Voix Vives : 100 poètes dans la ville

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Sète. La poésie est une fête globale et lucide sur la réalité du monde.

Poésie, chemin de paix

« Quand la société est en crise le poète ne peut que prendre note dans sa poésie de la crise traversée », constate le poète libanais et président d’honneur du festival Salah Stétié. « Il arrive dans certains cas très rares qu’un souhait bien exprimé par un poète puisse se retrouver mobilisateur », ajoute-il encore.

A l’instar de ce vers du poète Abou Kacem Al Chebbi « Lorsque le peuple un jour veut la vie / Force est au destin de répondre / Aux ténèbres de se dissiper » devenu un élément de l’hymne national tunisien. Mais combien de poètes empêchés, emprisonnés, exilés pour leur amour de la liberté… Le festival Voix Vives qui bat son plein à Sète jusqu’au 30 juillet offre l’immense plaisir et privilège de les rencontrer dans les rues et d’éprouver le souffle de leur poésie et de leurs réflexions.

imagesAshur Etwebi est né à Tripoli, c’est un poète renommé en Libye qui a contribué à faire renaître une culture libre après la chute du président Kadhafi. Il a du quitter son pays en 2015  pour émigrer en Norvège. « Il n’est pas aisé de vivre cet exil… » Si le système intellectuel d’un Clausewitz a fait beaucoup de petits en s’évertuant à penser et à comprendre la nature et l’essence de la guerre, celui des poètes de la Méditerranée qui la subissent, cherchent les chemins de la paix.

« Il n’y a aucun courage dans la guerre. La guerre prend votre air, votre inspiration, la guerre prend votre ombre, la guerre prend ton âme, affirme Ashur Etwebi. Pendant 42 ans nous avons été sous le joug d’un dictateur fou. On attendait juste qu’une fenêtre s’ouvre à nous pour un lendemain. Lorsque le Printemps arabe a éclaté, nous avons vraiment cru que le paradis était juste à un bras de nous. Mais on s’est confronté quelques mois après à la réalité. Ce que nous pensions être un paradis n’était autre qu’un vrai enfer. Après avoir liquidé un gouverneur fou, on s’est retrouvé face à des milliers de fous sanguinaires qui ont mis le feu au pays. »

L’art des poètes est de nous toucher par leur sincérité. A Sète, les artistes témoignent parfois aussi de leur expériences politiques et sociétales apportant d’autres regards.

« La première année après la chute de Kadhafi, la société civile s’est développée. Pendant que nous essayons de la consolider, les islamistes extrémistes, travaillaient en toute intelligence à mettre la main sur le gouvernement. Le résultat du match fut la perte de la société  civile et la réussite des groupes extrémistes islamistes. Ce qui est  à noter, c’est que des pays étrangers, qui  pratiquent la démocratie en paroles et en apparence, ont appuyé et armé ces groupes terroristes extrémistes. C’est pour cela que les Libyens connaissent aujourd’hui une grosse déception. C’est un désastre dans les âmes, dans l’économie et dans tous les domaines de la vie finalement. »

Que font les poètes dans ce contexte ?  « Ils ont  à leur disposition leur inspiration, parfois un organe de presse mais si cet organe déplaît à telle ou telle faction, ou au gouvernement, on a vite fait de l’étrangler et le poète se retrouve muet et souvent jeté dans les caves et les prison du régime jusqu’à ce que mort s’en suive, indique Salah Stétié, C’est arrivé en Europe. Il ne faut pas croire que l’Europe est descendue du ciel avec l’idéal démocratique. Les poètes peuvent ramener un peu de paix, demain un peu plus de paix, et peut être un jour la Paix..

JMDH

Source La Marseillaise 28/07/2016

 

L'ouverture du festival Sètes quartiers hauts

L’ouverture du festival Sètes quartiers hauts dr

 

Poésie
Le festival Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée a débuté hier dans l’île singulière un marathon poétique de neuf jours qui éprouve les sens. L’entraînement n’est pas requis, il suffit de tendre l’oreille, sentir, voir… pour éprouver les embruns de toutes les rives.

La saison Voix Vives a débuté. Au bord de la grande bleue, c’est le moment où la ville de Sète s’ouvre à la mer comme un livre ivre.  Celui où les lettres s’émancipent pour tracer tous les sens imaginables de la liberté. Profitant de la léthargie temporaire des cahiers scolaires, les milliers de mots se rebiffent pour célébrer le culte de la poésie vivante. Cent poètes traversent les rives tels des prophètes, pour investir la ville de Sète où ils vont se croiser durant neuf jours dans pas moins de six cent cinquante rendez-vous  !  Les poèmes sont livrés par leur auteur en langue originale, puis traduit par des comédiens. Ils résonnent parfois aux rythmes des  musiciens, du balancement des hamacs, ou du frémissement des feuilles, ou encore de la houle des vagues pendant les lectures en mer…

Quarante pays représentés

Parmi les poètes invités on pourra notamment croiser dans les rues cette année Jacques Ancet (France), Horia Badescu (Roumanie), Mohammed Bennis (Maroc), Jean-Pierre Bobillot (France), Denise Boucher (Francophonie/Québec), Philippe Delaveau (France), Haydar Ergülen (Turquie), Déwé Gorodé (Francophonie/Nelle-Calédonie), Vénus Khouy-Ghata (Liban/France), Paulo Jose Miranda (Portugal), María Antonia Ortega (Espagne), Anthony Phelps (Francophonie/Haïti), Liana Sakelliou (Grèce), Yvan Tetelbom (Algérie) sans oublier son président d’honneur, Salah Stétié (Liban) empêché l’an passé pour des raisons de santé.

Cette liste pourrait se prolonger. Elle révèle l’ouverture du festival sur un monde que les visions éthnocentriques ignorent bien dangereusement. Quarante pays sont représentés  à Voix Vives cette années. On y accède gratuitement,  de l’aube à la nuit par le plus sûr des moyens, la poésie comme regards portés sur le monde et comme chemin vers l’humain.

 JMDH

Concerts du festival au Théâtre de la Mer avec Pierre Perret, Tiken Jah Fakoly et Misa Criolla. Réservation : 04 99 04 72 51

Source : La Marseillaise samedi 23 juillet 2016

Voir aussi : Rubrique Festival, Voix vives 2015, site officiel, Sans frontières les poèmes disent l’essentiel, rubrique MéditerranéeLybie, Liban, Tunisie, rubrique Livre, Poésie, rubrique /Méditerranée,

Montpellier danse. Salia Sanou « Du désir d’horizons « 

 Une dimension narrative qui alterne avec des passages plus abstraits. dr


Une dimension narrative qui alterne avec des passages plus abstraits. dr

La vie un tout et un pas grand chose…

Avec Du désir d’horizons Salia Sanou approche l’indicible et l’absurde condition de vie d’un camp de réfugiés.

Depuis l’automne 2014, le chorégraphe Salia Sanou et les danseurs de La Termitière, Centre de développement chorégraphique de Ouagadougou, conduisent des ateliers dans le camp de réfugiés maliens de Sag-Nioniogo au Burkina Faso. L’action s’inscrit dans le cadre de Refugies on the move, un programme d’African Artists for Development initié en 2009. La danse y est support de médiation sociale, afin de réduire la violence intra et intercommunautaire, de favoriser le dialogue avec l’extérieur et de redonner estime de soi aux déplacés.

En commençant ces ateliers, Salia Sanou s’interrogeait sur les désirs pour l’avenir « dans ce lieu hors du temps où l’histoire semble s’être arrêtée, les liens aux autres et au monde semblent perdus ». Au centre de cette interrogation, les 35 000 réfugiés qui avaient fui la guerre et le texte Limbes/Limbo, un hommage à Samuel Beckett de l’auteure canadienne Nancy Huston. Le spectacle élaboré avec sept danseurs, certains des interprètes sont issus du camp, n’est pas une illustration du texte ni des réalités des exilés. La danse, porte l’énergie des femmes qui « réinventent chaque jour un peu de vie,  dit le chorégraphe, la musique et le rythme m’apparaissent comme un moyen de retour à la vie, même si… ».

