Le 4 octobre 1984, le leader socialiste et panafricaniste Thomas Sankara, élu président du Burkina Faso en 1983, prononça à l’ONU un discours qui marqua les esprits. Il fut assassiné trois ans plus tard.
(…) Il est nécessaire, il est urgent que nos cadres et nos travailleurs de la plume apprennent qu’il n’y a pas d’écriture innocente. En ces temps de tempêtes, nous ne pouvons laisser à nos seuls ennemis d’hier et d’aujourd’hui le monopole de la pensée, de l’imagination et de la créativité. (…)
Nous voudrions que notre parole s’élargisse à tous ceux qui souffrent dans leur chair. Tous ceux qui sont bafoués dans leur dignité par une minorité d’hommes ou par un système qui les écrase. (…) Je ne parle pas seulement au nom de mon Burkina Faso tant aimé, mais également au nom de tous ceux qui ont mal quelque part. (…)
Je parle au nom des artistes — poètes, peintres, sculpteurs, musiciens, acteurs —, hommes de bien qui voient leur art se prostituer pour l’alchimie des prestidigitations du show-business. Je crie au nom des journalistes qui sont réduits soit au silence, soit au mensonge, pour ne pas subir les dures lois du chômage. Je proteste au nom des sportifs du monde entier dont les muscles sont exploités par les systèmes politiques ou les négociants de l’esclavage moderne. (…)
Notre révolution, au Burkina Faso, est ouverte aux malheurs de tous les peuples. Elle s’inspire aussi de toutes les expériences des hommes depuis le premier souffle de l’humanité. Nous voulons être les héritiers de toutes les révolutions du monde, de toutes les luttes de libération des peuples du tiers-monde. (…)
Extrait de Thomas Sankara parle. La révolution au Burkina Faso, 1983-1987, Pathfinder, Atlanta (États-Unis), 2007.
28 ans après son assassinat, le Président Thomas Sankara fascine toujours autant. Celui qui fût tour à tour soldat, officié, révolutionnaire, Président est aujourd’hui élevé au rang d’icône du continent africain. Retour sur l’incroyable parcoure du leader du pays des hommes libres…
Alors que le Burkina Faso ré-ouvre l’enquête sur son assassinat, Thomas Sankara reste 28 ans après son décès la deuxième personnalité africaine préférée par les jeunes (le premier reste Nelson Mandela). Alors qu’il n’a été Président que quatre années, l’impact sur l’opinion publique africaine semble impérissable.
Le fougueux Capitaine de 33 ans accède à la tête de la Haute Volta à la suite d’un coup d’état, le 4 Août 1983. Déjà connu pour d’importants faits d’arme lors de la guerre contre le Mali, puis pour sa démission retentissante du poste de Secrétaire d’Etat et enfin son emprisonnement, il est déjà l’opposant politique le plus en vue du continent. Pour le conseiller Afrique de François Mitterrand « ce capitaine est un homme dérangeant», leurs relations seront toujours conflictuelles et souvent froides. Et pour cause, Sankara est aussi impatient qu’impertinent, aussi radical que patriote, aussi utopiste que populiste. Bref les deux hommes s’opposent autant dans leurs politiques que leurs personnalités. Il ne tardera pas à renommer la Haute Volta par Burkina Faso, le pays des hommes intègres en langue mooré. Les paroles sont suivies par des actes : diminution forte du train de vie de l’Etat, émancipation des femmes, réformes agraires, campagne de scolarisation. Avec Sankara les réformes vont vite, peut-être trop vite. Si l’histoire retient le leader charismatique et intègre, elle oublie parfois sa part d’ombre, son autorité débordante, son manque de patience, ou encore les tribunaux populaires de la révolution qui firent tant de prisonniers.
Si aujourd’hui Thomas Sankara est élevé au rang d’idole, c’est aussi, peut-être, car sa gouvernance ne s’est pas épuisée dans le temps. Mais c’est surtout parce qu’il fût l’un des rares hommes politiques cohérent. Pour réduire le train de vie de l’état, exit les limousines blindées, place à la Renault 5. Pour être proche du peuple, exit les soirées feutrées des palais, place aux soirées entre amis sur les terrasses de bar de Ouagadougou. L’homme ne feignait pas d’être simple, il l’était.
