Cinéma et sida, la guerre de la représentation

 Zero Patience  (1993 de  John Greyson.

Zero Patience (1993 de John Greyson.

Arts et sida
A l’occasion de la journée mondiale de la lutte contre le sida du 1er décembre, Montpellier Danse libère la parole à l’occasion de deux soirées débat suivies de projections. La première qui s’est tenue mardi  a évoqué l’impact de cette maladie sur le 7e art.

Montpellier Danse s’inscrit de longue date comme un vecteur de réflexion sur l’influence du sida sur la danse et plus largement sur le monde de l’art. La danse contemporaine a été très tôt sensibilisée à la problématique. « Conséquence de la libération des corps en 1968, l’explosion de la nouvelle danse, portée par la jeune génération, est court-circuitée par le VIH qui fait son apparition en 1985 », rappelle le journaliste spécialisé montpelliérain Gérard Mayen qui animait le débat. Parmi les victimes du virus le danseur, chorégraphe, Dominique Bagouet, fondateur du CCN de Montpellier et du Festival Montpellier Danse succombe à l’épidémie le 9 décembre 1992.

En raison d’un imprévu la critique d’art Elisabeth Lebovici auteure  de Ce que le sida m’a fait – Art et activisme à la fin du XXe siècle, (Les presses du réel 2017) n’a pu honorer l’invitation. Dans cet ouvrage très documenté, elle revisite, avec sa mémoire de témoin, les liens entre art et activisme durant les « années sida » en France et aux États-Unis. Elisabeth Lebovici rend compte d’une créativité artistique et activiste née de l’urgence de vivre et du combat pour la reconnaissance de tous·tes avec un point de vue féministe assumée. A ses yeux, « l’homophobie est une forme déplacée de la misogynie», souligne Gérard Mayen.

Élaborer ses propres images
Dans Le sida face à la caméra, (collection Images d’ErosOnyx 2017), le journaliste critique de cinéma Didier Roth-Bettoni s’intéresse au corpus cinématographique ayant trait au sida.

Comme le mouvement gay dans les années 70, le sida génère un cinéma spécifique qui élabore ses propres images dont l’auteur scrute avec pertinence et sensibilité les enjeux. Il démontre comment  ce « cinéma de l’intérieur» a participé à la construction de la communauté LGBT mais aussi à la manière dont le reste de la société l’a regardée.

Dans le large éventail des films étudiés, l’auteur distingue sans jugement les films compassionnels comme Philadelphia « qui appelle à la tolérance, avec des limites dans les représentations…» et les films plus engagés, à l’instar de Zero Patience  (1993), du canadien John Greyson. Un ovni sulfureux et hilarant qui pose les vraies questions. Projeté à l’issue de la conférence à Montpellier, le film est offert  avec l’achat du livre.

« L’objectif de ce courant cinématographique est double, indique Didier Roth-Bettoni : représenter d’une part, des familles alternatives, et un environnement plus chaleureux et joyeux face à une société qui est dans le déni , et évoquer, d’autre part, la représentation de corps vivants, luttant contre le virus mais aussi contre les structures sociales.» L’auteur entend ainsi faire oeuvre d’historien auprès des nouvelles générations pour que  «tout ne soit pas à recommencer de zéro

JMDH

Prochaine soirée le 7 dec à 17h30 à l’Agora sur le thème La recherche contre le VIH et le sida :  un point sur les nouvelles avancées à Montpellier.

Source La Marseillaise 30 /11/2017

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Les réalités flottantes de Ralph Gibson au Pavillon populaire

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Montpellier expo photo
« Ralph Gibson. La trilogie, 1970-1974 »

Le Pavillon populaire présente pour la première fois l’ensemble des tirages des trois tomes de l’emblématique photographe américain. Près de 130 images composent cette oeuvre incontournable qui flirte avec le cinéma et la littérature.

Né en 1939 à Los Angeles, Ralph Gibson fut l’assistant de Dorothea Lange, puis de Robert Frank. Désirant s’éloigner de la photographie documentaire pour donner libre cour à son expression artistique, il part  à New York en 1966.  Pensionnaire du mythique Chelsea hôtel, évoqué par Jean-Claude Carrière comme « une grotte féérique », il côtoie des artistes venus de tous les mondes. Gibson vit de façon précaire, se consacrant entièrement à la prise de vue, il ne peut rester insensible à l’élan créatif de son environnement. Et notamment à celui de  la Nouvelle Vague, (Godard, Resnais) et du nouveau roman, (Butor, Robbe Grillet). Son projet de livre photographique d’un nouveau genre ne rencontre pas l’agrément des maisons d’édition traditionnelles, ce qui pousse le jeune photographe à fonder son propre label Lustrum Press qui publie en trois volumes, The Somnambilist (1970), Déjà-Vu (1973) et Days at Sea (1974) ses travaux regroupés sous le nom The Trilogy.

The  Somnambilist
Dans le premier des trois ouvrage, The Somnambilist, Ralph Gibson produit un texte qui s’attache à révéler les forces de l’inconscient par le dérèglement des formes habituellement perçues. En guise de propos liminaire, l’artiste invite «le gentil lecteur» à un voyage entre rêve et réalité.  « En dormant, un rêveur réapparaît ailleurs sur la planète, se transformant en au moins deux hommes. Les rêves qu’il fait dans son sommeil fournissent la matière de cette réalité tandis que ses rêves éveillés deviennent ce qu’il pensait être sa Vie...»  Pour Gibson, les images aspirent à visualiser les rêves et les désirs des hommes. « Dès l’origine de son projet, Ralph Gibson souhaite aller plus loin, donner à son livre photographique une ambition bien plus large, telle qu’on la trouve dans la littérature ou au cinéma, où l’effet de sens globale porte sur la totalité de sa production », souligne Gilles Mora, fin connaisseur de la photographie américaine et commissaire de l’exposition.

Ralph Gibson Déjà-vu : rapprochement visuel opéré en une image double étant lu comme unifiée.

Ralph Gibson Déjà-vu : rapprochement visuel opéré en une image double étant lu comme unifiée.

Déjà -vue
Le second livre de Ralph Gibson, Déjà Vu, traduit davantage son refus de s’intéresser à la réalité.  L’artiste pénètre plus avant dans le monde onirique pour instruire sur le monde caché. Ces photographie se promènent avec une imagination ininterrompue sur les nouveautés d’un monde qui s’offre au regard. Au-delà du temps présent, telle cette double page où la main qui tient le revolver et le corps de celui qui est censé tirer appartiennent à des géographies et des dates différentes. Le rapprochement visuel opéré en une image double étant lu comme unifiée. La vision souple et rapide plonge dans la découverte pour révéler les dessous de l’âme. Le texte a disparu derrière  ce titre paradoxal Déjà-vu alors que le photographe contribue à faire éclater la pratique photographique en jouant avec le  rapport à l’espace qu’il entretien avec son sujet comme avec l’oeil du spectateur. A moins qu’avec ses gros plans sur des objets décontextualisés, le photographe se soit rapproprier le procédé de la nouvelle vague consistant à désigner de l’art dans ce qu’il n’est pas. Si l’artiste construit son imaginaire sur la représentation il nous invite manifestement à le suivre sur ce chemin.

Ralph Gibson Day at Sea : les photographies érotiques en noir et blanc transforme le lecteur en lecteur-voyeur.

Ralph Gibson Day at Sea : les photographies érotiques en noir et blanc transforme le lecteur en lecteur-voyeur.

Days at Sea
Le dernier opus de sa grande oeuvre, Day at Sea s’ouvre sur la sphère intime des pulsions sexuelles. Fidèle à une esthétique héritée de Man Ray et d’un certain surréalisme qui peut évoquer l’univers de Buñuel, les photographies érotiques en noir et blanc de Gibson transforme le lecteur en lecteur-voyeur. Le langage s’épure, l’artiste parvient à faire sortir de la chambre noire les vraies formes lumineuses non dénuées d’ambiguïté.

Gilles Mora évoque à raison The Trilogy comme une oeuvre ouverte. La chronologie des trois livres peut se lire comme un cheminement vers l’abstraction. Dont la conclusion discrètement glissée par l’auteur au bas d’une page blanche en français, serait : « La Trilogie est achevée. Quel désir impossible.»

 Jean-Marie Dinh

Ralph Gibson, «La Trilogie, 1970-1974 », dernière exposition de la saison américaine au Pavillon Populaire, jusqu’au 7 janvier 2018, entrée libre.

Source : La Marseillaise 11/11/2017

Voir aussi ;   Rubrique Artrubrique PhotoLes voyages subtils et coupables de William Gedney, Cap sur l’Amérique au Pavillon Populaire, rubrique Exposition, rubrique Littérature, rubrique Cinéma, rubrique Montpellier, rubrique Etats-Unis, rubrique Société,

Jacques Allaire : « On ne considère pas la normalité comme normale »

«Je veux seulement que vous m’aimiez» avec la troupe de La Bulle Bleue.  Photo dr

«Je veux seulement que vous m’aimiez» avec la troupe de La Bulle Bleue. Photo dr

Démarche artistique. Le metteur en scène évoque son travail sur Fassbinder avec les comédiens en situation de handicap de La Bulle Bleue.

Prenez garde à Fassbinder !  Première création d’un travail au long court mené par trois  metteurs en scène avec une compagnie professionnelles en situation de handicap. A découvrir au chai de la Bulle Bleue jusqu’au 1er décembre.

« Je veux seulement que vous m’aimiez», un titre évocateur ; celui du spectacle de Jacques Allaire que l’on peut voir dès aujourd’hui jusqu’au 1er décembre à la Bulle Bleue, premier volet d’un projet théâtral à suivre autour de  l’oeuvre de  Fassbinder,  joué par une compagnie professionnelle en situation de handicap. Mené sur trois ans à l’initiative Bruno Geslin la démarche artistique associe deux autres metteurs en scène. Jacques Allaire grand navigateur du théâtre de l’émotion et infatigable artisan de l’esthétique de la résistance et l’indisciplinée et ludique Evelyne Didi dont le parcours ne s’est jamais éloigné de la part noble du spectacle vivant.

« On se connaît professionnellement, précise Jacques Allaire, mais nous n’avions pas de liens amicaux. Nous avons en revanche une vision partagée de l’importance du geste artistique dans la société, de l’incidence du temps présent… Des questions liées à la Bulle Bleue. On ne considère pas la normalité  comme normale.» Pour cet artiste qui assure lui-même les scénographies, et conçoit ses créations avec l’exigence nécessaire au « théâtre de l’émotion », il n’a pas été question un instant de renoncer à la recherche ou à l’invention.

« La majorité des acteurs préparent toujours la phrase d’après, jusqu’à produire l’inverse de ce qui est attendu. Avec des acteurs en situation de handicap, il n’y a pas de multiple praticable. L’endroit où la chose se situe est un cailloux. Une vertu unique, sans posture, et sans retour où l’homme se soumet à la rencontre de son possible.»

A partir d’une série d’entretien de Fassbinder sur le cinéma, qu’il a décortiqué avec les douze acteurs durant quinze jours, Jacques Allaire a créé des situations « une horlogerie de mouvements »  et produit un texte, une reconstruction sous forme de dialogue sur mesure, pour chacun des comédiens.

« Fassbinder puise son inspiration dans le réel. Lorsqu’il parle du cinéma il évoque des films qui parlent de la vie ou il s’en sert pour parler de la vie : Est-ce qu’une vie commune est possible ? Comment vit-on avec la société, avec sa famille, avec son amant, en couple ? Comment éprouve-t-on la solitude ? Il est mort à 37 ans et sa production artistique théâtrale et cinématographique est énorme. Il travaillait en permanence sans faire de différence entre ce qu’il vivait artistiquement et sa propre vie. Son corps, son espace ne faisait qu’un

Appréhender l’univers de Fassbinder, par son positionnement politique, son travail sur les marges, ses personnages confrontés à la violence de part leurs différences, sa militance poétique permanente, s’articule et s’applique au projet mené par la Bulle Bleue avec une vraie troupe singulière et professionnelle qui joue dans un vrai théâtre.

