Diagonal. L’instrumentalisation de l’art et de la culture au service des promoteurs.
A l’invitation des Amis du Monde Diplomatique et du cinéma Diagonal le réalisateur marseillais Nicolas Burlaud est venu présenter à Montpellier son film La fête est finie. Ce documentaire réalisé avec très peu de moyens, se saisit de l’exemple marseillais pour évoquer l’angle aveugle du développement urbain.
Vendu par les édiles locales de tous bords comme créateur d’emplois, vecteur de progrès et de croissance économique, partout dans le monde, les plans de rénovation urbaine relèguent aux oubliettes la notion même du rôle politique dans la cité. A savoir, les actions possibles, anticipées, par les individus et les groupes sociaux, situés les uns à l’égard des autres en réciprocité de perspectives dans un environnement partagé.
Le film traite de la destruction du Marseille populaire et de l’entrée féroce des promoteurs avec comme cheval de Troie « Marseille Capitale Européenne de la Culture » mise en place par CCI, la ville de Marseille et les fonds d’investissements du grand capital.
Usant des moyens de voyous qu’Audiard décrit dans De battre mon coeur s’est arrêté, les promoteurs déplacent les pauvres de leurs lieux de vie pour développer des zones sous hautes surveillance réservées aux marchands.
L’intérêt du film est aussi d’interroger l’instrumentalisation de la culture et de ses acteurs. Nicolas Burlaud filme sa ville avec amour et nous invite à résister en prenant conscience des liens qui nous unissent.
Marseille est en passe de devenir une ville comme les autres. Sous les assauts répétés des politiques d’aménagement, elle se lisse, s’embourgeoise, s’uniformise. Cette transformation se fait au prix d’une exclusion des classes populaires, repoussées toujours plus au Nord. Son élection en 2013 au titre de «Capitale européenne de la culture» a permis une accélération spectaculaire de cette mutation. Là où brutalité et pelleteuses avaient pu cristalliser inquiétude, résistance et analyses, les festivités nous ont plongés dans un état de stupeur. Elles n’ont laissé d’autre choix que de participer ou de se taire…
Contact : lafeteestfinie@primitivi.org ou 06 62 46 14 06
Le projet de loi numérique est discuté mardi à l’Assemblée nationale. Isabelle Attard, députée écologiste qui a déposé 66 amendements, dénonce les lobbies à l’œuvre dans la discussion et l’absence de stratégie numérique du gouvernement. Entretien.
A la fois écolo, chercheuse et internaute engagée, la députée du Calvados Isabelle Attard est forcément à fond sur le projet de loi numérique, qui sera discuté dans l’Hémicycle dès le mardi 19 janvier, 16 heures. Avec son comparse Sergio Coronado (Europe Ecologie-Les Verts), elle a en effet déposé quelque 66 amendements sur la version du texte présentée en commission des lois.
Profitant d’une pause entre deux séances, Rue89 a discuté avec cette élue apparentée écologiste de sa définition d’une politique numérique. Transparence, rénovation de la culture, préservation du partage et protection des « petits face aux plus gros » : passage en revue des bons points – et des moins bons – de la loi d’Axelle Lemaire, et de la stratégie numérique du gouvernement.
Rue89 : Comment abordez-vous la thématique numérique en tant que députée ?
Isabelle Attard : Je pense qu’on est complètement décalés par rapport à la manière dont la société avance, et aux besoins des entrepreneurs et des internautes. En tant que législateurs, on est à côté de la plaque. Parce qu’on a un gouvernement sous le poids des lobbies. Et ce n’est pas le seul, ni la première fois. C’est ce qui nous dérange le plus.
Quel que soit le projet de loi, et peut-être encore plus sur la loi création et celui-ci, c’est le fait de voir quelques privilégiés, quelques soi-disant défenseurs des créateurs, se mettre entre la création et le public. Afin de détourner à leur profit, sous couvert de culture, de financement de la culture. Pour moi, c’est mensonge sur mensonge ce genre de tactique.
Sur le projet de loi numérique, ça se ressent particulièrement ?
Ça se ressent parce que déjà, le domaine commun informationnel, qui faisait partie du premier projet de loi, a été retiré en entier. Il a été travaillé par l’équipe d’Axelle Lemaire avec ma proposition de loi sur le domaine public, avec Savoirs Com1, avec des juristes… Il a été bétonné juridiquement ! Me dire maintenant que ça ne l’est pas… J’ai un peu de mal avec la mauvaise foi. C’est pas en racontant des choses comme ça qu’on va donner confiance en la politique.
On fait une loi qui permet plus de transparence – c’est le cas d’ailleurs avec toutes ces données publiques qui vont être mises à disposition des Français – et finalement, la transparence et la sincérité au niveau des discussions ministérielles n’y sont pas. Entre politiques, j’ai toujours accepté d’entendre qu’on est pas d’accord. Qu’on ne défend pas le même projet de société. Mais nous balader, nous dire « on est pour » pour finalement dire « on est contre »… La stratégie du billard à dix bandes n’est positive pour personne. Et revient forcément comme un boomerang.
En même temps, Matignon a dit non pour les communs et Axelle Lemaire le reconnaît. Vous auriez préféré qu’elle précise ne pas partager le même avis ?
Non, j’aurais aimé avoir des arguments. Savoir pourquoi Matignon dit non alors qu’ils travaillent sur Etalab, sur l’open data. Si Matignon dit non suite à un courrier envoyé par Pascal Rogard [le directeur général de la SACD, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, ndlr]…
Ils ne le diront probablement pas !
Mais si c’est le cas, ayons l’honnêteté. Ce manque de courage politique me gonfle. Profondément. Quel que soit le sujet.
Sur le domaine public, me dire qu’on n’a pas encore tous les éléments alors qu’il y a un an et demi, on m’a fait poireauter en me promettant l’arrivée du rapport de Pierre Lescure. Maintenant qu’il est là [depuis mai 2013, ndlr], favorable au domaine public, on va trouver quoi comme prétexte ?
Se faire balader, ce n’est agréable pour personne. Quand je ne suis pas d’accord, moi, je le dis. On peut discuter, je peux être amenée à changer d’avis si on me donne des arguments… Là, je ne comprends pas. Si ce n’est pour l’intérêt de quelques personnes. Qui seraient alors beaucoup plus puissantes que les ministres. Que le Parlement. C’est un aveu de faiblesse indigne du boulot qu’on fait !
Ou alors, le gouvernement dit qu’il ne veut pas entendre parler du domaine public et on perd pas de temps !
ous avez constaté que le lobbying était intensif sur ce projet de loi ? Venant de quelles branches ? Uniquement de la culture ?
Bien sûr. Venant d’une partie de la culture. Par exemple quand la SACD, croyant défendre les intérêts des artistes, envoie des courriers alarmistes. Ma propre tante, qui est artiste, a reçu un courrier disant qu’il fallait alerter les députés pour arrêter les amendements sur la liberté de panorama. Ce sont des mensonges à répétition.
Leur idée, c’est : on touche pas aux droits d’auteur. Sauf que le droit d’auteur a été créé pour protéger les auteurs. Or, là, ça aide leurs petits-fils, leurs petits cousins et leurs héritiers indirects.
Le pire, là, c’est qu’on n’y touche même pas ! Là, on veut juste arrêter les escrocs. Le cas d’Anne Frank, c’est quoi ? Ce sont des héritiers qui n’ont jamais connu Anne Frank. Ils disent dépenser l’argent de manière caritative : tant mieux ! Mais ça m’est égal : maintenant, c’est 70 ans plus tard, il faut que ça relève du domaine public. Que font-ils ? Ils déposent une marque Journal d’Anne Frank, comme la marque Sherlock Holmes ! Tant qu’il n’y pas une définition positive du domaine public, ça se passera comme ça !
Pour vous, c’est la priorité du projet de loi ?
Non, pour moi, c’est surtout le fait de remettre ce que les internautes avaient mis dans la consultation. C’est-à-dire le logiciel libre, complètement plébiscité : il n’y avait pas photo ! Ça a été enlevé du projet de loi, donc je l’ai remis.
Et les amendements ont été rejetés en commission des lois…
Oui, avec de faux arguments.
L’argument d’Axelle Lemaire faisait valoir que c’était contraire au droit de la concurrence et, qu’à ce titre, l’article risquait d’être retoqué par le Conseil constitutionnel…
Je ne suis pas d’accord avec cette définition là. Parce que ce n’est pas le choix d’un logiciel par rapport à un autre, mais celui d’une méthodologie : rien n’empêche Microsoft de faire du logiciel libre. C’est en ça que je dis qu’elle a tort. Donner la priorité au logiciel libre, c’est imposer une vertu à un logiciel.
En commission, j’ai abordé le risque, pour Aéroport de Paris, d’utiliser un logiciel Microsoft pas mis à jour depuis dix ans. Aéroport de Paris pourrait décider de développer son propre logiciel, non pas pour gagner de l’argent mais pour garder la main sur les mises à jour, sans être condamné à payer systématiquement pour les évolutions, tout en gardant le contrôle sur les données. Mais ça ne passe pas.
Les députés ne sont pas sensibles au sujet ?
Non, mais je pense que c’est moins lié au lobbying qu’à la méconnaissance des enjeux.
A droite, trois députés affirmaient il y a quelques jours que le texte d’Axelle Lemaire n’est pas nécessaire, et avait le paradoxe d’être à la fois trop touffu, sans brasser les thèmes indispensables pour « une République numérique ». Vous êtes d’accord ?
Non. Il faut une loi parce que sinon, ce sont toujours les plus gros qui vont se gaver. La loi est là pour mettre un équilibre entre petits acteurs et grosses firmes, clients et acteurs du Net, entre créateurs et éditeurs. Elle est donc nécessaire.
Par exemple, sur la loyauté des plateformes : le comportement de TripAdvisor, Booking et compagnie, c’est innommable !
J’ai fait le test avec des propriétaires d’un hôtel hier : ils n’avaient pas payé pour figurer sur ces plateformes – au contraire, ils les combattent. Mais s’ils ont eu le malheur de payer pour y être une fois, alors ils signent des contrats qui donnent la possibilité à ces sites d’utiliser toutes les photos de l’hôtel.
Mais il n’y a pas d’enquêtes lancées sur ces comportements, par exemple auprès de la DGCCRF ?
J’aimerais. Je viens d’avoir un coup de fil de TripAdvisor, qui a fait son boulot de lobbying et qui m’a appelée.
Pendant le rendez-vous téléphonique, en direct, j’ai fait un faux compte, j’ai posté des avis pipeau. Ils ont tous été validés ! Et eux, pendant ce temps, me disaient au téléphone qu’ils vérifiaient la véracité des propos ! Alors qu’on avait marqué que McDo c’était dégueulasse parce qu’il n’y avait pas de pizzas !
Et vous leur avez dit ce que vous étiez en train de faire ?
A la fin, oui, je leur ai dit que ce qu’ils me disaient était faux, vu qu’on venait de vérifier en direct…
Comment ont-ils réagi ?
Mal ! Ils voulaient supprimer les articles 23-24 de la loi [sur l’encadrement de ces sites, ndlr], qui leur met des contraintes, et c’est en ça que la loi est importante. Je leur ai dit qu’ils pouvaient ne pas attendre la loi, faire un effort de transparence et d’éthique envers leurs clients en affichant les conditions générales d’utilisation et de vente… Au moins, je leur ai dit.
Vous pensez qu’il y a une stratégie numérique au gouvernement ?
Non. Je crois qu’il y a des individus qui ont compris certains enjeux, comme Luc Belot et Corinne Erhel [députés socialistes, ndlr] au Parlement. D’ailleurs, c’est la même chose que Tardy, la Raudière ou Martin-Lalande [députés Les Républicains, ndlr]. Tu sens qu’ils ont compris les enjeux, qu’ils ont bossé, même si je ne partage pas toutes leurs idées.
Je pense que c’est un peu pareil à Matignon : il y a quelques conseillers, pro-open data ou pro-logiciels libres. Mais comme il n’y a pas de compréhension des enjeux sur le très long terme, sur ce que ça signifie même en termes de politique, la stratégie va fluctuer en fonction du dernier qui a parlé.
Mais est-ce que ce n’est pas inhérent au numérique ? C’est tellement transverse que ça vient irriguer tous les sujets et en même temps, c’est difficile de faire un super Premier ministre du Numérique qui viendrait gérer tout cela…
En même temps si, ça serait bien ! Avoir un vrai ministre du Numérique, ça ne me gêne pas vu qu’on vit une vraie révolution !
Après, il faudra qu’il trouve le juste équilibre entre les gros et les petits. Je sais que ça peut paraître simpliste de résumer la politique à cela, mais c’est toujours en ces termes que ça se pose. Par exemple, en droit du travail, comment on protège les salariés d’un employeur qui a plus de pouvoir ?
Et dans le numérique, il y a plein de sujets équivalents dont la société s’est emparée, sans nous attendre.
Par exemple ?
La société de partage ! On a beaucoup parlé d’Uber, de l’ « uberisation », qui est à mon sens une fausse liberté numérique. Pas même du partage ! Il y a un gros business derrière, avec des salariés complètement prisonniers d’une plateforme !
D’ailleurs, ils sont aujourd’hui les premiers à le dire.
Oui, mais ils ont mis un peu de temps. Au début, ils se réjouissaient…
Le débat autour de cette société du partage se résume à une phrase que j’ai entendue l’année dernière, en commission culture, quand les députés allemands sont venus nous voir. Je me suis aperçue que l’unanimité néolibérale présente dans l’hémicycle français, je la retrouvais en Allemagne. Avec des députés de tous bords qui disaient en gros :
« Il faut apprendre à nos enfants que rien n’est gratuit. »
Ça m’a beaucoup choquée. Je crois bien avoir tweeté à ce moment-là :
« Non, moi j’ai dit à mes enfants qu’il y a beaucoup de choses gratuites, qui doivent le rester ! »
Je considère qu’il y a des biens communs, que nous devons tous protéger, qui sont au-dehors du privé et du public, et qu’il est possible d’avoir un cadre pour ce partage.
Au tout début de mon mandat, j’avais assisté à un débat dont le sujet m’avait fait flasher : les baux communs, les communaux…
Oui, c’est d’ailleurs l’un des exemples du concept de communs.
Oui ! Et l’un des premiers gestes du gouvernement a été de les supprimer, parce ça tombait en désuétude.
J’avais trouvé que philosophiquement, la notion était belle. Mais le gouvernement a dit : il y a le public, il y a le privé, et entre les deux, rien ! Or, j’ai l’impression que la société d’aujourd’hui crée l’entre-deux, sans nous attendre. Ce serait bien qu’on les aide.
Il y a les communs d’un côté et, de l’autre, il y a aussi ce partage sur lequel se crée une nouvelle économie… C’est là que se trouve l’enjeu ?
Oui ! Pour moi, dans le numérique, il est là.
Quelles sont les mesures pour lesquelles vous allez vous battre jusqu’au bout dans ce projet de loi ?
La liberté de panorama, je lâche pas ! C’est clair et net que je vais y revenir en séance. Sur ce point, je trouve qu’il y a une malhonnêteté… au-delà même de la malhonnêteté.
La parole de Julia Reda, qui s’occupe de la question au Parlement européen, est considérée comme peu crédible parce qu’elle est au Parti pirate. Or, ce que Julia Reda a mis dans son rapport, c’est le rapport Lescure. Quasiment.
L’étiquette « Parti pirate » la dessert, donc ?
C’est fou ! Le rapport de [Pierre Lescure] est encensé en France mais elle, on lui crache à la figure parce qu’elle est au Parti pirate.
On a bien compris quelle était la menace pour ce gouvernement. C’est tout ce qui est commun, écologiste, citoyen. Pendant la loi renseignement, puis l’état d’urgence, quelles ont été les premières victimes ? Ces personnes-là. Et comme j’ai le malheur de m’occuper à la fois de l’écologie et du numérique… ils m’adorent !
C’est ça qui fait le plus peur et qui déstabilise l’establishment en place depuis 30 ou 40 ans. Parce qu’on veut un autre modèle économique. C’est pas le PC qui menace le PS ; c’est pas la droite. C’est même pas le FN, qui est complètement dans le système, et qui n’a jamais proposé un autre modèle économique. En revanche, cet entre-deux et cette nouvelle société qui émergent, eux, font peur.
Vous pensez que ça parle à tout le monde ? Que c’est plus qu’un truc de niche ?
Quand même de plus en plus… Parce que les gens sentent le malaise, ne peuvent peut-être pas tous le nommer, mettre une définition là-dessus, mais ils sentent qu’il faut questionner tout ça…
Qu’est-ce que le gouvernement a bien fait dans ce projet de loi ?
Sur la loyauté des plateformes, c’est très bien. C’est justement ce qui est attaqué donc j’espère qu’ils ne le lâcheront pas. Mais comme il ne s’agit pas de lobbies français, il y aura peut-être plus de courage.
Ensuite, il y a des avancées par rapport à la Cnil, la transparence, l’ouverture… Et en même temps, il y a des exceptions partout !
Pour la recherche, ça va mieux aussi. Par rapport aux articles scientifiques.
Ça s’est bien frité sur ce sujet pendant la consultation…
Oui, et je pense qu’on peut améliorer les choses. Parce que les chercheurs en ont besoin.
Pendant ma thèse – j’ai un doctorat en archéozoologie –, j’avais besoin d’avoir accès aux informations parce que je n’étais pas à Paris. J’étais dans les Cévennes. Heureusement qu’il y avait Internet, mais j’aurais aimé qu’encore plus d’articles soient à disposition. Parce que bon, les allers-retours à Paris…
Je veux simplement permettre la recherche, à un niveau normal. Parce que là encore, ce sont les plus gros qui se gavent !
Les éditeurs, vous voulez dire ?
Elsevier [un des plus gros éditeurs de la recherche, ndlr], c’est catastrophique ! Je le sais parce que j’ai publié chez eux ! Je connais les conditions : payer pour avoir les tirés à part de ses propres articles ! Et après quoi, on va payer pour pouvoir publier chez eux ? Encore que c’est presque ça : la France paie à Elsevier 172 millions d’euros sur cinq ans.
En subventions ?
En aides. Pour justement compenser le fait de mettre à disposition les articles. Donc je vais remettre le paquet en séance.
En commission des lois, l’absence d’opposition dogmatique était frappante. On a l’impression qu’il n’y a pas de divergences politiques sur le numérique.
Je suis d’accord. Ce sera peut-être différent dans l’Hémicycle, mais c’est vrai que les personnes en commission se posent les bonnes questions. Après, on n’est pas nombreux. Mais c’est rassurant : dans d’autres commissions, je me suis déjà demandé : « Mais qu’est-ce que tu fais là ? ! »
Là, tous ceux qui travaillent sur le numérique, Laure de la Raudière, Christian Paul, etc. On se retrouve tous en commission des lois.
C’est pour ça que le boulot semble de bonne qualité ?
Je pense. Ce qu’on ne comprend pas en revanche, ce sont les revirements de la ministre, soumise aux pressions. Même si elle aimerait aller quelque part – et je la soutiens parce que je pense qu’il était déjà bon de faire ce projet de loi de cette façon –, elle manque de soutien dans son rapport de force par rapport aux lobbies et aux discussions inter-ministérielles.
Elle n’est « que » secrétaire d’Etat, on en revient toujours là…
Je trouve ça dommage parce qu’elle avait fait les choses bien, très bien même. Il y a des choses à améliorer mais c’était déjà ça. C’est dommage.
Foi, amour, espérance, Collectif La carte blanche en mars au Théâtre Jean Vilar
Politique de la ville. Frantz Delplanque, le directeur du théâtre Jean-Vilar, définit les axes de son projet culturel et artistique au cœur duquel il développe la citoyenneté à la Paillade à Montpellier.
Le théâtre Jean-Vilar change en même temps qu’il poursuit sur sa lancée toujours éclectique et ouverte aux compagnies régionales. Le passage en régie municipale directe en 2011 et la nomination de Frantz Delplanque ont marqué une transition dans la destinée du lieu, implanté à Montpellier dans le quartier de la Paillade. En ce début 2016, le directeur entreprend sa seconde saison avec détermination et lucidité. Comme si les inondations de l’automne 2014, ayant conduit à une interruption temporaire de la saison, avaient été mises à profit pour mûrir le projet. « Ce théâtre est un outil de développement culturel formidable. Nous sommes pleinement soutenus par la Ville mais nous avons les coudées franches, et gardons une entière autonomie artistique », indique le directeur.
Si l’implantation dans un quartier en difficulté a toujours été une donnée assumée par le théâtre à travers une approche volontaire de l’action culturelle notamment en direction des scolaires, l’environnement semble aujourd’hui véritablement au coeur du projet de Frantz Delplanque. Le contexte social économique et culturel hexagonal et le positionnement du maire Philippe Saurel en faveur d’une citoyenneté renouvelée balise plus que jamais la destinée d’un projet qui doit faire sens auprès des habitants du quartier.
« Je suis à la recherche d’une pertinence artistique et parallèlement, notre projet met en oeuvre une série d’actions pilotes qui consolide le lien avec le quartier. Parce que le seul fait d’être un lieu de diffusion ne suffit pas, assure Frantz Delplanque. Le théâtre mène depuis deux ans des projets participatifs favorisant une approche de la culture par les pratiques artistiques et les rencontres avec les artistes. »
Le directeur Frantz Delplanque.
Le bar rénové du théâtre propose une alternative à la grande salle de spectacle dont le taux d’occupation ne descend pas en dessous de 85%. Cette année, l’association Condamnés à réussir y programme des soirées rap. Des « boeufs?» géants entre habitants musiciens s’y déroulent autour d’un repas organisé par l’association Musiques sans frontières, Les goûteurs de texte associent, en partenariat avec La Baignoire, 10 habitants (pas nécessairement des lecteurs) lors d’un repas, au choix de 3 lectures spectacles ensuite programmées au bar.
« Quand il y a une déchirure ce n’est pas l’afflux de moyens qui permet de réparer mais une série de petits points solides aux bons endroits. Je continue à penser que l’on peut réparer, faire reculer le racisme qui n’a pas les racines qu’on lui prête », soutient Frantz Delplanque.
Au fur et à mesure de ces rendez-vous progresse la connaissance mutuelle. L’importance sociale de la culture qui passe aussi par les échanges oraux s’affirme, comme le fait que les textes peuvent être décodés à plusieurs niveaux de signification, y compris celui des implications inconscientes. Cette réflexion sur le sens aboutit à l’élaboration d’une méthode placée sous le signe de l’action culturelle, qui tient compte aussi bien de la forme que du contenu et du contexte.
Par ailleurs, le théâtre poursuit sa programmation diversifiée largement axée sur la création. « Là aussi, la prise en compte de l’environnement particulièrement rude pour les compagnies impose que le théâtre de la ville maintienne son attention aux artistes qui font de la région un territoire de production, porteur d’identité et de diversité », souligne le directeur qui leur consacre 50% de sa programmation en maintenant une exigence de qualité.
Le théâtre Jean-Vilar devient un fédérateur de talents artistiques, qui donne sens à la politique culturelle publique. Il a besoin de moyens et de temps.
JMDH
Repère
Implanté dans l’ancien domaine viticole du Mas de la Paillade, Jean-Vilar a ouvert ses portes en 1994 sous l’impulsion de Georges Frêche qui dote le quartier Mosson d’un vrai théâtre en confiant le projet à Luc Braemer. Le maire de Montpellier de l’époque donne le la?: « Je ne veux pas un théâtre vide et occupez-vous des compagnies de Montpellier.» Issu de l’éducation populaire, le directeur gardera ce cap durant vingt ans. Théâtre, cirque, chanson, danse, jeune public, l’éclectisme devient la marque de fabrique de Jean-Vilar qui laisse ses portes largement ouvertes aux artistes locaux qui composent 50% de la programmation. Après vingt ans d’existence, le théâtre affiche un taux de remplissage de plus de 80%. Le discret Luc Braemer part à le retraite serein. Mission accomplie.
Selon Lucía Ibáñez, psychanalyste, «Il y a des droits qui ne devraient poser question à personne, comme une évidence limpide de ce qu’une société se doit d’offrir à ses enfants (…). L’inscription d’un enfant au droit social par l’attribution de la nationalité pourrait être une des conditions fondamentales pour grandir subjectivement, mais aussi pour grandir à plusieurs en société».
Notre société s’apprête à l’initiative du gouvernement à inscrire dans la constitution une différence de traitement, basée sur la filiation, pour des personnes condamnées pour acte de terrorisme. Le projet de révision constitutionnelle envisage la déchéance de la nationalité des binationaux, c’est-à-dire des français disposant d’une autre nationalité.
Plusieurs voix se sont déjà élevées pour dénoncer l’aberration et le danger que cette proposition gouvernementale pourrait inscrire au sein de notre constitution en vidant de son sens la devise fondatrice d’égalité qui stipule un droit égalitaire pour tous les français. Si cette mesure est adoptée, un français condamné pour terrorisme sera déchu de sa nationalité française et sera expulsé du pays. Mais tous les autres, condamnés pour les mêmes actes de terrorisme, nommés abusivement français de souche, et qui ne sont pas en nombre moindre, d’après les statistiques, resteront dans le pays et garderont leur nationalité.
Le gouvernement reconnaît que cette mesure n’aura pas d’incidence sur la lutte contre le terrorisme, mais qu’il s’agit d’un message symbolique. Mais ce message symbolique n’a pas été formulé, quel est-il et à qui s’adresse t-il ?
A une société apeurée et émue marquée par le deuil et la violence ? A notre jeunesse ? Avec quelle perspective ou celle de la désagréger davantage ? A nos enfants ? Comment soutenir devant leurs interrogations que désormais notre société fera une distinction, par la punition, entre des Français qui ont un père ou une mère d’une autre nationalité ? Quel enfant pourrait comprendre une telle inégalité de la justice ?
S’il est attendu, étant donné le contexte, que le gouvernement propose des mesures sécuritaires, il est incompréhensible qu’il ne propose pas à la société les moyens pour penser les questions de fond soulevées par la radicalisation et permettre d’élaborer des mesures qui nous aident, avec la participation de tous les citoyens, à soigner nos blessures et à dépasser nos difficultés ensemble.
C’est de notre responsabilité de penser aux conséquences d’une telle mesure instaurée comme inégalité constitutionnelle. Tout d’abord, elle permettra l’expulsion du condamné dans le pays de parents ou de grands parents où il n’a pas grandi. Mais pourquoi irait-il dans un pays qui lui est étranger alors qu’une des terres du « califat » pourrait l’accueillir, avec encore plus de facilité dans son programme de désubjectivation, tout en l’aidant à nourrir la haine pour le pays de sa naissance qui l’aura expulsé ?
Une société qui refuse d’interroger ce qu’elle engendre, encourt à fortiori le risque que cela lui fasse retour, d’une manière ou d’une autre.
L’insistance du gouvernement à faire voter une telle mesure est d’autant plus incompréhensible qu’il est impossible de supposer qu’elle provienne de son ignorance sur la complexité du problème auquel il dit vouloir s’attaquer. Au lendemain de l’attentat sur Charlie, le gouvernement commandait à Malek Boutih, député de l’Essonne, une étude approfondie sur « L’analyse et la prévention des phénomènes de radicalisation et du djihadisme en particulier ». Mr. Boutih a rendu son rapport fin juin 2015. Cette étude rigoureuse qui porte le titre: « Génération radicale » a sollicité la participation des hommes et des femmes de terrain du milieu socio-éducatif et pénitentiaire travaillant avec des enfants et des jeunes. Ce document mériterait de devenir une base de travail sérieuse pour l’élaboration des propositions qui pourraient répondre aux difficultés soulevées. A l’inverse, ce document semble être resté dans un tiroir sans que le gouvernement s’en soit servi au moins, pour offrir largement à la population l’information richissime qu’il contient et qui aiderait chaque citoyen et chaque citoyenne à prendre conscience de la complexité de la question de la radicalisation qui s’étend dans notre société.
Le rapport fait le portrait « d’une génération au bord de la rupture » qui trouve dans l’offre djihadiste une réponse, certes illusoire et mortifère, au désespoir subjectif de jeunes fragilisés et en rupture avec la société dans laquelle ils vivent.
Le phénomène touche toutes les catégories sociales. Certes il y a les jeunes marginalisés habitants des banlieues mais il a aussi tous ces autres jeunes appartenant à des classes moyennes ou supérieures. « On compte une majorité de moins de 25 ans (65%). La tranche d’âge des 18-25 ans est la plus concerné et s’y ajoute 5% de mineurs ».
Le rapport s’attarde à avertir sur le danger de basculer dans un phénomène de masse étant donné « l’ampleur du phénomène et sa pénétration dans tous les milieux, avec la radicalisation de jeunes étudiants et de jeunes filles en particulier » qui constituent, avec des jeunes diplômés, des cibles privilégiées pour la stratégie de recrutement djihadiste. Certaines compétences les intéressent davantage : « infirmières, artificiers, sportifs, ingénieurs ».
Ne nous trompons pas, nos jeunes qui basculent dans le terrorisme ne sont pas tous des religieux avec des grands parents maghrébins. Ils constituent dans leur diversité, notre jeunesse française. Ils sont nés sur le sol français, ils ont grandis sous nos lois, sous nos programmes d’éducation, sous nos projets territoriaux, sous nos principes et valeurs culturelles et sur nos choix de société adoptés par tous et devant lesquels chacun est responsable.
A qui donc voudrions-nous faire porter la responsabilité de nos déceptions et de nos défaillances ? (1)
Je voudrais contribuer au débat actuel sur la question de la nationalité en déployant une problématique soulevée par l’application de la règle du droit du sol qui reste largement méconnue des français et qui mérite, me semble t-il, de trouver place dans le débat.
Si nous avons des jeunes dits binationaux, c’est surtout parce que la France impose aux enfants issus de l’immigration la double nationalité.
En effet l’idée socialement répandue que chaque enfant né en France même de parents étrangers serait automatiquement Français grâce à l’application du droit du sol, n’est pas juste. Il n’y a pas d’affectation immédiate de ce droit et de ce fait les parents sont contraints de donner leur propre nationalité à l’enfant. Je vais m’employer dans les lignes qui suivent à déployer cette affirmation et la problématique qu’elle soulève.
Que dit la règle du droit du sol?
Le texte en vigueur sur la nationalité différencie l’attribution de la nationalité française de l’acquisition de celle-ci.
L’attribution est fondée sur le droit du sang en reconnaissance de la filiation : « Est français l’enfant, dont l’un des parents au moins est français au moment de sa naissance » et cela même si l’enfant naît à l’étranger.
Quant à l’acquisition, elle implique une procédure. Il est possible de devenir Français, par mariage, par adoption, et par la demande volontaire de naturalisation. Je ne m’arrêterai pas sur ces situations qui n’intéressent pas mon propos et je vais reprendre ce que dit la loi plus précisément quant au droit du sol pour les enfants nés en France de parents étrangers.
Le droit du sol (jus soli) a été introduit dans le droit français en 1515 par un arrêt du parlement de Paris qui stipulait : « est français celui qui est né en France, même de parents étrangers, s’il demeure dans le royaume.» (2)
En 1804, le code civil conserve le droit du sol, tout en privilégiant la filiation du sang. Il apparaît déjà l’obligation pour l’individu né d’un étranger, de réclamer la nationalité française dans l’année suivant sa majorité. Ce délai sera supprimé par la suite, pour qu’à partir de 1851 le droit du sol soit progressivement rétabli pour répondre aux besoins croissants de travailleurs ou de soldats en 1889. Il est intéressant de remarquer que durant cette période de préoccupation militaire, la faculté de répudier la nationalité française avait été interdite (3) pour pouvoir assujettir au service militaire les enfants d’étrangers nés en France.
« En 1993, la loi n°93-933 du 22 juillet, dite loi Pasqua-Méhaignerie, restreint l’accès à la nationalité par le droit du sol pour les jeunes d’origine étrangère. Pour devenir Français, ces derniers doivent désormais, selon les termes de la loi, en manifester clairement la volonté entre 16 et 21 ans». (4)
La législation actuelle qui date de 1998 (loi du 16 mars nº 98-170), dite loi Guigou, a modifié certaines dispositions de la loi Pasqua, en retirant notamment l’obligation pour le mineur de faire une demande officielle de volonté pour devenir Français.
Aujourd’hui, la nationalité française est déclarée de plein droit en raison de la naissance et de la résidence, mais octroyée sous certaines conditions. Trois possibilités sont envisagées :
Lorsque l’enfant a 13 ans, ses parents peuvent la réclamer pour lui, et avec son consentement. Ils doivent faire une déclaration, et fournir des documents qui attestent que l’enfant réside en France depuis l’âge de 8 ans et pendant une période consécutive de cinq ans.
Dès l’âge de seize ans, le jeune peut réclamer la nationalité par déclaration et sans l’accord des parents. (Article 21-11 du code civil)
A 18 ans le jeune devient Français de plein droit, sauf s’il décline cette possibilité. (Article 21-7 du code civil)
Dans les deux derniers cas, l’accès à la nationalité reste dépendant de deux conditions : le jeune devra prouver 5 années de résidence consécutives à partir de l’âge de 11 ans et ne pas avoir été condamné à une peine égale ou supérieure à six mois d’emprisonnement, non assortie d’une mesure de sursis.
Avant la loi Guigou, l’enfant n’avait droit à aucun document attestant de sa futurenationalité française. Il portait nécessairement, comme encore aujourd’hui, la nationalité du père ou de la mère.
Depuis 1998 (Décret n° 98-721 du 20 août) l’enfant a droit à un Titre d’Identité Républicain (TIR) pour pouvoir voyager à l’étranger et être dispensé de visa à son retour en France. Le TIR est délivré sur demande et doit être accompagné, de toute façon, d’une carte d’identité ou d’un passeport, documents que la France ne peut pas délivrer à l’enfant, puisqu’il n’est pas assimilé encore Français.
De ce survol historique de l’évolution de la loi jusqu’au texte en vigueur, je tiens à relever qu’il y a eu une époque où le droit du sol s’appliquait dès la naissance, pour évoluer ensuite, en fonction des intérêts ou des positions idéologiques des partis au pouvoir, vers une exigence de déclaration de volonté ou de réclamation souhaitée d’un droit par le jeune.
Ce qu’il faut retenir de l’application de la législation actuelle et qui intéresse mon questionnement, c’est que durant toute son enfance et jusqu’à ses 13, 16 ou 18 ans, l’enfant aura affaire à ce statut bizarre d’être considéré potentiellement Français. Ceci semble une aberration qui me permet d’affirmer qu’en France le statut d’étranger se transmet de père à enfant. Cette situation qui crée une sorte d’entre deux est assez problématique. D’abord parce qu’elle n’offre pas à l’enfant un point d’appui solide sur lequel s’appuyer pour construire sa propre historialité en la dégageant de l’histoire de migration des parents. Et ensuite parce que la définition de la loi semble méconnaître, et donc ne pas tenir compte, des besoins psychiques de l’enfant impliqués dans le processus de construction et de différenciation identitaire et dont le besoin d’appartenance au milieu social qui l’entoure est un point d’ancrage essentiel.
Et puis, comment ignorer que l’amour pour la patrie et pour la terre germe durant l’enfance ?
Et comment espérer d’un jeune adolescent la « déclaration d’une volonté » affirmée pour devenir membre à part entière d’une société qui l’aura considéré étranger durant toute son enfance en créant ainsi avec lui un lien teinté d’ambigüité ?
Pour avancer dans le développement de cette problématique, je dois rappeler brièvement les prémisses impliquées dans la construction de la subjectivité et de l’espace identitaire où se fabrique et s’organise sans cesse pour quelqu’un, l’appréhension de sa réalité interne et du monde qui l’entoure. Le petit enfant baigne dès sa naissance, et même avant, dans les eaux langagières et culturelles des parents. Dans ce lieu familial, il entendra les premiers signes qui lui feront appréhender le monde externe avec curiosité et envie, ou bien, avec crainte et méfiance.
La construction, par l’enfant, d’un reflet de mêmeté (5) identitaire dépend de sa rencontre avec l’amour des parents, ce qui passe par la langue et par la manière dont ils ont pris soin de son corps. La langue est le lieu d’ancrage singulier qui signe, en même temps, l’ancrage dans le monde.
A l’école, l’enfant aura l’opportunité de rencontrer d’autres enfants, et pour certains, elle sera le lieu de rencontre avec une autre langue, la langue sociale qui lui permettra d’accéder à un monde bien plus grand que celui de la famille. L’école est aussi le lieu où, par les jeux de miroir que facilite la langue, les enfants approchent avec conscience les marques de leurs différences. La curiosité pour l’autre semblable les amène à se comparer et à se mesurer, ce qui est évidemment structurant. C’est la langue qui fera lien, un lieu d’habitation commun, même si chacun l’habitera à sa façon. La langue devient patrie, riche de son pouvoir d’enracinement identitaire à une culture. Et lorsque les enfants grandissent dans un bilinguisme culturel, cela est sans doute une richesse mais parfois aussi une confrontation bouleversante et conflictuelle.
Pour certains d’entre eux, le pays d’origine des parents sera source d’un imaginaire imprégné de nostalgie pour la terre perdue et qui sera, d’autant plus idéalisée, que les parents ne reviendront pas au pays natal, mais garderont présente la perspective rêvée d’un retour. Ce rapport ambivalent des parents affecte leur relation avec le nouveau monde social qui les entoure et la façon dont ils vont le présenter à l’enfant.
Une des premières tâches psychiques à accomplir pour l’enfant sera celle de créer sa propre possibilité, (ce qui peut être celle d’une création symptomatique) pour faire avec la fragilité des parents, pris dans la douleur du déracinement et par leurs propres conflits subjectifs.
C’est bien pourquoi, à partir de sa circonstance familiale, mais aussi pour répondre à la pression psychique d’appartenance sociale, l’enfant cherche, dans le meilleur des cas, d’autres lieux d’adresse, des espaces qui lui fournissent d’autres figures d’identification.
La société, à la place de tiers est celle qui peut assurer pour l’enfant une fonction structurante de coupure séparatrice que je nommerai la fonction paternelle du social. Cette fonction est porteuse du symbolique par l’écart qu’elle peut signifier avec la condition, quelle qu’elle soit, des parents et par la reconnaissance de l’histoire qui serait celle de l’enfant, en lien et en rupture avec celle des parents. Le message symbolique pourrait se traduire ainsi : tu viens d’un père et d’une mère (reconnaissance de la filiation ancestrale) mais tu es né parmi d’autres qui t’accueillent dans la terre et la langue que nous parlons.
Si cette fonction fait défaut à l’enfant, un lien souffrant s’établit entre lui et les pays de son histoire, ceux des parents et le sien, sans vraiment se sentir appartenir ni à l’un ni à l’autre.
Le conflit identitaire est terrible : « je ne suis pas de là bas » la terre des parents, mais « je ne suis pas des vôtres » non plus. Il reste être de nulle part. Mais pour un enfant, être de nulle part est foncièrement déstructurant. En manque d’ancrage identitaire à la société dans laquelle il est né, l’enfant grandit dans sa communauté, en marge des autres, portant un vide identitaire.
Et lors du passage adolescent, qui n’est pas linéaire, et que d’ailleurs certains n’arriveront à traverser qu’en y laissant leur peau, le jeune se trouve dans le besoin structurant de contester la loi des parents pour affirmer, souvent par opposition, son droit à la singularité. C’est une époque éminemment sensible et fragile où la question de l’origine se repose avec puissance et dangerosité.
Confus et perdus par le brouillement de miroirs déchus ou idéalisés et n’ayant parfois que le désespoir pour survivre, certains jeunes vont chercher un peu de structure en appartenant à une communauté sectaire pour suppléer à leur manque d’assise identitaire. Ils succombent à un discours qui fait appel à l’obéissance et à la soumission, au nom d’un Dieu-Maîtrequi sait et qui prescrit les commandements pour guérir du mal de vivre. Nous avons à nous interroger sur la défaillance de certaines réponses sociétales qui tombent à côté de l’appel que ces jeunes nous adressent.
De plus, l’adolescent qui se vit en marge de la société trouvera dans le discours ambiant de quoi nourrir un sentiment d’exclusion. Des slogans comme : « Être Français, ça se mérite », ou « la carte d’identité n’est pas la carte orange » imprègnent la langue du rejet de l’autre sans que cela ne cesse de réveiller le démon de la haine. (6)
Toni Gatliff dans son dernier film « Geronimo », met bien en scène la problématique du vide identitaire. Il filme des jeunes issus de l’immigration turque et gitane résidant dans une banlieue du sud de la France, entourés par le trafic de drogue, pris par la violence et surtout plongés dans l’ennui et l’oisiveté sans espoir. La troisième génération, les adolescents, sont prêts à mourir et à tuer pour sauver l’honneur de la tradition, une tradition qu’ils n’ont connue que par la voix des grands parents. Et alors que les parents avaient tenté de s’en dégager, elle fait retour, avec plus de puissance, chez les jeunes qui se sont saisis d’elle pour l’ériger en patrie. Faute de lien solidaire à une société qui ne les reconnaît que dans leur marginalité, la tradition exacerbée devient pour eux le pater : la patrie des pères.
Le malaise subjectif et social des jeunes interpelle la société, par le biais du politique, dans sa capacité à garantir, pour eux, sa fonction de tiers social. Notre société française l’assume en reconnaissant à chaque enfant le droit à l’école et le droit à la santé, deux lieux qui lui assurent une inscription et une protection sociale. Mais chaque société devrait pouvoir assumer la responsabilité d’accueillir tout enfant qui naît sur sa terre en le reconnaissant comme un sujet social à part entière et cela dès la naissance. Légitimer cette reconnaissance par le droit serait bien un message symbolique de cohésion sociale adressée à toute la société. Evidemment cela ne saurait suffire pour protéger les enfants du malaise, il y a bien d’autres circonstances qui y participent, la ségrégation territoriale, la pauvreté et « l’apartheid scolaire » (7) qui reproduit les inégalités et la désolidarisation des jeunesses qui grandissent en parallèle sans perspective sociale à construire et à partager.
Il y a des droits qui ne devraient poser question à personne, comme une évidence limpide de ce qu’une société se doit d’offrir à ses enfants, les conditions suffisamment bonnespour que chacun puisse devenir citoyen en cultivant la tolérance et la curiosité pour l’inconnu. L’inscription d’un enfant au droit social par l’attribution de la nationalité pourrait être une des conditions fondamentales pour grandir subjectivement, mais aussi pour grandir à plusieurs en société, en créant du lien qui ne se fonde pas sur la stigmatisation de l’étranger, mais qui reconnaisse d’emblée la valeur du partage de la vie et de la langue au sein de nos différences.
Les mythes originaires construits autour de la question : « d’où je viens ? » se fondent sur les liens d’appartenance à une famille et à une société. Ceux-ci sont pour l’enfant des points d’ancrage, des bords, pour qu’un jour il puisse les lâcher et partir pour construire sa propre famille et parvenir à se trouver un bout de terre quelque part dans le monde.
En adoptant des lois qui créent des inégalités, nous nourrissons le rejet et la violence sociale et cela porte à conséquence sur l’ensemble de la société.
(1) Cela me fait penser à une personne qui voulait renvoyer sa fille adoptée à son pays d’origine, parce qu’elle s’est aperçue qu’elle ne répondait pas à son idéal d’enfant qu’elle attendait.
(3) Christophe Vimbert, La tradition républicaine en droit publique français, P.U.R., p34
(4) Melting-post.fr, publication de Génériques, association spécialisée dans l’histoire et la mémoire de l’immigration, la sauvegarde, la préservation et l’inventaire des archives de l’immigration en France et en Europe.
(5) Françoise Dolto emploi ce terme pour définir le narcissisme comme un lieu où s’entrecroisent les premières relations langagières, l’image inconscient du corps et le désir.
(6) Lors d’un discours à Grenoble en 2010, Nicolas Sarkozy avait déjà différencié les Français d’origine étrangère du reste de la nation et proposait de retirer la nationalité française à toute personne d’origine étrangère qui porterait atteinte à la vie d’une personne dépositaire de l’autorité publique.
(7) « L’apartheid scolaire, Enquête sur la ségrégation ethnique dans les collèges », Seuil, 2005, Titre du livre du Georges Felouzis, sociologue, son travail sur les inégalités à l’école dénonce l’éclatement du système éducatif sur une base de ségrégation ethnique.
Plusieurs milliers de manifestants, accompagnés de centaines de tracteurs et de cyclistes, ont commencé à bloquer, samedi 9 janvier en milieu de journée, le périphérique de Nantes, à l’appel des organisations hostiles au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Ils entendent protester contre d’éventuels arrêtés d’expulsion, qui pourraient être prononcés par le tribunal de grande instance de Nantes, le 13 janvier. Ils concerneraient les opposants historiques, onze maisons et quatre fermes, représentant plus de 400 hectares de terres agricoles sur les quelque 1 220 ha que couvre le projet d’aéroport.
La manifestation réuni 20 000 personnes sur le périphérique de Nantes, et des centaines de tracteurs, selon les organisateurs, la police avançant le chiffre de 7 200 manifestants. « La mobilisation paysanne est au rendez-vous au-delà des espérances », a commenté Julien Durand, porte-parole de l’Acipa, la principale association d’opposants au projet d’aéroport nantais.
Les opposants manifestent aussi à Paris, Bordeaux, Toulouse, Marseille, Strasbourg, Albi, Rennes, Lille, Chambéry… ou encore au cap Sizun. Plus d’une trentaine de rassemblements sont annoncés, preuve du symbole national que représente la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, un combat historique pour un dossier ancien d’une cinquantaine d’années. C’est en effet au milieu des années 1960 que les autorités choisissent cette zone, située à une quinzaine de kilomètres au nord de Nantes, entre les villages de Notre-Dame-des-Landes et de Vigneux-de-Bretagne, pour construire un nouvel aéroport, destiné à accueillir le Concorde, emblème national de la politique aéronautique en ce temps-là. Mais ce projet est devenu symbole de discorde et d’une méthode de lutte contre des projets jugés « inutiles ».
A l’été 2009, lors du premier « camp action climat » se tenant en France, l’occupation de la zone d’aménagement différé, devenue zone à défendre, commence. La ZAD est née, devenant un modèle repris dans de nombreuses autres luttes environnementales, à Sivens (Tarn), contre un projet de barrage, ou à Roybon (Isère), contre un Center Parcs. Le bocage nantais, pittoresque patchwork de prés et de bois, de taillis et de petits chemins, est aujourd’hui parsemé de dizaines de cabanes, de caravanes, de fermes et de maisons réoccupées par des militants écologistes, « antisystème », des agriculteurs.
Les « pour » et les « contre »
Dans l’attente d’une éventuelle confrontation, les deux camps fourbissent leurs arguments. Les pro-aéroport sont très largement majoritaires chez les élus de la région Pays de la Loire, à la mairie de Nantes ou au conseil départemental. L’ancien président socialiste de région Jacques Auxiette, comme le nouveau, Bruno Retailleau (Les Républicains), partagent la même position. L’ex-premier ministre (2012-2014), et ancien maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault, a aussi toujours défendu la nécessité d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes, ce qui a valu à cette infrastructure d’être rebaptisée l’« Ayraultport » par ses opposants. Droite et Parti socialiste se retrouvent sur ce dossier, tout comme le Parti communiste ou encore les élus locaux de l’Union démocratique bretonne (UDB) — qui refusent la centralisation du trafic aérien par les plates-formes parisiennes. Favorable au projet, l’association Des ailes pour l’Ouest regroupe un certain nombre de chefs d’entreprise, avançant « 154 décisions de justice favorables au projet, le soutien de 3 Présidents de la République, 6 premiers ministres, 2 régions, 4 agglomérations ».
Le camp adverse n’est pas composé des seuls « zadistes », décrits par M. Retailleau comme une « minorité bornée, bruyante et ultraviolente », dans un entretien au Point, le 8 janvier. Les écologistes, une partie du Front de gauche, l’extrême gauche, des associations de défense de l’environnement, mais aussi des syndicats comme la CGT régionale, la FSU (les enseignants) ou Solidaires sont résolument opposés au projet. Du côté des agriculteurs, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) refuse l’artificialisation de terres agricoles qu’entraînerait le futur aéroport, mais rejette toute manifestation aux côtés des zadistes, alors que la Confédération paysanne milite activement au côté des opposants.Des groupes chrétiens du diocèse de Nantes, dans l’esprit de l’encyclique du pape François Laudato si’« sur la sauvegarde de la maison commune », en mai 2015, ont exprimé au début de janvier leur souhait que soient « réexaminés l’ensemble du projet et ses alternatives, avec une procédure transparente et démocratique », et que soit arrêtée « toute procédure d’expulsion des habitants de la zone concernée ».
Le Front national a aussi fait état de son hostilité au transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique à Notre-Dame-des-Landes. Le parti d’extrême droite réclame dans le même temps l’évacuation de la ZAD. Une pétition de riverains, qui serait signée par plus d’un millier de personnes, sans prendre position sur le projet lui-même, réclame aussi le départ des zadistes.
Au niveau gouvernemental, enfin, Manuel Valls a exprimé son souhait de voir l’aéroport se construire et le premier ministre entend évacuer la ZAD et restaurer l’autorité de l’Etat. Seule la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, a exprimé des doutes sur la pertinence d’ouvrir ce chantier, et préfère en appeler à de nouvelles expertises indépendantes afin d’envisager de possibles autres solutions. Ce point avait fait l’objet d’un accord pour le deuxième tour des élections régionales entre le PS et les écologistes, malgré leur opposition sur le fond du dossier.
Démocratie et transparence
Parmi les nombreux arguments avancés d’un côté comme de l’autre, la question de la démocratie est souvent évoquée. Pour les pro-aéroport, cela signifie le respect des décisions prises, notamment le décret d’utilité publique de février 2008, et les conclusions des diverses enquêtes d’utilité publique. L’unanimité n’était pourtant pas de mise. Ainsi que le rappelle la Commission nationale du débat public, « la Communauté de communes d’Erdre et Gesvres, rassemblant les communes les plus directement intéressées par le projet, s’est prononcée à une assez nette majorité en faveur de la création d’un nouvel aéroport dans l’Ouest, mais a formulé un avis négatif à l’issue d’un vote assez serré quant à son implantation sur le site de Notre-Dame-des-Landes ».
Aujourd’hui, les opposants, regroupés entre autres dans l’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport (Acipa), dénoncent le manque de transparence et l’absence de démocratie. Dans une lettre publique du 21 décembre 2015, ils accusent les autorités de « rétention d’informations capitales », notamment sur le cahier des charges initial de l’appel d’offres, sur des données comme « le gain de temps pour les passagers », qui aurait justifié la nécessité du transfert de l’actuel aéroport, le coût de sa rénovation « majoré de façon abusive » ou encore sur l’étude des zones de bruit. Selon l’Acipa, auteure du courrier, alors que l’intérêt général vers Notre-Dame-des-Landes serait justifié par « les nuisances sonores et la santé publique », l’Etat « a renoncé au transfert de l’aéroport de Toulouse alors que les logements inclus dans le Plan de gêne sonore y sont au nombre de 20 453 contre 1 751 à Nantes ».
S’appuyant sur leurs propres expertises, en opposition à celles présentées par l’Etat, la région ou la direction générale de l’aviation civile, ils dénoncent « un projet inutile, coûteux et destructeur » et demandent l’ouverture d’un débat sur la possible « optimisation » de l’actuel aéroport. Les « pro » évoquent l’augmentation du trafic aérien, la saturation prochaine de Nantes-Atlantique et défendent le transfert pour des raisons environnementales. Vinci Airport, concessionnaire du futur aéroport du Grand Ouest, annonce des bâtiments basse consommation et une plate-forme certifiée « haute qualité environnementale ». Le transfert permettrait d’éviter le survol de l’agglomération nantaise et l’existence de deux pistes, au lieu d’une actuellement, réduirait les nuisances sonores et améliorerait la sécurité. Un collectif de deux cents pilotes, s’opposant au transfert, conteste cette analyse.
Sur la biodiversité et les espèces protégées, sur la préservation des zones humides, la possibilité de compenser leur destruction et la méthode de calcul pour y parvenir, les contestations sont aussi nombreuses. Le futur plan de transport régional, avec la construction de lignes à grande vitesse vers l’ouest, l’existence de nombreux aéroports dans la région (Saint-Nazaire, Rennes…), comme le coût global de l’opération constituent aussi des points d’affrontement. Autant de raisons, selon les opposants, de rouvrir le dossier.
Ultime argument, si les contestations ont toutes été rejetées par la justice, les dernières en juillet 2015, certaines procédures (en appel notamment) sont encore en cours. Julien Durand, porte-parole de l’Acipa, n’a de cesse de rappeler l’engagement du chef de l’Etat à ce qu’aucune intervention des forces de l’ordre n’ait lieu avant l’épuisement de tous les recours juridiques. Une promesse qui devrait éviter, selon lui, de prochains affrontements autour du paisible bourg de Notre-Dame-des-Landes.