Sankara est aussi l’homme qui a redonné de la fierté à son peuple, non seulement il était patriote et souverainiste, il était surtout courageux. Dans une Afrique encore docile, lui n’avait pas peur de créer des incidents diplomatiques. Défendant corps et âme l’intérêt de sa nation, il surpasse l’organisation éthnique et tribale de son pays, pour l’unir dans un projet commun. Plus incroyable encore, dans un continent rongé par la corruption et l’immobilisme politique, le Capitaine redonne de l’espoir à la jeunesse et veut lui offrir un avenir prospère, chez elle, en Afrique.
A l’époque où la seule opportunité d’évolution sociale rapide pour les jeunes africains est l’immigration, la pensée de Sankara trouve écho dans les cœurs et les esprits d’une génération entière. Sa mort, elle aussi participe au mythe. Alors qu’il est en réunion avec les membres de son cabinet, les premiers tirs de kalachnikov claquent, le jeune Président s’empare d’une arme et se présente à la porte, face aux assaillants. Il meurt quelques instants plus tard, avec les armes à la main et le courage comme étendard. Le commanditaire de l’assassinat serait son ami, son frère d’arme, le capitaine Compaoré qui avouera à demi-mots des années plus tard : « c’était lui ou moi… ».
Plus que la Personne, c’est le héros mort en martyr que l’on admire. Plus que le bilan politique, c’est l’espoir et la dynamique qu’il a su créer que l’on regrette. Peut importe sa part d’ombre et son inspiration ouvertement marxiste et léniniste, Thomas Sankara est de ceux qui laissent leur trace et dont la mémoire fait vivre l’espoir de la jeunesse d’un continent qui en manque terriblement.
Le capitaine Thomas Sankara, a été assassiné dans l’exercice de ses fonctions le 15 octobre 1987. Bien que ce crime soit resté impuni, son œuvre, accomplie en à peine quatre années, reste vivante dans le cœur des africains et des peuples en lutte tant elle correspond aujourd’hui encore aux besoins et aux aspirations du continent. Qu’il s’agisse de l’annulation de la Dette, du problème du néocolonialisme, de la lutte active contre la corruption, de la promotion des femmes, de l’économie rurale, de la responsabilisation des citoyens, de la santé, de l’éducation… Thomas Sankara apparaît comme un grand précurseur. Sa simplicité, sa vivacité d’esprit, son humour, sa droiture, sa générosité, en font un modèle pour la une jeunesse africaine .
Contacts info : Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde france@cadtm.org Site : www.cadtm.org
Figure incomparable de la politique africaine et mondiale [1949-1987], radicalement insoumis à tous les paternalismes et docilisations pourtant plus sûrs placements en longévité politique post-coloniale, Thomas Sankara a légué aux générations futures la verve et l’énergie de l’espoir, l’emblème de la probité et la conscience historique de l’inaliénabilité de la lutte contre toutes oppressions.
Prononcé lors de la 39ème Session de l’Assemblée Générale des Nation-Unies, le 4 octobre 1984, ce discours historique à n’en point douter, mérite de constituer l’humus fertilisant des nouvelles consciences en mouvement, avides de justice, de liberté, d’enrichissements mutuels.
Les choses ont évolué dans le mauvais sens. Sankara assassiné. Les dictateurs africains sont bien accrochés à leur rôles d’affameurs de peuples soutenus par les lobbies occidentaux consommateurs des ressources naturelles et vendeurs d’armes.
Le message des pays occidentaux vers ces dictateurs est clair : »Vendez-nous votre pétrole, nous vous vendrons nos armes pour entretenir l’instabilité de vos pays qui vous permettent de vous maintenir au pouvoir ».
Le discours de Thomas Sankara
« Permettez, vous qui m’écoutez, que je le dise : je ne parle pas seulement au nom de mon Burkina Faso tant aimé mais également au nom de tous ceux qui ont mal quelque part.
