Rachats d’Alstom : la com’, et les coups tordus

Capture d'e?cran issue du documentaire sur LCP (DR)

Capture d’e?cran issue du documentaire sur LCP (DR)

Chaque matin du lundi au vendredi, si possible à 9h15 précises, Daniel Schneidermann publie cette chronique sur les dominantes médiatico-numériques du matin. Ou parfois de la veille au soir (n’abusons pas des contraintes). Cette chronique est publiée sur le site indépendant arrêt sur images (financé par les abonnements) puis sur Rue89.

C’est reparti pour les hymnes au « champion européen ». A en croire la presse unanime, Alstom et Siemens devraient annoncer aujourd’hui leur fusion. Les passagers du TGV rouleront donc allemand.

Enfin, disons, franco-allemand. Qu’on se rassure dans les chaumières françaises, rien à craindre pour le « fleuron français » du ferroviaire : la fusion se fera à égalité ; l’emploi est préservé pour quatre ans ; enfin l’actuel PDG d’Alstom, le Français Henri Poupart-Lafarge, sera maintenu à la direction du nouvel ensemble.

De toutes manières, c’est la moins mauvaise solution : le concurrent chinois guette à la porte. Ça, c’est le rideau de fumée de com’ qui enveloppe tous les épisodes du gigantesque Mecano industriel.

Pour connaître la réalité des bras de fer, des coups tordus, et des épreuves de force, il faut attendre -dans le meilleur des cas- quelques années. Heureusement, la chaîne parlementaire diffusait opportunément, hier soir, un documentaire sur le rachat par General Electric de la branche « énergie », de la même Alstom, en 2014, titré « Guerre fantôme, la vente d’Alstom à General Electric ».

Quelques années ayant passé, un coin du voile peut être soulevé (un premier coin l’avait déjà été l’an dernier par l’émission de Canal+ Special Investigation). Et sous le voile, illustrations apocalyptiques à l’appui, c’est l’histoire d’une entreprise, Alstom donc, prise en tenaille entre une amende pour corruption infligée par le Département de la Justice américain, et la proposition opportune de rachat par General Electric, qui propose, dans ce cas, de payer l’amende à la place d’Alstom.

Y a-t-il eu concertation entre le Département de la Justice et General Electric ? En d’autres termes, quelques vautours industriels américains suivent-ils à la la trace, autour du monde, les inspecteurs anti-corruption US, pour racheter à bas prix les entreprises inquiétées par la Justice américaine ? Tout le monde en France le soupçonne, personne ne peut le prouver. De la même manière, que personne ne peut prouver que c’est sous la menace de cette amende, et de poursuites personnelles contre lui, que le PDG d’Alstom, Patrick Kron, a vendu à GE.

« On n’est pas au Venezuela »

N’empêche que tout le monde le soupçonne, même Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, qui faisait état de ses soupçons devant une commission de l’Assemblée. Soupçons qui ne l’avaient pas empêché quelques mois plus tôt, alors secrétaire général adjoint de l’Elysée, de favoriser la vente, contre le ministre de l’économie Montebourg, dont il triompha avec cet argument massue : « on n’est pas une économie dirigée. On n’est pas au Venezuela ».

Des soupçons, pas de preuves, et pas d’enquête officielle : ainsi, et pas autrement, naissent les légendes conspirationnistes. Après avoir, dans un premier temps, promis une fusion à 50/50, GE a donc mis la main sur la branche énergie d’Alstom, et notamment sur sa pépite, la fameuse turbine Arabelle, dont vous n’avez jamais entendu parler parce que la presse ne parle pas de ces choses triviales, mais que le monde nous envie.

Cette turbine équipe notamment les centrales nucléaires françaises, ce qui donne désormais à GE le contrôle de la maintenance de ces centrales, pouvoir dont l’Américain entend bien se servir, si j’en crois cet écho.

Que l’on trouve, aux avant-postes de la dénonciation de cette absorption, toute la fine fleur du souverainisme politico-médiatique français (le journaliste Jean-Michel Quatrepoint, intervenant régulier de Polony.tv, l’ex-député homophobe et assadophile Jacques Myard, ou Nicolas Dupont-Aignan, qui était ce matin sur France Inter), doit bien sûr conduire à la prudence, mais n’invalide pas a priori le récit de l’opération. Sur laquelle, donc, toute la lumière n’est pas encore faite. Dans une dizaine d’années ?