« Je ne souffre pas comme eux, mais nous avons des choses en commun, confie Jacque Allaire, J’aime leurs différences. Je la respecte. Je n’ai pas été aimable, je voulais que chaque chose renvoie à une pensée. Je leur ai dit, il n’y a rien que vous ne pouvez faire. Si vous souffrez on arrête, mais je ne veux pas de justification. Je ne cherchais rien ou simplement ce qui est juste. On est parvenu à une présence absolue, quelque chose qui relève de la spiritualité, une totalité de forces concentrées

 JMDH

Au Chai de La Bulle Bleue, jusqu’au 1er decembre 2017, 285 rue du Mas de Prunet à Montpellier Village Les Bouisses. Resa : 04 67 20 94 94.

 

La genèse du projet conduit à La Bulle Bleue

 En 2014, le metteur en scène Bruno Geslin propose au Centre Dramatique National de Montpellier de programmer la pièce Un homme qui dort – d’après l’oeuvre de Georges Perec – au Chai du Mas de Prunet, au sein de La Bulle Bleue, une compagnie de théâtre professionnelle  permanente constitué de 13 comédiens en situation de handicap.

En amont de cette programmation, Bruno Geslin et Nicolas Fayol avaient travaillé avec les comédiens de la Bulle Bleue sur l’univers de Pérec. Au regard de la richesse de ce premier travail, La Bulle Bleue a proposé à La Grande Mêlée sous la direction de Bruno Geslin d’être compagnie associée de 2016 à 2018. Le projet s’est construit avec les équipes, sensibles au travail de création en cohérence avec la démarche artistique de La Bulle Bleue.

Bruno Geslin a invité Jacques Allaire et Evelyne Didi, à s’associer au projet Prenez garde à Fassbinder !  S’il font appel  à des processus différents, les trois  metteurs en scène partagent une approche commune du théâtre. Le projet se développe sur trois ans. Chacun des trois artistes associés travaille avec les comédiens de La Bulle Bleue sur l’oeuvre de Rainer Werner Fassbinder à raison d’une ou deux semaines par trimestre.

Dans le cadre du projet Prenez garde à Fassbinder ! et en association avec La Grande Mêlée, trois spectacles seront créés dans les mois à venir : Je veux seulement que vous m’aimiez, écrit et mis en scène par Jacques Allaire ( du 15 novembre au 1er décembre 2017), Carte blanche à Evelyne Didi (juin 2018) et Le Bouc, librement adapté et mis en scène par Bruno Geslin (octobre 2018).

Voir aussi : Actualité locale, Rubrique Théâtre, rubrique Montpellier

Le cinéma aime Marseille qui le lui rend bien

La Villa. Jean-Pierre Darroussin, Ariane Ascarine et Gérard Meylan, membre de la tribu de Robert Guédiguian.

Jean-Pierre Darroussin, Ariane Ascarine et Gérard Meylan, membre de la tribu de Robert Guédiguian dans la Villa.

Cinéma
La cité phocéenne séduit toujours les réalisateurs. Deux films projetés lors de la 39 édition du Cinemed à Montpellier témoignent d’un attachement sensible à la ville dont le dernier Robert Guédiguian  La Villa  à découvrir sur les écrans le 29 novembre prochain.

Le festival du  cinéma méditerranéen qui vient de s’achever à Montpellier a rendu un hommage mérité à l’oeuvre de Dominique Cabrera. L’occasion de saisir à quel point l’engagement social, politique et culturel traverse le parcours de cette réalisatrice née en Algérie. Les films de Dominique Cabrera intègrent des éléments documentaires dans une trame de fiction. Il en est ainsi de la grande grève de 1995 à la SNCF qui inspire Nadia et les hippopotames, mais aussi de son dernier film Corniche Kennedy (2016), une adaptation du roman  de Maylis de Karangal tournée à Marseille avec les jeunes des quartiers Nord. Un film splendide sur la ville et sa jeunesse qui se jettent de la corniche à corps perdu dans la grande bleue pour embrasser le mythe.

Corniche Kennedy

Corniche Kennedy

« Je voulais montrer ces adolescents dans leur élan vital, leur beauté, leur humanité, leur grâce, leur force, leur poésie, leur liberté. Ils ont vingt ans, l’âge des possibles. Malheureusement, l’un de ces possibles dans cette ville est d’être enrôlé dans le crime organisé. Mais il y a aussi d’autres possibles pour se libérer de leur destin social,» indique Dominique Cabrera. Après avoir séjourné à Marseille « le plus possible » afin de s’en imprégner, ce qu’elle retient et qu’elle donne  à voir dans son film tient en une phrase : « Cette ville suscite des passions. »

«La Villa» de Guédiguian en salle le 29 novembre prochain
Marseille toujours au cinéma, vécu par une autre génération, la bande à Robert Guédiguian, Ascaride, Darroussin, Meylan, que l’on retrouve dans son dernier film La Villa projeté en avant-première au Cinemed.

Dans une calanque près de Marseille, au creux de l’hiver, Angèle, Joseph et Armand, se rassemblent autour de leur père vieillissant qui vient d’avoir une attaque. C’est le moment pour eux de mesurer ce qu’ils ont conservé de l’idéal qu’il leur a transmis, du monde de fraternité qu’il avait bâti dans ce lieu magique, autour d’un restaurant ouvrier dont Armand, le fils aîné, continue de s’occuper.

Guédiguian est venu accompagné d’Ariane, il sourit quand on évoque Pagnol. « On me dit à gauche, lui ne l’était pas trop. Il reste néanmoins le plus connu des cinéastes français au monde. Il y a La Fille du puisatier et le discours de Pétain, mais aujourd’hui je rends à Pagnol ce qui appartient à Pagnol, le récit, le parfum, la lumière du midi, les contrastes, les adaptations de Giono. J’ai tendance à l’utiliser en l’inversant. Un ami m’a dit : tu fais rentrer Fassbinder chez Pagnol…»

Claudel, Brecht, Shakespeare, il est beaucoup question de théâtre dans La Villa. « C’est parce qu’il vit avec moi et que je suis une actrice de théâtre », taquine Ariane Ascarine. « Le théâtre est né avant le cinéma. Tous les problèmes du cinéma sont résolus par le théâtre avec les acteurs comme partie commune, ajoute le cinéaste, je me dis tous les jours que Marseille est un théâtre. Les gens pensent que j’habite là et que j’ai tourné la veille. Je passe pour un naturaliste, mais la maison dans le film,nous l’avons complètement recréé et j’ai traité la calanque comme un décor de théâtre

Les personnages du film semblent désillusionnés. Le petit paradis de leur enfance s’est asséché et avec lui leurs idéaux jusqu’à l’arrivée de très jeunes migrants qui va faire basculer le sens de leur vie…  « Ce sont des gens qui ont été bien élevés et qui se retrouvent en manque de cause, indique le réalisateur. Il faut vivre pour soi et pour les autres. La question, presque abstraite des réfugiés, peut être une nouvelle cause à embrasser. L’Occident va mourir de cholestérol. Nous allons mourir de notre richesse. Cet événement qui s’impose à eux les remet en jeu pour une cause universelle. Même si on ne parvient jamais à changer le monde. Dans le film, il y a cette métaphore du chemin de l’émancipation. Il faut débroussailler pour entretenir l’accès ou ouvrir de nouvelles voies.»

Marseille est le berceau d’un grand nombre d’acteurs et de réalisateurs. Parmi eux Robert Guédiguian cultive depuis des décennies ce cadre spécifique avec ses acteurs. On retrouve dans La Villa un extrait de Ki lo sa ? (1985), réunissant trente ans plus tôt les trois acteurs qui forment ici la fratrie. Son dernier opus ne déroge pas à la règle et pourrait même boucler la boucle. «Nous sommes nés à Marseille une citée fondée par l’arrivée des étrangers.»

JMDH

Source La Marseillaise 04/11/2017

Voir aussi : Rubrique, Cinéma, Cinemed, rubrique Festival, rubrique Rencontre, Kaouther Ben Hania, Merzak Allouache,

En Egypte, les artistes sous la férule de l’Etat

 Une scène du film "Les derniers jours d'une ville" du réalisateur égyptien Tamer El Said, avec l'acteur Khalid Abdalla afp.com/HO

Le Caire – Salles obscures, scènes de concert ou spectacles de rue, les autorités égyptiennes observent à la loupe le moindre espace culturel, imposant parfois de lourdes restrictions.

Jadis phare culturel du monde arabe, l’Egypte, contrôlée d’une main de fer par le président Abdel Fattah al-Sissi, soumet les artistes à une censure qui tend à s’amplifier.

