soit accordée par les autorités américaines, avec le soutien des autorités françaises et européennes (…) laquelle dérogation devra comprendre une protection de la société contre toute sanction secondaire applicable en vertu du droit américain ». La China National Petroleum Corporation (CNPC) devrait récupérer les 50 % de parts de Total sur cet important contrat.

De même, PSA annonçait la suspension de ses activités iraniennes le 4 juin. Carlos Ghosn, PDG du groupe Renault, s’est distingué par une habile déclaration le 15 juin devant son conseil d’administration : « On n’abandonnera pas. Même si nous devons réduire la voilure très fortement (…) parce que nous sommes persuadés que (…), à un moment, ce marché rouvrira, et le fait d’être resté en Iran nous donnera certainement un avantage » (AFP).

Les deux constructeurs français jouissaient jusqu’ici d’une position dominante sur le marché automobile iranien (environ 40 %) via leur partenariat stratégique, aujourd’hui remis en cause, avec les constructeurs locaux Iran Khodro et Saipa. Les Chinois Geely, Brillance ou Great Wall sont ici encore naturellement en lice pour profiter de l’appel d’air et remplacer leurs concurrents européens, en particulier français. Les entreprises chinoises sont en général moins vulnérables aux sanctions américaines et peuvent compter sur le soutien indéfectible de leur gouvernement.

Après le géant danois Maersk, la Compagnie maritime d’affrètement-Compagnie générale maritime (CMA-CGM), numéro trois mondial du transport maritime a également déclaré le 6 juillet 2018 se désengager de l’Iran, malgré ses accords avec l’Islamic Republic of Iran Shipping Lines (Irisl). Quelques secteurs comme l’agroalimentaire ou la santé demeurent en sursis jusqu’à la publication du décret d’application des sanctions.

 

Lancinante question bancaire

Les difficultés à effectuer des transactions bancaires avec l’Iran ne sont pas nouvelles. Mais rester connecté à Swift, système de messagerie interbancaire sous juridiction belge, est crucial pour que l’Iran puisse continuer de recevoir l’argent de ses exportations pétrolières et de payer ses biens importés. Or, le trésor américain a donné à Swift jusqu’au 4 novembre pour déconnecter la Banque centrale et les entités iraniennes au nom de « pratiques qui ne sont pas en accord avec les conduites d’affaires généralement acceptées ». Deux banques américaines siégeant au conseil d’administration de Swift, JP Morgan et Citigroup constituent pour le trésor américain, à côté de menaces de gels d’avoirs ou d’interdiction d’entrée à l’encontre de ses dirigeants, un puissant levier de pression.

La plate-forme européenne de règlements de transferts Target II utilisée par la Banque centrale européenne (BCE) pour ses règlements internationaux serait aussi concernée. Dans ce cas, des clients iraniens accusés par les Américains de financer le terrorisme pourraient se voir interdits d’utiliser ce système, y compris pour des transactions libellées en euros.

Même les banques européennes de taille moyenne et absentes du marché américain comme les banques coopératives du Bade-Wurtemberg spécialisées sur les marchés difficiles et l’aide aux PME se tiennent maintenant sur la défensive en attendant la riposte européenne.

 

Des mots, seulement des mots ?

La représentante de la diplomatie européenne Federica Mogherini déclarait le 16 juillet 2018 à l’issue d’une réunion avec les ministres des affaires étrangères des États membres de l’UE : « Nous avons approuvé l’actualisation du statut de blocage et nous prenons toutes les mesures pour permettre à l’Iran de bénéficier des retombées économiques de la levée des sanctions ». Cette position ferme résultait d’un long processus de tractations infructueuses avec le gouvernement américain.

De quelle marge de manœuvre les Européens disposent-ils ? Mettre en place un protocole de paiement direct entre la BCE et la Banque centrale iranienne (BCI) ? Abonder et couvrir le risque d’amende par les organismes publics d’investissement européens ? Obtenir des autorités américaines des dérogations au cas par cas ? Rendre l’Iran éligible à des prêts auprès de la Banque européenne d’investissement (BEI) afin d’éviter les transactions en dollars ?