D’abord le silence, et le mouvement du corps, celui d’une femme. Le corps parle de la brutalité violente de la vie. Le corps danse. Il est rejoint, par d’autres corps qui se nouent et se dénouent, se nourrissent d’états vécus, de rires et de douleurs, de tensions et de solidarités. La vie est là, puissante et fragile, sans assurance.

La vie est le risque de chaque instant qui repousse l’idée de futur, de rêve et de projet. Parce qu’ici et maintenant, ouvrir une perspective passe inévitablement par son corps que l’on met en danger.

L’oeuvre de Salia Sanou intègre depuis sa rencontre avec Mathilde Monnier, l’héritage de la danse africaine et de la danse contemporaine. Par la force de son propos, cette création, pousse le chorégraphe burkinabé à une grande liberté d’expression très perceptible sur le plateau.

Salia Sanou s’approprie les codes et les pratiques de la danse contemporaine et les ordonnent en intégrant une dimension narrative qui alterne avec des passages plus abstraits. Cette approche infléchit plusieurs directions de recherche, qui évoquent le concept de comédie musicale, brandissent l’étendard de  la nouvelle danse française des années 80, virent à l’escapade grecque, sans se départir des évidences naturelles africaines qui s’imposent comme préalable.

L’impulsion demeure la base qui dessine les identités spatiales et entraîne dans son  sillage le sentiment de vitesse et d’accélération du temps où la danse tisse une partition avec le texte absurde. L’usage de l’énergie africaine adossée à l’édifice de la danse contemporaine raconte une histoire. Celle d’hommes qui éprouvent, vivent et finalement produisent le monde dans lequel ils vivent. Désirs d’horizons ?

JMDH

Source : La Marseillaise 05/07/2015

Voir aussi : Rubrique Danse, rubrique Festival, rubrique Afrique, Afrique du Sud,

Le Festival de Thau solidaire et engagé

Angelique Ionatos Abbaye de Valmagne le 24 juillet  2016.  Photo dr

Angelique Ionatos Abbaye de Valmagne le 24 juillet 2016. Photo dr

La  26e édition du Festival de Thau qui mixe cultures musicales de la planète et conscience écologique affirme sa singularité  du 18 au 24 juillet.

Outre qu’il est toujours attractif avec une affiche très alléchante, la certification à la norme Iso 20121,  rend cette année le Festival de Thau officiellement responsable. De quoi glaner quelques précisions auprès de sa fondatrice Monique Tessier sur ce qui se cache derrière ce sigle qui en dépit des apparences n’a rien de barbare.

« Cela fait 10 ans que nous avons positionné le festival sur l’axe du développement durable. Notre association (Jazzamèze) a été certifiée en juillet 2015 nous avions candidaté parce que ce label correspond à notre démarche initiale. Pour l’heure, très peu de structures organisatrices de festivals bénéficient en France, de cette certification. C’est le cas des TransMusicales de Rennes par exemple.»

On  constatera une nouvelle fois avec l’édition 2016, que le Festival de Thau, moment phare d’un travail de développement d’activités artistiques à l’année, ne se contente pas d’une simple programmation musicale, mais s’efforce de trouver en permanence des prolongements à un moment festif qui favorise l’échange toujours en lien avec son territoire.

Cette année les Eco-Dialogues concoctés par Thierry Salomon, tourneront autour du film «Demain» de Cyril Dion et Mélanie Laurent. L’action avec le Silo, centre de création coopératif dédié aux musiques du monde et traditionnelles porté par Le Festival Détours du Monde et le Festival de Thau se consolide. Il donnera lieu à trois créations. Le 18 juillet à Bouzigues on pourra découvrir Raizes. Une rencontre musicale entre le Brésil et la Syrie sur le thème de la migration. Avec la création Béatik, le 20 juillet à Montbazin, Stéphane et Beata (France/Slovaquie) emprunteront à des chants traditionnels pour donner vie à une musique audacieuse reliant l’Est et l’Ouest de l’Europe. Le 22 juillet à Mèze la création Uèi fera pont entre la France et l’Occitanie, Marseille et Montpellier  autour de chants polyphoniques teintés d’électro.

