Le document est explicite. Le site d’informations Euractiv a publié, mercredi, un mémo interne du groupe de lobbying Business Europe visant à fournir des éléments de langage à ses membres pour contrer les arguments favorables à un plus grand effort en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Présidé par Pierre Gattaz (ancien patron du Medef), Business Europe, qui représente le patronat, est le lobby le plus influent au niveau européen.
Le texte d’une page détaille les pistes de stratégie de communication que Business Europe propose aux patrons de mettre en œuvre dans les discussions, menées dans les prochaines semaines à Bruxelles.
Voici les «bases de discussion» exposées dans le mémo :
«Etre plutôt positif tant qu’il s’agit d’une déclaration politique qui n’a pas d’implications pour la législation européenne en vue de 2030», «s’opposer à l’augmentation des ambitions, en utilisant les arguments habituels que nous ne pouvons agir seuls dans un marché mondialisé et qu’on ne peut pas compenser pour les autres, etc.»,
«remettre en question le processus de décision en demandant plus de transparence dans les calculs, la réalisation d’une étude d’impact, le risque de créer de l’instabilité».
Enfin, le groupe recommande de «minimiser le sujet en argumentant que la formalisation d’une ambition supplémentaire […] n’est pas ce qui compte le plus».
«La note de Business Europe est l’expression du plus grand conservatisme alors même que les investissements dans la transition écologique sont de véritables opportunités économiques», regrette Neil Makaroff, du Réseau action climat Europe.
De leur côté, la Commission européenne et une partie des Etats membres semblent prêts à se montrer plus ambitieux pour lutter contre le dérèglement du climat. En juin, les différentes instances de l’UE se sont accordées pour rehausser leurs objectifs d’énergies renouvelables à 32 % du mix énergétique pour 2030. Cela permettrait à l’UE de dépasser ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre de 40 % pour 2030.
Le Festival pluridisplinaire dédié à la richesse et à la diversité des arts arabes crée du lien social en utilisant l’excellence artistique comme vecteur.
Avec cette 13e édition le précieux travail du Festival Arabesques porté par l’association Uni’sons confirme plus que jamais son utilité de part et d’autre des frontières. Même si sept ans après le « printemps arabe », toutes les cartes semblent brouillées dans cette partie du monde comme en Europe où la situation politique et sociale reste alarmante.
La tentative citoyenne de mettre un terme aux autocraties du monde arabe pour vivre dans un monde plus juste, a laissé croire un moment que les bouleversements allaient offrir de nouvelles perspectives à la jeunesse. Mais à l’instar du peuple syrien dont la vitalité de la société civile a porté les premières étincelles d’un changement non violent, le rêve s’est soldé par une des pires catastrophe de l’histoire, 500 000 morts, un pays dépecé par les grandes puissances et plus de 10 millions d’exilés. Un peu comme si les maîtres du monde avaient voulu donner un exemple…
Un instant ébranlés, les systèmes de pouvoir se sont reconstitués avec de nouvelles têtes pour reprendre le contrôle des sociétés d’une main de fer.
Le désordre le plus total s’est emparé du monde arabe avec des états laminés et d’autres un peu mieux lotis, où les bailleurs de fonds conditionnent leurs aides en fonction de leurs intérêts stratégique et politique. Partout, comme aux grandes heures de la guerre froide, les batailles se mènent par pays ou groupes rebelles interposés. Les rêves de citoyenneté se sont évanouis. Aujourd’hui, il est difficile de saisir une lueur d’espoir chez les jeunes, du Maghreb au Yémen. Mais les artistes de tous horizons que présente le festival contribuent à garder un œil vivant sur ce qui se joue dans cette partie du monde.
L’Europe et la Méditerranée
Pour rejoindre l’autre rive, des milliers de réfugiés traversent au péril de leur vie une mer qui pousse L’Europe au bord de l’abîme. La tectonique des plaques s’éveille. Le vieux continent dérive en se reconstituant selon des arrangements à courte vue au mépris de la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Dérogeant à ses principes fondateurs, l’Union Européenne se détache progressivement de ses valeurs culturelles socle.
La liberté des opinions, la libre circulation des personnes et des idées, la participation des peuples par l’intermédiaire de leurs représentants librement élus sont souvent réaffirmées de manière solennelle sans être défendues. La violation des droits aux quatre coins du monde ne mobilisent pas les chancelleries. Dans plusieurs pays, le vieux continent subit la pression organisée d’une extrême droite revigorée par la misère des classes laborieuses qui absorbent depuis 2008 la crise financière du système capitaliste néolibéral. Au prétexte de lutte contre le terrorisme la démocratie recule. Les citoyens de cette partie du monde cherchent à tromper le sombre destin qui limite chaque jour davantage leurs droits.
Les composantes malmenées de l’identité française
En France, sous la présidence d’Emmanuel Macron, l’explosion des inégalités fait des ravages au sein des couches sociales les plus défavorisées. Le gouvernement s’efforce avec quelques loupés d’incarner le mythe d’un « pays-entreprise » imprimé par le nombriliste sans limite d’un premier de cordée. La feuille de route peut être claire, elle n’est pas nouvelle. Comme l’ont expérimenté ses prédécesseurs néolibéraux — Thatcher, Reagan, Schröder — on déconstruit mécaniquement le système social et les services publiques dont beaucoup de pays souhaiteraient disposer. Malmené par la réaction des Français, plutôt que de rassembler toutes les composantes de l’identité française, le jeune chef d’État joue sur les divisions et la séparation, ce qui ne fait que démontrer son incapacité en terme d’innovation.
C’est à l’aune de ce paysage chaotique que l’on peut mesurer l’élan constructif du festival Arabesques et de l’association Uni’sons dont le siège social demeure depuis 18 ans dans le quartier le plus déshérité de Montpellier. Avec des moyens sans commune mesure avec les grands festivals de la ville, Arabesques œuvre positivement pour l’ouverture des esprits et des cœurs en s’impliquant avec ténacité dans un projet interculturel d’une grande cohérence.
La réussite qui fait du festival un des plus importants rendez-vous d’Europe dédié aux arts du monde arabe, Arabesques la doit certainement à la qualité et à la diversité de sa programmation pluri-disiplinaire s’inscrivant dans une volonté permanente de dialogue entre les cultures.
Une démarche proprement citoyenne qui se garde d’être assimilée à une quelconque écurie politique. En s’arrimant à sa vocation et aux missions de solidarité et d’équité menées sur le territoire tout au long de l’année, l’association Uni’sons s’est tenue à distance des frictions occasionnées par le transfert des compétences culturelles entre le Conseil Départemental de l’Hérault et la Métropole de Montpellier. Sollicité par ses partenaires à l’étranger et par l’IMA pour la qualité de son travail, l’association a toujours souhaité maintenir son ancrage ; Il est heureux que le festival ait trouvé un soutien institutionnel local.
Le dosage subtil de la programmation
Une nouvelle fois, la programmation de l’édition 2018 équilibre un dosage subtil entre les cultures représentées, les mythes, comme l’incontournable Orchestre de l’Opéra du Caire invité à l’Opéra Comédie de Montpellier, les personnalités confirmées telles le chanteur oudiste tunisien Dhafer Youssef, la chanteuse algérienne kabyle Souad Massi. Arabesques contribue également à l’émergence de nouveau talents, assurant le succès public de groupes musicaux issue de la surprenante scène arabe qui propulse son énergie partout dans le monde. À l’instar d’un groupe comme N3rdistan, debout avant le printemps arabe, qui mêle samples électro, instruments traditionnels et poésie et s’invente son propre espace d’expression. Sans oublier la scène montante, la soirée Arabesques Sound System, à Saint-Jean-de-Védas a permis d’apprécier la diversité des musiques électroniques du monde arabe.
Sur l’affiche de cette 13e édition d’Arabesques, un ancien se tient debout les yeux perdu entre le passé et le futur, sur ses épaules, un enfant plein d’énergie et de curiosité semble défier l’avenir. Cette image rappelle s’il le fallait, que l’action sociale culturelle et artistique passe par la transmission culturelle et la reconnaissance du droit à la fraternité sur des territoires où cette liberté n’est pas toujours permise. Une affiche à l’image du festival en somme, non violent mais debout. L’action de l’association Uni’sons a toujours fait le lien entre les anciennes et les nouvelles générations pour lesquelles le combat reste le même. La réussite d’Arabesques ne se mesure pas qu’au nombre d’entrées. Elle repose aussi sur la confiance des publics fidèles au rendez-vous d’une année sur l’autre, à l’énergie de l’équipe et de ses bénévoles dont la nature de l’implication touche à certains endroits à la fierté d’affirmer la richesse culturelle des origines et le goût du partage. Dans un contexte hexagonale difficile pour la jeunesse issue de l’immigration, on ne doit pas manquer de souligner l’importance d’une valorisation extérieure au milieu familial.
Diasporas
Cette jeunesse se retrouve chaleureusement au festival pour faire la fête mais aussi pour échanger, découvrir la richesse et la diversité des arts du monde arabe, apprendre et comprendre le vécu des aînés, côtoyer des légendes vivantes, témoigner d’un vécu… La démarche et la qualité de la programmation sont unanimement reconnues sur la scène comme dans les quartiers. Les débats, l’action scolaire, les expositions, les contes, le cinéma, sont autant de vecteurs qui ont nourri le processus transmissionnel d’Arabesques. Dans ce domaine, Les artistes ont un rôle important à tenir ; en France, au Maghreb et au Moyen-Orient, ils ouvrent des voies. Cette année, la Caravane Syrienne déploiera une palette insoupçonnée autour de la création artistique contemporaine syrienne.
D’une année sur l’autre, le festival Arabesques permet de constater que la scène culturelle française s’est transformée de l’intérieur, en s’appropriant de nombreux éléments venus d’ailleurs. Le thème « Diasporas » choisi cette année rappelle que la culture française a su accueillir, vivre et se développer dans l’interculturalité. Arrivé en France à l’âge de six ans avec sa famille qui fuyait la guerre du Liban, le pianiste Bachar Mar Khalife qui a travaillé avec Lorin Maazel, l’ONF, et l’Ensemble Intercontemporain en est un des savoureux exemple. Que deviendrait la culture française sans cette ambition de partage d’expressions ? Cette question de la déperdition ne devrait pas se poser dans notre merveilleux monde de la culture mondialisée. Pourtant, en ce moment critique, il y a bien lieu de s’interroger sur une perte collective de la différence.
Toutes les raisons sont donc bonnes pour céder à l’ouverture et répondre à bien des endroits aux invitations imminentes que nous offre Arabesques !
Le nouveau cadre réglementaire appliqué aux banques permet de limiter les risques. Mais déjà la tentation est grande, des deux côtés de l’Atlantique, d’en limiter la portée.
Dix ans après la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, l’Union européenne est encore en train de finaliser les nouvelles règles censées assurer que les banques prennent moins de risques. Les autres pays ne sont pas plus avancés1. Après son accession à la présidence en 1933, l’Américain Franklin D. Roosevelt avait été plus rapide : en quatre ans, il avait instauré un nouveau cadre de régulation des banques, copié par les autres Etats, qui allait assurer trente années de stabilité financière.
Certes, l’exercice est plus difficile aujourd’hui car, mondialisation oblige, il réclame un énorme effort de coordination internationale. Mais le travail effectué jusqu’ici n’a pas été vain : même inachevé, le nouveau cadre réglementaire nous permet d’avoir dès aujourd’hui des banques plus sûres. Pourtant, l’inquiétude monte car, bien que l’efficacité des nouvelles mesures soit loin d’être totale, on sent, déjà, poindre la tentation de les affaiblir.
Un gros effort de régulation
Les banques représentent l’un des points clés de toute crise financière : elles fournissent les crédits qui gonflent les paris spéculatifs, mais lorsqu’elles chutent, c’est toute l’économie qui s’affaisse faute de prêts. Les forcer à mieux maîtriser leurs risques était donc impératif. Et on ne peut pas dire que le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, le régulateur international en chef des banques, ait ménagé sa peine. Pas moins d’une trentaine de nouvelles règles ont été négociées depuis 2009 et sont en place ou en cours de mise en oeuvre. Dans quels domaines ?
Par exemple, une banque commence à avoir des soucis lorsqu’elle voit un nombre croissant de ses crédits difficilement remboursés ou lorsqu’elle perd des paris sur les marchés financiers. Elle a alors besoin de se procurer de l’argent à court terme pour boucher les trous. Mais, alors qu’en dépit de ses soucis temporaires sa situation de long terme peut être bonne, elle a du mal à y arriver car les autres banques ne lui font plus confiance. Pour éviter cela, les régulateurs demandent désormais aux établissements bancaires de détenir un paquet de titres financiers considérés comme sûrs, en particulier des titres de dettes publiques. Car sauf exception – du type Grèce -, les titres publics sont considérés comme « liquides ». Autrement dit, il y aura toujours des acheteurs pour eux.
De plus, les banques font de la « transformation d’échéances » : elles disposent essentiellement de ressources de court terme (nos dépôts, des emprunts auprès des investisseurs et des autres banques), mais elles prêtent surtout à moyen-long terme pour acheter des machines ou des logements. Afin d’éviter un trop grand déséquilibre, les régulateurs leur demandent d’accroître la part de leurs ressources de long terme (dépôts à terme, titres financiers de long terme…). Et cela a été efficace : les banques s’appuient moins sur des financements de court terme, en particulier entre banques, ce qui réduit les liens et donc les risques de contagion.
Faire payer les banques
Tout cela va dans le bon sens, mais sera insuffisant si ça chauffe vraiment dans la finance. Pour éviter d’en arriver là, le Comité de Bâle a fait passer un message clair aux banques : si vous dérapez, vous payez. Ne comptez plus sur le soutien des Etats.
Quand une banque fait des pertes, comme pour n’importe quelle autre entreprise, elle les éponge en rognant son capital. Le Comité de Bâle impose donc aux banques de détenir davantage de capital qu’avant la crise. En outre, en cas de gros soucis, s’il faut éponger encore plus que le montant du capital, une partie des emprunts qu’elles font sera automatiquement transformée en capital selon des règles définies par les régulateurs. Bref, à la prochaine crise, les actionnaires des banques et une partie de leurs créanciers seront lessivés avant que les Etats interviennent, éventuellement.
Petit point de détail supplémentaire, mais qui a une grosse importance. Au cours des années 1990, les grosses banques avaient obtenu l’autorisation d’utiliser leurs modèles statistiques fabriqués en interne pour calculer le montant de capital qu’elles devaient mettre de côté. Inutile de dire qu’elles ont bricolé les paramètres pour minimiser ce capital voué à disparaître en cas de crise ! Après de longues tractations – dues notamment à la France car nos banques avaient beaucoup joué à ce jeu-là -, le Comité de Bâle a fini par décider en décembre 2017 que le montant de capital calculé par les modèles internes des banques ne pourrait pas descendre en dessous de 72,5 % du montant qu’indique un modèle standard fourni par les régulateurs. La régulation publique reprend ainsi en partie la main sur la régulation privée.
Ecrire son testament
Mais s’assurer que chaque banque ne fait pas de bêtise ne suffit pas : elles peuvent prendre des paris à peu près acceptables individuellement mais susceptibles de se révéler dangereux au niveau de tout le système bancaire. Pour éviter cela, les banques centrales demandent aux banques commerciales de réaliser régulièrement des tests de stress, ce qui leur permet d’avoir une vue d’ensemble et de surveiller comment évoluerait le système bancaire selon divers scénarios.
Plus on régule les banques, plus les capitaux partent se cacher dans la « finance de l’ombre », des activités non bancaires peu réglementées permettant le développement de transferts d’épargne risqués. On entend souvent cet argument pour critiquer l’inefficacité des régulations actuelles. Or, selon le dernier rapport de mars 2018 du Conseil de stabilité financière, le poids de ce secteur peut être estimé à 45 000 milliards de dollars, soit seulement 13,2 % des actifs financiers mondiaux, même si bien sûr de grosses variations sur un petit marché suffisent à provoquer de grandes crises.
Une large majorité de la finance de l’ombre (72 %) se situe du côté des fonds d’investissement – à court terme, à moyen terme, fonds spéculatifs… Le risque le plus important est que les banques leur prêtent de l’argent. Selon le rapport, ces intermédiaires financiers ne s’appuient pas sur des montants d’emprunts exorbitants pour spéculer1.
1. « Faut-il craindre la finance de l’ombre », Alternatives Economiques n° 378, avril 2018.
Les banques centrales se sont aussi dotées d’outils permettant de dire aux banques, par exemple : « Vous faîtes trop de crédits immobiliers, arrêtez-vous ! » C’est ce qu’a fait le Haut Conseil de stabilité financière en France en juin dernier. Jugeant que les banques prêtent trop aux grandes entreprises dont l’endettement devient préoccupant, il a augmenté les contraintes pour ce type de prêts.
Enfin, si en dépit de tout ça une banque devait faire faillite, les régulateurs demandent aux établissements de leur fournir leur testament ! C’est-à-dire un schéma clair de leurs filiales pour savoir qui fait quoi dans la constellation de la banque et organiser au mieux une éventuelle fermeture de manière ordonnée.
Capital des banques en normes comptables internationales au 31 décembre 2017, en % du total de leurs actifs
Capital/actif (en %) et taux de rendement du capital (en %) pour les 30 plus importantes banques fin 2017
Lecture : plus les banques se financent avec du capital (plus on va vers la droite sur l’axe des abscisses), plus elles sont rentables (plus on monte dans l’axe des ordonnées).
Une complexité assumée
On le voit, le Comité de Bâle n’a pas chômé ! Pour autant, la situation des banques est loin d’être parfaite. Qui le dit ? Les investisseurs, comme les gros fonds d’investissement, d’abord, qui continuent à faire payer un prix élevé (sous forme de dividendes) aux banques qui veulent se procurer du capital. Car ils considèrent encore, dix ans après la crise, que la façon dont elles gagnent de l’argent et gèrent leurs risques reste opaque. Et les nouvelles régulations demeurent complexes : le bref résumé qu’on en a donné ci-dessus se traduit par une foule de règles techniques pas faciles à suivre.
Les économistes de la Banque d’Angleterre ont bien répondu à cette critique des nouvelles règles2. Prenons l’exemple de la banque américaine Countrywide : avant la crise, elle disposait d’un niveau de capital élevé, mais elle est tombée par insuffisance de ressources de long terme ; à l’inverse, la belge KBC disposait d’amples ressources de long terme, mais elle a craqué par manque de capital. Si on ajoute la propension des banques à contourner les règles, ajoutent les experts britanniques, mieux vaut avoir beaucoup de normes qui se complètent pour bien contrôler leurs risques. La complexité est un coût à payer pour la stabilité des systèmes bancaires.
Un capital insuffisant
Nombre d’experts, comme Jézabel Couppey-Soubeyran, Gaël Giraud ou Laurence Scialom en France , ainsi que des organisations non gouvernementales comme Finance Watch ou le Secours catholique, qui vient de publier un gros rapport sur le sujet3, dénoncent le fait que les nouvelles régulations ne vont pas assez loin. En particulier, le montant de capital demandé aux banques pour éponger leurs pertes, même s’il est plus élevé qu’avant, ne sera pas suffisant pour éviter une intervention publique en cas de grosse crise. Quant aux titres d’emprunt transformés en capital, ils risquent, si ce sont d’autres banques ou compagnies d’assurances qui les détiennent, de les mettre à leur tour en difficulté.
Toutes les études universitaires montrent que les banques qui ont le plus de capital dérapent moins, s’en sortent mieux en cas de crise et financent mieux l’économie
C’est le point clé des critiques adressées au Comité de Bâle : toutes les études universitaires montrent que les banques qui ont le plus de capital dérapent moins, s’en sortent mieux en cas de crise et financent mieux l’économie. Mais les banques ont réussi à faire pression sur les régulateurs pour limiter les demandes de ces derniers en la matière. Elles affirment que de telles exigences réduisent leur rentabilité. Un argument qui en réalité se focalise sur le coût de court terme (distribuer des dividendes pour fidéliser les actionnaires), sans prendre en compte le fait qu’une banque bien capitalisée peut attirer de nouveaux investisseurs.
Dans son dernier rapport annuel de juin 20184, la Banque des règlements internationaux, la banque des banques centrales qui héberge le Comité de Bâle, souligne de plus que certains régulateurs jouent moins le jeu que d’autres. Par exemple, alors qu’aux Etats-Unis les contraintes en capital doivent être respectées en moyenne sur le trimestre, c’est à chaque fin de trimestre en Europe. Un peu de passe-passe comptable et les contraintes ne sont en fait respectées que quatre fois par an !
Une dérégulation insidieuse
L’ONG bruxelloise Finance Watch, qui étudie de près le sujet, dénonce ainsi un comportement récurrent en Europe : une transposition biaisée des règles internationales. « A chaque fois qu’un équilibre a dû être trouvé entre la stabilité financière et les intérêts commerciaux du secteur bancaire, la stabilité financière termine régulièrement en deuxième place », s’insurge son expert Christian Stiefmüller.
Malheureusement, les Etats-Unis suivent le même chemin. Pas de façon tonitruante, comme voudrait le faire croire Donald Trump, mais de façon plus insidieuse. Contrairement à ce qu’a claironné le président américain fin mai dernier après le vote d’une nouvelle loi bancaire, ses sbires n’ont en effet pas « réparé le désastre de Dodd-Frank ou au moins été loin sur ce chemin« . L’analyse réalisée par l’expert de la Brookings, Aaron Klein, démontre que les régulations de la loi de 2010 développées sous l’égide des démocrates Chris Dodd et Barney Frank durant le premier mandat de Barack Obama restent bien en place 5. Klein affirme à juste titre que la loi laisse en réalité une grande latitude aux différents régulateurs financiers américains dans son application : en nommant régulièrement des adeptes d’une moindre régulation aux postes clés, le président Trump suit ainsi la même démarche de dérégulation insidieuse que l’Europe.
La dimension planétaire de la crise des subprime a entraîné un effort sans précédent de coordination réglementaire internationale visant à empêcher les banques de prendre trop de risques. La mise en oeuvre concrète appartient à chaque pays et il semble bien que, alors que les nouvelles règles ne sont pas toutes encore mises en place, l’on assiste déjà à une volonté d’en réduire la portée de chaque côté de l’Atlantique pour donner un avantage à ses champions nationaux ou régionaux. Un bien mauvais pari.
Siège de l’EEAS, Bruxelles, 11 janvier 2018. – Conférence de presse des représentants de l’UE-3 : Jean-Yves Le Drian (France), Sigmar Gabriel (Allemagne) et Boris Johnson (Royaume-Uni) après une réunion sur l’Iran. IRNA
Le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien et l’imposition de sanctions contre Téhéran ont suscité une large condamnation, notamment des signataires européens. Mais les annonces diplomatiques de l’UE-3 (France, Allemagne et Royaume-Uni) n’ont convaincu ni la partie iranienne ni les grandes entreprises européennes.
Après le vote de la résolution 2231 du conseil de sécurité de l’ONU le 20 juillet 2015 entérinant l’accord sur le nucléaire iranien (Joint Comprehensive Plan of Action, JCPOA), l’industrie européenne avait su partiellement profiter de la réouverture du marché iranien. Avec notamment, dans l’aéronautique (vente de 100 avions Airbus pour 20 milliards de dollars — 17 milliards d’euros — et d’avions ATR), le secteur pétrolier (contrat South Pars 11 de Total pour 5 milliards de dollars — 4 milliards d’euros), l’automobile (co-entreprise PSA/Iran Khodro de 400 millions d’euros et co-entreprise Renault/Idro) entre autres secteurs, en 2017, les exportations de la France vers l’Iran s’élevaient à environ 1,5 milliard d’euros. La même année, elle importait d’Iran 2,3 milliards d’euros de produits pétroliers.
Le montant total des transactions commerciales de l’Union européenne (UE) avec l’Iran s’élevait à 20 milliards d’euros d’euros pour 2017. Ce montant s’élevait à 23,8 milliards d’euros pour la Chine, 20,4 pour les Émirats arabes unis et 9,8 pour l’Inde.
Or, l’historique de la mise en œuvre du JCPOA laissait beaucoup à désirer côté américain, même sous la précédente administration. Le malentendu entre le département d’État de John Kerry, défendant l’accord, et le trésor américain de Jacob Lew, partisan d’une ligne dure et ayant le dernier mot sur toutes les questions financières, a alimenté la confusion depuis le début. L’arrivée aux commandes de ces deux ministères de Steve Mnuchin et Mike Pompeo, deux farouches opposants à l’accord, suite à l’élection de Donald Trump en novembre 2016 puis l’annonce du 8 mai 2018 confirment l’adage selon lequel « les contrats ne tiennent pas aux mots, mais aux pensées ».
Pour l’Europe, un retrait de l’accord ne signifierait pas uniquement l’abandon d’un gros marché, mais également prendre acte d’un aspect discutable de la stratégie commerciale américaine : l’extraterritorialité de la loi américaine. Derrière la diplomatie agressive du dollar pratiquée par le trésor, c’est la souveraineté d’autres pays qui est visée (lire encadré).
Viser les entreprises non américaines
Pour trouver un partenaire iranien, même avant l’annonce de mai 2018, les entreprises devaient effectuer des audits tatillons de leurs clients pressentis — appelés « due diligence », « know your customer » (KYC) — et se confronter à la prudence minutieuse des assureurs, secteur très lié au marché américain. Autant de précautions juridiques qui faisaient bondir le coût du ticket d’entrée sur le marché iranien. Les entreprises iraniennes restaient empêchées d’intégrer les circuits de financement européens, tels le crédit bancaire ou la cotation en bourse de Londres par exemple. Le refus des banques européennes de s’impliquer en Iran après l’accord de Vienne malgré les injonctions de leur autorité de tutelle avait déjà fait grand bruit.
Les sanctions primaires concernent les particuliers et les entreprises américains, citoyens ou résidents, et rendent nécessaire une dérogation spéciale de l’Office of Foreign Assets Control (OFAC)1 pour commercer avec l’Iran : c’est le cas de Boeing par exemple.
Depuis le 8 mai 2018, il est de nouveau interdit aux entreprises non américaines de négocier de nouveaux contrats et il leur a été fait obligation de résilier ceux conclus après le 16 janvier 2016 dans un délai de 90 jours (août 2018) à 180 jours (novembre 2018) selon les cas. Les risques encourus par les récalcitrants sont très élevés : pénalités financières2, saisie de biens mobiliers ou immobiliers, interdiction d’accès au système bancaire américain, retrait aux banques de leur licence d’exploitation, radiation de la liste des fournisseurs du gouvernement fédéral, sanctions personnelles à l’encontre de chefs d’entreprises européennes (gel ou saisie de biens sur le sol américain, interdiction d’entrée, etc.). Ces procédures peuvent être d’origine judiciaire (procureur fédéral de New York) ou administrative (le trésor américain).
Depuis lors, les grosses entreprises européennes comme Total, Peugeot ou Airbus se retrouvent prises en étau. Structurellement exportatrices, généralement impliquées sur le marché américain et exposées aux circuits de financement dollarisés, elles subissent une situation plus critique que celle des PME-PMI plus eurocentrées et moins vulnérables. Aussi ont-elles très tôt pris acte de la nouvelle donne en annonçant l’une après l’autre leur retrait du marché iranien, gérant au cas par cas leur sortie contractuelle.
La décision est prise au plus haut niveau de leurs instances dirigeantes, après consultation des autorités de tutelle et de leurs actionnaires, incluant souvent la présence significative d’un actionnariat américain via divers fonds d’investissement (Karlyle, TPG, Kohlberg-Kravis-Roberts, Blackstone…). L’annonce reflète toujours le même argument : « Nous nous conformerons aux sanctions, à moins qu’une dérogation soit obtenue expressément des autorités américaines par les gouvernements de l’Union européenne ». Et ces demandes de dérogation par les gouvernements français, britannique et allemand ont essuyé une fin de non-recevoir de la part de Washington.
Total et PSA obtempèrent
Le caractère éminemment dissuasif du dispositif américain a donc agi rapidement. Dès le 16 mai, Total exposait dans un communiqué son intention de se retirer du projet gazier iranien de South Pars 11 « à moins qu’une dérogation propre au projet ne soit accordée par les autorités américaines, avec le soutien des autorités françaises et européennes (…) laquelle dérogation devra comprendre une protection de la société contre toute sanction secondaire applicable en vertu du droit américain ». La China National Petroleum Corporation (CNPC) devrait récupérer les 50 % de parts de Total sur cet important contrat.
De même, PSA annonçait la suspension de ses activités iraniennes le 4 juin. Carlos Ghosn, PDG du groupe Renault, s’est distingué par une habile déclaration le 15 juin devant son conseil d’administration : « On n’abandonnera pas. Même si nous devons réduire la voilure très fortement (…) parce que nous sommes persuadés que (…), à un moment, ce marché rouvrira, et le fait d’être resté en Iran nous donnera certainement un avantage » (AFP).
Les deux constructeurs français jouissaient jusqu’ici d’une position dominante sur le marché automobile iranien (environ 40 %) via leur partenariat stratégique, aujourd’hui remis en cause, avec les constructeurs locaux Iran Khodro et Saipa. Les Chinois Geely, Brillance ou Great Wall sont ici encore naturellement en lice pour profiter de l’appel d’air et remplacer leurs concurrents européens, en particulier français. Les entreprises chinoises sont en général moins vulnérables aux sanctions américaines et peuvent compter sur le soutien indéfectible de leur gouvernement.
Après le géant danois Maersk, la Compagnie maritime d’affrètement-Compagnie générale maritime (CMA-CGM), numéro trois mondial du transport maritime a également déclaré le 6 juillet 2018 se désengager de l’Iran, malgré ses accords avec l’Islamic Republic of Iran Shipping Lines (Irisl). Quelques secteurs comme l’agroalimentaire ou la santé demeurent en sursis jusqu’à la publication du décret d’application des sanctions.
Lancinante question bancaire
Les difficultés à effectuer des transactions bancaires avec l’Iran ne sont pas nouvelles. Mais rester connecté à Swift, système de messagerie interbancaire sous juridiction belge, est crucial pour que l’Iran puisse continuer de recevoir l’argent de ses exportations pétrolières et de payer ses biens importés. Or, le trésor américain a donné à Swift jusqu’au 4 novembre pour déconnecter la Banque centrale et les entités iraniennes au nom de « pratiques qui ne sont pas en accord avec les conduites d’affaires généralement acceptées ». Deux banques américaines siégeant au conseil d’administration de Swift, JP Morgan et Citigroup constituent pour le trésor américain, à côté de menaces de gels d’avoirs ou d’interdiction d’entrée à l’encontre de ses dirigeants, un puissant levier de pression.
La plate-forme européenne de règlements de transferts Target II utilisée par la Banque centrale européenne (BCE) pour ses règlements internationaux serait aussi concernée. Dans ce cas, des clients iraniens accusés par les Américains de financer le terrorisme pourraient se voir interdits d’utiliser ce système, y compris pour des transactions libellées en euros.
Même les banques européennes de taille moyenne et absentes du marché américain comme les banques coopératives du Bade-Wurtemberg spécialisées sur les marchés difficiles et l’aide aux PME se tiennent maintenant sur la défensive en attendant la riposte européenne.
Des mots, seulement des mots ?
La représentante de la diplomatie européenne Federica Mogherini déclarait le 16 juillet 2018 à l’issue d’une réunion avec les ministres des affaires étrangères des États membres de l’UE : « Nous avons approuvé l’actualisation du statut de blocage et nous prenons toutes les mesures pour permettre à l’Iran de bénéficier des retombées économiques de la levée des sanctions ». Cette position ferme résultait d’un long processus de tractations infructueuses avec le gouvernement américain.
De quelle marge de manœuvre les Européens disposent-ils ? Mettre en place un protocole de paiement direct entre la BCE et la Banque centrale iranienne (BCI) ? Abonder et couvrir le risque d’amende par les organismes publics d’investissement européens ? Obtenir des autorités américaines des dérogations au cas par cas ? Rendre l’Iran éligible à des prêts auprès de la Banque européenne d’investissement (BEI) afin d’éviter les transactions en dollars ?
Les déclarations à l’unisson de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni dans le sens de leur « engagement continu en faveur du JCPOA », dès le 8 mai — et constamment répétées depuis — doivent être portées à leur crédit. Mais les mesures concrètes pour sauver l’accord semblent tardives. Aussi serait-il contre-productif et exorbitant, voire irréaliste, d’en surseoir l’application à la mise en œuvre par le système bancaire iranien des recommandations du Groupe d’action financière (GAFI) contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme5 d’ici la fin octobre 2018. Trois principales mesures sont en discussion :
la réactivation en deux étapes, le 6 août puis le 6 novembre, du statut du blocage de 1996 est un jalon positif : il interdit aux entreprises européennes de se conformer aux effets extraterritoriaux des sanctions américaines, sous peine de pénalités fixées par chaque État membre. Il leur ouvre également droit à indemnisation des préjudices résultant de ces sanctions par la personne morale qui en est à l’origine. Il les protège dans l’UE de toute poursuite américaine en invalidant toute procédure judiciaire étrangère. Cependant, même si le dispositif de 1996 a été consolidé pour inclure les transactions financières notamment, son efficacité est discutée et n’a jamais vraiment pu être testée. Il s’agit plus d’un signal politique envoyé par l’UE à ses partenaires américain et iranien ;
la BEI, en tant qu’outil de financement de l’UE basée au Luxembourg, a été missionnée pour financer des projets viables en Iran, en particulier concernant de petites et moyennes entreprises. Son président Werner Hoyer a pourtant déclaré le 18 juillet en présence de Jean-Claude Juncker que développer des activités en Iran pourrait remettre en cause son business model, alors que sa dette en obligations américaines (bonds) s’élevait à 500 milliards d’euros ;
peu claire également est la façon dont les dispositifs publics de financement du commerce avec l’Iran, comme la convention signée en janvier 2018 par Invitalia, l’Agence italienne d’investissement étranger, celle de l’agence autrichienne de crédit (OeKB) ou le projet annoncé de la BEI de financement en crédit acheteur d’un montant de 500 millions d’euros seront effectivement mis en œuvre.
Sur la question bancaire, le 19 juin 2018, le ministre français de l’économie Bruno Le Maire a fait un désagréable aveu d’impuissance : « Soyons honnêtes, la plupart des entreprises françaises ne pourront pas rester. Elles ont besoin d’être payées pour les produits qu’elles livrent ou fabriquent en Iran, et il n’existe pas d’institutions financières souveraines et autonomes en Europe ». Ces grandes banques craignent à juste titre la révocation de leur licence américaine.
Les mesures européennes vont certes dans le bon sens, mais demeurent insuffisantes. Certains professionnels comme la fédération des Opérateurs spécialisés du commerce international (OSCI) basée à Paris suggèrent d’aller plus loin, de s’inspirer de la loi sur les mesures extraterritoriales étrangères (Foreign Extraterritorial Measures Act, FEMA) canadien de 1985 en interdisant aux entreprises européennes « d’obéir à des sanctions prises par des gouvernements autres que les gouvernements européens ou l’Union européenne »(…), de négocier avec toute administration autre qu’une administration européenne des amendes relatives à des sanctions autres que celles prises par l’Union européenne » et en réservant « aux seules procédures de justice des tribunaux européens le droit de statuer sur les éventuelles violations d’un droit non européen qui seraient reprochées à des sociétés européennes pour des opérations financées en monnaie européenne et conduites depuis l’Europe »6.
Le maintien de l’accord nucléaire iranien relève d’enjeux géopolitiques plus larges qu’une question de balance commerciale. Comme le soulignait en mai 2018 un éditorial de l’Institut français des relations internationales (IFRI) fort à propos et cosigné par les directeurs de quatre think tanks européens en vue, défendre cet accord est pour les Européens affaire de crédibilité internationale, quitte à tester une relation transatlantique aujourd’hui chahutée par les orientations de la présente administration américaine.
Selon Geoffroy Roux de Bézieux, le pays tout entier doit se mettre au service du Medef. Comme il l’a indiqué durant son discours d’ouverture de l’université d’été du Medef, « le rôle central de l’entrepreneur dans le destin du pays doit être célébré ». Pour lui, « tout l’écosystème du pays doit être au service des entrepreneurs, qui innovent, osent, prennent tous les risques ».
Pour le nouveau Président de l’organisation, la solution aux « populismes » est l’Europe – même si la direction à prendre n’est pas claire. En revanche, les dirigeants reconnaissent qu’ils sont confrontés à de nombreux problèmes auxquels ils n’ont pas la solution, du refus de certains jeunes d’accepter les emplois proposés jusqu’au dérèglement écologique.
Si cette prise de conscience est intéressante, elle se heurte à deux obstacles. D’une part, les dirigeants des entreprises ont une image déformée d’eux-mêmes, se voyant comme les seuls preneurs de risques et créateurs de richesse de notre pays. D’autre part et surtout, les inégalités de rémunération, les discriminations dans l’accès à l’emploi et le partage du pouvoir dans l’entreprise, demeurent ignorées.
L’Europe, l’Europe !
Le point central du discours du nouveau Président du Medef a été la question européenne, Geoffroy Roux de Bézieux s’inquiétant du « repli identitaire », qu’il voit à l’œuvre dans les pays d’Europe centrale et de l’est, en Italie, et au Royaume-Uni.
Reprenant l’analyse développée par Thomas Piketty, Joseph Stiglitz ou Branko Milanovic, le Président de Medef a mis ses adhérents en garde contre l’opposition croissante entre « ceux qui ont tout » et peuvent « vivre n’importe où », et ceux qui sont « encastrés dans leur territoire » car il n’y a que là qu’ils disposent de ressources suffisantes pour vivre et travailler. Bref, la mondialisation fait des perdants et des gagnants, et l’écart entre eux est grandissant. Or, prévient Geoffroy Roux de Bézieux, il ne sert à rien de traiter les oppositions de « populisme », et encore moins « d’avoir raison contre nos concitoyens ».
Face au scénario annoncé d’une progression des partis anti- mondialisation et anti-UE aux élections européennes de mai prochain, le président du Medef a appelé son organisation à « faire entendre sa voix ».
Confusions
Malheureusement, ses orientations dans le domaine restent pour l’instant confuses. Geoffroy Roux de Bézieux appelle à une Europe « moins naïve et plus protectrice ». Mais qu’est-ce que cela peut signifier pour une organisation qui défend le libre-échange ? De même, le modèle social souhaité demeure obscur, le patron des patrons rejetant à la fois la « jungle » (sous-entendu : les Etats-Unis) et « un Etat-providence à bout de souffle ». On notera que cette seconde affirmation est erronée. D’abord parce que nos comptes sociaux sont à l’équilibre, et assurent une protection sociale exceptionnelle dans notre pays. La Sécu est donc loin d’être « à bout de souffle », et constitue au contraire sans doute l’ingénierie sociale la plus porteuse de progrès social jamais inventée.
Et ensuite parce que seul l’État-providence, au prix d’adaptations évidemment, peut relever les défis majeurs que sont la transition écologique, l’élévation du niveau d’éducation, ou encore l’adaptation de la société au vieillissement de ses membres. Comme toujours, il a été oublié durant ce discours que les modèles à suivre sont les pays scandinaves, pays les plus efficaces économiquement, où l’égalité entre hommes et femmes est la moins mal respectée, et où les politiques environnementales sont les moins en retard. Reste que le Medef veut s’engager dans les prochaines élections européennes. Et ce tout d’abord à travers son programme « Merci l’Europe », qui doit « montrer les bienfaits concrets de l’Europe pour les entreprises » (le Président du Medef ayant oublié de mentionner les bienfaits pour les salariés, le mot n’ayant pas été prononcé).
Enfin, en démontrant que l’Europe est le « meilleur rempart » face à ce que « des citoyens perçoivent comme un danger ». Une tâche difficile, puisque la construction européenne s’est précisément définie comme la suppression des protections, comme les droits de douane. Ainsi, l’UE ne dispose d’aucune politique commerciale digne de ce nom, au contraire d’à peu près tous les autres pays du monde.
L’ombre d’un doute
Durant cette université d’été, on a senti des patrons inquiets, moins sûrs de leur fait qu’au cours des années passées. Tout les bouscule : les nouvelles technologies, la génération des « Millenials » – ces jeunes âgés de 20 à 30 ans – qui refusent de travailler dans leurs entreprises, l’urgence écologique… Ainsi, de l’avis de nombreux participants, le Medef serait plus ouvert actuellement que les années précédentes, lorsqu’il était dirigé par Ernest-Antoine Sellière et Pierre Gattaz, ces héritiers qui n’avaient à la bouche que la baisse des charges et l’assouplissement des licenciements.
On a ainsi pu entendre Gilles Bœuf, spécialiste de la biodiversité et professeur au collège de France, expliquer aux entrepreneurs que, tandis qu’ils « croient être les seuls à innover », la nature « innove depuis la première cellule », comme lorsque le vivant est passé de l’eau salée à l’eau douce, un « exploit considérable ».
Mais, malgré cette légère remise en cause, la persistance du modèle productiviste dans les discours est très inquiétante. Si le Président du Medef a bien cité, une fois, « l’urgence environnementale », la question écologique ne faisait partie d’aucun des trois points clés de son discours (le monde ; l’entreprise ; la France).
Qui prend des risques ?
Un aspect frappant, répété à l’envi durant cette université d’été, est que les dirigeantes et dirigeants d’entreprises sont persuadé-e-s d’être les seul-e-s à prendre des risques. Ce faisant, elles et ils oublient les risques bien plus grands pris pour leur santé par les infirmières qui travaillent de nuit, les ouvriers exposés à des substances chimiques, etc.
Ils oublient aussi les risques pris par de nombreux jeunes, ou par les travailleurs précaires, ou encore par les faux indépendants qui survivent entre deux contrats. Et ils oublient qu’ils sont, bien plus souvent que les autres, des héritières et des héritiers des entreprises de leurs parents, et que, en cas de coup dur, ils disposent de ressources financières sans commune mesure avec celles dont disposent l’immense majorité de la population.
Mais la force de conviction du Medef auprès de la société n’est pas près de s’accroître, tant que les grands dirigeants ne se saisiront pas de la question sociale, socle de leur légitimité.
Silence sur les sujets qui fâchent
Les sujets ne manquaient pas pourtant, en cette rentrée, à commencer par l’envol des rémunérations des PDG partout sur la planète à mesure que les entreprises deviennent globales et que les normes sociales de décence se relâchent, qui suscitent la critique de plus en plus d’économistes et d’hommes politiques de tous bord. Ou la question de la participation des salariés aux décisions des entreprises, soutenue notamment par Olivier Favereau, et qui est, certes beaucoup trop timidement, abordée dans le cadre de la future loi Pacte au cœur des projets de rentrée du gouvernement.
Aucune de ces questions n’a fait l’objet d’une table-ronde, pas plus que celle de la question des discriminations à l’embauche dans les entreprises, notamment à l’égard des personnes perçues comme issues de l’immigration, et/ou comme musulmanes. Or cette question est bien étudiée depuis plusieurs années déjà, et les multiples études et « testings » donnent des résultats impressionnants.
Fort heureusement, à la fin des deux difficiles journées, nous avons entendu Karine Gourault, déléguée générale du Medef dans le Loir-et-Cher, déclarer que, si elle n’avait pas de problème avec le fait religieux dans les PME de son territoire, c’est tout simplement parce que… les entreprises discriminaient massivement à l’embauche. Et elle ajoutait qu’elle s’inquiétait de l’impact terrible sur leurs petits frères ou petites sœurs du chômage de jeunes diplômé-e-s issu-e-s de l’immigration (mais parfois français depuis 3 générations).
La société bloquée… par le Medef
Il est logique, même si c’est regrettable, que le Medef demande d’avoir le premier rôle dans la société française. C’est ce que font aussi les médecins, les profs, les syndicalistes, qui tous demandent à être mieux reconnus, entendus, valorisés.
Ce qui est problématique, c’est que le Medef n’intègre pas sérieusement la question environnementale, celle du partage du pouvoir, ou des inégalités, y compris les discriminations. Cette surdité empêche de Medef d’être entendu dans la population, et rend impossibles de potentielles avancées positives.
Aujourd’hui, en France, le principal facteur de blocage n’est donc certainement pas la CGT mais les « entrepreneurs », qui disposent de nombreux leviers de changement, mais qui refusent de se soumettre à la contrainte écologique, de partager leur pouvoir, et de promouvoir la justice sociale dans leurs organisations.