Daniel Schneidermann

Source Rue89 26/09/2017

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Inde. Les enfants sont voués à mourir

enfants

La mort atroce de 85 enfants à l’hôpital universitaire Baba Raghav Das, à Gorakhpur dans le nord-ouest du pays], reflète avec justesse ce que nous sommes devenus : une nation dépourvue de tout pragmatisme, de toute décence et de toute compassion. Car il faut cumuler plusieurs manquements politiques et administratifs pour que des enfants meurent privés d’oxygène. Il faudra trouver les personnes responsables. Mais ce drame est aussi le procès de notre indépendance, de ce que nous en avons fait, du genre de population que nous sommes devenus et de l’échelle des valeurs sur laquelle nous nous plaçons.

Cet épisode nous plonge dans l’abattement, car il nous rappelle que les enfants pauvres de notre république sont en partie voués à mourir à cause de nos choix. Les enfants sont voués à mourir, car dans cette république nos priorités ne sont pas les bonnes.

La crise du système de santé indien n’est un secret pour personne. Et malgré tout, elle ne suscite aucune colère dans l’opinion publique, ne mobilise pas notre intelligence collective et n’émeut pas nos consciences. Les enfants sont voués à mourir, car, même face au tragique, nous trouvons toujours une excuse pour ressasser de fausses querelles. Le deuil n’a pas sa place en Inde, où la récrimination est reine. Personne ne s’attarde sur ce qui a été perdu. Personne ne consacre un seul instant au vide béant que laissent ces disparitions.

Au contraire, ce vide sera immédiatement comblé par le cocktail habituel – revendications, clivages, distractions – qui a précisément mené à la tragédie.Les enfants sont voués à mourir en Inde, car régler des comptes ancestraux et entretenir les rancœurs épuise nos ressources sociales, politiques et affectives.

La véritable individualité de nos citoyens, les enfants qui ont un avenir, les parents pleins d’espoir, tout cela est éclipsé par des batailles plus abstraites et meurtrières qui opposent divers groupes et clans. Le poids mort d’une vie politique prise au piège du passé voile les souffrances du présent.

Les enfants sont voués à mourir, car les structures incarnant la réalité sont anéanties. Au lieu de nous permettre de comprendre pleinement notre contexte, elles dissimulent tématiquement la réalité. Elles assouvissent notre appétit pour les faux combats qui mêlent le bruit et la fureur, mais dont l’unique effet est d’isoler les citoyens les uns des autres.

Les enfants sont voués à mourir, car, en Inde, le mal reste structurel. Ce mal sournois est profondément ancré dans la structure des privilèges, il marginalise les pauvres et les rend invisibles, au point que nous pouvons pour suivre notre vie confortablement, en toute innocence. La réalité brutale de la violence économique tourne en dérision nos platitudes constitutionnelles sur la liberté et l’égalité.

Les enfants sont voués à mourir, car l’Inde excelle dès qu’il s’agit de manifester et d’intervenir épisodiquement. Pour une mission ponctuelle, si c’est une exception, rien n’est trop ambitieux pour ce pays. Mais l’Inde est incapable d’institutionnaliser des mécanismes quotidiens au sein de l’État. Elle est incapable de mettre en œuvre de petits actes de coopération. Il y a aussi en Inde une banalité du mal. Le mal est tenace, car il est le résultat de petits dysfonctionnements accumulés.

Les enfants sont voués à mourir, car la force du symbolisme et du prestige prend encore le pas sur le factuel et le scientifique. Pour éradiquer tous les cas d’encéphalite [qui est la maladie la plus répandue dans la région] à Gorakhpur, un énième institut de recherche dysfonctionnel sera créé, au lieu de mobiliser les connaissances existantes.

Les enfants sont voués à mourir, car la population n’est pas soudée, il n’y a qu’un long défilé de prestataires, de bureaucrates et de techniciens qui tentent d’intervenir dans des contextes où il n’existe pas de communauté locale : Gorakhpur n’est pas un espace partagé et ne désigne pas un groupe maîtrisant plus ou moins son destin. En un sens, l’indépendance nous a condamnés non à la liberté, mais à une fatalité d’autant plus accablante, d’autant plus insidieuse qu’elle porte le vernis de la légitimité démocratique.