Projeté dans 60 pays et 91 festivals, fort de plus de 10 récompenses internationales, « Les derniers jours d’une ville » n’a pas obtenu de visa d’exploitation en Egypte.

« Cela (…) ne vient pas, cela me tue« , confie son réalisateur Tamer el-Saïd.

Le tournage du film, consacré en grande partie à la capitale égyptienne, s’est achevé six semaines avant la révolution du 25 janvier 2011 qui a provoqué la chute du dictateur Hosni Moubarak et plongé l’Egypte dans l’instabilité politique.

« Le film essaie de capturer ce sentiment que nous avions avant la révolution, que quelque chose d’énorme allait arriver« , raconte M. Saïd.

Le réalisateur a demandé une licence en octobre 2016. L’autorité égyptienne de la censure l’a inondé de demandes de documents puis a finalement cessé de répondre à ses appels.

Après avoir initialement accepté de répondre à l’AFP, le président de l’autorité de la censure, Khaled Abdel-Geleel, n’a pas donné suite.

– ‘Très mauvaise idée’ –

Le film n’a pas été autorisé car « il y a une forte ressemblance entre ce qu’il se passait à l’époque (sous Moubarak) et ce que la situation semble être aujourd’hui« , analyse Hossam Fazulla, chargé du programme sur la liberté des créations artistiques à l’Association pour la liberté de penser et d’expression (AFTE).

Après une phase de liberté après la révolution de 2011, le monde de la culture a en effet subi, comme les opposants politiques ou les défenseurs des droits de l’Homme, la même intransigeance de la part du régime au pouvoir depuis 2013, après la destitution par l’armée du président islamiste Mohamed Morsi.

« Cette période a connu plus de restrictions que la précédente« , rappelle M. Fazulla. A ses yeux, « le gouvernement essaie de façonner un modèle de citoyen obéissant, dompté, qui convient à ce régime« .

Selon M. Fazulla, ces restrictions ont provoqué l’extinction de certaines formes d’art qui ont pullulé après le soulèvement populaire de 2011.

Les arts de rues et les concerts ont notamment souffert de la loi de 2013 qui interdit les manifestations non autorisées au préalable, a-t-il assuré.

« Le Caire confidentiel« , du réalisateur suédois d’origine égyptienne Tarik Saleh, dont les affiches ont inondé les rues de Paris, a pour sa part été interdit de tournage en Egypte.

S’inspirant d’un épisode fameux de l’Egypte de Moubarak, le film évoque la corruption dans la police à travers l’affaire d’un magnat de l’immobilier Hicham Talaat Moustafa. Ce proche de l’ancien raïs a été condamné en 2010 pour le meurtre de sa maîtresse Suzanne Tamim, une jeune chanteuse libanaise.

Vouloir filmer en Egypte était « une très mauvaise idée« , a dit M. Saleh dans une interview diffusée sur la chaîne YouTube du Festival du film de Munich, en Allemagne.

« Nous avons été expulsés trois jours avant que nous ne commencions à filmer, alors nous sommes partis à Casablanca« , au Maroc, a-t-il expliqué.

– ‘Adorateurs du diable’ –

L’autorité de la censure n’a pas non plus épargné la musique. En juillet, le très populaire groupe de pop-rock Cairokee, connu pour ses hymnes à la liberté, a révélé l’interdiction de plusieurs titres de leur dernier album « Une goutte de blanc« .

Sur Facebook, le groupe a ironisé en soulignant que la décision ne s’appliquait pas à internet, où les morceaux interdits ont circulé librement.

Le Syndicat des musiciens, reconnu par l’Etat, a aussi imposé des restrictions aux artistes, selon l’AFTE.

Parmi les dernières cibles, la musique métal. Une controverse est née après une tentative de faire annuler un concert en février 2016.

Le très conservateur président de ce syndicat Hany Shaker, lui-même chanteur de variétés, avait annoncé à la chaîne Al Assema avoir dénoncé à la police « une soirée avec des adorateurs du diable portant des vêtements étranges« .

« Notre rôle se limite à informer la sécurité. Et la sécurité égyptienne est très alerte« , a déclaré à l’AFP le porte-parole du Syndicat des musiciens Tarek Mortada, se refusant à tout autre commentaire.

Source AFP 29/10/2017