Jean-Gabriel Périot inviré du cinéma Diagonal à Montpellier
Avant-Première. Jean-Gabriel Périot présente Une jeunesse allemande au Diagonal.
Remise en cause de l’autorité parentale, crise profonde de la démocratie, inégalités professionnelles criantes, chasse aux sorcières, montée de la violence, apathie des intellectuels, propagande médiatique, jeunesse oubliée, l’Allemagne des années 70 semble lointaine et proche.
Né en 1974, Jean-Gabriel Périot livre avec Une jeunesse Allemande, un regard neuf sur le mouvement d’émancipation des jeunes Allemands dans les années 60 et 70 qui débute par des revendications et se finit dans la violence révolutionnaire. A partir d’images d’archive, le réalisateur se concentre sur le parcours des membres de la RAF (Rote Armee Fraktion) plus connue en France sous le nom de « la bande à Baader ».
Jean-Gabriel Périot n’aveugle pas le rapport que son film peut entretenir avec notre époque : « Il y a des résonances évidentes. Je suis parti du passé pour tenter de comprendre cette violence, ce qui peut amener des jeunes qui ne sont pas issus d’un milieu défavorisé à commettre l’irréparable. Le film permet de faire certaines transcriptions avec ce qui se passe aujourd’hui mais c’est aux spectateurs d’opérer. Les jeunes qui l’ont vu sont étonnés par l’analyse sociétale que font les étudiants avant qu’ils ne passent à l’action, beaucoup des problèmes soulevés persistent.»
Le film adopte un parti pris de neutralité à l’égard de la violence, « Il y a de choses que je ne sais toujours pas sur cette histoire, je l’ai traitée comme une tragédie.» De sorte que la violence reste toujours condamnable, qu’elle soit issue du terrorisme, de la police, ou purement politique.
Autre basculement, le film révèle l’arrivée du direct à la télévision et aborde la question du pouvoir de l’image. «La jeunesse révoltée considérait que faire un film ou passer à la télé, c’était faire la révolution. Ils ont été naïfs par rapport à leurs adversaires. Comme dans la phase de radicalisation, les gouvernants n’ont pas essayé d’empêcher les actions d’être commises, il ont profité du passage à l’acte pour bouleverser une société qui n’aurait pas accepté, sans le « terrorisme », les changements sécuritaires imposés.»
Musée.Tout était fictif et plein de mystère dans l’expo d’été du Mrac de Sérigan. Le Musée d’art contemporain propose un nouvel accrochage de sa collection et se prépare à son extension.
Amis des cérémonies de passage, si vous souhaitez vous ouvrir les chakras donnant accès au vaste réservoir d’imaginaire de l’art d’aujourd’hui, un petit tour au Musée régional d’art contemporain (MRAC) de Sérignan s’impose.
Ce lieu d’envergure national situé dans une commune de 7 000 habitants a pris place en 2006, dans les murs de l’ancienne cave viticole. Les vitrages qui projettent la lumière à l’intérieur comme à l’extérieur du bâtiment de 2 700 m2 sont signés Daniel Buren.
Labellisé centre régional Languedoc-Roussillon en 2010, le MRAC affirme des choix artistiques forts et invente de nouvelles formes de médiation à l’art. Ce travail s’est particulièrement développé sous la houlette d’Hélène Audiffren l’ex directrice du musée remplacée depuis un an par Sandra Patron qui reprend le flambeau avec de nouvelles perspectives.
L’exposition d’été qui vient de s’achever a été l’occasion de mettre en action le slogan « J’aime pas l’art contemporain mais je me soigne ». Elle présentait les oeuvres de quatre artistes fédérés par une approche ludique qui chacune à leur manière, interroge le monde en allant chercher du sens, très loin dans les murmures de notre vie intérieure.
L’installation de l’artiste conceptuel mexicaine Mariana Castillo Deball associe l’archéologie et l’ethnographie pour jouer sur un aller-retour temporel qui génère une approche différente et ouverte sur la modernité. L’allemand Reto Pulfer investit le Cabinet d’art Graphique du musée avec une recherche autour des rituels et processus créatifs qui font se croiser l’art et la vie. Hicham Berrada fait émerger un monde chimérique fascinant en manipulant des produits chimiques.
Les travaux du portugais Francisco Tropa développent une géométrie propre. L’artiste questionne, à travers des représentations abstraites, l’imbrication de la vérité et de la fiction. Il joue sur la surprise en prélevant des éléments dans la nature qu’il restitue avec des répliques parfaites en bronze. Nous invite à envisager des hypothèses à partir de ses antipodes. Evoque des oeuvres philosophiques grecques, ironise sur l’économie de moyen des minimalistes américains… Autant de propositions qui ont interpellé les visiteurs.