Sur notre échelle des valeurs, le savoir s’incline devant le déni, la connaissance de soi capitule devant la piété et l’arrogance négligentes, le détachement laisse place au péché véniel, la liberté d’esprit est remplacée par la conformité et, surtout, la compassion plie face au mépris. Si nous nous regardons dans le miroir de Gorakhpur pour déterminer qui nous sommes devenus, le reflet n’est pas beau à voir. Mais même si nous laissons le passé dans le passé et que nous nous tournons vers l’avenir, la réponse n’est pas plus réconfortante. Il est très probable qu’au cours des prochains mois, les préparatifs politiques et judiciaires liés à la construction d’un temple en l’honneur du dieu Rama s’intensifieront.

Il est improbable que ce soit un monument dédié à la karuna – la compassion. Ce sera plutôt un monument consacré à notre narcissisme collectif, à notre envie de batailler et de diviser. C’est un fol espoir, mais il serait réellement extraordinaire, après la tragédie de Gorakhpur, qu’un hôpital et non un temple soit construit à Ayodhya (une revendication des nationalistes hindous proches du Premier ministre, Narendra Modi). C’est un fol espoir que ce site parvienne à symboliser notre capacité à surmonter tout ce qui nous freine : la distraction, les divisions et la dissimulation qui entravent la dignité.

L’Inde a 70 ans. C’est une jeune nation. Mais chaque minute compte, car elle vieillit rapide ment. Peut-être sera-t-il bientôt “trop tard”. Martin Luther King a écrit : “Nous devons admettre que demain est aujourd’hui. Nous sommes confrontés à l’urgence implacable du présent. Face à l’énigme perpétuelle que sont la vie et l’histoire, on peut arriver ‘trop tard’ sur les os blanchis et les vestiges amoncelés de nombreuses civilisations, on trouve souvent ces mots pathétiques : ‘trop tard’. ” Après le drame de Gorakhpur, une question se pose : à 70 ans, est-il trop tard pour que l’Inde retrouve non pas une gloire artificielle, mais simplement son humanité ?

Pratap Bhanu Mehta

Source The Indian Express Bombay  15/08/2017<
traduction Courrier International 24 août 2017.

>Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Asie, Inde, rubrique Société, Santé, Justice, rubrique Politique, Politique économique, On Line 34 enfants meurent en deux jours dans un hôpital,

 

Des cadres de la France insoumise et des personnalités réclament un « média citoyen »

 KAMIPHUC/FLICKR/CC BY 2.0


KAMIPHUC/FLICKR/CC BY 2.0

Certains avaient annoncé une « chaîne de télé insoumise ». Ce sera finalement un « média citoyen » censé produire sur Internet une information gratuite et francophone reflétant toutes les sensibilités de la gauche. Ce lundi 25 septembre, un collectif comprenant des personnalités politiques, dont plusieurs cadres de la France insoumise, des artistes et des intellectuels ont cosigné une tribune appelant à la création d’un média alternatif tournant le dos au modèle économique dominant des sites d’information.

« Nous appelons à soutenir la création d’un nouveau média fondamentalement alternatif par sa gouvernance, son modèle économique et son fonctionnement », peut-on lire dans cette tribune parue dans Le Monde et sur la plateforme de pétitions Change.org où l’initiative avait récolté quelques 4500 soutiens ce lundi en fin d’après-midi. Objectif: « bâtir un espace commun et visible, influent et fraternel, un espace qui agrège et rassemble des initiatives citoyennes » autour de valeurs marquées à gauche (fonctionnement collaboratif, humanisme, anti-racisme, féminisme, écologie, défense des droits LGBTI).

Qu’y verra-t-on? De l’écrit, de l’audiovisuel, des infos avec un JT « cinq fois par semaine », des reportages, de la culture, des débats. Des personnalités connues du grand public participeront occasionnellement ou régulièrement au média.

« Ce ne sera pas un média Mélenchon »

Si l’initiative se revendique « indépendante », un doute subsiste sur le rôle qu’occupera la France insoumise dans le fonctionnement et le financement de ce média alternatif. Plusieurs de ses cadres, dont Jean-Luc Mélenchon, la directrice de la communication de la FI Sophia Chikirou, l’avocate et chroniqueuse Raquel Garrido ou encore les députés insoumis Adrien Quatennens et François Ruffin ont signé le manifeste. Des compagnons de route affichés du parti, comme le comédien Yvan Le Bolloc’h, le psychanalyste Gérard Miller, le politologue Thomas Guénolé ou le journaliste Guillaume Tatu figurent dans la liste.

« Ce ne sera pas un média Mélenchon », a promis Gérard Miller ce lundi sur France Inter, en précisant que Jean-Luc Mélenchon préparait de son côté sa propre « télévision insoumise ». « Ce média, coopératif, sera indépendant: sa gouvernance impliquera ses sociétaires, ses salarié(e)s et ses ‘bénéficiaires' », peut-on lire dans le manifeste.

Des responsables politiques extérieurs à la FI ont d’ailleurs apporté leur soutien: les anciens ministres socialistes Pierre Joxe, Aurélie Filipetti et Arnaud Montebourg, tout comme l’ancien candidat du NPA à la présidentielle Philippe Poutou et les écologistes Noël Mamère et Eva Joly.

Si la FI assume d’être à l’initiative du projet, « ce média citoyen ne sera pas affilié à la France insoumise », jure l’un des concepteurs joint par Le HuffPost. Ce dernier promet « un pluralisme complet sur une ligne de gauche ». La direction éditoriale du média devrait justement être confiée à une personnalité qui sera garante de son indépendance vis-à-vis de la France insoumise.

« Moins élitiste et plus accessible » que Mediapart

Le mouvement créé par Jean-Luc Mélenchon porte un regard très critique sur le fonctionnement des médias grands publics et les contourne régulièrement en diffusant en ligne ses propres émissions. Le député des Bouches-du-Rhône accuse la presse de se plier à une doxa libérale et met en cause la pression des actionnaires sur les rédactions.

La raison d’être du site est de « faire masse » pour toucher un très large public. « Mediapart a ses limites et notamment son coût. Notre média sera moins élitiste et plus accessible », confie la même source. Sans préciser que les relations entre le site cofondé par Edwy Plenel et la France insoumise ne sont pas toujours simples.

Parmi les premiers signataires figurent nombreuses personnalités marquées à gauche comme les acteurs Jacques Weber et Josiane Balasko, les réalisateurs Cédric Klapisch et Philippe Lioret, l’humoriste Guillaume Meurice ou le Youtubeur politique Usul. Des journalistes cosignent l’appel comme Cécile Amar, qui avait été sanctionnée par L’Obs après avoir cosigné un livre avec Jean-Luc Mélenchon, Aude Lancelin, licenciée de L’Obs, ou l’ancienne journaliste et conseillère de Ségolène Royal Françoise Degois.

Geoffroy Clavel

Source HuffPost 25/09/2017

Pétition

Rubrique Médias, rubrique Politique, Société civile, rubrique Internet,

Chapiteaux du livre. Un micro climat culturel à Béziers ?

Bayssan Hogo Da Costa

 par JMDH

Avec la vitalité de sa médiathèque, et son usine à produire de l’imaginaire, baptisé SortieOuest comme pour rappeler qu’il ne faut pas se tromper lorsqu’on sort de l’autoroute, le Domaine départemental d’art et de culture de Bayssan est souvent qualifié de poumon culturel au coeur d’un désert. Une enclave sur le territoire des Tartares. Chaque année les Chapiteaux du livre sonnent le rappel des penseurs qui n’ont pas vendu leur âme au pragmatisme qui les éloigne de l’utilité publique et sociale.

Après Pierre Rabhi,  Benjamin Stora,  Jacques Généreux, Patrick Boucheron et bien d’autres, Raphaël Glucksmann, Frederic Worms, Fatou Diome, Henri Pena-Ruiz sont attendus pour cette dixième édition.

On pourra encore déplorer la misère de ce territoire en regard de son âge d’or, du midi rouge de la coopération viticole, s’imaginer croiser le fantôme grimaçant de Jaurès au détour d’un chemin de vigne entre Cazouls et Maraussan. Mais curieusement, on n’a guère prêté attention au fait que, par un étrange phénomène de vases communicants, ce qui disparaissait d’un côté réapparaissait de l’autre.

Au-delà de la richesse de la programmation de cette édition fourmillante de diversité, et des pactes de lecture que nous conclurons avec les auteurs en présence, Emmanuelle Pagano, Joël Baqué, Jean Cagnard, Natyot, Laura Brignon, Franck Bouysse, Sylvain Pattieu… pour ne citer qu’eux, les aspirations au changement, à la rencontre, à la convivialité insufflée par les équipes issues de culture professionnelles différentes trouvent des réponses très concrètes auprès d’un public qui provient de tout le territoire.

Depuis dix ans les Chapiteaux du livre réinventent la réalité, s’autorisent à créer des histoires en ajoutant au réel l’invérifiable et l’imaginaire. Voilà un souffle bien réjouissant dont s’emparent les gens qui vivent alentour toujours plus nombreux.

La Marseillaise qui s’y associe est heureuse de partager ces temps de réflexion et d’émotion avec les petits et les grands moments, les tristesses en solitaire et les allégresses collectives.

Entretien
En charge de la programmation des Chapiteaux du livre de Béziers, la co-fondatrice de l’événement Hélène Larose  évoque la singularité de cette manifestation,  grande fête du livre pensée dans un esprit participatif.

imagesLa dixième édition des Chapiteaux du livre s’ouvre aujourd’hui. Quelle a été la démarche qui a présidé à leur acte de naissance ?
La médiathèque départementale de l’Hérault dont j’assume la direction existe depuis 1986.  Lorsque SortieOuest s’est implanté il y a onze ans, son directeur Jean Varela est venu me voir.  Il avait dans l’idée d’organiser une fête du livre. Nous avons réfléchi à ce que nous pouvions faire ensemble pour associer nos énergies dans un esprit d’ouverture. C’est ainsi que les Chapiteaux sont nés.

Cette association de la médiathèque et du théâtre avec le livre comme vecteur commun, c’est un peu la rencontre de deux mondes ?
En effet, il y a d’un côté le monde du spectacle vivant et des arts de la scène avec une forme d’impermanence qui lui est spécifique et de l’autre, celui, d’apparence plus sage, des bibliothèques et des médiathèques, lié à l’étude et à la lecture qui sous tend une certaine permanence.

La tenue d’une manifestation de ce type demande beaucoup de travail de la part des bibliothécaires qui sont très impliqués, comme l’est du reste l’équipe de SortieOuest. Les Chapiteaux du livre nous permettent  de nous retrouver. Cela donne du sens et de la valeur ajoutée à notre mission de service public.

L’identité de la manifestation se caractérise par la place qu’elle réserve à l’accueil des publics…
La volonté  d’organiser un événement littéraire de qualité  se conjugue depuis le début avec cette préoccupation du public. Dans mon expérience professionnelle antérieure, j’ai souvent accompagné des scolaires au Salon du livre de Paris. J’en ai gardé une forme d’insatisfaction, avec un peu le sentiment de faire du lèche-vitrine. Ce pourquoi, j’ai souhaité dès le début des Chapiteaux, insuffler un esprit participatif qui se décline dans le parc par une multitude d’ateliers. Cette année nous avons 32 propositions, mais aussi  des découvertes, des expos, des propositions ludiques…

Durant l’événement, le parc rassemble les familles, certaines ne s’intéressent pas aux propositions. Elle viennent juste manger, partager un moment ensemble, et c’est très bien ainsi.

Cette énergie participative se partage aussi avec les acteurs institutionnels, de la société civile et ceux du livre…
Nous débutons généralement la manifestation avec l’accueil des scolaires, jeudi sera une journée spéciale consacrée à la littérature jeunesse. Ce qui suppose l’implication des enseignants mais les publics nous allons les chercher en bus de Saint Pons à Olonzac. Ce qui nous permet de faire venir près d’un millier de scolaires. En partenariat avec les personnels des services sociaux du département, nous concernons aussi les personnes âgées ou hospitalisées.

Et puis nous maintenons  des relations suivies avec le tissu associatif local, comme les CEMEA avec qui nous proposons des films présentés dans le cadre du Festival du Film d’éducation. Au-delà  des auteurs invités, nous souhaitons faire connaître les acteurs du livre de la région, libraires, éditeurs… Cette année nous ferons un focus autour du livre d’art. Une journée professionnelle sera organisée autour des éditions Albin Michel et plus particulièrement son département jeunesse.

Les livres permettent la réflexion, l’orientation du cycle des conférences vers la tolérance s’impose-t-elle ici plus qu’ailleurs ?
La tolérance est nécessaire partout. L’événement s’est constitué, avant l’élection du maire actuel de Béziers, sur l’éloge de la diversité et le vivre-ensemble qui s’avère de plus en plus nécessaire. On est un peu enclavé mais on a envie de mélanges. On ne veut pas rester dans un village gaulois.

 

Pépites errantes aux côtés des auteurs attendus

Emmanuelle Pagano se penche sur la vie recouverte par le lac du Salagou. Photo dr

Emmanuelle Pagano se penche sur la vie recouverte par le lac du Salagou. Photo dr

Rencontres auteurs

Au-delà du rituel d’autoflagellation bien français qui consiste à mépriser systématiquement la production nationale les Chapiteaux opèrent une chasse furtive et pacifique parmi les auteurs à découvrir.

« Ce sont les paroles les plus silencieuses qui apportent la tempête », disait Nietzsche, celles des auteurs, on pourra les entendre tout le week-end en se rendant à Béziers, aux Chapiteaux du livre. La place manque pour l’exhaustivité. On vous signale quand même la présence d’Emmanuelle Pagano, prix Wepler pour Les mains gamines, un drame de l’enfance paru en 2008.  Elle vient évoquer son dernier roman, Sauf riverains (POL 2017) second volet  d’une trilogie interrogeant la relation de l’eau et de l’homme. Dans ce livre elle aborde l’ennoyage de la vallée du Salagou. Son grand père y possédait deux petites vignes qu’elle n’a jamais vues que sur une photographie. L’œuvre de Pagano s’intéresse à ce qui disparaît ou va disparaître. Un auteur dont il faut découvrir la langue magnifique et implacable qui n’a pas son pareil pour décrire l’enfouissement.

Elle participera à une table ronde samedi à 17h en compagnie de Joël Baqué également publié chez POL. Son dernier livre La mer c’est rien du tout, (2016)  se situe entre la biographie et l’univers romanesque. Il décrit sa découverte de la littérature à partir d’un livre trouvé sur la plage où il travaillait comme maître-nageur-sauveteur des CRS. Ses souvenirs professionnels, parfois durs, souvent insolites, côtoient des constats, tendres et amusés, sur les enfants et sur nombre de situations du quotidien. Dans le registre noir

Franck Bouysse, Prix du polar SNCF 2017, pour Grossir le ciel abordera son roman Glaise (samedi à 18h) qui vient de paraître à La manufacture des livres. Un poignant récit de la France rurale qui prend l’intime pour objet au moment où les hommes partent au front en août 1914.

 

Conférence.  Henri Pena-Ruiz :  Qu’est ce que la solidarité ?

201501232489-fullHenri Pena-Ruiz était déjà venu aux Chapiteaux du livre en 2014 pour évoquer la laïcité à l’occasion de la sortie de son Dictionnaire amoureux de la laïcité. Il revient cette année mettre en évidence les fondements de la solidarité comme principe éthique de portée politique et sociale. Une question abordée dans son ouvrage Qu’est ce que la solidarité ? Le cœur qui pense (2011) où l’auteur fait le point sur toutes les formes de solidarité et les met en perspective dans la marche vers un monde meilleur. L’enjeu de ce rappel est d’autant plus important que dans le cadre de la mondialisation et de l’idéologie ultralibérale qui l’accompagne, l’orientation solidariste est reléguée au rang d’un supplément d’âme plus ou moins résiduel, abandonné à la contingence de la charité. Il prend aux mots les références à l’initiative individuelle, au goût du risque et de l’entreprise, pour montrer que pour assumer ces valeurs il n’est pas nécessaire de disqualifier le souci de justice sociale, ou de le considérer comme une logique d’assistanat comme trop souvent on peut l’entendre.

 Henri Pena-Ruiz est philosophe, écrivain, Docteur en philosophie, maître de conférences à l’IEP de Paris.

 

Conférence
Raphaël Glucksmann une certaine fraîcheur
6gSnHws__400x400Dans le cycle de conférences proposé par la manifestation, la forme que prennent les interventions varie selon la reconnaissance plus ou moins établie des intervenants mais aussi de leur caractère. L’intervention de Henri Peña-Ruiz qui fait suite au désistement de Badiou devrait en être un exemple. Après celle de Raphaël Glucksmann venu nous parler de son dernier essai Notre France : dire et aimer ce que nous sommes (Allary éditions) on peine un peu à qualifier le poids des mots dans le propos séduisant et très incarné du militant des droits de l’homme, partisan d’une gauche moderne et ouverte.

La démarche vise à démontrer l’incapacité du politique à produire un futur collectif et le danger que chacun mesure, surtout à Béziers laisse entendre l’intervenant, du repli identitaire et souverainiste. Pourtant lorsque l’on regarde dans le rétroviseur tout démontre une longue tradition de mélange et de tolérance qui fondent les valeurs démocratiques universelles de la nation.

Cette vérité sert de prétexte à une promenade subjective dans l’Histoire de France dans laquelle nous entraîne l’auteur. Du Roman de Renart aux résistants de la Seconde Guerre mondiale en passant par les grandes figures rebelles et émancipatrices qui marquent l’histoire littéraire, Rabelais, Montaigne, Voltaire… auxquels s’ajoutent quelques figures héroïques : Figaro, Camille Desmoulins, ou Fanfan la Tulipe…

L’idée est belle et le constat flatteur, il vise à rallier le plus de monde possible pour faire toucher du doigt la vraie France dont nous serions tous fiers, même ceux qui votent FN. En réalité « la France ressemble à la figure d’Andromaque ». Et l’ordre social dirigé par l’ordre amoureux, c’est pour quand ?

Raphaël Glucksmann explore les figures ou les œuvres qui ont forgé l’identité française

Voir aussi : Actualité Locale, Rubrique Livre, Essais, Edition, rubrique Lecture, Rubrique Rencontre, F Worms : « La démocratie fait émerger des problèmes à résoudre »  rubrique Philosophie,

Frédéric Worms : « La démocratie fait émerger des problèmes à résoudre »

Frédéric Worms : « L’esprit a besoin de confiance pour pénétrer la démocratie et la faire vivre »

Frédéric Worms : « L’esprit a besoin de confiance pour pénétrer la démocratie et la faire vivre »

Invité des Chapiteaux du livre de Béziers, le philosophe Frédéric Worms donne ce soir au Théâtre sortieOuest, une conférence sur le thème « Les maladies chroniques de la démocratie ».

Frédéric Worms est philosophe, professeur de philosophie contemporaine, membre du Comité consultatif national d’éthique et depuis septembre 2015, directeur-adjoint de l’École normale supérieure. Frédéric Worms s’intéresse à l’histoire de la philosophie. Il est considéré comme un spécialiste de l’œuvre de Bergson.

Dans votre dernier ouvrage*, vous vous portez au chevet de la démocratie en crise pour poser un diagnostic. Pourquoi avoir user des termes de maladie chronique à propos de la démocratie ?
Pour deux raisons : la thèse de maladie chronique permet de la distinguer de la maladie aiguë. Elle soutient  que les problèmes de la démocratie sont structurels à la démocratie elle-même. La crise correspond à une inflation de problèmes structurels qui  doivent être contenus. Il nous incombe de les conjurer, de les affronter pour qu’ils ne débordent pas du cadre. Par ailleurs, l’usage du mot maladie, implique que la démocratie peut être plus ou moins en bonne santé et qu’elle fait partie de la vie.

Votre approche s’applique-t-elle  à la crise de manière globale ?  Relève-t-on par exemple, les mêmes symptômes de Rangoun à Damas ou de la Floride à la Meuse ?
Non, on distingue des seuils. Aucun pays n’est une démocratie parfaite. La France remplit un certain nombre de critères qui restent inexistants dans d’autres pays.

Vous soulignez l’état d’une partie grandissante de l’opinion qui pense que la démocratie est terminée, pour avoir gagné un statut incontournable ou parce qu’elle est perdue. Ce qui dans les deux cas revient à éluder les questions…
Exactement, ce sont deux erreurs qui se nourrissent l’une l’autre, la démocratie ce n’est justement pas tout ou rien. Ce raisonnement peut conduire à faire la guerre au nom de la démocratie. Je me prononce plutôt en faveur des tribunaux internationaux,  que pour les interventions militaires. Parce que la guerre contribue à renverser tous les principes moraux et politiques de la démocratie. Aucune démocratie n’est complète, elle doit toujours être pensée, programmée. La démocratie fait émerger des problèmes à résoudre, elle n’a pas vocation à les faire disparaître.

Votre démarche ne se limite pas au mode de gouvernance cependant, peut-on considérer que le régime politique français est tempéré d’une part de monarchie voire d’aristocratie  ?
Je ne le pense pas. Ceux qui évoquent une monarchie constitutionnelle, liée au présidentialisme font planer l’idée que nous ne serions plus dans une République, hors, c’est faux ! Cette posture présente le risque de leurrer les citoyens. C’est une forme rhétorique permettant d’exporter les principes pour finalement abandonner la défense de ces principes. Cela n’empêche pas pour autant de critiquer la 5e République mais il faut formuler des critiques avec des exigences précises. Le  système français n’est pas parfait mais il permet de peser sur le gouvernement.

Dans votre interprétation de la crise, vous soulevez la convergence de trois dangers que sont le soupçon, le racisme et l’ultralibéralisme. En quoi le cynisme contemporain repose-t il sur un déni de démocratie ?
L’esprit a besoin d’une confiance pour pénétrer la démocratie et la faire vivre. Lorsqu’on vous dit : on vous ment  ou tous pourris, on sape cette confiance.  Si certains médecins acceptent les cadeaux des laboratoires, cela ne signifie pas  que tous les médecins sont corrompus. On a le droit de critiquer mais on ne doit pas saper la démocratie au nom de la démocratie. Tout citoyen se conforme à des principes, le peuple n’a pas tous les droits. La démocratie appelle aussi à une auto-limitation.

Le racisme vous apparaît comme une maladie de la représentation de soi-même ?
Le racisme, c’est l’illusion de penser qu’il y a eux et nous. Le racisme, c’est une idée de l’autre mais aussi de soi-même qui sous-tend que nous n’avons pas de problème. C’est un piège. Un peuple fort et démocratique assume cette discussion. Il se reconnaît par ses institutions et reconnaît les différences.

Bergson définit les principes moraux comme une nécessité pour la société de régler la liberté humaine. N’est-ce pas tout le contraire que prône aujourd’hui l’Occident ultra libéral sous couvert d’assurer notre sécurité  ?
Même les libertés peuvent devenir des idéologies si on ne voit pas qu’il faut les construire à travers les institutions. L’erreur du libéralisme est d’avoir opposé la liberté à la loi. La liberté c’est bien, mais il faut apprendre que l’on a besoin des autres. Pour les bébés ou les vieillards, c’est une évidence. Les catastrophes qui sont terribles nous le rappellent parfois.

Face à la convergence des dangers, vous prônez la résistance, sous quelle forme de lutte ?
Dans un pays comme la France, des luttes peuvent s’organiser dans le cadre des institutions, de l’université, de la presse …  Nous vivons dans une démocratie mûre, épanouie et solide qui dispose de cadre pour sa propre critique. Nous avons les moyens de lutter sans se cacher, sans avoir peur.

Pour reprendre la question d’Adorno : peut-on mener une vie bonne dans une société mauvaise ?
C’est la vraie question philosophique. J’espère que oui. Cette vie bonne peut être heureuse, mais il faut être critique. Les gens qui critiquent la démocratie sont des gens heureux. Et ce sont souvent  ceux qui sont heureux qui font progresser les choses.

Ce travail intérieur aux relations humaines vous situe dans un esprit rousseauiste, comme votre présence au sein du Comité national d’éthique. Quels sont les dossiers importants qui arrivent sur la table ?
Le dossier de la PMA, et ceux liés aux nouveaux progrès scientifiques dans le domaine  de la biomédecine, du génome, ou encore de l’intelligence artificielle, de la nouvelle médecine connectée. Dans dix ans la médecine sera transformée. Nous serons soignés à distance avec nos téléphones. Comment cela restera-t-il éthique  ? Comment cela restera-t-il  un soin  ? Comment avoir le sentiment d’être soigné par quelqu’un  dans ce cadre ? Que fera-t-on des données médicales fournies ?  Tout cela pose des problèmes relatifs à la démocratie…

« La convergence n’est pas à inventer puisqu’elle nous fait déjà vivre et avancer », votre conclusion porte à l’espérance. Est-ce un appel à l’introspection  ?
C’est un appel à l’endurance lucide, regarder ce qui nous fait vivre, nous permet de comprendre…

Réalisé par Jean-Marie Dinh

*Les maladies chroniques de la Démocratie, éditions Desclée de Brouwer, 18,90 euros.

Source La Marseillaise.23/09/2017

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