Force ouvrière : un congrès qui s’annonce houleux

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Les conflits internes, autour des ordonnances de la loi travail, connaîtront leur épilogue à l’occasion du congrès de Force ouvrière qui s’ouvre lundi 23 avril à Lille. Contesté à l’automne, Jean-Claude Mailly passera la main à son successeur, Pascal Pavageau, dont la ligne pourrait être plus dure vis-à-vis du gouvernement.

Ambiance à couteaux tirés à Force ouvrière où, pour la première fois de son histoire, le congrès pourrait de ne pas voter le rapport d’activité de Jean-Claude Mailly, son secrétaire général. Ses prises de position accommodantes pendant la loi travail ont laissé des fractures profondes dans la troisième organisation syndicale de salariés. Ainsi, le congrès qui se tient à Lille du 23 au 27 avril s’est préparé dans une extrême tension. Malgré une nouvelle carrière déjà anticipée au sein du Comité économique et social européen, la fin du mandat de Jean-Claude Mailly n’est pas un long fleuve tranquille.

La posture bienveillante de Force ouvrière au début des concertations sur les ordonnances avec le gouvernement a été désavouée en septembre 2017. Lors de la réunion de la Commission exécutive (CE) du mois de mai, seulement deux abstentions se sont exprimées sur la ligne ouverte de la confédération. En juin, l’opposition a pointé le bout de son nez avec cinq votes contre sur les 34 membres de la CE. Après l’été, plus de 80 % des unions départementales (UD) et des fédérations se sont opposées à la ligne défendue par Jean-Claude Mailly. Résultat : le 4 septembre 2017, la CE prend ses distances avec la position défendue par son secrétaire général. Puis vient le tour du Conseil confédéral national composé des 130 responsables de fédération et d’UD, qui imposent au bureau confédéral un appel à manifester contre la loi travail. Une mise en minorité sévère, même si le secrétaire général n’est pas débarqué.

Défiance sur l’indépendance de Force ouvrière

« Nous avons eu un problème avec l’indépendance du syndicat quand Stéphane Lardi a intégré le ministère du Travail », affirme en off un responsable syndical qui évoque les rendez-vous hors agenda du secrétaire général de FO avec le ministère dans cette période. Stéphane Lardi, ancien secrétaire confédéral chargé de l’emploi et la formation, était même pressenti jusque-là comme successeur possible de Jean-Claude Mailly. « Pas d’indépendance, pas de fédéralisme, pas de respect et de compte rendu du mandat », constate un autre militant sous couvert d’anonymat pour qualifier la fin de mandat du secrétaire général.

Depuis, Pascal Pavageau est le seul à avoir postulé au poste de secrétaire général. Ce dernier revendique la ligne d’indépendance syndicale défendue par Force ouvrière, rappelant qu’il n’a ni carte politique ni appartenance à la franc-maçonnerie. Nettement critique vis-à-vis de la poitique du « chacun pour soi » du gouvernement, il n’exclut pas un retour à l’unité d’action avec les autres forces syndicales, dont la CGT. Lors de la seule manifestation contre la loi travail à laquelle Force ouvrière avait participé, Pascal Pavageau manifestait à Paris aux côtés de Philippe Martinez, pendant que Jean-Claude Mailly défilait à Marseille pour se démarquer. « Je ne le vois pas signer un accord comme celui de la loi travail », avance un militant plutôt confiant sur la ligne poursuivie par le prochain secrétaire général.

Cela suffira-t-il à un retour à la normale au sein de la « vieille maison » qui revendique encore près de 500 000 adhérents ? Pas sûr. Les fédérations proches de Jean-Claude Mailly manœuvrent en amont du congrès pour obtenir des voix et des mandats afind’éviter un camouflet à l’ancien secrétaire général lors du vote du rapport d’activité. Autre enjeu des proches de la ligne de l’ancien bureau confédéral : placer les leurs dans la prochaine direction entourant Pascal Pavageau. Pour le reste, les résolutions générales, sociales et revendicatives du congrès fixeront la ligne de conduite donnée à la prochaine direction. Probablement la confirmation de la ligne traditionnelle de la confédération réformiste.

La fin de la bataille aura lieu à l’issue du congrès, lorsque le Conseil confédéral national nommera les 34 membres de la Commission exécutive. Les luttes d’appareil s’y révéleront et donneront la température des rapports de force internes entre partisans d’un accompagnement dupouvoir et partisans d’une ligne indépendante et plus contestataire. Résultat le 27 avril.

Stephane Ortega

Source : Rapport de Force 22/04/2018

Voir aussi : Rubrique Société, Mouvement sociaux, Travail, On line, Code du travail : Mailly se moque des « grognons râleurs »,

SNCF : les Economistes atterrés torpillent le projet de réforme du gouvernement

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« La modernisation du réseau ferré français, loin de nécessiter une privatisation, réclame au contraire des investissements publics massifs », écrivent-ils dans une note.

Ce n’est pas vraiment une surprise. Dans une note que viennent de rédiger Sabina Issehnane et Léo Charles, et rendue publique ce jeudi 12 avril, le collectif des Economistes atterrés, classé à gauche, égratigne certaines conclusions du rapport Spinetta et surtout les lignes directrices du projet de réforme de la SNCF défendu actuellement par le gouvernement.

Dans ce texte de 20 pages, les deux économistes reviennent d’abord sur la suppression annoncée du statut des cheminots, et déconstruisent l’image de « privilégiés » qui leur colle à la peau. « Il s’agit de supprimer progressivement les emplois ouvriers ou employés avec des salaires et des conditions de travail relativement corrects pour les remplacer par des emplois sous-payés et précaires », déplorent-ils, avant d’ajouter :

« Ce mouvement, rentable à court terme pour les entreprises qui s’y lancent, est nuisible à moyen terme pour elles – perte de la compétence et de la qualité – et pour la société – croissance des inégalités de statuts et de salaires. »

 

« Aujourd’hui, il faut souligner que les droits des cheminots sont dans de nombreux cas moins favorables que dans le droit commun », soulignent les deux auteurs, exemples à l’appui. « S’agissant du travail de nuit, le Code du Travail prévoit qu’un salarié a un statut de travailleur de nuit – qui permet d’obtenir des repos compensateurs notamment – dès lors qu’il dépasse 270 heures. Or à la SNCF, ce seuil est bien plus élevé. »

Vers une augmentation des émissions des gaz à effet de serre

La focalisation des débats sur le statut des cheminots masque, selon le collectif, des enjeux sociaux et environnementaux bien plus importants. « Le rapport Spinetta préconise de fermer les lignes secondaires pour réduire le déséquilibre financier du réseau ferroviaire. Cette logique comptable omet cependant que le rail porte avant tout un enjeu écologique », mettent ainsi en garde Sabina Issehnane et Léo Charles.

« Le secteur des transports représente en effet près du tiers de la consommation énergétique finale française, le transport routier représente 79,8% de cette consommation énergétique contre 12,9% pour le transport aérien et… 1,6% pour le transport ferroviaire. »

Si l’on fermait les lignes secondaires et ainsi une partie du réseau, quelles seraient les conséquences pour la population ? « Ces fermetures conduiraient les usagers à emprunter davantage le réseau routier, soit par un moyen de transport individuel, soit par car, et elles freineraient le développement du fret ferroviaire », répondent-ils.

« Tout cela entraînerait une augmentation des émissions des gaz à effet de serre car les externalités négatives  du transport ferroviaire sont moins importantes que celles des autres modes de transport, et en particulier de celles de la voiture particulière. »

Selon le cabinet Degest, en tenant compte du coût des externalités négatives, le rail constitue le mode de transport le moins coûteux : environ neuf fois moins que la voiture particulière, rappellent encore les deux auteurs.

« Le réseau ferré français a surtout besoin d’investissements publics massifs »

Dans cette note, les Economistes atterrés reviennent également sur les exemples allemand et britannique, deux pays où le système ferroviaire a été privatisé. « Si, globalement, la croissance des trafics a été au rendez-vous, le processus de libéralisation est resté très en deçà des objectifs affichés d’efficacité économique, d’efficience pour les usagers et d’allègement de la contribution des finances publiques », estiment-ils.

Et les deux économistes de citer le rapport du Boston Consulting Group de 2017, qui place la France derrière l’Allemagne en matière de performance du système ferroviaire mais devant la Grande-Bretagne. « Le système le plus performant selon ce critère est celui de la Suisse dont la principale compagnie ferroviaire est détenue à 100% par l’Etat fédéral », ajoutent-ils. En ce qui concerne l’amélioration du service pour les usagers, les prétendus bénéfices de la libéralisation ne sont pas au rendez-vous non plus, écrit le collectif.

« La comparaison avec l’Allemagne et le Royaume-Uni qui ont précocement privatisé le rail montre que les usagers pâtissent d’une détérioration de la qualité et de la sécurité des réseaux ferrés et que celle-ci contraint l’Etat à intervenir en dernier recours. La privatisation coûte en fait très cher au budget de l’Etat. »

« La modernisation du réseau ferré français, loin de nécessiter une privatisation, réclame au contraire des investissements publics massifs », concluent Sabina Issehnane et Léo Charles.

S.B.

Source L’OBS 12/04/2018

Pour lire cette note dans son intégralité, téléchargez le PDF ci-dessous.

Amazon dépose le brevet d’un bracelet qui surveille ses employés au travail

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L’appareil vérifie la position des mains pour s’assurer que les salariés soient actifs dans les entrepôts.

TECHNO – Big Brother vous surveille, enfin il pourrait le faire si vous travaillez chez Amazon. Jeudi 1er février, plusieurs médias américains à commencer par le New York Times ont rapporté que le géant de la grande distribution avait déposé deux brevets particulièrement inquiétants.

Ils portent sur un bracelet qui permettrait de surveiller au plus près l’activité des employés ainsi que leurs temps de pause. Toutefois, il n’est pas encore certain que l’entreprise prévoie de l’utiliser, même si elle est connue pour appliquer des méthodes de management au mieux particulièrement strictes, au pire carrément intolérables.

« Optimiser des tâches coûteuses en temps et en énergie »

Pour rentrer dans le détail, l’appareil est capable de vérifier la position des mains des employés quand ils sont au travail dans les entrepôts d’Amazon. Il peut par exemple se mettre à vibrer si l’employé n’a pas les mains au bon endroit, s’il attrape le mauvais colis ou simplement s’il n’est pas actif. Par ailleurs, il permet aussi de surveiller la durée des pauses prises par les employés sur une journée de travail.

Une invention qui pose la question de la surveillance au travail, même si l’entreprise assure, elle, que le but est simplement d’optimiser des tâches coûteuses en temps et en énergie, comme de répondre à des commandes et de les empaqueter. Elle ajoute que ces bracelets permettraient aux employés de répondre plus rapidement aux commandes et de les envoyer dans un temps record.

CNBC s’inquiète toutefois des conséquences que pourrait avoir la mise en place de tels outils, surtout au sein d’une entreprise déjà très critiquée pour sa gestion des personnels. « L’utilisation de tels appareils pourrait faire que les employés soient traités davantage comme des robots que comme des êtres humains. »

Source:  Le HuffPost: 03/02/2018

Voir aussi :  Rubrique Société Travail Demain tous des robots,

Tunis commémore la révolution dans un contexte tendu

Manifestation contre le gouvernement dimanche 14 janvier devant les quartiers généraux de la puissante centrale syndicale UGTT à Tunis. / Anis Mili/AFP

Manifestation contre le gouvernement dimanche 14 janvier devant les quartiers généraux de la puissante centrale syndicale UGTT à Tunis. / Anis Mili/AFP

En Tunisie, les célébrations officielles de la chute de Ben Ali, le 14 janvier 2011, ont été marquées par la persistance de la frustration, au terme d’une semaine de troubles.

Sur l’avenue Habib-Bourguiba, l’artère principale de la capitale, un cortège de quelques centaines de personnes réunies à l’appel de partis et d’organisations d’extrême gauche, dont le Front populaire, défilait en scandant « Le peuple veut la chute de la loi de finances?! », slogan inspiré du leitmotiv de la révolution « Le peuple veut la chute du régime?! ».

La commémoration désormais rituelle de la folle journée du 14 janvier 2011, achevée par la fuite du président Ben Ali en Arabie saoudite, a été marquée par un climat de grogne sociale.

Une série de mesures sociales en préparation

Les mesures fiscales prévues au budget 2018 ont suscité des troubles sociaux depuis le 3 janvier. Alors que la tension a diminué depuis jeudi 11 janvier (en dépit de quelques heurts dans la soirée de samedi), une série de mesures ont été annoncées pour répondre à la frustration sociale.

Les organisations politiques et syndicales signataires du « document de Carthage », adopté le 13 juillet 2016 et censé servir de feuille de route au gouvernement d’union nationale, ont décidé samedi 13 janvier d’une augmentation du montant de l’allocation destinée à 120?000 familles. Il en coûtera 70 millions de dinars « arrachés à la chair de l’État », selon le président de la République Béji Caïd Essebsi, en visite dimanche matin dans une banlieue populaire de Tunis.

Le gouvernement a évoqué ensuite, par la voix du ministre des affaires sociales Mohamed Trabelsi, un projet de loi en cours de préparation prévoyant une série de mesures?: couverture maladie universelle pour les chômeurs, minima sociaux pour les retraités, augmentation du salaire minimum, caution de l’État pour l’accès au logement des plus démunis.

La grogne des militants syndicaux

Pendant son discours prononcé du haut de son balcon, place Mohamed-Ali, lieu mythique d’où partaient les manifestations à Tunis pendant la révolution de 2011, le secrétaire général de la puissante centrale syndicale UGTT, Noureddine Taboubi, a dû affronter la grogne des militants syndicaux.

Ceux-ci sont loin d’être convaincus par les mesures annoncées la veille, comme par ses appels à la rectification de la loi de finances. Ils l’ont plusieurs fois interrompu au cri de « Il faut sortir de Carthage?! » et se sont montrés très remontés contre son soutien au gouvernement.

Membre du conseil central du Front populaire et ancien directeur des études fiscales au ministère des finances, Lotfi Ben Aissa estime que « le gouvernement ne va pas chercher l’argent là où il se trouve?: dans l’évasion fiscale, dans l’économie parallèle qui représente plus de la moitié du PIB et dans certains secteurs sous-imposés où se constituent des fortunes ».

À quelques dizaines de mètres de là, devant le ministère de l’intérieur, dans une portion de l’avenue désormais interdite au public, là où, sept ans plus tôt, des milliers de personnes scandaient « Ben Ali dégage?! », une petite troupe de majorettes se trémoussait aux sons d’airs du folklore américain.

Thierry Brésillon

Source La Croix 14/01/2018

 

Tensions

Tunisie : des inégalités régionales explosives

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 C’est dans les régions du Centre-Ouest, dans les gouvernorats de Sidi Bouzid et de Kasserine, que s’est levée fin 2010 la révolution arabe qui, en Tunisie, a abouti à la chute de Ben Ali. C’est aussi de ces régions qu’est partie une vague de protestations anti-gouvernementales contre la misère et le chômage qui a submergé le pays en janvier 2016. Et il faut se souvenir que les tribus de la région de Kasserine étaient déjà à la pointe de la lutte contre le colonisateur français, qu’elles se sont opposées après l’indépendance au pouvoir de Bourguiba, et que les terroristes des attentats du Bardo et de Sousse en 2015 en sont originaires.

Une jeunesse désespérée

Concernant les régions de l’Ouest et du Sud, les autorités tunisiennes et les observateurs internationaux sont surtout préoccupés de terrorisme. Mais les populations locales, les jeunes en particulier, sont surtout désespérées par les conditions de vie, la rareté de l’emploi et l’avenir qu’on leur réserve. Ces régions, de loin les plus défavorisées du pays, battent des records de taux de pauvreté et de chômage.

Alors que le taux de jeunes diplômés du supérieur sans travail atteint déjà les 31 % en moyenne dans le pays, il grimpe à 58 % dans le gouvernorat de Tataouine, au Sud. Le Centre-Ouest, quant à lui, est le plus mal doté en matière de santé publique.

A l’inverse, 92 % des entreprises industrielles sont à moins d’une heure de route des trois plus grandes villes (Tunis, Sousse, Sfax). Ces trois régions fournissent 85 % du produit intérieur brut (PIB) du pays. Et 94 % des formations au bac sont situées sur le littoral, dont 47 % à Tunis.

Le sentiment d’être abandonnées par le pouvoir central soude les populations des régions de l’intérieur. Et les élites locales sont souvent, elles aussi, discréditées, car accusées de corruption et de faire profiter leur clientèle de fonds publics théoriquement destinés au développement régional. Si bien que l’inscription dans la Constitution votée en 2014 du rééquilibrage régional par l’attribution de nouvelles compétences économiques aux collectivités locales n’inspire guère confiance.

Les premières élections municipales depuis le renversement de Ben Ali, qui devaient se dérouler en décembre 2017, ont été reportées, pour cause d’impréparation, au 28 mars 2018. Voilà qui risque d’approfondir encore la défiance des populations envers la classe politique, en particulier dans les régions défavorisées.

Gérard Vindt

Source Alternative Economique 12/01/2018

 

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Méditerranée, Tunisie, Les Tunisiennes déchaînées contre le «No woman no fly» des Emirats, Point sur le processus de justice transitionnelle en Tunisie, Les espoirs du peuple tunisien toujours d’actualité, Rubrique Politique, société civile, rubrique Société, Mouvements sociaux, rubrique Rencontre, Nadia El Fani, Christophe Cotteret,

En France, les hommes gagnent 50 % de plus que les femmes. Vrai ou faux ?

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Réponse : c’est parfaitement vrai, mais il faut expliquer car ce chiffre est plus élevé que ceux qui circulent (en général à l’occasion de la journée mondiale du 8 mars, avant de tomber dans l’oubli les autres jours de l’année…).

Je débute l’année 2018 avec ce billet dont l’idée m’est venue en lisant le formidable rapport mondial sur les inégalités (malheureusement en anglais), dont la presse a abondamment parlé… pendant quelques jours. On trouve le rapport complet sur le site http://wir2018.wid.world/ , mais aussi un résumé en français (20 pages), ainsi que de nombreux fichiers de données sur la page « methodology ».

Dans ce rapport figure une section (n° 2.5) consacrée aux inégalités de revenu en France, dont, à la fin, une brève analyse du « gender pay gap » (écart de revenu du travail entre les femmes et les hommes) dans un paragraphe intitulé « Gender pay gaps may be falling, but men are still paid approximately 50% more than women ». Soit : l’écart des rémunérations selon le sexe se réduit, mais les hommes gagnent encore environ 50 % de plus que les femmes.

Les preuves statistiques se trouvent dans l’un des fichiers liés au rapport lui-même, mais elles sont plus complètes dans un article de fond que je vais utiliser et dont le lien est ici : http://piketty.pse.ens.fr/files/GGP2017DINAAppendix_WIDWP201705.pdf

Commençons par le graphique choc qui justifie ce chiffre de « environ 50% » (de plus pour les hommes en moyenne). C’est un graphique par âge. Pour chaque âge entre 25 ans et 65 ans, on a le rapport entre les rémunérations du travail des hommes et celles des femmes en 2012. Par exemple, à 25 ans, les hommes gagnent environ 25% de plus que les femmes du même âge (coefficient 1,25 sur l’axe vertical), à 35 ans, c’est 41% de plus, à 40 ans c’est 51% de plus, et à partir de 55 ans, on dépasse 60 % de plus pour les hommes. Encore faut-il préciser ce que l’on calcule alors comme « rémunération du travail » des femmes et des hommes pour chaque âge.

Il y a deux points essentiels pour comprendre ces données. Le premier est que les revenus du travail (ou associés au travail) pour chaque âge incluent non seulement les salaires ou une fraction du « revenu mixte » des entrepreneurs et indépendants (ce que l’on peut assimiler à une rémunération d’activité personnelle), mais également l’assurance chômage éventuelle, et les éventuelles pensions de retraite des 65 ans et moins. Cette extension est une convention, discutable comme toutes les conventions, mais elle me semble bienvenue pour évaluer ce que les uns et les autres perçoivent vraiment comme revenus liés à l’activité professionnelle entre 25 et 65 ans.

En d’autres termes, si on se limite aux personnes en emploi, les hommes ne gagnent pas en moyenne 50 % de plus que les femmes. C’est plutôt de l’ordre de + 34 à 35 % selon une étude à laquelle j’ai contribué et dont j’ai parlé sur ce blog (lien : https://blogs.alternatives-economiques.fr/gadrey/2017/10/31/les-couts-gigantesques-des-inegalites-professionnelles-entre-les-femmes-et-les-hommes ). Mais si l’on tient compte de l’inégalité des taux d’activité ou d’emploi selon le sexe, alors oui, le graphique précédent est impeccable et le chiffre moyen de 50% est exact.

Cet écart est énorme, mais vous pouvez si besoin vous rassurer en vous disant que, en 1970, le rapport moyen des rémunérations H/F, au sens donné dans cette étude, n’était pas de 1,5 comme aujourd’hui, mais d’environ 3,5. Cela s’explique par le fait qu’en 1970, le taux d’emploi des femmes était encore très bas : pour les femmes de 25 à 59 ans, il était de 46 % (93% pour les hommes), contre 79 % aujourd’hui (88% pour les hommes).

« PLAFOND DE VERRE » ET « PLANCHER COLLANT »

Inversement, au cas où l’argument précédent vous aurait un peu trop rassuré, au point de vous faire croire que la bataille de l’égalité était sur le point d’être gagnée, voici de derniers chiffres pour tempérer votre optimisme. Certes, les choses ont globalement bien changé au cours des dernières décennies, mais le taux d’accès des femmes aux emplois les mieux payés reste misérable. En 2012, la proportion de femmes parmi les 1% les mieux rémunéré.e.s n’était que de 16%, et de 12% seulement parmi les 0,1% « du haut ». Pis encore : ces proportions « en haut » n’augmentent que très lentement, au point que, au rythme actuel de ce rattrapage, il faudrait attendre l’an 2102 pour atteindre l’égalité au sein des 1%, et 2144 pour les 0,1%…

Mais ce n’est pas tout. Il n’y a pas qu’en haut de la hiérarchie des professions et des revenus que les femmes restent très inégalement traitées. Ce « plafond de verre » est une injustice, mais le « plancher collant » en est une autre, qui concerne encore plus de monde. On rappelle, ce qui n’est pas dans le rapport mondial (mais ce n’est pas son objet), que les femmes représentent environ 75 % du sous-emploi (temps partiel subi et chômage technique), 80 % des emplois salariés à temps partiel, mais aussi 80% des employé.e.s considéré.e.s comme « non qualifié.e.s », c’est-à-dire en réalité sous-payé.e.s en dépit de compétences et de responsabilités réelles mais non reconnues, comme dans le cas des auxiliaires de vie des personnes âgées.

Le second point est plus important encore : ces calculs concernent toute la population de chaque âge, pas seulement celle qui occupe un emploi rémunéré (ou qui est au chômage ou à la retraite). C’est une perspective également très intéressante pour évaluer la répartition des revenus d’activité entre les sexes en intégrant dans l’analyse le fait que les femmes et les hommes (de 25 à 65 ans) accèdent inégalement à l’activité et à l’emploi, ce qui se répercute sur les revenus liés à l’activité de chaque sexe.

Jean Gadrey

Source Blog de Jean Gadrey hébergé par Alternative Economique 08/01/2018

Voir aussi : Actualité France, Rubrique SociétéDroit des femmesEmploi, rubrique Economie,