A découvrir jusqu’au 29 novembre Portrait de l’artiste en jeune homme un nouvel accrochage des collections.
Un an après sa nomination la directrice du Mrac Sandra Patron envisage l’avenir avec enthousiasme
Sandra Patron directrice du MRAC dans l’univers de Tropa.
A 42 ans Sandra Patron a dirigé le Parc Saint Léger, Centre d’art contemporain en plaçant la production des artistes et la sensibilisation des publics au coeur du projet. De 1998 à 2007, elle a dirigé triangle France à la Friche de la Belle de Mai à Marseille. Elle s’est engagée dans le bureau de l’association de développement des centres d’art qu’elle a présidé jusqu’en 2014. Elle a également été membre du Comité d’acquisition du Centre national des arts plastiques.
Dans quel état d’esprit vous trouvez-vous après un an à la tête du Mrac de Sérigan ?
Je suis très heureuse. Nous avons reçu cette année 20 000 visiteurs. Ce qui démontre l’intérêt que les gens portent au Mrac qui est éloigné de la capitale régionale. Nous sommes dans le chantier d’extension du musée qui va porter la superficie à 3 000 m2 et nous permettre de disposer de nouveaux espaces pour la collection et les expositions temporaires et d’améliorer l’accueil du public avec une nouvelle librairie.
Quelles ont été vos surprises depuis votre arrivée ?
Je viens de Bourgogne, où je suis restée sept ans. Ce qui m’a surprise c’est le foisonnement culturel dont bénéficie cette région. J’ai aussi été étonnée par l’état embryonnaire du réseau. C’est peut-être mon expérience de présidente des centres d’art qui me fait dire cela. Je pense que la synergie est importante pour anticiper et parfois répliquer aux politiques culturelles quand elles ne vont pas dans le bon sens. Il faudrait par exemple se préparer et être une force de proposition face à la redistribution qui découlera de la fusion des régions.
Comment dépasser les réticences du public à l’égard de l’art contemporain ?
Dans les faits, nous constatons une évolution très positive. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. 20 000 personnes à Sérignan c’est mieux que certaines Scènes Nationales. Nous bénéficions du travail de médiation de mon prédécesseur que nous allons poursuivre. La grosse difficulté, est de faire passer la porte. Il y a des stratégies à mettre en oeuvre. Certaines oeuvres sont immédiatement accessibles pour d’autres c’est plus compliqué. Il faut le dire, l’expliquer. On constate que les gens l’acceptent mais il faut les accompagner.
Vos projets pour le Mrac ?
Je travaille pour obtenir une partie du fond du Cnap une collection publique dotée de 95 000 oeuvres qui n’a pas d’espace d’exposition. Je voudrais étoffer le fond de dessin du cabinet graphique et les oeuvres d’artistes figurant dans la collection. Celle-ci commence dans les années 80, j’aimerais ouvrir sur les années 70.
C’est une chance pour moi d’arriver au moment de l’extension. J’ai le sentiment que la pensée peut se déployer. Elle suit l’espace.
La belle saison de Catherine Corsini sortie national mercredi 19 août
Cinéma. Catherine Corsini présente en avant première à Montpellier son dernier film La belle saison. Une histoire d’amour entre deux femmes au début des années 70 en pleine éclosion du féminisme.
Le cinéma français produit des histoires d’amour qui ne finissent pas toujours mal. Ni toujours bien d’ailleurs, ce qui compte, et qui plait, ce sont les hésitations sentimentales qui mettent en péril les êtres et les principes de la raison. Le dernier film de Catherine Corsini, La belle saison, projeté en avant première à Montpellier jeudi au cinéma Diagonal, est de ceux là.
La réalisatrice porte à l’écran une histoire d’amour entre une jeune parisienne, militante féministe libérée (Cécile de France), et une fille de paysans creusois, qui peine à s’émanciper (Izïa Higelin). Les rapports amoureux et les questionnements sur l’identité sexuel jalonnent l’oeuvre de Catherine Corsini qui s’inscrit discrètement mais pleinement dans le paysage du cinéma français contemporain.
« Le cinéma c’est des hommes qui ont filmé des femmes », disait Jean-Luc Godard dans ses Histoires du cinéma, mais peut on être sensible à l’art cinématographique sans l’être à l’ouverture sur le monde et à la diversité que le cinéma véhicule?