Elargir le réseau

Pour le festival, l’obtention du label Iso 20121 vient couronner  un long travail de construction et le pousse à prolonger son travail dans des domaines comme l’économie durable, la réduction de l’empreinte environnementale, l’accessibilité des publics ou la promotion du respect de l’environnement.

« C’est un peu fou de l’obtenir pour une petite structure comme la nôtre. Cela nous pousse à aller plus loin, confirme Monique Tessier, à réfléchir à la gouvernance, à travailler de manière transversale, à mettre tous les salariés au même niveau d’information. Pour ne pas rester isolés, nous nous ouvrons à différentes collaborations au Vigan, à Bédarieux ou encore à Sète avec le festival Images Singulières

Côté concerts, la 26e édition demeure éclectique avec une forte présence africaine doublée d’une  thématique sur les femmes engagées à l’image des Amazones d’Afrique, premier groupe malien exclusivement féminin. A noter aussi la présence de l’ambassadrice Rokia Traoré, le retour de la reine du Calypso qui a fait succomber Manu Chao, Calypso Rose, ou encore la sublime chanteuse grecque Angélique Ionatos accompagnée par Katerina Fotinaki  qui apporteront une réponse poétique à la situation de leur pays.

Le festival de Thau est une perle dont la brillance comporte  plusieurs facettes. « C’est encore assez peu compris », indique Monique Tessier, On a du mal a appréhender un festival de musique plus largement ouvert sur la vie sociale, la lutte contre les discriminations, pourtant cette notion, on aimerait la porter au même niveau que les concerts…

JMDH

Source : La Marseillaise 08/06/2016

Voir aussi : Rubrique Actualité Locale, Rubrique Musique, rubrique Festival, rubrique Société, Droit des femmes, Ecologie, Education,

Arabesques « Le combat est culturel. Nous devons être au front »

Arabesques : pour se construire il faut savoir d’où l’on vient

Nesma  dépeint l’itinéraire de la poésie  arabo-andalouse.  Photo dr

Nesma dépeint l’itinéraire de la poésie arabo-andalouse. Photo dr

Le festival Arabesques qui met en lumière la richesse des cultures arabes est aussi un vecteur d’intégration.

A travers cette 11e édition, le festival Arabesques poursuit l’exploration des multiples richesses de la culture du Monde Arabe. Un voyage qui nous conduit à travers l’histoire sur des terres d’échanges et de tolérance en se gardant bien de la tentation exotique ou folklorique au sens touristique du terme. Il s’attache aux racines comme à la réalité multiculturelle, y compris dans l’hexagone. L’action menée auprès des scolaires durant toute l’année par l’association Uni’Son, mis à l’honneur au début du festival, est une pierre angulaire d’une manifestation dont la programmation reste avant tout festive.

Hier au cinéma Diagonal, la projection du documentaire de Wahid Chaïb et Laurent Benitah s’inscrit pleinement dans cet esprit. Le film Chaâba du bled au bidonville évoque le Chaâba, lieu d’habitation surnommé par ses habitants qui signifie « trou», « patelin lointain » en arabe dialectal. Il propose un coup de projecteur sur un lieu de vie de 1949 à 1967 d’une trentaine de familles algériennes venues en France au sortir de la seconde guerre avec l’espoir d’améliorer le quotidien de leurs familles restée en Algérie.

Ce témoignage soulève la difficulté d’une génération de migrants et de leurs descendants à évoquer le passé. Il participe pleinement à la démarche positive d’Arabesques quant aux origines déjà évoquées lors des éditions précédentes avec le témoignage des Chibanis.

Le passage de repères identitaires bouleversés  à celui de cultures partagées suppose un travail de (re) connaissance auquel s’emploie le festival à travers de multiples propositions.
A l’heure de la montée de l’influence salafiste auprès d’une partie de la jeunesse, les déclarations du chef du gouvernement actant que le courant fondamentaliste « était en train de gagner la bataille idéologique et culturelle » ne peuvent que renforcer l’échec de l’intégration. Parce qu’elles tendent à désigner l’islam en général comme une menace dirigée contre la France.