Les déclarations à l’unisson de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni dans le sens de leur « engagement continu en faveur du JCPOA », dès le 8 mai — et constamment répétées depuis — doivent être portées à leur crédit. Mais les mesures concrètes pour sauver l’accord semblent tardives. Aussi serait-il contre-productif et exorbitant, voire irréaliste, d’en surseoir l’application à la mise en œuvre par le système bancaire iranien des recommandations du Groupe d’action financière (GAFI) contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme5 d’ici la fin octobre 2018. Trois principales mesures sont en discussion :

- la réactivation en deux étapes, le 6 août puis le 6 novembre, du statut du blocage de 1996 est un jalon positif : il interdit aux entreprises européennes de se conformer aux effets extraterritoriaux des sanctions américaines, sous peine de pénalités fixées par chaque État membre. Il leur ouvre également droit à indemnisation des préjudices résultant de ces sanctions par la personne morale qui en est à l’origine. Il les protège dans l’UE de toute poursuite américaine en invalidant toute procédure judiciaire étrangère. Cependant, même si le dispositif de 1996 a été consolidé pour inclure les transactions financières notamment, son efficacité est discutée et n’a jamais vraiment pu être testée. Il s’agit plus d’un signal politique envoyé par l’UE à ses partenaires américain et iranien ;

- la BEI, en tant qu’outil de financement de l’UE basée au Luxembourg, a été missionnée pour financer des projets viables en Iran, en particulier concernant de petites et moyennes entreprises. Son président Werner Hoyer a pourtant déclaré le 18 juillet en présence de Jean-Claude Juncker que développer des activités en Iran pourrait remettre en cause son business model, alors que sa dette en obligations américaines (bonds) s’élevait à 500 milliards d’euros ;

- peu claire également est la façon dont les dispositifs publics de financement du commerce avec l’Iran, comme la convention signée en janvier 2018 par Invitalia, l’Agence italienne d’investissement étranger, celle de l’agence autrichienne de crédit (OeKB) ou le projet annoncé de la BEI de financement en crédit acheteur d’un montant de 500 millions d’euros seront effectivement mis en œuvre.

Sur la question bancaire, le 19 juin 2018, le ministre français de l’économie Bruno Le Maire a fait un désagréable aveu d’impuissance : « Soyons honnêtes, la plupart des entreprises françaises ne pourront pas rester. Elles ont besoin d’être payées pour les produits qu’elles livrent ou fabriquent en Iran, et il n’existe pas d’institutions financières souveraines et autonomes en Europe ». Ces grandes banques craignent à juste titre la révocation de leur licence américaine.

Les mesures européennes vont certes dans le bon sens, mais demeurent insuffisantes. Certains professionnels comme la fédération des Opérateurs spécialisés du commerce international (OSCI) basée à Paris suggèrent d’aller plus loin, de s’inspirer de la loi sur les mesures extraterritoriales étrangères (Foreign Extraterritorial Measures Act, FEMA) canadien de 1985 en interdisant aux entreprises européennes « d’obéir à des sanctions prises par des gouvernements autres que les gouvernements européens ou l’Union européenne »(…), de négocier avec toute administration autre qu’une administration européenne des amendes relatives à des sanctions autres que celles prises par l’Union européenne » et en réservant « aux seules procédures de justice des tribunaux européens le droit de statuer sur les éventuelles violations d’un droit non européen qui seraient reprochées à des sociétés européennes pour des opérations financées en monnaie européenne et conduites depuis l’Europe »6.

Le maintien de l’accord nucléaire iranien relève d’enjeux géopolitiques plus larges qu’une question de balance commerciale. Comme le soulignait en mai 2018 un éditorial de l’Institut français des relations internationales (IFRI) fort à propos et cosigné par les directeurs de quatre think tanks européens en vue, défendre cet accord est pour les Européens affaire de crédibilité internationale, quitte à tester une relation transatlantique aujourd’hui chahutée par les orientations de la présente administration américaine.

1NDLR. Organisme de contrôle financier du trésor américain.

2Le précédent de l’amende BNP-Paribas d’un montant de 9 milliards de dollars (7,7 milliards d’euros) en 2014 reste le cas le plus évident.

3Les sanctions primaires concernent uniquement les « US persons » (administrés américains).

4La monnaie entre dettes et souveraineté, Odile Jacob, Paris, 2016.

5Il s’agit des standards dits AML/CFT (Anti-money laundering/combating the financing of terrorism).

Faillite de Lehman Brothers, dix ans après

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La faillite de la banque d’investissement Lehman Brothers le 15 septembre 2008 – la plus grosse faillite enregistrée par un établissement financier dans l’histoire des Etats-Unis – est considérée comme le point de départ d’une crise financière mondiale. Dix ans après l’onde de choc qui avait ébranlé les places boursières mondiales, les journalistes reviennent sur les effets politiques de la crise.