Avec La belle saison Catherine Corsini aborde pour la première fois frontalement l’homosexualité féminine en appréhendant à la fois le contexte politique et le contexte social. Elle situe une grande partie de l’action dans l’environnement rural, loin des avancées idéologiques qui percent dans le monde urbain de l’après soixante-huit. Avancée qui comme l’on sait, ne sont jamais acquises.
ENTRETIEN
« Je reste attentive au cinéma de mes consoeurs »
Catherine Corsini Photo Dr
Le film offre trois entrées, le féminisme des années 70, la vie et les valeurs du monde rurale de l’époque et l’histoire d’amour entre deux femmes, comment avez vous joué et imbriqué ces trois thèmes ?
J’avais depuis longtemps l’envie de faire une grande histoire d’amour entre deux femmes, contrariée par le drame de l’empêchement, une forme de Roméo et Juliette au féminin. Ce qui m’a poussé à raconter cette histoire ce sont les manifestations contre l’adoption du mariage pour tous et l’homophonie latente qu’elles ont véhiculé. J’ai préféré situer l’action au début des années 70 parce que je ne tenais pas à retomber dans les mêmes prismes du débat sociétal et politique. Cet épisode m’a fait réfléchir. J’ai réalisé que beaucoup d’acquis sur lesquels nous vivons, nous les devons aux féministes de cette époque parmi lesquelles il y avait de nombreuse homosexuelles.
Et concernant le choix de tourner dans le Limousin ?
La campagne, c’était le désir de retrouver une partie de ma jeunesse. J’ai choisi le paysage dont émane une sensualité très forte plutôt que les chambres. Cela permettait aussi de faire des allers et venues entre deux mondes. Celui de Delphine qui veut reprendre l’exploitation, – ce qui ne se faisait pas. On est femme d’agriculteur mais pas agricultrice – et celui de Carole, la prof parisienne engagée plus âgée, que la jeune fille va complètement perturber. Il y a une dimension initiatique qui joue dans les deux sens. Delphine initie Carole à l’homosexualité et Carole fait découvrir le combat féministe à Delphine qui s’y engage sans retenue. Elle se libère à Paris mais de retour à la ferme, elle choisit la terre. C’est viscérale.
Comment avez vous abordez les scènes de nu ?
Je voulais éviter le regard voyeur dans les scènes. L’angle est volontairement frontal presque en un seul plan. J’ai travaillé de façon picturale, comme dans les tableaux de Renoir et Manet, avec respect, surtout pour Izïa Higelin qui n’était pas à l’aise. Je ne savais pas si j’allais trouver la justesse et la rigueur de ton.
Vous montrez les hommes sous un beau jour…
Le propos n’est pas de placer les hommes dans un rapport antagoniste, bien au contraire. Ils sont plutôt chevaleresques, attentifs. Manuel le petit ami de Carole se demande s’il s’agit d’une expérience et quand il comprend sa dépendance amoureuse, il l’a met face à ses contradictions. Il est blessé mais ce n’est pas un salaud. Dans le personnage de l’éconduit, Antoine est très attachant. Il berce dans l’ironie dramatique.
Quel regard portez-vous sur le cinéma français en tant que réalisatrice ?
J’ai eu la chance de réaliser tous mes projets. Beaucoup de mes amies ont connu des interruptions de carrière après avoir eu un enfant. Je reste attentive au cinéma de mes consoeurs.
«A l’étranger, on est parfois les représentants de la French Touch tout en étant citoyens du monde» Photo dr
Rencontre. Hilight Tribe en concert aux arènes de Frontignan dans le cadre du festival Salut Riton mercredi 12 août.
Hilight Tribe le groupe français à l’origine du Natural Tribe cartonne sur la scène internationale techno et s’allie les publics de la Spiral tribe à l’origine des free party comme ceux de la techno hardcore, le tout avec des compos 100% instrumentale. Entretien avec Ludo un des fondateurs du groupe.
Pouvez-vous retracer la genèse de votre parcours atypique ?
On a débuté à la fin des années 90. Hilight Tribe est né d’une fusion entre deux groupes de Rock. Le mien qui officiait dans le rock californien et celui de Greg qui donnait dans le rock avec des influences reggae. Nous étions en Californie qui était en plein revival des années 70. Le destin a mis sur notre chemin le producteur Jean-Marc Landau (décédé en 2012) qui avait vécu au Sri Lanka, à Bali, Goa et au Népal. On s’est retrouvé sur la même longueur d’onde. Il cherchait une nouvelle forme dans cette mouvance mais sans refaire love love love des Beatles.