La partie de la compréhension et de l’humanisme défendue par Arabesques qui concerne la grande majorité des musulmans français sans se limiter à une communauté religieuse ou une carte d’identité, porte en revanche ses fruits. On le voit dans la diversité du public.

A l’heure où les bidonvilles ressurgissent dans les grandes villes françaises, poussés par les inégalités croissantes, et l’arrivée de nouvelles populations migrantes il parait urgent de s’intéresser, aux origines des problèmes posés, à la richesse des identités culturelles concernées pour ne pas reproduire un schéma discriminant voué à l’échec.

JMDH

Source : La Marseillaise 19/05/2016

Du bonheur en perspective

Orchestre arabo-andalou de Fès

Orchestre arabo-andalou de Fès

Le début de semaine fut illuminé par la présence exceptionnelle et  hypnotisante de l’Orchestre arabo-andalou de Fès à l’Opéra Comédie.  Sous le serein patronage de Mohamed Briouel qui se produit aussi en compagnie d’artistes de traditions juives, les huit musiciens chanteurs de l’orchestre national ont interprété un répertoire traditionnel du XV² siècle. La restitution de la musique ancienne andalouse marocaine dans la pure tradition, porte en elle une dimension populaire attisée par la présence des artistes qui a conquis le public Montpelliérain.

La fin de semaine s’annonce également riche en propositions.

Hindi Zahra

Hindi Zahra

Vendredi  à 19h30 au Théâtre Jean-Claude Carrière, un concert de  Bab Assalan quartet issue d’une rencontre entre le luthiste syrien Khaled et son frère percussionniste, Mohanad  Aljaramani et le clarinettiste français  Raphaël Vuillard. A 21h30 suivra dans l’Amphi D’O un double plateau plein d’énergie. Karimouche la chanteuse danseuse rappeuse et comédienne  débarque sur scène avec son style et son franc-parler pour embarquer le public dans un show musical où se côtoient ragga, reggae électro et pop music. Dans un style tout autre, plus dépouillé, la chanteuse d’origine berbère Hindi Zahra pose le charme de sa voix sur des mélodies jazz, soul et folk.

Waed Bouhassoun

Waed Bouhassoun

Samedi, le rêve commence à 15h avec la conteuse Halima Hamdane (pour enfant). A 16h le journaliste Rabah Mezouane fait le point sur la musique du Maghreb dans le paysage français. A 18h, il ne faut pas manquer le récital de la syrienne Waed Bouhassoun, une outiste talentueuse qui chante des poèmes d’Adonis, Mansur al-Hajjal, d’al -?Mulawwah, ou d’Ibn Arabi sur ses propres compositions.

Voir programme jusqu’à dimanche Festival Arabesques 2016.

 

 

 

« Faire émerger l’idée d’une communauté au sein de laquelle ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise. »

Habib Dechraoui

Habib Dechraoui

Entretien avec Habib Dechraoui, le directeur du festival Arabesques qui a débuté par deux journées dédiées au public scolaire.

Fort de son expérience, le festival Arabesques se positionne aujourd’hui comme un carrefour permettant le croisement des richesses artistiques du monde arabe et comme un merveilleux outil de coopération avec les villes et acteurs culturels des pays de l’autre rive de la Méditerranée. L’édition 2016 qui se tient à Montpellier jusqu’au 22 mai rend compte de ce mouvement, de ces croisements, de ces apports culturels.

Après la dixième édition célébrée l’année dernière, quel type de motivation vous guide dans le contexte difficile que traversent les pays arabes ?


L’édition 2015, a été très appréciée pour sa qualité artistique et très suivie avec près de 200 000 personnes concernées par le festival et tout le travail réalisé en amont par l’association Uni’Sons qui oeuvre notamment auprès des scolaires. Avec Jeunesse en Arabesques, nos activités de sensibilisation artistique qui contribuent au rapprochement entre les peuples, connaissent une demande exponentielle. Pour une autre partie du public,  l’opéra du Caire perpétuant le répertoire Oum Kalsoum à l’opéra Comédie reste un souvenir inoubliable.

C’est aussi un vecteur qui fait sens  car il s’agit  de musique classique. Un double rapprochement s’est opéré du public habituel de l’opéra vers un répertoire différent et d’un public qui apprécie ce répertoire mais n’avait jamais franchi les portes de l’opéra. Avec la directrice de l’opéra, Valérie Chevalier, très enthousiasmée par cette expérience, nous poursuivons notre collaboration. Cette année nous recevons l’orchestre arabo-andalou de Fès, le groupe le plus important  du genre andalou marocain. Ils seront à Montpellier lundi 16 mai pour une date unique en France. Et d’autres projets sont en cours.

Sous quelles étoiles s’inscrit le thème de l’Orient merveilleux ?


Sous le ciel  aux mille et une étoiles de l’héritage arabo-andalou. Nous avions choisi la thématique avant les attentats de novembre dernier. Ces sinistres événements nous renforcent dans notre conviction que la culture est le vecteur essentiel du savoir vivre ensemble. Il s’agit de souligner et de faire émerger l’idée d’une communauté au sein de laquelle  ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise. Cet héritage commun n’appartient pas à une religion ou une autre.

Vous employez  le terme communauté, comment faut-il l’entendre ?


Lorsque je parle d’Arabesques, je fais tout pour ne pas évoquer la religion qui relève du domaine privé. La communauté à laquelle je fais référence se compose d’une pluralité d’identités à la fois sociales, géographiques, ethniques, populaire, rurales et urbaines… La communauté est la somme de ces identités qui composent le public d’Arabesques.

Auquel s’ajoute les artistes qui viennent d’autres rives de la Méditerranée. J’admire par exemple le courage de la société civile tunisienne qui est très active. J’ai envie d’y contribuer à un petit niveau en faisant venir des artistes. La scène émergente du monde arabe est pleine de vivacité à l’instar du  festival musical de Beyrouth Beirut & Beyond dont la dernière édition à pour la première fois été annulée en raison des troubles que connaît la capitale libanaise. Tous ces artistes composent une partie de notre communauté. Il nous font du bien. C’est une des raisons d’être du festival Arabesques de donner à comprendre,  de préserver l’art traditionnel arabe et de rendre visibles les créateurs émergents. Pour des raisons budgétaires, j’ai malheureusement dû annuler deux projets auxquels je tenais beaucoup : une création audiovisuelle égyptienne, et un groupe palestinien.

Le festival ne se réduit pas  à établir une programmation, où en êtes-vous dans la mise en perspective ?

Nous avons passé le cap des dix ans l’an dernier. Après chaque édition l’équipe du festival se retrouve dans les Cévennes pour faire le bilan. Je sais généralement où je veux aller mais il est important pour moi de rester à l’écoute des acteurs qui m’accompagnent depuis le début. Si la musique reste  au centre de notre programmation parce qu’elle est populaire et fédératrice le festival a la volonté d’amener le public ailleurs . Aussi bien vers des  formes classiques que vers la découverte de groupes rock et électro qui font une percée significative dans les pays arabes. Nous avons aussi la volonté d’ouvrir le festival à d’autres formes d’expressions artistiques comme les arts plastiques,  le théâtre, le cirque… pour suivre le mouvement de la nouvelle scène arabe qui diversifie ses moyens d’expression.

La délocalisation du festival pourrait-elle être en jeu dans les années à venir ?

Depuis trois ans les sollicitations se succèdent à l’échelle européenne et au-delà. Mais je suis attaché à mon territoire d’action qui est un des plus sinistrés. Notre QG se situe toujours dans le quartier haut de La Paillade. Je pense que le combat doit se mener au front. C’est important de ne pas déserter parce que le monde à horreur du vide.

Aujourd’hui dans les quartiers, on voit les acteurs économiques, sociaux et culturels agoniser. Une fois qu’ils ne seront plus là, ce sera la fin. Après les attentats de Bruxelles, le  Bourgmestre à fait un constat très lucide en affirmant que le combat contre le terrorisme et le repli identitaire passaient d’abord par la culture et l’éducation.
Pour moi le succès  du festival n’est pas une surprise. Il est lié au soutien du Conseil départemental, mais je connaissais dès le début le potentiel de ce projet. Après 10 ans nous devons projeter de nouveaux axes de développement. Je persiste à penser que nous devons lancer des passerelles à partir d’ici, des racines. Mes parents sont arrivés là dans les années 50. Tout cela je le valorise aujourd’hui et cela me donne de la force. On ne devrait pas accorder tant d’attention aux gens qui présentent leur projet avant de leur demander leur bilan. Ce qu’il ont fait concrètement.

Vos coup de coeur à l’affiche de cette 11e édition…

Le cabaret Tam Tam qui nous fait replonger dans les nuits parisiennes festives de la diaspora orientale parisienne dans les années 40. Et le récital  de Waed Bouhassoun réfugiée syrienne qui interprète ses compositions au Luth sur des poèmes d’Adonis, Sorhawardi ou Ibn Arabi. Elle me touche beaucoup.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 14/05/2016

Voir aussi : Rubrique  Festival, Il était une fois les Chibanis, rubrique Méditerranée, rubrique Montpellier, rubrique Politique, Politique Immigration, Politique Culturelle, Politique de l’Education,

Franck Tenaille. « On est l’écosystème des musiques du monde »

Franck Tenaille dans les coulisses de Fiest'A Sète

Franck Tenaille dans les coulisses de Fiest’A Sète

Franck Tenaille. Entretien avec le président de Zone Franche, le réseau des Musiques du monde qui réunit toute la chaîne des métiers de la musique à l’occasion du festival Fiest’A Sète 2015.

Titulaire d’une licence d’ethnologie et d’un doctorat de sociologie, Franck Tenaille est journaliste spécialisé dans les musiques du monde, conseiller artistique, responsable de la commission des musiques du monde de l’Académie Charles Cros. Il est aussi président du réseau Zone Franche.

Lors de votre conférence sur la musique durant les années de l’indépendance donnée à Fiest’A Sète, vous avez souligné que l’Afrique musicale précède l’Afrique politique. Que voulez-vous dire ?

Le choc de la Seconde guerre mondiale a fait craquer l’ordre colonial avec de sanglants soubresauts entre l’indépendance promise et l’indépendance octroyée. Durant cette période, la musique n’a eu de cesse d’affirmer l’identité culturelle niée par la colonisation. Elle a su faire entendre les plaies dans les consciences de l’oeuvre civilisatrice et faire vivre un patrimoine humain commun.

La musique accompagne aussi directement les mouvements politiques des indépendances…

Au tournant des années 60 se profile la proclamation des indépendances. En 1957, la Gold Coast rebaptisée Ghana en référence à l’ancien empire africain, devient le premier pays indépendant d’Afrique subsaharienne. E.T. Mensah, un pharmacien de métier, monte un grand Orchestre et devient le roi du highlife. Le genre musical s’épanouit dans un cadre en pleine effervescence. Dans ce contexte, la musique constitue le complément artistique au projet panafricain du premier ministre indépendantiste NKrumah.

En Guinée qui accède à l’indépendance un an plus tard, Joseph Kabassele Tshamala, le fondateur de l’African Jazz, compose le fameux Indépendance Cha Cha. Le premier président Guinéen Sékou Touré déclare : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté que l’opulence dans la servitude », et s’engage dans la modernisation des arts et notamment de la musique pour en faire le fer de lance de l’authenticité culturelle. « La culture est plus efficace que les fusils », dira-t-il encore. Le titre Indépendance Cha Cha devient le premier tube panafricain. On l’écoute dans la majorité des pays africains qui accèdent à l’indépendance : du Congo au Nigéria, du Togo au Kenya, du Tanganyika à Madagascar. Les indépendances des années 1960 passent par la musique et ouvrent tous les possibles.

Outre votre travail d’auteur et de journaliste vous êtes membre fondateur de Zone Franche. Quels sont les objectifs poursuivis par ce réseau ?

Zone Franche existe depuis 1990, C’est un réseau consacré aux musiques du monde qui réunit toute la chaîne des métiers de la musique, de la scène au disque et au médias, et rassemble 300 membres répartis majoritairement sur le territoire français mais aussi dans une vingtaine de pays. Nous travaillons sur la valorisation des richesses de la diversité culturelle et des patrimoines culturels immatériels, les droits d’auteurs, la circulation des oeuvres et des artistes, le soutien à la création artistique…

Que recoupe pour vous le terme « musiques du monde » ?

Les musiques du monde sont la bande son des sociétés, des mémoires, des anthropologies culturelles… Si on veut faire dans le cosmopolitisme, on dira que 80% des musiques écoutées sur la planète sont des musiques du monde.  Après il y a les styles musicaux, les genres, les architectures, les syncrétisations… Zone Franche est un réseau transversal, on est un peu l’écosystème professionnel des musiques du monde.

N’est-ce pas difficile d’agir à partir d’intérêts différents et parfois contradictoires ?

On entre dans le réseau à partir d’une structure. Chaque nouvelle adhésion est votée en AG, et chaque membre adhère à la charte des musiques du monde. On n’est pas dans « l’entertainment », l’esprit serait plus proche de l’éducation populaire, un gros mot que j’aime utiliser. Nous avons rejeté quelques candidatures pour non respect des artistes ou des législations existantes. On n’est pas non plus à l’expo coloniale. Notre financement provient des cotisations calculées en fonction des revenus de la structure et d’un partenariat tripartite entre le ministère de la Culture, celui des Affaires Étrangères et d’organisations de la société civile comme la Sacem, Adami, Spedidam.

Comment conciliez-vous toutes les esthétiques ?

A peu près tous les genres de musiques sont représentés, de la musique savante, ethnique, à la world, le rap, les musiques inscrites dans le in situ en fonction des communautés et les emprunts conjoncturels divers et variés que j’appelle les illusions lyriques, mais au final, tous les gens inscrits dans le réseau sont des passeurs.

Intervenez-vous face au refus de visa qui reste un frein puissant à la mobilité des artistes ?

Ce problème se pose de façon crucial et il s’est généralisé. Il n’y a pas d’homogénéisation des politiques et les guichets pour obtenir un visa sont très différents. Dans le cas des tournées, il est rare d’entrer et de ressortir par le même endroit. Nous nous battons pour clarifier les textes, les procédures et les références. Souvent les politiques paraissent lisibles mais les marges de manoeuvre d’application le sont beaucoup moins. De par notre savoir-faire et notre expertise, nous parvenons à débloquer un certain nombre de situations sur le terrain,. On a souvent joué les pompiers face aux abus de pouvoir ou au manquement des managers.

Votre objet politique se présente-t-il comme une alternative à la diplomatie économique qui a transformé les diplomates en VRP de luxe ?

Qu’est ce que la mondialisation culturelle ? Est-ce le résultat d’un consensus libéral établi sur le  plus petit dénominateur commun des particularismes de l’homo economicus culturel ? Sous cette forme de mondialisation digeste, nous aurions Victor Hugo pour la France, Cervantès pour l’Espagne et Shakespeare pour le R.U et pourquoi s’enquiquiner a éditer d’autres auteurs et à plus forte raison à produire de la musique Inuite…

Nous négocions régulièrement avec les agents publics de la diplomatie pour défendre la portée éminemment politique des enjeux esthétiques et leur diversité. C’est un combat permanent, à la fois une résistance et une conquête. La base, c’est celui qui n’a pas de conscience est vaincu.

On travaille sur la transmission dans le temps long. Je peux citer beaucoup de patrimoines musicaux en voix de disparition qui sont revenus à la vie, des Lobi du Burkina à la musique de Bali en passant par les Marionnettes sur l’eau du Vietnam. A partir de là, une nouvelle génération peut se rapproprier ces ressources uniques et les renouveler.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Franck Tenaille est notamment l’auteur de : Les 56 Afrique, 2 t. : Guide politique 1979 Éditions Maspéro. Le swing du caméléon 2000 Actes Sud, La Raï 2002 Actes Sud

Source : La Marseillaise 10/08/2015

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Rencontres, rubrique Afrique, rubrique Musique, Les Ambassadeurs,

« 8O% des musiques écoutées sur la planète sont des musiques
du monde » photo DR