Je parle au nom de ces millions d’êtres qui sont dans les ghettos parce qu’ils ont la peau noire, ou qu’ils sont de cultures différentes et qui bénéficient d’un statut à peine supérieur à celui d’un animal.
Je souffre au nom des Indiens massacrés, écrasés, humiliés et confinés depuis des siècles dans des réserves, afin qu’ils n’aspirent à aucun droit et que leur culture ne puisse s’enrichir en convolant en noces heureuses au contact d’autres cultures, y compris celle de l’envahisseur.
Je m’exclame au nom des chômeurs d’un système structurellement injuste et conjoncturellement désaxé, réduits à ne percevoir de la vie que le reflet de celle des plus nantis.
Je parle au nom des femmes du monde entier, qui souffrent d’un système d’exploitation imposé par les mâles. En ce qui nous concerne, nous sommes prêts à accueillir toutes suggestions du monde entier, nous permettant de parvenir à l’épanouissement total de la femme burkinabè. En retour, nous donnons en partage, à tous les pays, l’expérience positive que nous entreprenons avec des femmes désormais présentes à tous les échelons de l’appareil d’Etat et de la vie sociale au Burkina Faso. Des femmes qui luttent et proclament avec nous, que l’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort.
Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère et nous en appelons à toutes nos sœurs de toutes les races pour qu’elles montent à l’assaut pour la conquête de leurs droits.
Je parle au nom des mères de nos pays démunis qui voient mourir leurs enfants de paludisme ou de diarrhée, ignorant qu’il existe, pour les sauver, des moyens simples que la science des multinationales ne leur offre pas, préférant investir dans les laboratoires de cosmétiques et dans la chirurgie esthétique pour les caprices de quelques femmes ou d’hommes dont la coquetterie est menacée par les excès de calories de leurs repas trop riches et d’une régularité à vous donner, non, plutôt à nous donner, à nous autres du Sahel, le vertige. Ces moyens simples recommandés par l’OMS et l’UNICEF, nous avons décidé de les adopter et de les populariser.
Je parle aussi au nom de l’enfant. L’enfant du pauvre qui a faim et louche furtivement vers l’abondance amoncelée dans une boutique pour riches. La boutique protégée par une épaisse vitre. La vitre défendue par une grille infranchissable. Et la grille gardée par un policier casqué, ganté et armé de matraque. Ce policier placé là par le père d’un autre enfant qui viendra se servir ou plutôt se faire servir parce que présentant toutes les garanties de représentativité et de normes capitalistiques du système.
Je parle au nom des artistes – poètes, peintres, sculpteurs, musiciens, acteurs – hommes de bien qui voient leur art se prostituer pour l’alchimie des prestidigitations du show-business.
Je crie au nom des journalistes qui sont réduits soit au silence, soit au mensonge, pour ne pas subir les dures lois du chômage.
Je proteste au nom des sportifs du monde entier dont les muscles sont exploités par les systèmes politiques ou les négociants de l’esclavage moderne.
Mon pays est un concentré de tous les malheurs des peuples, une synthèse douloureuse de toutes les souffrances de l’humanité, mais aussi et surtout des espérances de nos luttes.
C’est pourquoi je vibre naturellement au nom des malades qui scrutent avec anxiété les horizons d’une science accaparée par les marchands de canons. Mes pensées vont à tous ceux qui sont touchés par la destruction de la nature et à ces trente millions d’hommes qui vont mourir comme chaque année, abattus par la redoutable arme de la faim…
Je m’élève ici au nom de tous ceux qui cherchent vainement dans quel forum de ce monde ils pourront faire entendre leur voix et la faire prendre en considération, réellement. Sur cette tribune beaucoup m’ont précédé, d’autres viendront après moi. Mais seuls quelques-uns feront la décision. Pourtant nous sommes officiellement présentés comme égaux. Eh bien, je me fais le porte-voix de tous ceux qui cherchent vainement dans quel forum de ce monde ils peuvent se faire entendre.
Oui, je veux donc parler au nom de tous les « laissés pour compte » parce que « je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ».