L’Arabie saoudite, l’une des championnes du monde de la peine de mort, a pris la tête lundi d’une instance chargée de nommer les experts du Conseil des droits de l’homme de l’Onu. Pour Hillel Neuer, directeur exécutif de l’ONG UN Watch, « il est scandaleux que l’Onu choisisse un pays comme l’Arabie Saoudite pour présider ce groupe : les pétrodollars et la politique l’emportent sur les droits de l’homme. » Cette nomination intervient au même moment que la condamnation d’Ali Mohammed al-Nimr. Ce jeune homme va être « décapité puis attaché à une croix et laissé [jusqu’à] pourrissement ». Comment en est-on arrivé là ? Le focus d’ARTE Info sur ce pays, berceau du wahhabisme, forme la plus « pure » de l’islam.
La sentence va être appliquée dans les prochains jours. Ali Mohammed al-Nimr a épuisé tous les recours possibles et toutes les possibilités d’appel. Arrêté en 2012, à l’âge de 17 ans, lors d’une manifestation contre le régime saoudien, cet opposant chiite a été condamné le 15 octobre 2014 par le tribunal pénal spécial de Riyad pour les infractions suivantes : « désobéissance et déloyauté à l’égard du chef de l’État », « appel au renversement du régime », « appel à manifester », « incitation au conflit sectaire », « remise en question de l’intégrité du pouvoir judiciaire » et « ingérence dans les affaires d’un État voisin » (à savoir Bahreïn). Une décision fondée sur les « aveux » obtenus sous la torture selon Ali al-Nimr.
Cette condamnation s’ajoute aux tristes statistiques de l’Arabie saoudite où, entre 2014 et le début de 2015, près de la moitié des exécutions concernent des crimes n’ayant pas entrainé la mort. Au moins 175 personnes ont été exécutées, soit une personne tous les deux jours. Une cadence qui a obligé récemment l’Arabie Saoudite à recruter des bourreaux. En une année, la fréquence des exécutions a considérablement augmenté.
Le wahhabisme, forme radicale de l’islam
On ne peut guère expliquer ce pic d’exécutions, qui place ce pays à la troisième place des pays pratiquant l’exécution capitale derrière la Chine et l’Iran. L’Arabie saoudite est un Etat autocratique, dirigé par une seule famille. La vie quotidienne est réglementée par des lois strictes et le droit saoudien est basé sur la charia. Les exécutions -décapitation, lapidation ou flagellation – se font souvent en public. Des méthodes qui poussent à la comparaison avec celles pratiquées par le groupe Etat islamique, même si les autorités saoudiennes s’en défendent.
Mathieu Bosh
Source Arte 23 /09/2015
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Culture. Le réseau international dédié aux arts vivants créé par des femmes choisit Montpellier pour sa 1ère escale en France.
Du 21 au 26 septembre, la Bulle Bleue organise en association avec le Théâtre de la Remise et Réseau en scène LR The Magdalena Project Montpellier. Depuis bientôt trente ans, Magdalena – réseau international d’échanges dédié au théâtre et aux arts vivants créé par des femmes – traverse les continents et les générations par le biais des événements régulièrement organisés dans différentes villes du monde. L’événement est porté cette année par Marion Coutarel, comédienne et metteuse en scène au Théâtre de la Remise, associée à la Bulle Bleue depuis 2012. Pour cette première en France, des femmes artistes du Danemark, d’Angleterre, de Suisse, de Biélorussie, d’Argentine, d’Inde, d’Allemagne, du Brésil, de Pologne, d’Espagne, d’Italie, du Japon et d’Australie viendront à la rencontre des professionnel(le)s de la région et de tous les publics. Magdalena Project est aussi un espace facilitant l’échange, le soutien et la formation artistique.
L’édition montpelliéraine propose des temps d’ateliers, de pratiques et de recherche artistiques animés et portés par des professionnelles à destination de professionnels.
Selon un nouveau rapport, six personnes sur sept vivent dans des pays où les libertés civiques sont menacées, alors que les organisations qui les défendent connaissent des difficultés financières et font l’objet de pressions politiques et d’autres formes de harcèlement.
Dans son rapport sur l’état de la société civile (2015 State of Civil Society Report), CIVICUS, une alliance mondiale d’organisations de la société civile, estime que partout dans le monde, les organisations de la société civile ont également été touchées par les attaques portées à la liberté d’expression, poussant son directeur exécutif, Dhananjayan Sriskandarajah, à qualifier la situation « d’insoutenable ».
Mandeep Tiwana, responsable des politiques et du plaidoyer chez CIVICUS, a expliqué aux journalistes d’Equal Times que, ces dernières années, des organisations de la société civile – qui comprennent des organisations non gouvernementales, des syndicats et des groupes confessionnels – se sont battus en première ligne lors de nombreuses urgences humanitaires, y compris à l’occasion de la crise d’Ebola et des bombardements à Gaza.
« Alors que les organisations de la société civile n’ont eu de cesse de prouver leur valeur lors de crises mondiales, notamment lors d’actions humanitaires à la suite de catastrophes, dans la résolution de conflits, dans les phases de reconstruction après un conflit et pour combler l’important déficit démocratique dans le monde, le secteur de la société civile tout entier connaît de graves problèmes de moyens », explique-t-il.
« Il s’agit d’une insuffisance de fonds, surtout pour les petites organisations de la société civile qui en ont besoin pour garantir leur pérennité à long terme, mais aussi d’environnements réglementaires restrictifs qui empêchent la mobilisation de ressources au niveau national comme international. »
Le rapport s’inquiète également du faible niveau de financement public consacré à la société civile : sur les 166 milliards de dollars US destinés à l’aide publique au développement par les principaux pays bailleurs de fonds en 2013, seulement 13 % – soit 21 milliards de dollars US – ont été attribués à la société civile.
Plus de fonds pour les dissidents
Pour certains défenseurs des droits humains, l’une des raisons de la situation est que les gouvernements veulent affaiblir les organisations de la société civile exprimant une opinion différente et faisant campagne pour un changement de politiques, et réduire leur financement.
Dans un essai intitulé The Clamp-down on Resourcing (Coup de frein aux ressources), Maina Kiai, le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion et d’association pacifiques, écrit : « Couper les ressources financières est une façon facile pour un gouvernement de réduire au silence une organisation de la société civile qui se montre un peu trop critique. »
Maina Kiai donne l’exemple de l’Éthiopie où les autorités ont adopté une loi en 2009 qui interdit aux organisations de la société civile qui travaillent dans les domaines de l’égalité et des droits des enfants de recevoir plus de 10 % de leur financement de sources étrangères.
Des actes similaires ont également eu lieu au Pakistan, en Turquie et en Russie, où, plus tôt dans l’année, Amnesty International a critiqué le président russe, Vladimir Poutine, qui avait introduit une loi qualifiant d’indésirables les organisations étrangères représentant une menace pour la « sécurité de l’État » ou « l’ordre constitutionnel ».
Pour Marta Pardavi, une prééminente défenseuse des droits humains hongroise, les conclusions de CIVICUS sont cohérentes avec ce que vivent les organisations en Hongrie.
« Le secteur des ONG indépendantes, qui comptent sur des financements étrangers et qui adoptent souvent des positions critiques envers les politiques gouvernementales, subit des contrôles sans précédent de la part des autorités, comme des enquêtes fiscales, et est victime d’insinuations politiques dévalorisantes », explique-t-elle.
« Réagir à toutes ses attaques, aux critiques non fondées et aux actions en justice constitue une charge de travail supplémentaire pour nombre d’ONG, les empêchant de mener à bien leurs projets et les entraînant dans une politisation d’activités essentiellement non partisanes. »
Dhananjayan Sriskandarajah estime que cette réaction violente à l’échelle mondiale contre la société civile est très inquiétante.
« Malgré le travail incroyable que mène la société civile, elle est toujours attaquée. Rien qu’en 2014, nous avons prouvé de graves atteintes à “l’espace civique” – libertés d’expression, syndicale et de réunion – dans pas moins de 96 pays du monde entier », poursuit-il.
« Pour noircir encore le tableau, les organisations ayant le plus besoin de fonds, principalement basées dans l’hémisphère sud, ne reçoivent qu’une partie des milliards de dollars attribués au secteur. C’est une situation insoutenable. Nombre de bailleurs de fonds savent que la société civile accomplit un travail essentiel, mais il faut faire preuve d’encore plus de courage pour garantir la survie de celles et ceux qui se battent en première ligne. »
La belle saison de Catherine Corsini sortie national mercredi 19 août
Cinéma. Catherine Corsini présente en avant première à Montpellier son dernier film La belle saison. Une histoire d’amour entre deux femmes au début des années 70 en pleine éclosion du féminisme.
Le cinéma français produit des histoires d’amour qui ne finissent pas toujours mal. Ni toujours bien d’ailleurs, ce qui compte, et qui plait, ce sont les hésitations sentimentales qui mettent en péril les êtres et les principes de la raison. Le dernier film de Catherine Corsini, La belle saison, projeté en avant première à Montpellier jeudi au cinéma Diagonal, est de ceux là.
La réalisatrice porte à l’écran une histoire d’amour entre une jeune parisienne, militante féministe libérée (Cécile de France), et une fille de paysans creusois, qui peine à s’émanciper (Izïa Higelin). Les rapports amoureux et les questionnements sur l’identité sexuel jalonnent l’oeuvre de Catherine Corsini qui s’inscrit discrètement mais pleinement dans le paysage du cinéma français contemporain.
« Le cinéma c’est des hommes qui ont filmé des femmes », disait Jean-Luc Godard dans ses Histoires du cinéma, mais peut on être sensible à l’art cinématographique sans l’être à l’ouverture sur le monde et à la diversité que le cinéma véhicule?
Avec La belle saison Catherine Corsini aborde pour la première fois frontalement l’homosexualité féminine en appréhendant à la fois le contexte politique et le contexte social. Elle situe une grande partie de l’action dans l’environnement rural, loin des avancées idéologiques qui percent dans le monde urbain de l’après soixante-huit. Avancée qui comme l’on sait, ne sont jamais acquises.
ENTRETIEN
« Je reste attentive au cinéma de mes consoeurs »
Catherine Corsini Photo Dr
Le film offre trois entrées, le féminisme des années 70, la vie et les valeurs du monde rurale de l’époque et l’histoire d’amour entre deux femmes, comment avez vous joué et imbriqué ces trois thèmes ?
J’avais depuis longtemps l’envie de faire une grande histoire d’amour entre deux femmes, contrariée par le drame de l’empêchement, une forme de Roméo et Juliette au féminin. Ce qui m’a poussé à raconter cette histoire ce sont les manifestations contre l’adoption du mariage pour tous et l’homophonie latente qu’elles ont véhiculé. J’ai préféré situer l’action au début des années 70 parce que je ne tenais pas à retomber dans les mêmes prismes du débat sociétal et politique. Cet épisode m’a fait réfléchir. J’ai réalisé que beaucoup d’acquis sur lesquels nous vivons, nous les devons aux féministes de cette époque parmi lesquelles il y avait de nombreuse homosexuelles.
Et concernant le choix de tourner dans le Limousin ?
La campagne, c’était le désir de retrouver une partie de ma jeunesse. J’ai choisi le paysage dont émane une sensualité très forte plutôt que les chambres. Cela permettait aussi de faire des allers et venues entre deux mondes. Celui de Delphine qui veut reprendre l’exploitation, – ce qui ne se faisait pas. On est femme d’agriculteur mais pas agricultrice – et celui de Carole, la prof parisienne engagée plus âgée, que la jeune fille va complètement perturber. Il y a une dimension initiatique qui joue dans les deux sens. Delphine initie Carole à l’homosexualité et Carole fait découvrir le combat féministe à Delphine qui s’y engage sans retenue. Elle se libère à Paris mais de retour à la ferme, elle choisit la terre. C’est viscérale.
Comment avez vous abordez les scènes de nu ?
Je voulais éviter le regard voyeur dans les scènes. L’angle est volontairement frontal presque en un seul plan. J’ai travaillé de façon picturale, comme dans les tableaux de Renoir et Manet, avec respect, surtout pour Izïa Higelin qui n’était pas à l’aise. Je ne savais pas si j’allais trouver la justesse et la rigueur de ton.
Vous montrez les hommes sous un beau jour…
Le propos n’est pas de placer les hommes dans un rapport antagoniste, bien au contraire. Ils sont plutôt chevaleresques, attentifs. Manuel le petit ami de Carole se demande s’il s’agit d’une expérience et quand il comprend sa dépendance amoureuse, il l’a met face à ses contradictions. Il est blessé mais ce n’est pas un salaud. Dans le personnage de l’éconduit, Antoine est très attachant. Il berce dans l’ironie dramatique.
Quel regard portez-vous sur le cinéma français en tant que réalisatrice ?
J’ai eu la chance de réaliser tous mes projets. Beaucoup de mes amies ont connu des interruptions de carrière après avoir eu un enfant. Je reste attentive au cinéma de mes consoeurs.
Le cinéma est une industrie qui n’est pas interdite aux femmes. Mais c’est une industrie inventée, manipulée et contrôlée par des hommes. Il suffira pour s’en convaincre de s’intéresser au genre des producteurs de films grand public, des responsables du financement cinéma dans les chaînes télé, des directeurs des grands réseaux de distribution, des directeurs des grands festivals de cinéma, des programmateurs de salle, des critiques cinéma ou des réalisateurs primés dans les grandes compétitions.
Les hommes font le cinéma – ils décident des scénarios dignes de devenir des films, des castings, des budgets alloués aux uns et aux autres, des films qui seront largement distribués, des films qui seront défendus. Ils décident quelles sont les actrices aptes à porter les films,quel est leur âge, quelles sont leurs qualités, quel est leur physique. Ils décident du style de femmes aptes à passer au grand écran – quelle est leur race, leur travail, leur voix, leur vocabulaire. Car le cinéma, c’est avant tout la fabrique du genre – les qualités qui paraissent à certains miraculeusement naturellement / essentiellement féminines ou masculines nous ont toutes été inculquées par le septième art.
Le cinéma est rempli de petites choses, des détails, qui vont tous dans le même sens – cherchez une femme dans les films qui lise un journal… bonne chance ! De la même façon qu’elles sont rarement assises à ne rien faire pendant qu’un homme s’agite dans une maison. Si une femme est en train de faire le ménage chez elle, c’est juste que le scénariste ne savait pas trop quoi lui faire faire pour l’occuper, si un homme nettoie quelque chose chez lui, vous pouvez être sûr que la scène a un sens précis. Les femmes dans le cinéma, c’est cette accumulation de plans qui entrent dans nos têtes et nous forgent une identité.
Qu’est-ce que ça se lave, une femme, au cinéma…
Pensez au nombre de fois que vous avez vu une femme violée prendre une douche habillée. Et là, je vous laisse maître à bord pour l’interprétation – en ce qui me concerne je n’ai jamais exactement saisi ce que ça voulait dire… On ne peut plus montrer leur corps nu parce qu’on risquerait d’être voyeur mais on a quand même besoin d’indiquer qu’elles se lavent ? Ou bien, restant habillées, on nous indique qu’elles ne parviendront jamais à laver l’affront ?
Dans l’ensemble, de toute façon, qu’est-ce que ça se lave, une femme, au cinéma… qu’est-ce qu’elles peuvent se doucher, se baigner, s’asseoir sur des bidets… Quand elles sont des femmes artistes, on remarquera qu’elles se lavent volontiers dans la nature. Si possible dès le premier plan du film, qu’on les voie à poil dès le début pour indiquer: on va vous parler d’une femme artiste, mais elle n’en reste pas moins femme, la preuve : voilà sa nudité. Dans la nature. C’est comme les femmes habillées sous la douche après le viol, je me trouve un peu en peine de signification. Pourquoi les femmes artistes se nettoient-elles plutôt à l’air libre ? Est-ce une façon d’indiquer le rapport approximatif qu’elles entretiennent avec la domesticité ? Une indication sur leur rapport à la nature ?
Cette manie de glisser la scène de nu, qui depuis quelques années ne doit plus être confondue avec la scène de sexe. Le sexe frontal, désormais, on évite – mais la nudité de la femme, on s’est arrangé pour la conserver. Cette nudité dit plusieurs choses, bien sûr elle est là pour prouver : voyez, vous n’avez pas payé pour rien, c’est bien d’un corps de femme qu’il s’agit. Elle dit aussi: le corps des actrices appartient au spectateur. Si les jeunes actrices veulent travailler, il faut qu’on sache à quoi ressemblent leurs seins, leurs fesses, cuisses et ventres. Mais c’est aussi une façon de garder les actrices, sur le plateau, sous pression: elles savent qu’un jour ou l’autre pendant le tournage viendra le jour où elles seront nues, au milieu d’une équipe de gens habillés.
Pensez au nombre de fois que vous avez vu une femme enfiler une petite culotte, dans un film. Par moments ça donne envie d’interrompre la projection: elles ne pourraient pas mettre leurs chaussures, pour changer ? La petite culotte, c’est comme la douche habillée ou la toilette dans la nature, on se demande pourquoi on doit se la taper aussi souvent… parce que la femme, ce qui compte, c’est son intimité ? Ou parce que le cinéma, justement, c’est cet art d’habiller-déshabiller le corps de l’autre, c’est-à-dire celui de la femme ?
Baise-moi est un film français réalisé par Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi
Petite culotte et AK47
L’équivalent masculin d’enfiler une petite culotte, c’est sortir une arme, ou mettre un coup-de-poing. Dans la vie réelle, à moins de vivre dangereusement, on voit rarement un homme sortir un gun ou coller un gros pain à son prochain. Et quand il sort un gun, dans la vraie vie, on reste tous assez surpris. Mais au cinéma, autant les femmes prennent des douches comme si leur vie en dépendait, autant les hommes ont de gros flingues. Qu’est-ce que ça se bat, les hommes, dans les films… Je ne dis pas que c’est pénible – ça donne même les meilleurs films – mais c’est la répétition, cette fois encore, qui dit quelque chose d’inquiétant. Sur grand écran, la masculinité est définie par la violence. Voilà, quand même, au final, le monde qui nous fait rêver: les femmes enfilent des petites culottes et les hommes cognent. C’est une éducation du genre. On a beau se dire qu’on est des gros malins et qu’on ne se laisse pas prendre si facilement à des pièges aussi vulgaires – si les films racontent toujours la même chose, on finit par imaginer que c’est parce que ça représente une part de vérité.
C’est comme ça qu’à la fin on se retrouve avec des petits bonshommes d’à peine quarante kilos qui déclarent, sans rire: les hommes sont plus forts que les femmes. Ce n’est pas à force de bosser à la mine et de remarquer que les hommes ont plus de force. Non, c’est à force d’être assis dans son sofa en regardant des films: les hommes sont forts, sur grand écran. Ils savent toujours utiliser une AK47, charger un lance-roquettes ou tirer à la carabine. De la même façon qu’ils savent toujours faire une cascade, monter sur un toit ou sauver la petite héroïne. Et on finit tous par manger cette évidence qui nous est rabâchée par les décideurs du septième art : les hommes c’est l’action et les femmes c’est la petite culotte. Il y a des Français qui défilent en hurlant des slogans comme « Touche pas à mon genre » et ces Français devraient rendre hommage au cinéma. Car ce dernier touche très rarement aux clichés du genre. Et quand il le fait, c’est toujours timidement – en s’excusant, avec des petites pincettes. Ce n’est pas un hasard. Le cinéma est inventé pour nous faire croire que ça existe, le genre.
Je ne suis pas en train de dire qu’on ne fait que souffrir quand on s’intéresse au traitement des femmes au grand écran. C’est là aussi que sont inventées les grandes créatures, c’est là qu’elle échappe au carcan de la morale, qu’elle réalise que l’insolence lui va bien. C’est là qu’elle fait de la moto, descend en ascenseur dans des robes blanches, fait du fer à souder et danse la nuit dans des clubs, est une prostituée sauvée par le boss, c’est là qu’elle gagne des procès en microshort… Je ne dis pas qu’il n’y a que des nunuches inintéressantes, je dis qu’elles sont surtout pensées dans leur rapport aux hommes, dans leur rapport au regard de l’homme.
Bien sûr, on ne peut pas faire comme si le cinéma n’était fait que par des réalisateurs scénaristes hommes… Quid des films de femmes ? Rappelons ce qui a été signalé au début : les films de femmes sont généralement produits par des hommes, qui vont chercher les financements en soumettant le projet à d’autres hommes, puis ces films seront distribués par des hommes dans des salles tenues par des hommes et critiqués par des hommes. Mais il n’en demeure pas moins vrai, une fois que tous ces hommes ont validé un projet, que nombre de films français sont réalisés par des femmes. Au moins un cinquième, non ? On ne peut pas se plaindre, un cinquième… Réjouissons -nous d’être en France, pour une fois, mais observons cette généreuse production de réalisatrices féminines. Les femmes réalisent plutôt des films à petits budgets. Vous me direz, c’est dans leur nature : les femmes aiment les petites choses. Ou bien vous me direz le budget dans un film on s’en fout, tout ce qui compte c’est le talent et même c’est vachement plus intéressant d’avoir des contraintes, ça oblige à être inventif… Mais c’est bien aussi d’avoir du temps pour tourner, c’est bien de pouvoir se dire qu’on fera un film en costume – bref ce serait bien de pouvoir se dire que les femmes jouent sur le même terrain que leurs collègues…
Mais au final, c’est fou le nombre de films de femmes qui se passent dans la campagne, dans une petite maison, un lieu unique, avec des plans très simples, vite tournés, peu de musique, comme ça, c’est sobre, c’est de bon goût et puis ça coûte moins cher surtout, des films avec des vélos, des cabanes, des acteurs peu connus… Vous avez peu de chance de voir un carambolage dans un film de femme. Ou un grand braquage. Ou une enfilade de plans-séquences ambitieux, qui demandent du temps de mise en place.
Le test Bechdel
Les films de femme, c’est plutôt le plan-séquence pas cher – pas trop répété, pas trop compliqué. Le pire, c’est que c’est vrai qu’à la fin les films sont bons. C’est ce qui est génial avec les femmes : tu leur donnes trois fois moins d’argent qu’à un homme et elles t’en rapportent six fois plus. Mais avec toute l’affection qu’on peut avoir pour les films sur des personnages qui font du vélo dans la campagne en discutant dans des petites cabanes, les films de femme sont moins représentés dans les grands festivals. Là encore, vous me direz: on s’en fout – personne ne fait du cinéma pour recevoir des prix. Bien sûr. Mais reste cet arrière-goût de propagande: les femmes feraient des petits films réussis là où les hommes font de grands chefs d’oeuvre qui comptent. Et comme le reste: à force d’être répété, ça nous rentre dans la tête, et ça nous rétrécit les horizons. C’est ce dressage qui est ennuyeux.
Ce n’est pas un hasard si la première à recevoir un Oscar fut Kathryn Bigelow, ou la première à recevoir une Palme d’or fut Jane Campion – toutes deux pour des films qui avaient des budgets non genrés (Parce qu’il faut remarquer qu’à l’étranger les femmes tournent moins, mais quand elles y parviennent elles accèdent à des budgets conséquents. Oui, il y a un contre-exemple, c’est encore une fois ce qui fait le charme de la femme: tu lui donnes trois bouts de ficelle et elle te fait Polisse et en plus elle est divinement belle. Mais Maïwen n’est pas une femme, elle est une exception, sur tous les points.) Et bien sûr, il y a aussi des hommes qui font des films à petits budgets. Je remarque juste que tous les hauts budgets sont réalisés par des hommes. On aimerait bien voir Claire Denis à la tête d’un magot pour faire un film de gangsters, Céline Sciamma faire un grand film historique, ou Pascale Ferran adapter un roman picaresque… Et cette manie de cantonner les femmes aux petits budgets se vérifie parmi les techniciennes : vous remarquerez qu’on ne discute pas le talent des chefs-opérateurs femmes. N’empêche que vous les retrouverez plutôt sur des petits films, dès qu’il y a beaucoup d’argent, bizarrement, il semblerait qu’on soit quand même plus à l’aise entre hommes.
Pour bien comprendre le cinéma et le genre le test Bechdel s’avère utile. Alison Bechdel est l’auteur d’un comics, Dykes to watch out for, dans lequel deux femmes sortent du cinéma et l’une dit à l’autre que le film ne passe pas « le test ». Il consiste en trois critères simples: 1) il y a deux personnages féminins dans le film ; 2) qui parlent entre elles ; 3) d’autre chose que d’un homme.
Le test Bechdel ne prétend pas déterminer si un film est féministe, ni juger de sa qualité. Il n’évalue que cette chose simple : y a-t-il deux femmes qui se parlent d’autre chose que d’un homme ? Là où le test se révèle vraiment intéressant, c’est que la grande majorité des films ne le passe pas. Alors que si on impose le même critère aux protagonistes masculins, on trouvera, au contraire, bien de peu de films qui y échouent. On trouvera bien des exceptions, mais en général, dans les films, il y a au moins deux mecs, qui parlent entre eux, d’autre chose que de gonzesses. Que nous dit au juste le test Bechdel sur le message que les hommes de pouvoir du septième art pensent qu’il est important de faire passer sur la féminité ?
Que les femmes entre elles, ce n’est pas intéressant. Que les femmes ne valent la peine d’être représentées que dans leur rapport aux hommes. Ni à l’amitié ni au travail ni à l’action ni à l’humour ni à la métaphysique… aux hommes, et c’est tout. Le test nous apprend que deux femmes ne peuvent faire avancer une histoire ensemble, elles ont besoin d’un interlocuteur masculin. C’est une donnée que les scénaristes intègrent inconsciemment – la femme reste un adjectif qualificatif dans une phrase où l’homme joue le verbe. Bien sûr, on peut se dire: « Tant que le film est bon qu’est-ce qu’on en a à foutre que ce soient les femmes ou les hommes qui s’expriment dans le plan ». Ça n’aurait aucune importance si et seulement si il n’y avait pas systématisme. Parce qu’il y a systématisme, il y a propagande. Et parce qu’il y a propagande, nous devons garder un oeil critique sur les films que nous regardons.