En 98, il nous a réunit en haut d’une montagne des Baléares pendant 6 mois et nous a demander d’oublier tout ce qu’on avait fait avant. C’est l’acte de naissance du groupe sur une base folk, musiques du monde et électro.
Votre tournée passe par Goa, l’Israël, le Portugal qui furent des hauts lieux hippies. Comment se compose votre public actuel ?
On rassemble plusieurs mouvances du public electro, celui des rave party, de la trance, du harcore, il y a aussi beaucoup de gens qui viennent des courants de la spiral tribe, et de la house. Le rapport avec les hippies, c’est l’idée qu’on vient de la nature et qu’elle peut nous permettre de nous évader. On use de la technologie pour sa capacité à rassembler, à apporter un message pour tous. On est à la fois connecté à l’ancestral et à la modernité.
En France, le public de la contre culture et plutôt malmené c’est dernier temps, avec une multitude de festivals annulés, comme si l’on souhaitait faire le ménage pour favoriser les temples de la conso clé en main…
Ouais, nous avons vécu la magie des free party et aujourd’hui on entre dans une erre où tout est beaucoup plus encadré. C’est la globalisation. Il s’est passé un peu la même chose dans les années 70 quand les groupes comme Pink floyd ont émergé, puis sont devenus des méga produits.
Quel place concédez-vous à la machine ?
Les compos sont purement instrumentales. On utilise la machine pour produire des sonorités bizarre qui rappellent le synthé. On applique du digital sur les voix et les instruments acoustiques. On met des filtres sur les guitares des capteurs sur la batteries. C’est l’alliance de l’acoustique et du digital.
Vos influences puisées dans les musiques du monde vous permettent-elles des rencontres avec les musiciens traditionnels ?
J’ai fait plein de jam avec des musiciens du monde entier. J’ai souvenir d’une rencontre avec les joueurs de Knawa au Maroc où on a joué quasiment 24h d’affilé entrecoupées de quelques heures de sommeil. J’ai joué en Afrique de l’Ouest avec les griots de la musique mandingue qui sont d’une richesse extraordinaire, avec les Amérindiens dont les tambours apportent beaucoup de spiritualité.
On suit la voie du coeur et on garde les pieds sur terre sans tomber dans les mouvements conspirateurs New-âge qui échappent à la philosophie et à la science.
Franck Tenaille dans les coulisses de Fiest’A Sète
Franck Tenaille. Entretien avec le président de Zone Franche, le réseau des Musiques du monde qui réunit toute la chaîne des métiers de la musique à l’occasion du festival Fiest’A Sète 2015.
Titulaire d’une licence d’ethnologie et d’un doctorat de sociologie, Franck Tenaille est journaliste spécialisé dans les musiques du monde, conseiller artistique, responsable de la commission des musiques du monde de l’Académie Charles Cros. Il est aussi président du réseau Zone Franche.
Lors de votre conférence sur la musique durant les années de l’indépendance donnée à Fiest’A Sète, vous avez souligné que l’Afrique musicale précède l’Afrique politique. Que voulez-vous dire ?
Le choc de la Seconde guerre mondiale a fait craquer l’ordre colonial avec de sanglants soubresauts entre l’indépendance promise et l’indépendance octroyée. Durant cette période, la musique n’a eu de cesse d’affirmer l’identité culturelle niée par la colonisation. Elle a su faire entendre les plaies dans les consciences de l’oeuvre civilisatrice et faire vivre un patrimoine humain commun.
La musique accompagne aussi directement les mouvements politiques des indépendances…
Au tournant des années 60 se profile la proclamation des indépendances. En 1957, la Gold Coast rebaptisée Ghana en référence à l’ancien empire africain, devient le premier pays indépendant d’Afrique subsaharienne. E.T. Mensah, un pharmacien de métier, monte un grand Orchestre et devient le roi du highlife. Le genre musical s’épanouit dans un cadre en pleine effervescence. Dans ce contexte, la musique constitue le complément artistique au projet panafricain du premier ministre indépendantiste NKrumah.
En Guinée qui accède à l’indépendance un an plus tard, Joseph Kabassele Tshamala, le fondateur de l’African Jazz, compose le fameux Indépendance Cha Cha. Le premier président Guinéen Sékou Touré déclare : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté que l’opulence dans la servitude », et s’engage dans la modernisation des arts et notamment de la musique pour en faire le fer de lance de l’authenticité culturelle. « La culture est plus efficace que les fusils », dira-t-il encore. Le titre Indépendance Cha Cha devient le premier tube panafricain. On l’écoute dans la majorité des pays africains qui accèdent à l’indépendance : du Congo au Nigéria, du Togo au Kenya, du Tanganyika à Madagascar. Les indépendances des années 1960 passent par la musique et ouvrent tous les possibles.
Outre votre travail d’auteur et de journaliste vous êtes membre fondateur de Zone Franche. Quels sont les objectifs poursuivis par ce réseau ?
Zone Franche existe depuis 1990, C’est un réseau consacré aux musiques du monde qui réunit toute la chaîne des métiers de la musique, de la scène au disque et au médias, et rassemble 300 membres répartis majoritairement sur le territoire français mais aussi dans une vingtaine de pays. Nous travaillons sur la valorisation des richesses de la diversité culturelle et des patrimoines culturels immatériels, les droits d’auteurs, la circulation des oeuvres et des artistes, le soutien à la création artistique…
Que recoupe pour vous le terme « musiques du monde » ?
Les musiques du monde sont la bande son des sociétés, des mémoires, des anthropologies culturelles… Si on veut faire dans le cosmopolitisme, on dira que 80% des musiques écoutées sur la planète sont des musiques du monde. Après il y a les styles musicaux, les genres, les architectures, les syncrétisations… Zone Franche est un réseau transversal, on est un peu l’écosystème professionnel des musiques du monde.
N’est-ce pas difficile d’agir à partir d’intérêts différents et parfois contradictoires ?
On entre dans le réseau à partir d’une structure. Chaque nouvelle adhésion est votée en AG, et chaque membre adhère à la charte des musiques du monde. On n’est pas dans « l’entertainment », l’esprit serait plus proche de l’éducation populaire, un gros mot que j’aime utiliser. Nous avons rejeté quelques candidatures pour non respect des artistes ou des législations existantes. On n’est pas non plus à l’expo coloniale. Notre financement provient des cotisations calculées en fonction des revenus de la structure et d’un partenariat tripartite entre le ministère de la Culture, celui des Affaires Étrangères et d’organisations de la société civile comme la Sacem, Adami, Spedidam.
Comment conciliez-vous toutes les esthétiques ?
A peu près tous les genres de musiques sont représentés, de la musique savante, ethnique, à la world, le rap, les musiques inscrites dans le in situ en fonction des communautés et les emprunts conjoncturels divers et variés que j’appelle les illusions lyriques, mais au final, tous les gens inscrits dans le réseau sont des passeurs.
Intervenez-vous face au refus de visa qui reste un frein puissant à la mobilité des artistes ?
Ce problème se pose de façon crucial et il s’est généralisé. Il n’y a pas d’homogénéisation des politiques et les guichets pour obtenir un visa sont très différents. Dans le cas des tournées, il est rare d’entrer et de ressortir par le même endroit. Nous nous battons pour clarifier les textes, les procédures et les références. Souvent les politiques paraissent lisibles mais les marges de manoeuvre d’application le sont beaucoup moins. De par notre savoir-faire et notre expertise, nous parvenons à débloquer un certain nombre de situations sur le terrain,. On a souvent joué les pompiers face aux abus de pouvoir ou au manquement des managers.
Votre objet politique se présente-t-il comme une alternative à la diplomatie économique qui a transformé les diplomates en VRP de luxe ?
Qu’est ce que la mondialisation culturelle ? Est-ce le résultat d’un consensus libéral établi sur le plus petit dénominateur commun des particularismes de l’homo economicus culturel ? Sous cette forme de mondialisation digeste, nous aurions Victor Hugo pour la France, Cervantès pour l’Espagne et Shakespeare pour le R.U et pourquoi s’enquiquiner a éditer d’autres auteurs et à plus forte raison à produire de la musique Inuite…
Nous négocions régulièrement avec les agents publics de la diplomatie pour défendre la portée éminemment politique des enjeux esthétiques et leur diversité. C’est un combat permanent, à la fois une résistance et une conquête. La base, c’est celui qui n’a pas de conscience est vaincu.
On travaille sur la transmission dans le temps long. Je peux citer beaucoup de patrimoines musicaux en voix de disparition qui sont revenus à la vie, des Lobi du Burkina à la musique de Bali en passant par les Marionnettes sur l’eau du Vietnam. A partir de là, une nouvelle génération peut se rapproprier ces ressources uniques et les renouveler.
Recueilli par Jean-Marie Dinh
Franck Tenaille est notamment l’auteur de : Les 56 Afrique, 2 t. : Guide politique 1979 Éditions Maspéro. Le swing du caméléon 2000 Actes Sud, La Raï 2002 Actes Sud