 

Les simples citoyens se sentent lésés

Si la croissance est de retour, les effets de la crise se font ressentir partout, souligne La Vanguardia :

«La dette publique mondiale a plus que doublé et s’élève désormais à 60 000 milliards de dollars ; idem pour la dette privée, qui atteint les 66 000 milliards. Il existe donc un risque permanent de nouveau krach. … Les banques et les multinationales enregistrent à nouveau des profits depuis des années, mais dans la plupart des Etats, la sortie de crise a été nationalisée, c’est-à-dire qu’elle est assurée par les contribuables. La colère que ce procédé a suscité, ainsi que le sentiment de duperie collective éprouvé par les classes moyennes et ouvrières, expliquent les changements au niveau politique : le renforcement des mouvements populistes, à gauche comme à droite, ainsi que la recrudescence du nationalisme.»

La Vanguardia (ES)

La crise financière a produit Trump et le Brexit

Il n’est pas surprenant que de larges pans de la population se soient détournés des élites dans de nombreux pays, juge également Financial Times :

«Les coûts ont en grande partie été assumés par ceux qui étaient le moins en mesure de les supporter. La consolidation financière a davantage reposé sur la réduction des dépenses publiques que sur les hausses d’impôts. En Grande-Bretagne, le ministre des Finances de l’époque, George Osborne, a eu recours dans 80 pour cent des cas à des mesures d’austérité. … Les ‘classes laborieuses’, tant chéries par les politiques quand ils ont besoin de voix, en ont fait les frais. … Peut-on s’étonner que les Américains blancs issus de la classe ouvrière, qui ont perdu des emplois jadis garantis, soutiennent aujourd’hui Donald Trump ? Ou bien que ce même groupe démographique ait été favorable au Brexit en Grande-Bretagne ?»

La gauche a laissé passer une chance historique

The Guardian déplore que le système capitaliste néolibéral, à l’origine de la crise financière, en soit ressorti quasi indemne :

«Le secteur bancaire n’a jamais été démantelé, le projet de taxation des transactions financières moisit au fond d’un placard et si les politiques ont évoqué l’idée d’un ‘new deal’ pour le climat, ils se sont hâtés de faire machine arrière. Il n’y a jamais eu de véritable renoncement au dogme dominant, juste une timide initiative qui a tourné court. L’amère vérité, c’est que la gauche a eu sa chance mais l’a galvaudée.»

The Guardian

Le péril italien

C’est en Italie que la prochaine crise financière risque de se déclarer, prévient Die Presse :

«Si les primes de risque continuent d’augmenter en raison du manque de discipline budgétaire, les coûts de refinancement, de par des cycles obligataires écourtés, connaîtront une hausse rapide et drastique. Les experts ont récemment estimé qu’en raison de la hausse des taux, le service de la dette pourrait s’élever à 150 pour cent du PIB dans les cinq prochaines années, même dans l’hypothèse d’une bonne croissance économique. Des chiffres de l’ordre de grandeur de la crise grecque, et qui sont susceptibles de mener, de manière tout à fait plausible, à un évènement de crédit. Quoi qu’il en soit, le gouvernement prépare déjà la population à des difficultés prévisibles : plusieurs membres du cabinet ont en effet récemment mis en garde contre de potentielles ‘attaques’ des marchés financiers contre le pays. Une fois de plus, on rejette préventivement la faute sur les autres.»

Die Presse (AT)

Le pire est encore à venir

Kathimerini estime également qu’il faut s’attendre à de nouveaux problèmes :

«Ces dix dernières années, de nombreux acquis que l’on croyait intangibles dans l’Occident développé ont perdu de leur validité, tandis que des choses que l’on croyait inconcevables font désormais partie du quotidien. … Le plus effrayant, c’est que nous n’en sommes qu’au début. La concurrence avec les pays asiatiques émergents ne fera que s’accentuer. Les technologies de la ‘quatrième révolution industrielle’ généreront des changements considérables mais difficiles à maîtriser au quotidien et au travail. Les démagogues d’aujourd’hui paraîtront rationnels et circonspects comparés à ceux qui leur succèderont. Les dix prochaines années pourraient être bien pires encore.»

Kathimerini (GR)